[11] mai - free your body
Ce jour-là, environ trois mille personnes
se joignirent à eux.
— Ac 2, 14a.36-41
Je décidai de mettre les pieds à ma première réunion du groupe le dimanche sept mai. Il avait été convenu de tous se retrouver une heure après la messe sur un terrain vague aux abords d'Ordnungsheim.
Il ne faisait pas particulièrement beau ce jour-ci ; mais il ne pleuvait pas pour autant. Simplement grisâtre, triste, ce genre de temps qui vous donne envie de sauter du haut d'un pont tant la vie vous semble morne sous le ciel nuageux.
Les rangs s'étaient un peu renfloués, et il serait trop long de vous établir la liste des personnes présentes ce jour-là. Cependant, sachez que parmi eux, il y avait Philippine, ma meilleure amie, Mme Yvrie, une professeur de SVT malmenée par Bernard, et M. Gadel, professeur de latin et grec, qui aurait tout donné pour « tordre le cou à ce malotru de Bernard Hubris ».
Le pauvre professeur s'arrachait les cheveux à chaque cours de grec et ne comprenait pas pourquoi tant de bons éléments abandonnaient les langues anciennes au profit de l'espagnol tandis que lui, Bernard, poursuivait l'étude de la langue d'Homère d'année en année, et lui menait la vie dure.
« M. Gadel ! s'exclama J-B en le découvrant. Ravi de vous compter dans nos rangs ! Vous aussi, Mme Yvrie. Philou, Renée ! C'est cool que vous vous ajoutiez ! »
Oui, je m'appelle Renée. Aucun commentaire s'il vous plaît, merci.
« Bonjour à tous ceux que je n'ai pas encore pu saluer ! » déclara Jean-Baptiste en frappant dans ses mains. « Je suis ravi de vous voir aussi nombreux aujourd'hui ! Elsa va passer parmi vous pour vous distribuer des étiquettes avec votre pseudonyme de la semaine. Je vous prierai de bien utiliser ce nom et non pas le véritable prénom de quelqu'un lorsqu'il s'agira de l'Ordre s'il vous plaît. Cela évitera à Bernard et sa bande de découvrir qui sont les membres de ce groupe, et donc devrait réduire vos chances d'avoir des ennuis... »
Elsa passa effectivement dans les rangs, un panier rempli de petits papiers entre les mains. Pendant ce temps-ci, Jean-Baptiste poursuivit son discours, rappelant les buts et règles du groupe, énonçant le programme de la journée et précisant quelques détails.
Je profitai de ce laps de temps pour observer les autres membres fondateurs qui se tenaient aux côtés du président du conseil des élèves :
Natacha, cachée derrière Olivier, était rose comme les tutus de danse des partenaires de son petit ami.
Ce dernier d'ailleurs, observait J-B, buvant ses paroles.
Quant à Eustache, il me fixait.
Enfin du moins, c'est ce que je crus durant les premières secondes. Mon cœur rata un battement, puis s'accéléra et frappa contre ma poitrine plus fort que d'ordinaire.
Moi ? L' « OBSERVATRICE » observée ? Non, il devait y avoir erreur...
Finalement, lorsqu'une fraction de seconde plus tard il plongea réellement son regard dans le mien, je compris que je me trompais, et qu'il fixait auparavant ma meilleure amie.
Je suppose que s'il n'avait pas été noir, il aurait rougi. Lui qui donnait de si bons conseils à Natacha quelques semaines plus tôt pour ne pas se faire attraper, il était incapable de les appliquer lui-même dès lors qu'il croisait les beaux yeux de Philippine...
Un beau parleur ce Eustache, mais pas si doué que ça finalement.
Philippine par contre n'avait absolument rien remarqué. Comme Olivier, elle écoutait avec attention ce que racontait Jean-Baptiste. Quand ce dernier eut terminé son discours, il frappa à nouveau des mains et nous nous répartîmes en différents groupes :
entraînement sportif auprès de J-B,
étude du bad boy aux côtés d'Olivier et de la « TIMIDE »
et enfin entraînement en rhétorique avec le « CHINOIROUX ».
Il parut désemparé lorsque Phil et moi nous avançâmes vers son groupe ; d'autant plus que je lui jetai un sourire sous-entendant très clairement que j'avais remarqué son petit regard tantôt... Le « CHINOIROUX » secoua la tête et se reprit : ça n'allait pas être si simple de le déconcerter pour de bon.
« Bon, salut à tous, aujourd'hui je m'appelle Bambou. Je ne prétends pas être un expert dans l'art de « casser les gens » comme on dit dans le jargon, mais Gingembre (Jean-Baptiste) pense que si. Alors je vais faire de mon mieux et tenter de vous transmettre un maximum de trucs... Tout d'abord, il faut vous connaître : êtes vous plutôt lent à la réflexion ? L'inspiration vous vient-elle plutôt dans le feu de l'action ou êtes-vous plutôt du genre à avoir des éclairs de génie à n'importe quelle heure, parfois même alors que vous sombrez dans les bras de Morphée ?
