[14] mai - transition
Les livres nous donnent l'occasion de découvrir que nos idées si originales ne l'étaient pas tant que ça.
— Abraham Lincoln
Eustache revint le lundi matin complètement épuisé par son concert. Durant les cinq minutes de prière, il marmonnait les paroles du Père Joseph les yeux décidément clos et dut se mordre à plusieurs reprises la lèvre pour éviter de bayer aux corneilles...
Quand M. Melbel le vit entrer en cours d'histoire-géographie un peu plus tard, il haussa un sourcil, dubitatif :
« Mon Dieu, tu sais que tu as une tête de zombie ce matin Eustache ?
— Oui, j'ai dû faire du baby-sitting jusque très tard hier soir...
— Tu devrais éviter, ça te fait des yeux encore plus petits qu'à l'ordinaire ! »
Le « CHINOIROUX » se contenta de souffler un « Très drôle monsieur » du bout des lèvres et alla gagner sa place auprès de Fernand. Celui-ci avait aujourd'hui mis la main sur un drôle d'objet à trois branches qu'il faisait tourner sur le bout de son doigt. Eustache l'observa quelques instants, ne sachant trop comment réagir ; finalement, sur un ton peu convaincu, il demanda à son voisin :
« C'est ton nouveau truc pour te concentrer en cours ?
— Absolument ! Ça s'appelle un hand spinner. Tu veux essayer ? C'est vachement marrant ! »
Fernand plaça son engin dans les mains d'Eustache et se mit à le fixer, attendant qu'il teste le jouet. Le « CHINOIROUX » l'analysa sous toutes ses coutures avant de donner une légère impulsion à la partie pivotante. M. Melbel intervint alors :
« Bon Fernand, au lieu de déconcentrer Eustache qui est déjà au bout de sa vie, dis-moi plutôt ce qu'il s'est passé ce week-end ! Et avec des détails s'il te plaît. »
Le « GAMIN » embraya donc sur l'investiture de Manuel Emmacron et la magnifique robe bleue de sa femme qui laissait bien voir ses belles jambes. Vous auriez tort de penser que Fernand était mauvais en histoire-géographie : c'était même sa matière préférée. Après avoir blagué au sujet de Mme Emmacron, il ajouta quelques détails très sérieux quant au déroulement de la cérémonie.
Pendant ce temps, Eustache luttait contre le sommeil et fixait son camarade. Philippine qui l'observait me glissa :
« Le pauvre quand même, assis à côté de Fernand... Il est bien gentil, mais ce ne doit pas être facile tous les jours de le supporter...
— Tu n'as qu'à l'inviter à côté de toi ! ironisai-je.
— Pourquoi pas, répondit-elle songeuse mais sérieuse. »
Des paroles qui n'étaient pas tombées dans l'oreille d'une sourde Philippine !
✂
« On devrait quand même se retrouver de temps en temps ailleurs qu'à la cantine, déclara de but en blanc Marie-Anne en posant son plateau à la droite d'Eustache.
— Et pourquoi cette réflexion Maya ? Les charmantes effluves de ce lieu ne conviennent pas à ton petit nez délicat ? ironisa Jean-Baptiste pour la taquiner.
— Haha très drôle J-B, répondit Maya en lui tirant la langue.
— C'est sûr que tes vestiaires parfumés à la transpiration seraient vraiment un meilleur lieu de rassemblement Marie-Anne ! lança Elsa en s'installant à côté du président des élèves.
— Elsa pourquoi tu... »
Mais Marie-Anne, énervée, coupa Jean-Baptiste qui aurait pu régler la situation de manière pacifique :
« Qu'est-ce que tu me veux la morveuse ? Déjà que je te fais honneur de ma présence, ne viens pas me soûler ! »
Si certains pensent que Marie-Anne est en fait une véritable garce, c'est bien mal connaître le genre féminin.
En effet, n'importe quelle fille, pour peu qu'elle ait un minimum de caractère, devient la pire des vipères dès qu'un autre jupon s'approche du garçon dont elle est amoureuse. Certaines retournent grâce à un art de la manipulation sans égal toutes les amies de leur ennemie contre elle,
d'autres réussissent à faire sortir leur rivale du pays et à l'envoyer dans un lycée américain bien plus cool où elle finira par sortir avec Cameron, le Bernard du Minnesota,
ou d'autres, à l'exemple de Marie-Anne, pètent une durite face au garçon sujet de leur querelle, et tous les trois finissent humiliés :
la première parce qu'elle s'est emballée et a dit de dures choses qu'elle ne pense même pas réellement,
la seconde parce que quand même, objectivement, la première a dit pas mal de vérités peu reluisantes à son sujet,
et enfin le garçon parce qu'il se rend enfin compte de ce que tout le monde avait compris depuis dix milles chapitres : que sa meilleure amie était en réalité amoureuse de lui.
