[27] juillet - roman d'été
« J'ai toujours cru que le style était plus important que la mode. Ils sont rares ceux qui ont imposé leur style, alors que les faiseurs de mode sont si nombreux. »
— Yves Saint-Laurent
« Et voilà, c'est recousu ! s'exclama fièrement Bernard.
— Tu manies drôlement bien l'aiguille, fit remarquer Philippine étonnée. Tu veux être urgentiste ou chirurgien ? »
Camille laissa échapper un petit rire moqueur. Maya lui donna un coup de coude pour l'arrêter.
« Non, à vrai dire... Je voudrais faire de la haute couture. »
Cette fois-ci, Maya était trop estomaquée pour empêcher son amie d'éclater de rire. Nous le dévisageâmes tous, restant comme deux ronds de flan.
« Tu as passé ton temps à te moquer de mes activités « de fille » d'après toi, alors que tu es la preuve même qu'en tant que garçon on peut aimer les trucs dits « de filles », ce qui en soit est déjà une aberration, mais bref... C'est l'hôpital qui se moque de la charité !
— Non ! Oui ! Enfin... J'avais une réputation à défendre, si je montrais ce côté aux autres, ils allaient m'abandonner !
— Et tu te serais fait de nouveaux amis ! dit Maya comme si c'était l'évidence même.
— Qui donc ? Vous peut-être ?
— Oui ! lui répondit-elle.
— Non ! la coupa Camille.
— Tu vois ? Vous me détestiez, vous n'auriez pas voulu de moi.
— On t'aurait pardonné...
— Parle pour toi ! s'énerva Camille.
— J-B ! aide-moi ! » supplia Maya.
Mais la seule réponse qu'elle obtint fut un bêlement.
« J-B ? »
Elle se retourna pour découvrir Jean-Baptiste et Eustache au milieu des moutons, évitant une léchouille par-ci, une mordouille par-là.
« Mais qu'est-ce que vous avez fait ? s'étrangla Bernard. Pourquoi les moutons sont-ils dans la maison ?
— Je crois qu'ils me prennent pour l'un des leurs, expliqua Eustache. Résultat, ils m'ont suivi.
— Génial... Et comment je les fais sortir moi maintenant ?
— Ça ne devrait pas être beaucoup plus compliqué, fis-je remarquer. S'ils ont suivi Eustache à l'intérieur, ils devraient aussi le suivre à l'extérieur. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Comme de bons moutons de Panurge, ou plutôt de bons moutons d'Eustache, le troupeau suivit sagement le Chinoiroux hors de la modeste habitation des grands-parents de Bernard Bad Boy.
Ce dernier le regarda s'éloigner puis lâcha dans un soupir :
« C'est complètement fou tout de même. Si on m'avait dit que je rencontrerais un énergumène pareil lors de ma dernière année...
— On ne l'aurait pas cru non plus, dit Maya.
— Si on m'avait dit que je rencontrerais un type comme Eustache dans ma vie je ne l'aurais pas cru ! corrigea Camille.
— Regardez-le... »
Il était là, grand, noir, roux et bridé, en short de bain, en train d'essayer de se frayer un chemin hors du troupeau de mouton. Derrière lui, on eut cru que le ciel cherchait à l'imiter en se teintant d'orange. Soigner Natacha avait pris plus de temps que prévu.
« Le soleil commence à se coucher, vous devriez vous remettre en route. Il vous faudra peut-être du temps pour rentrer avec votre blessée...
— Tu as raison Bernard, répondit Maya. Allez, en route mauvaise troupe ! »
Nous remerciâmes l'ex-Bad Boy pour son aide inattendue et repartîmes vers le chalet. Lorsque nous arrivâmes, la nuit était presque tombée. Maya décida de commencer un barbecue, tandis qu'Olivier installait Natacha dans un lit afin qu'elle se repose. J-B et Camille mettaient la table et Philippine préparait une salade. Quant à moi, je regardais bêtement Maya, ne sachant trop comment l'aider.
« Tu n'as jamais fait de barbecue Renée ? me demanda-t-elle.
— Non, mon oncle en a le monopole à la maison. Ne serait-ce que toucher à son matériel est interdit.
— Ta famille est un peu bizarre si je puis me permettre... Quoi que, elle paraît tout à fait normale à côté d'Eustache. Où est-il passé d'ailleurs ? »
Nous jetâmes un coup d'œil aux alentours, sans le trouver. Maya l'appela, mais aucune réponse. Elle m'envoya le chercher.
Je le trouvai derrière la balançoire, en train de pousser un mouton.
Un mouton ?
« Eustache ? m'étranglai-je.
— Oh tiens salut Renée ! Je te présente Gaston le Mouton. Il nous a suivis.
— Et tu lui fais faire de la balançoire ?