— En quoi c'est important ? demanda « MIKADO », un Terminale aussi gros que les bâtons du jeu éponyme.
— Eh bien si tu es déjà assez bon en répartie, aujourd'hui on va surtout travailler pour les débutants, alors mieux vaut-il que tu changes directement de groupe, expliqua simplement Eustache en haussant les épaules. »
Le Terminale acquiesça de la tête et se détacha du groupe :
« Et du coup je vais où ?
— Il me semble qu'il y a un cours sur « comment prendre la fuite » chez J-B aujourd'hui.
— J'ai peur de mal saisir le sous-entendu le « BRIDE ». J'ai une tête à fuir selon toi ?
— Eh bien, ce n'est pas que tu pèses trente kilos tout mouillé mais...
— Bah toi tu... »
« MIKADO » ne savait que dire. Etant la plus près de lui, je posai une main sur son épaule et déclarai sur un ton désolé :
« Je pense pour toi qu'il vaudrait mieux que tu restes avec nous aujourd'hui. N'est-ce pas ? »
Bougon, le Terminale retourna dans les rangs sans dire mot, et Eustache décida de commencer son cours après s'être assuré que plus personne ne veuille quitter le cours...
✂
A la fin de la petite réunion, le « CHINOIROUX » s'approcha de Phil et moi en trottinant doucement :
« Hé Onigiri (c'était Philippine) et Wasabi (c'était moi), je peux vous poser deux trois questions ?
— Bien entendu, répondit enjouée ma meilleure amie. »
Phil était la « SWITCH GIRL » du lycée. Pour ceux qui ne saisiraient pas toutes les nuances de ce surnom, laissez-moi vous la décrire plus en détail...
Sans pour autant être bipolaire, Philippine était totalement imprévisible. Elle pouvait très bien s'avérer être la plus grande râleuse que vous ayez jamais rencontrée et pousser plus de soupirs que vous lorsque vous essayez de vous intéresser à un cours de Sciences Eco, qu'une fille adorable prête à vous rendre tous les services du monde, même vous confectionner ces gâteaux citron-pépites de chocolat que vous aimez tant.
Aujourd'hui, et heureusement pour Eustache, elle avait décidé d'être de bonne humeur. Autrement, elle lui aurait probablement soupiré au visage et l'aurait remballé comme on renvoie des chaussures Sa Rennes Za trop petites.
« Qu'est-ce que vous avez honnêtement pensé de mon "cours" ? Qu'est-ce que je devrais modifier ?
— Moi j'ai trouvé ça super comme c'était ! déclara Philou tout sourire. Tu aurais peut-être simplement pu faire plus de pratique, c'est le plus important après tout. Mais de la pratique inattendue tu vois, comme au début avec Jackie Chan (« MIKADO »). Tu ne penses pas Renée ? demanda-t-elle en se tournant vers moi.
— Wasabi, soufflai-je simplement.
— Hein ? s'étonna mon amie, ne comprenant pas.
— Je m'appelle Wasabi aujourd'hui. Et euh... Ouais, je suis d'accord avec toi. »
Eustache haussa un sourcil : visiblement, il n'était pas convaincu par mon air blasé et peu engagé.
« Tu n'as pas d'autres suggestions ? insista-t-il en me fixant.
— Ren-... pardon, Wasabi, n'est pas tellement du genre à parler tu sais, intervint Phil. Elle observe plutôt, et note tout dans un petit cahier qu'elle... »
Philippine parlait trop. Je lui sautai dessus et posai ma main sur sa bouche pour qu'elle cesse de divulguer toutes ces informations sur ma vie :
« Oh si j'ai une recommandation ! Trouve-toi un binôme, comme les autres ! Et tu sais quoi, je pense qu'Onigiri ici présente est le parfait personnage. Elle a une répartie hors norme ! assurai-je.
— C'est vrai ça ? interrogea Eustache visiblement intéressé par la proposition. »
Phil se débattit un peu puis se dégagea de mon emprise pour répondre en fronçant les sourcils :
« Euh, non. Je ne vois pas de quoi elle parle.
— Mais si ! insistai-je. Dis-lui, Bambou, qu'elle est très douée ! ajoutai-je avec un clin d'œil voulant tout dire.
— Je travaille en solo de toute façon, désolé, conclut-il. »
Mais il était bipolaire lui aussi ? Je lui servais l'amour de sa vie sur un plateau et il refusait ? Quel genre de garçon ferait ça ?
Ah oui, pardon, j'oubliais : il était question du « CHINOIROUX ».
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