[16] mai - horreur

La mort n'est rien par rapport à nous puisque, quand nous sommes, la mort n'est pas là et, quand la mort est là, nous ne sommes plus.

— Epicure, in Lettre à Ménécée

« Un fantôme ? » répétai-je.

J'avais toujours su que les « COUSINES » étaient bizarres, mais pas qu'elles croyaient aux esprits et autres choses dans ce goût-là ! Anita et Tania se jetèrent sur moi et plaquèrent toutes deux une main sur ma bouche pour m'intimer de me taire.

« Pas si fort ! s'exclama Tania.

— Il ne faudrait pas que les autres nous entendent surtout. », compléta Anita.

J'aurais aimé leur dire que tout Ordnungsheim les considérait déjà comme complètement cinglées et qu'elles n'étaient plus à ça prêt. Mais dans la peur de me faire attaquer en retour par un esprit qu'elles auraient invoqué toute la nuit, je préférai garder le silence.

« Très bien, poursuivis-je en chuchotant. Et du coup... Pourquoi elle m'envoie ces lettres ?

— Elle doit avoir envie de t'aider. De quoi elles parlent ?

— Elles relatent les actions d'Eustache.

— Très intéressant, marmonna Tania à l'attention d'Anita.

— C'est même...

— Et comment je fais pour la contacter ? », coupai-je.

Hors de question qu'elles recommencent leur cirque de répliques à deux !

« On n'en sait rien, déclara Tania.

— Vous n'avez jamais essayé ?

— Si, bien sûr que si ! On est déjà allé chez elle, mais... Elle n'a jamais répondu à nos appels, expliqua Anita.

— Chez elle ? répétai-je.

— Oui, dans la quatrième tour. », souffla Tania.

Voici donc ce que renfermait la dernière tour du lycée d'Ordnungsheim.

Un fantôme.

« Et elle y est toute la journée ?

— On n'en sait rien ! s'énerva Anita. Ce n'est pas parce qu'elle est morte qu'elle ne fait pas sa vie ! »

A proprement parler, si, puisqu'elle est morte justement. Mais je préférai à nouveau garder cette réflexion pour moi.

« Mais si elle apprécie Eustache, elle se montrera sûrement si tu t'y rends avec lui.

— Ça vaudrait le coup d'essayer...», approuva Anita.

Soudain, un coup de vent vint déloger l'enveloppe de kraft de mes mains. Aussi cliché que cela puisse paraître, la lettre s'envola et disparue par la fenêtre. Anita et Tania ouvrirent des yeux grands comme des soucoupes et restèrent médusées. L'une donna une petite tape du dos de sa main à l'autre et s'exclama, toujours fixant la fenêtre :

« C'était elle, c'est certain !

— Elle était là et a tout entendu, souffla l'autre.

— Angélique ? demandai-je.

— La seule et l'unique.

— Vous avez vraiment un lien particulier, se sentit obligée d'ajouter Tania.

— Qu'est-ce qu'on t'envie...

— Ok, vous savez quoi ? m'exclamai-je. J'en ai assez entendu, je crois que je vais y aller, hein ? Merci les filles pour toutes ces infos, salut ! »

Sur ce, je quittai le couloir des casiers, ne me retournant même pas alors que les « COUSINES » me hurlaient de revenir, sommant qu'elles avaient encore quelque chose de très important à m'apprendre sur Angélique.

Qu'est-ce qui pouvait-être très important à propos de quelque chose qui n'existait pas ?


Il fallait que je trouve Eustache.

Pas que je crusse particulièrement aux fantômes, mais le bénéfice du doute m'attirait quand même assez pour que j'aille vérifier.

Après tout, ces lettres étaient bien là, réelles, dans mon casier à chaque fois que j'avais besoin d'elles. Comme si elle savait que sans ces informations, je ne pourrais pas poursuivre mon récit...

Tandis que j'avançai ainsi, mes méninges se remuant à toute allure, je rentrai dans quelqu'un. Reculant un peu et m'excusant, j'observai la personne que je venais de percuter :

Elsa.

Merveilleux !

« Dis, tu n'aurais pas vu Eustache par hasard ? demandai-je.

— Non, et je ne veux plus jamais entendre parler ni de lui, ni de ce crétin de Jean-Baptiste ! Et encore moins de cette pouf de Marie-Anne ! », vociféra-t-elle.

Elsa était sans aucun doute possible très remontée par les événements de la cantine. Derrière elle, Natacha tentait tant bien que mal de la contenir et de la calmer :

« Ce n'est pas sa faute, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux tu sais...

— Mais ferme-la Natacha ! Ça fait des années qu'ils se connaissent, elle avait tout son temps pour lui dire ! Maintenant, c'est à mon tour ! Alors elle dégage ! »

Elsa avait articulé distinctement chaque syllabe de ce dernier mot.

J'espérai pour Marie-Anne qu'elle ne croise pas le chemin de la Première et poursuivis le mien en les saluant rapidement. Où se trouvaient Eustache et J-B la dernière fois que quelqu'un les avait vus ? Dans la salle de spectacle.

C'était un point de départ.

Je poussai la porte double à mon tour, et trouvai la pièce vide. Tendant l'oreille, je perçus tout de même quelques rires venant des coulisses. M'avançant, je passai la tête derrière le panneau de bois qui cachait l'endroit où se changeaient les comédiens, et trouvai J-B et Eustache en train d'essayer les costumes.

C'était ça s'amuser comme des mecs pour eux ?

J-B était habillé en ménestrel et Eustache avait réussi par je ne sais quel tour de magie à faire rentrer sur sa tête une perruque style Louis XIV...

Je signalai ma présence par un raclement de gorge et tous deux firent volte-face, surpris. J-B rougit, quant à Eustache ceci restera un mystère à tout jamais...

