[20] juillet - party

Pardonne !

Ephésiens, 4:32


    Jean-Baptiste et moi étions assis seuls dehors sur la balancelle, serrés l'un contre l'autre sous le plaid pour essayer de trouver un peu de chaleur. Le ciel d'Ordnungsheim, éloigné de la pollution de la ville, laissait parfaitement voir toutes les constellations...

    Mais bon, entre nous, je savais juste reconnaître la Grande Ourse, et J-B aussi. 

    Comment nous en étions arrivés là ? 

     Je ne sais pas si les semaines qui avaient précédé cette soirée valent vraiment la peine d'être détaillées ici. Elles furent marquées essentiellement par la chaleur accablante, qui avait obligé le lycée à acheter des bouteilles d'eau pour les épreuves de bac, de peur de voir un élève (ou un surveillant) s'évanouir...

    Était ensuite arrivé le temps des oraux. Rien de bien palpitant non plus. Puis le dernier jour des Terminales. Mme Brie-Saint-Faron avait cependant tout fait pour qu'ils ne dérangent pas la journée des autres lycéens, et ce jour m'avait donc paru tout aussi morne, long et triste que les autres, et ce malgré la présence d'Eustache. 

    Nous étions maintenant début juillet, à la plus grande beuverie du village organisée chaque année chez un riche élève d'Ordnungsheim habitant la ville éponyme la veille des résultats du baccalauréat. En théorie réservée aux Terminales, cette soirée était en fait ouverte à quiconque réussissait à en avoir l'adresse, pour peu qu'il fusse (ou ait été) élève de notre cher lycée. 

    J'aurais voulu vous dire que l'alcool délie les langues, et justifier le récit fait par J-B et qui va suivre ainsi. Cependant, J-B ne buvait rien d'autre que de l'eau, et je pense qu'il s'était mis à parler seulement parce que mes blagues sur la Grande Ourse et les constellations ne le faisaient pas rire...

    « Nous étions jeudi après-midi, commença-t-il. Mon tout dernier jeudi à Ordnungsheim en tant qu'élève... ajouta-t-il un tantinet nostalgique. Il faisait chaud à mourir et nous n'étions que huit en cours d'anglais. Mme Michael-Nietzsche s'était installée avec nous dans le fond de la classe, et nous discutions de notre avenir, de l'an prochain et tout ça tout ça... C'est à ce moment-là que la sous-directrice est entrée dans la salle, à bout de souffle, et complètement paniquée. "Jean-Baptiste et Marie-Anne, venez avec moi tout de suite !" s'est-elle exclamée sans même prendre la peine de dire bonjour. "J'ai besoin de vous deux dans mon bureau immédiatement. Excusez-moi Mme Michael...". Maya s'est levée en évitant de croiser mon regard, tandis que je tentais désespérément de capter son attention. Je crois que Mme Sanchez n'a même pas remarqué que nous n'étions que huit en cours... Enfin, toujours est-il que le chemin jusqu'à son bureau fut l'un des moments les plus gênants de toute ma vie. Marie-Anne faisait comme si je n'étais pas là... Heureusement que Mme Sanchez n'arrêtait pas de parler, nous expliquant pourquoi elle était dans cet état-là.

    — Mais que c'était-il passé ? demandai-je intriguée.

    — On avait loué des bulles pour faire un bubble-foot lors de notre dernier jour...

    — C'est-à-dire le lendemain, complétai-je.

    — Exact. Et elle venait de recevoir un coup de fil : il y avait eu une inondation et la société était incapable de nous amener le matériel pour le huit. 

    — Je me disais bien que je n'avais pas vu de telles activités au terrain le neuf juin...

    — Ce n'est que le début, tiens-toi bien... Les yearbooks avaient du retard et n'arriveraient pas avant le quinze. Et ainsi de suite : pratiquement toutes les activités que nous avions prévues se voyaient compromises les unes après les autres... Je voyais le visage de Marie-Anne se décomposer peu à peu. Elle que j'avais embarquée quelques mois avant dans cette organisation du dernier jour, parce qu'elle aime tant organiser des événements de ce genre... Tout tombait à l'eau ! Et en plus, Mme Sanchez nous acheva en nous montrant les prévisions météo sur son Aïe Faune dernier cri : pluie pluie pluie toute la matinée...

    — Qu'est-ce que vous avez fait alors ? 

    — On dirait la question de Mme Sanchez, répondit-il en riant. Tu aurais dû voir sa tête : elle était toute décoiffée et complètement déroutée. "Qu'est-ce qu'on fait alors ?". C'était hilarant... On se serait cru dans un mauvais film pour adolescent américain. Malheureusement pour nous, pas de deus ex machina comme dans les scenarii habituels...

    — Vous auriez dû appeler Eustache, déclarai-je.

    — C'est exactement ce que Marie-Anne a suggéré ! Tu connais déjà l'histoire ou quoi ?

    — Non mais disons que... »

    Ce n'était pas vraiment le moment de lui avouer que j'écrivais un roman dont il était l'un des personnages principaux.

    « Laisse tomber et continue.

    — Comme tu voudras... Bref, résultat, quand on est sorti du bureau après avoir assuré à Mme Sanchez qu'on trouverait une solution, Maya s'est tournée vers moi et m'a dit : "Bon, t'as qu'à appeler ton cher Eustache qui te sort toujours du pétrin !" avec une grande dose d'amertume dans la voix. À ce moment-là, j'ai décidé d'enfin me montrer courageux et de faire mon premier geste intelligent depuis quelques mois : je lui ai attrapé les mains et lui ai déclaré en la regardant droit dans les yeux : "Non Marie-Anne, je n'ai pas besoin d'Eustache.".