— Je n'ai pas réussi à le faire monter sur le toboggan, donc on a décidé de faire de la balançoire. »
🐑
« Tu ne manges pas J-B ? Elle est pas bonne la bouffe de ta dulcinée ? »
Depuis le début du repas, l'adolescent fixait la viande dans son assiette sans y toucher. Il était tellement tourmenté qu'il ne releva même pas le nom qu'avait utilisé Camille pour désigner Maya.
À vrai dire, il n'était pas le seul à ne pas avoir touché à sa viande : à part Camille, personne ne l'avait mangée. Et pour cause : essayez de manger des côtelettes d'agneau avec un adorable mouton en train de se faire dorloter par un Chinoiroux installé à votre table.
Olivier poussa son assiette et décida de lancer un jeu :
« Action ou vérité.
— Oh non s'il te plaît, plus poncif tu meurs, soupira Maya.
— Mais allez ! Tout le monde veut connaître tes secrets ! supplia-t-il.
— Tu risques d'être déçu, Maya choisit toujours action et elle n'a peur de rien.
— Ah ouais ? Qu'elle embrasse le mouton alors ! »
Il y eut des cris de dégoût dans l'assemblée, ce qui ne fit que motiver un peu plus la concernée à donner tort à son camarade. La sportive se leva et s'approcha d'Eustache et du mouton.
Nous la fixions tous dans une tension palpable, comme tous ces humains qui attendent la scène où giclera le sang de la tête du zombie. Les hommes sont étranges parfois, et prennent un plaisir paradoxal à contempler des spectacles qui les dégoûtent.
Elle se pencha en avant et embrassa rapidement l'animal. Il y eut des cris de protestations :
« Oh mais non ! C'est nul ! On voulait un gros bisou bien baveux ! s'écria Olivier.
— J'ai moyennement envie que mon visage se retrouve dans le même état que les fesses de ta copine, fit-elle remarquer.
— D'accord, un point pour toi...
— J-B, je comprends si tu n'as plus envie de l'embrasser. » souffla Camille.
Le garçon ne répondit pas et fixait son amie, éberlué.
« Fais pas cette tête de merlan frit J-B ! s'exclama Maya. Allez, pour la peine, c'est à ton tour. Action ou vérité ?
— Vérité. Hors de question que j'embrasse un mouton.
— J'ai une question ! J'ai une question ! criait Eustache tout excité. Ô J-B, mon grand J-B, dis-moi qui est la plus belle !
— C'est Philippine voyons. »
Eustache ne s'attendait pas à cette réponse et fut déstabilisé quelques instants. Mais il ne se laissa pas abattre :
« Je suis bien d'accord !
— Dans ce cas-là 'Stache, action, embrasse Philippine ! » enchaîna l'ancien délégué.
Le garçon haussa les épaules et obtempéra. Mon amie était rouge, Camille applaudissait et les autres secouaient la tête en signe de désaccord :
« C'était nul comme gage pour le Chinoiroux J-B. Franchement, il méritait un truc légendaire ! s'exclama Maya.
— Je veux bien en faire un deuxième si tu trouves quelque chose à ma hauteur. », répondit Eustache.
Elsa coupa alors la Terminale et déclara :
« Tu vas me suivre à l'intérieur et me laisser faire tout ce que je veux. »
Nous nous tournâmes vers elle comme un seul homme : que venait-elle de dire ? Allais-je devoir passer cette histoire en contenu pour adulte ?
Le garçon accepta, n'ayant peur de rien. A peine étaient-ils partis que nous nous levâmes tous en même temps pour nous précipiter derrière eux :
« Soyez discrets un peu ! », souffla Camille.
Nous pénétrâmes dans la maison, mais ils ne les trouvâmes pas dans la salle à manger, ni dans la cuisine. Olivier alla jeter un coup d'œil dans la pièce attenante, mais ne les y trouva pas non plus.
Nous entendîmes alors un cri de douleur venant de l'étage. Nous nous bousculâmes dans l'escalier, et nous ne parvînmes pas au premier étage avant plusieurs minutes et une demie douzaine de bleus chacun alors qu'il n'y avait qu'une volée de marches. Nous nous battîmes ensuite pour avoir le privilège d'avoir l'oreille contre la porte : tout le monde se marchait dessus, poussait l'un, se faisait percuter par l'autre... Mais la porte ne tint pas éternellement, et elle finit par s'ouvrir, laissant la masse d'adolescents et de mouton que nous formions s'étaler sur le carrelage de la salle de bain. J-B fut le premier à se relever. Il éclata de rire, et s'amusait tellement qu'il s'étala à nouveau et se roulait sur le sol :
Eustache était là, quelques mèches lissées, d'autres aux boucles détruites par le passage d'une peigne, d'autres tressées ensemble, le tout surmonté d'un palmier roux.
Ses yeux bridés paraissaient plus grands que jamais grâce au maquillage appliqué avec soin, qui dénotait cependant d'avec sa peau foncée.