Le Terminale était déjà prêt à déballer tout un speech d'excuse à un professeur, et parut décontenancé de me voir moi. Son visage passa d'une expression de grande gêne à l'incompréhension la plus totale pour finalement traduire qu'il se souvenait de moi :

« Hé tu étais dans le projet pour faire renvoyer l'autre abruti toi, n'est-ce pas ?

— Euh, oui, répondis-je hésitante.

— Que pouvons-nous faire pour toi Wasabi ? me demanda Eustache sur un ton aristocratique. »

Je retins un petit rire et entrepris de leur expliquer la situation :

« J'ai reçu par deux fois déjà des lettres signées par une certaine Angélique, qui me racontaient... »

Si je leur expliquais que j'écrivais sur eux, ils me prendraient pour une folle. Il fallait que je leur en dise assez pour les intéresser, mais pas assez pour qu'ils découvrent mes écrits...

« Des choses que je n'étais pas censée savoir.

— Du genre ? insista Eustache sur un ton lourd de sous-entendus.

— Non, pas des choses comme ça ! m'indignai-je. Mais plutôt... Comment tu as volé les chaussures d'Olivier et Bernard par exemple, expliquai-je.

— Pardon ? s'étrangla le « CHINOIROUX ».

— Maya a tout balancé ? demanda J-B.

— Justement, non, et c'est là que ça devient bizarre et que j'ai besoin de vous... »

Les yeux plissés, du moins pour J-B, les deux garçons se mirent à me scruter avec plus d'attention, attendant que je déballe le fin mot de l'histoire. Je pense qu'à ce moment, ils avaient déjà deviné ce que j'allais leur dire...

« Il paraîtrait, de source plus ou moins sûre, que cette Angélique serait un fantôme.

— Quoi ? hurla J-B.

— Et tu veux qu'on aille la voir ? demanda Eustache comme si ça lui paraissait anodin que je lui parle d'un esprit.

— Exactement, lui répondis-je.

— Mais les fantômes ça... »

Eustache coupa Jean-Baptiste :

« Où habite cette Angélique ? »

J-B ouvrit de grands yeux et se mit fixer Eustache :

« Tu ne crois quand même pas aux fantômes l'ami ?

— Je suis ouvert à tout ce qui relève de l'inexplicable, déclara le garçon. Et les esprits font partie de la liste. Et puis au pire, qu'est-ce que ça va nous coûter d'aller vérifier ? Au mieux, on fera une découverte fantastique, au pire ça te changera les idées. »

J-B haussa les épaules, visiblement séduit par l'idée présentée sous cet angle.

Eustache avait de véritables pouvoirs de persuasion !

« Très bien, adjugé vendu ! Direction la quatrième tour dans ce cas ! », m'exclamai-je en ouvrant la marche.

Ils m'emboîtèrent le pas et nous nous dirigeâmes en direction des cloîtres. Alors que nous mettions les pieds dehors, Jean-Baptiste s'arrêta :

« Mince, les costumes ! »

Effectivement, ils étaient toujours habillés avec les déguisements de la troupe. Eustache balaya le problème d'un mouvement de main :

« Tant pis, on n'a plus le temps. Contentons-nous d'éviter le plus de monde possible. Wasabi, tu pars en éclaireur et nous fais signe si le couloir est désert. »

Nous exécutâmes son plan et réussirent à arriver jusqu'à la porte qui nous séparait du dernier escalier menant au sommet de la quatrième tour sans croiser personne. Cependant, tout ceci était bien trop vrai et facile pour rentrer dans la vie du « CHINOIROUX », aussi nous entendîmes à l'autre bout du couloir des pas qui s'arrêtèrent soudainement et furent suivi d'un rire aigüe :

M. Melbel.

Il hurla en s'avançant vers nous :

« L'Algérien c'est toi ? Et puis... Jean-Baptiste ? Non ! Je n'y crois pas ! s'exclama-t-il en se bidonnant. Mais qu'est-ce vous foutez accoutrés de la sorte ?

— C'est une longue histoire monsieur, commença à bégayer J-B tout honteux.

— Et puis qu'est-ce que vous fichez ici ? demanda encore le professeur.

— Ça c'est une histoire encore plus longue encore... », soufflai-je.

Mais Eustache fut bien plus malin que nous et réfléchit quelques instants : la porte était verrouillée. Il nous fallait quelqu'un possédant les clefs pour nous ouvrir, afin que nous puissions accéder à la quatrième tour.

« Nous tentons de résoudre un mystère du passé, expliqua-t-il.

— A quoi ressemblaient tes ancêtres c'est ça ? ironisa M. Melbel. Tu sais, je comprends mon grand que tu cherches à savoir pourquoi tu es si mal foutu... Je te soutiens.

— Mais non monsieur, nous sommes bien au-dessus de cela ! », poursuivit Eustache en prenant un air presque dramatique.

Il piqua au vif la curiosité du professeur d'histoire-géographie qui fronça un sourcil, haussa l'autre et demanda :

« C'est-à-dire ?

— Nous allons chercher un véritable fantôme.

— Angélique ? »

J-B et moi nous figeâmes sur place, totalement pris au dépourvu. Quant à Eustache, il feignit l'indifférence en revêtant son masque d'impassibilité.

« Comment êtes-vous au courant ? m'étranglai-je.

— Je suis professeur d'histoire nounouille, m'expliqua-t-il comme si c'était évident. Je m'intéresse aux histoires des endroits où je travaille ! Et Angélique en fait partie.

— Vous l'avez déjà vue ? demanda alors J-B.

— Non, je ne pense pas qu'elle existe. Et même si c'était le cas, je n'ai rien pour mériter son attention.

— Et bien maintenant vous m'avez moi. », conclut Eustache.

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