    — Oh trop mignon ! m'exclamai-je. Et est-ce qu'ensuite son petit coeur a fondu et toi tu l'as embrassée ? 

    — On parle de Marie-Anne je te signale ! Elle déteste encore plus les trucs à l'eau de rose que perdre un match.

    — Oh...

    — Non, elle a tout simplement haussé un sourcil et demandé : "Ah ouais, c'est nouveau ça. Et pourquoi tu n'as pas besoin d'Eustache ? Tu t'es rendu compte que tu avais un cerveau toi aussi ?".

    — "Non, je me suis rendu compte que je t'avais toi.", imaginai-je à haute voix.

    — Pouah, s'exclama une voix dans mon dos. S'il m'avait sorti un truc pareil je l'aurais remballé et il se serait débrouillé tout seul ! s'indigna Marie-Anne en arrivant à notre hauteur, un verre à la main.

    — J'espère que ce n'est que du jus d'orange Maya, déclara J-B.

    — Alors primo J-B, tu n'es pas mon père, je suis majeure, tu es encore mineur, donc tu me laisses boire ce que je veux. Secundo non, c'est du Qu'Eau Cas. »

    Jean-Baptiste se contenta de lever les yeux au ciel en soupirant, feignant d'être agacé par la réponse de son amie. En réalité, il en était amusé.

    « J'espère qu'il n'affabule pas trop cet idiot, poursuivit Marie-Anne en prenant une gorgée. Il a le chic de raconter des histoires en rajoutant un tas de détails mielleux et purement imaginés...

    — Mais n'importe quoi !

    — Bien sûr que si ! Tu sais quoi Renée ? Je vais te raconter la suite, comme ça au moins tu auras la vraie version.

    — Vas-y ! Fais-toi plaisir ! déclara J-B vexé.

    — Donc, juste après m'avoir attrapé les mains de façon très gênante, il m'expliqua que non, il n'avait pas besoin d'Eustache, parce que c'était cette fois-ci une histoire de Terminale, et qu'on serait bien assez tous les deux pour résoudre tous ces problèmes et trouver des activités à faire pour demain. Et qu'il connaissait également les gars parfaits pour mettre l'ambiance...

    — Mais tu oublies mon petit regard malicieux quand je t'ai dit ça, et l'interruption de Mme Sanchez, qui nous a forcé à poursuivre la discussion en marchant et...

    — Mais on s'en fout Jean-Baptiste ! le coupa Marie-Anne. Bon du coup, on est retourné en cours après avoir convenu de se retrouver à la fin de la journée chez lui. Une fois installés dans sa chambre, lui sur son lit derrière son ordinateur, moi à son bureau tentant de trouver une solution concrète...

    — Non, tu étais juste en train de faire une liste des activités d'intérieur que tu connaissais sur une pauvre page de ton cahier d'anglais. », précisa J-B.

    Marie-Anne se tourna vers moi et me laissa lire sur ses lèvres : « T'as vu comme il est chiant avec ses détails inutiles ? »

    « Bref, reprit-elle à haute voix. J'étais donc en train de faire ma liste et lui de pianoter sur son ordi. 

    — Oh mon Dieu il faut que je te raconte la suite, c'était épique ! » coupa J-B avec de grands mouvements de bras tant il était enthousiaste. 

    Marie-Anne roula des yeux, trouvant visiblement la scène beaucoup moins « épique » que Jean-Baptiste.

    « J'ai lancé un appel Skype, et la sonnerie soudaine a fait tellement peur à Maya qu'elle a sursauté, lâchant son stylo dans les airs. Et évidemment, comme elle voulait faire l'intéressante, elle s'était assise sur mon ballon de gym et non pas sur ma chaise comme toute personne normale. Du coup elle a basculé en arrière et s'est écrasée dans un immense fracas. Et comme par hasard, c'est pile le moment qu'a choisi Lucien pour décrocher. Il a juste entendu le gros « BOUM » de Maya s'écrasant et vu mes yeux grands comme des soucoupes. "Quoi quoi, qu'est-ce qu'il se passe J-B ?" a-t-il demandé. Pour toute réponse, j'ai tourné mon ordi pour lui montrer Marie-Anne à terre en train d'agoniser. Et tu connais un peu Lucien, non ?

    — C'est pas un de ces types qui joue aux cartes Iou-Guy-Haut à la pause ?

    — Si, exactement, me répondit Marie-Anne un peu énervée à cause du récit de J-B. Et cet idiot a évidemment éclaté de rire.

    — Le rire de ce type Renée, c'est une perle. Si tu l'entends, tu ne peux pas t'empêcher de te bidonner à ton tour...

    — Du coup ces deux crétins pleuraient de rire, je te jure ! s'emporta Maya, tandis que moi je pouvais crever sur le sol comme une pauvre idiote. »

    J-B s'était mis à rire à tire-larigot, se remémorant probablement la scène.

    « Tu vois ? soupira Marie-Anne.

    — Ta chute était vraiment trop drôle n'empêche, répondit le garçon entre deux rires. Et puis avec... »

     Il se remit à rire de plus belle et réussit finalement à reprendre juste assez de souffle pour déclarer :

    « Avec la balle qui revient sur toi et qui t'écrase... » 

    Et on l'avait à nouveau perdu.

    De manière surprenante par contre, Marie-Anne se mit à rire elle aussi soudainement. Et en trente secondes, tous les deux étaient partis très loin, pliés en deux et les larmes aux yeux tant ils se fendaient la poire en se remémorant la scène.

    Enfin, retenez surtout de tout ceci que le malheur de l'organisation de leur dernier jour (qui s'avérait être une succession d'événements malheureux), permit tout de même le bonheur de revoir deux vieux amis qu'on n'imaginait plus voir ensemble tous les deux s'amuser à nouveau comme larrons en foire...

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