« Et moi qui croyais que Philippine allait avoir des raisons de te tuer ! s'esclaffa Camille. Il faut croire que Maya restera seule à vouloir ta mort !
— Je ne veux pas la tuer, et même si c'était le cas, je pense que j'aurais changé d'avis après avoir eu droit à ce spectacle. Je n'ai jamais vu un truc aussi ridicule de ma vie.
— Attendez attendez ! coupa J-B en se relevant et en reprenant son souffle. Il y a un truc qu'il faut absolument que je fasse... »
Il sortit son téléphone et prit une photo. Alors que je pensais qu'il avait seulement immortalisé le moment, une sonnerie retentit dans la seconde qui suivit :
« C'est quoi ce truc Jean-Baptiste ?
— M. Melbel ? s'étrangla Eustache. J-B ! T'es qu'un traître ! »
Et jusque dans la vallée on entendait les cris de J-B qui se faisait attaquer par son ami, ceux d'Eustache qui s'énervait, M. Melbel qui essayait de comprendre ce qu'il se passait à l'autre bout du fil et de temps à autre, un bêlement de Gaston qui ne demandait qu'à se joindre au jeu.
🐑
Les autres avaient tous rejoints Morphée depuis plusieurs heures lorsque je descendis pour griffonner les anecdotes de la journée et grignoter quelque chose.
Mon sang se glaça soudain et un frisson me parcourut l'échine : j'avais entendu des voix au-dehors. Qui était-ce ?
Un voleur ? Ici, au milieu de nulle part ?
Bernard venu chercher son mouton ?
J'attrapais une vieille et lourde poêle en cuivre accrochée au mur pour décorer et me dirigeai vers une fenêtre d'où j'allais avoir une vue sur le dehors sans être visible par le dehors.
Et si c'était un fantôme ? Après tout, ce n'était pas l'hypothèse la plus improbable, et si tel était le cas, ma poêle ne servait à rien... Devais-je faire demi-tour ? Aller me coucher et faire comme si je n'avais rien entendu ?
« Tu les as entendus toi aussi ? »
Je sursautai et lâchai la poêle. Eustache, qui venait de chuchoter à mon oreille, la rattrapa juste avant qu'elle ne s'écrase contre le sol.
« Eh bien ! C'était moins une. On aurait pu se faire repérer... Bon allez viens, ça promet d'être intéressant.
— Tu sais qui est dehors ? demandai-je.
— Maya et J-B pardi ! Comme tous les soirs ! »
Je n'eus même pas le temps de formuler ma surprise dans mon esprit qu'il me les montrait à travers la fenêtre : ils était là, blottis l'un contre l'autre.
Eustache posa un index sur ses lèvres avant d'ouvrir légèrement la fenêtre dans une discrétion des plus absolues pour que nous puissions entendre leur discussion :
« Tu sais Maya, avant j'ai dit n'importe quoi...
— De quoi tu parles ?
— Ce n'est pas Phil la plus jolie... »
Je ne sais comment il avait deviné que j'allais pousser un petit cri, mais Eustache plaqua sa main contre ma bouche pour nous empêcher d'être repérés, et referma la fenêtre aussitôt.
« Bon, je pense que tu en as assez entendu.
— Tu rigoles ? Si je mets ça comme ça dans mon histoire personne ne va rien comprendre !
— De quoi parles-tu ?
— De mon histoire, sur toi, sur eux, sur nous ! »
Je n'étais pas censée dire tout ça.
Mais Eustache ne fit que me regarder en souriant :
« Ça ne m'étonne même pas venant de toi Renée ! »
Ce fut comme une pierre qui s'ôtait de ma poitrine : il ne me jugeait pas ?
« Par contre, concernant J-B et Maya... Les gens ont parfois leurs secrets. Celui-ci est le leur, et je pense qu'on devrait leur laisser. S'ils veulent le raconter, ce sera à eux de le faire. »
Nous continuâmes à discuter ainsi une bonne partie de la nuit, et même de la semaine.
Plus j'apprenais à connaître les autres, plus je comprenais Philippine : l'amour se multiplie, il ne se partage pas. Se faire de nouveaux amis ne signifient pas oublier les anciens.
[Bonjour !
Ce chapitre vient bien tard, veuillez m'en excuser.
J'ai un peu de mal à terminer cette histoire, parce que j'ai commencé à l'écrire il y a plus de trois ans (quatre pour les premiers chapitres il me semble), et mon style a beaucoup changé entre temps, j'ai envie d'écrire différemment, d'écrire de nouvelles choses...
bref, c'est pourquoi ce chapitre peut paraître un peu étrange.
j'espère tout de même qu'il vous aura plu
j'espère aussi que vous allez bien <3
courage à tous !
flo]
ps : me suis pas relue haha désolée, aidez-moi pour les coquilles !
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