Chapitre 3 : Zephyr
Mon estomac manque de se retourner plusieurs fois sous le stress intense que je suis en train de subir. Je mange du bout des lèvres sous le regard scrutateur du Premier Conseiller. Lorsque je croise celui de l'Ambassadeur les rares fois où mes yeux se lèvent de mon assiette remplie de pains et de confitures, j'y lis une compassion désolée. Aedan quant à lui évite mon regard.
J'ai beaucoup trop chaud. Et l'espèce de boisson fumante qui me nargue depuis un bout de la table n'arrangerait rien à mon état malheureusement, même si l'odeur sucrée et fruitée qu'elle dégage me fait jeter de fréquents coups d'œil dans sa direction.
— Ainsi, Majesté, vous étiez dans un... Comment est-ce déjà ? Orphelinat ?
Je manque d'avaler de travers et toussote discrètement. Le Premier Conseiller m'épie.
— En effet, Sir ?...
— Zephyr de Pavo, vous pouvez m'appeler Sir de Pavo, Altesse.
— Bien, Sir de Pavo. Oui, en effet, j'étais dans un orphelinat.
Il prend un air désolé.
— Vous allez devoir rattraper des années de leçons, Majesté. Il serait mieux de s'y mettre de suite, si vous voulez mon avis.
Je hoche la tête d'un air crispé que je n'arrive pas à masquer. L'Ambassadeur prend la parole et m'empêche de répondre de manière peu avenante.
— C'est déjà prévu, Sir. Sa Majesté commence cette après-midi.
— Bien, comme toujours vous faites de l'excellent travail, messire l'Ambassadeur.
Ils se saluent cordialement et Aedan prend la parole, alors que tout le long du début du déjeuner, il avait semblé vouloir disparaître dans les replis de la nappe, ce qui ne lui ressemble pas.
— Si je puis me permettre cette question, quel sera le professeur de sa Majesté ?
Le Premier Conseiller pince les lèvres comme s'il voulait dire qu'effectivement, Aedan n'avait pas à se permettre, mais le père de ce dernier le devance.
— Dame Emma convient parfaitement.
Son fils hoche la tête et se replonge dans la contemplation de son assiette. Un long silence passe, durant lequel chacun termine son repas. Puis, le Premier Conseiller s'essuie la bouche d'un geste délicat et reprend la parole. Je m'attends au pire, mais je suis abasourdie par sa question.
— J'aimerais vous poser une question, Votre Majesté. Quelle est la nature de la relation vous unissant à Sir Aedan ici présent ?
Je manque de m'étouffer et jette un regard choqué à l'Ambassadeur, qui paraît surpris par si peu de tact. Il me fais signe discrètement que je dois répondre seule.
J'inspecte un instant l'expression du Premier Conseiller, me rappelle son expression face à la prise de parole d'Aedan, et prends ma décision.
— Nous sommes d'excellents amis, Messire.
Il hoche la tête et je me liquéfie intérieurement. Je me sens extrêmement mal.
— Bien, Sa Majesté doit rejoindre la Salle de Bal, intervient l'Ambassadeur.
Nous nous levons dans un bon ensemble et disposons après les salutations formelles. Je n'arrive pas à croiser le regard du fils de l'Ambassadeur et ma tension augmente. Je sens que je dois lui expliquer ma réponse.
Je rejoins mon escorte et l'énervant Donovald, qui me salue avec un sourire. Je ne le lui rends pas. Mes pensées tourbillonnent violemment.
— Sir Aedan, lancé-je d'une voix autoritaire qui le fait se crisper à l'angle du couloir.
Il s'arrête néanmoins et tourne un regard plein de retenue vers moi. Je sais qu'il garde tous ses sentiments soigneusement contrôlés, et ressens un pincement au cœur. Il ne montre absolument rien sur son visage.
— J'ai à vous parler, reprends-je en m'avançant vers lui d'une démarche assurée - du moins, je l'espère.
Lorsque mon escorte fort encombrante fait mine de me suivre, je fais un geste vers Donovald et il s'arrête aussitôt en claquant les talons. Son regard de glace me suit jusqu'à ce que j'atteigne Aedan.
— Veillez à ce que personne ne nous dérange, j'en ai pour une minute, lui fais-je sans me retourner.
Il acquiesce en silence et dispose quelques Draconides aux coins des couloirs. J'arrive en face d'Aedan, le ventre tordu d'appréhension.
— Je suis désolée, lâché-je en me lançant la tête la première.
— Je ne t'en veux pas, répond-il après un court silence. Tu n'es pas en faute.
— Mais tu aurais peut-être voulu...
— Non. C'est mieux ainsi, après tout. Je ne suis qu'un petit noble dont le père occupe une fonction importante, je n'ai rien d'un amant de reine, grince-t-il.
— On va trouver une solution. On s'en moque de ton statut ! dis-je, même si parler de... mariage me met aussitôt mal à l'aise.
— Non. Les nobles et le Conseil, eux, ne s'en moquent pas.
Aedan effectue alors une révérence et reprend.
— Veuillez m'excuser, vous devriez déjà être dans la Salle de Bal.
Et il tourne les talons pour disparaître dans le Palais.
***
— Votre Altesse, je me nomme Dame Emma.
La jolie jeune femme brune effectue une révérence gracieuse et m'adresse un sourire franc. Elle semble heureuse et flattée d'avoir été choisie pour me donner des cours, visiblement.
— On m'a dit que vous aviez certaines lacunes, mais j'aimerais me fonder mon propre avis. Savez-vous danser, Majesté ?
Je pense que mes joues ont pris une belle teinte cramoisie. Non, évidemment que non, je ne sais pas danser. Je peux, à la limite, donner l'illusion, mais...
— Je n'ai jamais pris de cours et je crains de ne pas savoir quoi faire de mes deux pieds, réponds-je à Emma en envoyant mes yeux voleter dans toute la pièce pour éviter de croiser les siens, d'un beau marron parsemé d'or.
Les murs de la Salle de Bal, en bois acajou décoré de bas-reliefs, sont éclairé par les lueurs vacillantes des multiples bougies de l'immense lustre formé de gouttelettes d'or. De lourdes teintures rouges pendent à certains endroits pour voiler quelques portions de lambris. La pièce est vraiment magnifique, la première fois que je m'y suis rendue, c'était pour le bal auquel j'ai assisté anonymement et je n'avais pas vraiment eu le loisir d'admirer l'architecture.
— Alors nous allons nous atteler à cette matière-là aujourd'hui, Votre Altesse, répond Dame Emma.
Les prochaines heures s'annoncent épuisantes, au vu du sérieux de ma professeure. Elle a attaché ses boucles brunes en un chignon serré qui dégage ses traits fins, et sa robe plutôt courte qui lui arrive aux genoux semble légère et adaptée à la danse. La mienne, par contre, me semble tout à coup très lourde.
— Commençons ! lance-t-elle en frappant dans ses paumes.
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