Avec Eustache dans les parages, on aurait pu penser que les choses se déroulèrent autrement : mais je suis navrée de vous apprendre que non. Parce qu'en réalité, lui aussi en avait marre de voir la pauvre Marie-Anne souffrir de cette sangsue d'Elsa et de cet aveugle de Jean-Baptiste.
Dans cet épisode, Eustache joua simplement son rôle de bon copain et réussit à contenir les dégâts ; tirant la manche de Marie-Anne, il lui souffla de faire attention à ce qu'elle allait dire, et que c'était la colère qui parlait à sa place.
La capitaine de l'équipe de baseball tint donc à peu près ce langage :
« Tu avais déjà vu à Ordnungsheim d'autres Premières et Terminales se mélanger ? Moi jamais. Et tu sais pourquoi ? Parce que les jeunes générations respectent les anciennes ; parce que les Premières craignent les Terminales. Et c'est ainsi depuis la première pierre ma cocotte. Alors ne pense pas que parce que les choses commencent à bouger, que parce qu'on ne dit plus amen à Bernard lorsqu'il passe dans le couloir, que parce que Cécilia rentre maintenant dans du trente-deux sans ceinture, que parce que Natacha est la petite amie d'Olivier et que parce que le facteur commun à tous ces événements s'avère être ton pote, c'est-à-dire Eustache ici présent, tu vas pouvoir sortir avec J-B !
— Mais qu'est-ce que ça peut te faire Marie-Anne ? s'énerva Elsa en retour.
— Ce que ça peut me faire ? manqua de s'étrangler Maya face à une question si bête. »
Jean-Baptiste s'apprêtait à répéter la question, mais Eustache anticipa sa réaction et le fixa en ouvrant grand les yeux pour lui déconseiller de dire quoi que ce soit et d'envenimer la situation. S'ensuivit un bref échange « facial » :
fronçant les sourcils, Jean-Baptiste interrogea Eustache.
Avançant sa tête et levant sa main droite, haussant ses sourcils, le « CHINOIROUX » sous-entendit que la réponse était pourtant évidente.
Les sourcils toujours froncés, J-B jeta un coup d'oeil rapide en direction de Marie-Anne avant de reposer ses yeux sur Eustache pour lui demander si cela avait bien quelque chose à voir avec son amie.
Le garçon lui répondit simplement par un regard désabusé.
Alors Jean-Baptiste lui fit comprendre qu'il avait enfin tout compris en écarquillant les yeux, rougissant légèrement et se pointant de l'index.
Eustache conclut cet échange silencieux par un hochement de tête confirmant l'hypothèse du président des élèves.
Pendant ce temps, Elsa et Marie-Anne se battaient à coup de piques et répliques cinglantes que l'une et l'autre allaient probablement regretter dès l'heure d'après. Notre protagoniste les interrompit avec un calme olympien :
« Bon les filles, vous avez bientôt fini votre crêpage de chignon stérile ? Vous ne pensez pas qu'il serait beaucoup plus simple de demander à J-B s'il a des sentiments pour l'une d'entre vous ? »
Elsa et Marie-Anne rougirent, et Natacha avec elles, gênée pour ses amies. Olivier quant à lui approuva Eustache :
« Ouais grave, ça commence à être lourd vos insultes à deux balles. »
Il se tourna ensuite vers le troisième garçon à leur table et demanda :
« Alors J-B ? Pour qui t'as le béguin ? A moins que tu ne sois secrètement gay et amoureux d'Eustache ? »
Natacha se mit à rire discrètement à la blague de son petit ami tandis qu'Eustache fronçait les sourcils, visiblement peu convaincu par la suggestion...
« Mais qu'est-ce que... »
Jean-Baptiste était encore plus rouge que les deux filles, et complètement embrouillé. En même temps, je le comprends : qui aurait su quoi répondre dans ce cas-là ? Surtout qu'il ne devait probablement pas être au clair sur ses sentiments lui-même... Comment aurait-il pu éclairer les autres ?
« Je crois que j'ai besoin d'air pour digérer tout ça. » conclut-il simplement.
Il se leva de table et se dirigea hors de la cantine ; Eustache termina son assiette de ratatouille à l'acide nitrique et sa purée qui ferait un très bon joint pour votre douche en quatre fourchettes et se hâta pour partir à sa poursuite.
Je trouvai la suite des événements dans une autre lettre d'Angélique...
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