Chapitre 7.3 - Seulement subsister n'engendre que rancœurs

— Vous quoi ?!

Aïe, ça s'annonce mal. Erwin accueille la nouvelle plutôt mal.

— Comment vous avez...

Il s'interrompt au passage de deux personnes dans le couloir. Il prend Tanya par l'épaule et la fait rentrer dans sa chambre tout en me faisant signe de les suivre. Dernier regard à l'extérieur, puis il referme la porte.

— Dites-moi, maintenant, comment vous savez ça ?

Il parle fermement mais à voix basse, dans son anglais habituellement maladroit.

Tanya se lance.

— C'est Billy, hier soir, pendant qu'il nettoyait les sanitaires, il a entendu la conversation. Ne comprenant pas ce qu'il se disait, il l'a enregistrée pour que je puisse lui traduire.

Voyant Erwin en pleine réflexion, Tanya reprend.

— Erwin, tu peux lui faire confiance, il se soucie de la communauté comme toi et moi.

— Qu'est-ce que tu étais dehors dans milieu de la nuit longtemps après le couvre-feu ?

Tiens, tiens...

— Et comment sais-tu ça, Erwin ? On n'a pas mentionné l'heure à laquelle j'ai surpris cette conversation.

Changement soudain d'expression. Silence. Gêne. Réflexion.

— Tu étais au courant ?

Tanya tombe des nues.

Erwin hésite, il cherche ses mots.

— Je... Oui. Et beaucoup de chance que vous dire ça à moi et pas quelqu'un d'autre.

Tanya reste bouche bée, livide, comme si cette révélation signifiait pour elle l'ultime trahison. De son côté, Erwin s'assied sur une chaise pour replonger dans ses réflexions internes.

— Écoutez-moi, vous devez comprendre ce que je fais.

Tanya s'assied à son tour, sur le lit, attentive aux explications d'Erwin. Pour ma part, je m'adosse au mur en face de la porte, j'écoute.

— La situation jamais être aussi... tendue dans la communauté, et nous jamais été aussi nombreux, bientôt quatre-cents gens ! Nos problèmes de stabilité sont à cause des suiveurs de Klaus. Quelques-uns veut... veulent partir, et les autres, la majorité, se calmeront après. Ce être une bonne chose pour tout le monde. Mais ils ne peuvent pas faire... ça, fuir, sans nourriture, eau et armes. J'ai essayé de parler à Lisbeth, mais elle n'écoute pas.

Tanya a comme une révélation.

— C'est donc à ce sujet que vous vous disputiez l'autre jour ?

— Oui. Alors quand ces gens sont venus me voir pour demander aide, je me dire que c'était... juste. Et tout le monde est gagnant, eux peuvent partir avec minimum et nous tranquille sans suiveurs de Klaus.

— Mais de combien de personnes parle-t-on ? Combien doivent partir ? Parce qu'ils sont très nombreux tes suiveurs de Klaus.

Erwin n'apprécie pas le ton de mon intervention. Il me lance un regard noir, l'exact contraire de celui bienveillant qu'il accorde à Tanya.

— Oui, ils sont beaucoup. Ce sont les plus proches de Klaus qui ont demandé à moi pour aider à faire partir, ils sont autour de vingt, avec quatre enfants. Ils sont les plus... exposés à politique de Rudolph et Lisbeth, ils ont peur. Quand eux seront partis, opposition terminée, et j'espère ce sera le retour du calme.

Très intéressant. Erwin serait donc la clé de sortie de ce trou boueux. Il va falloir que j'aborde la question avec tact. Mais commençons par laisser Tanya poser les siennes.

— Donc, tu vas aider ces gens à partir avec suffisamment d'armes et de vivres ?

— Non, ils n'auront pas armes, je ne peux pas prendre risque pour la communauté de vider... le stock. Mais oui, je vais leur donner nourriture, eau et médicaments pour qu'ils aient chance survie.

— Mais pourquoi ne pas en parler à Lisbeth ?

— Tanya, ce n'est pas que elle, il y a d'autres gens qui tournent... gravitent autour, et elle ne peut pas se montrer faible. Trop dangereux de lui parler de ça.

— Et ce serait quand ?

Décidément, elle fait tout le travail à ma place.

— Ce soir.

Merde, si tôt ? Ça va être juste.

— Mais s'il vous plaît, ne dites rien, vous devez comprendre et rester loin de... ça. S'il vous plaît.

Le ton est moins ferme, ses traits se sont relâchés, son visage n'affiche plus de méfiance, seulement de la crainte. Il sait qu'il risque gros, pour lui, mais aussi pour ces gens et peut-être même pour la survie entière de la communauté. Et tout repose sur notre bon vouloir de garder ou non le silence. J'ai maintenant un puissant levier de négociation. Qui va être de corvée maintenant ?

— Je comprends ta position Erwin, et je respecte ton geste, c'est noble de ta part.

Tanya tente de le rassurer. Elle se rapproche et pose une main sur son bras.

— On gardera ça pour nous, tu peux nous faire confiance.

— Tout est planifié, si vous ne dites rien et restez dans vos lits ce soir, tout se passera bien.

— Mais comment vas-tu justifier la disparition de plus de vingt personnes ? demande Tanya, perplexe.

— Ne t'inquiète pas pour ça.

Et il lui sourit, confiant. Puis il se lève, se dirige vers la porte et pose sa main sur la poignée.

— Merci, Tanya. Peux-tu laisser nous, je dois parler avec Billy.

Ben voyons. Au moins, ce sera le moment de le faire chanter.

Étonnée, Tanya s'exécute malgré tout. Ils échangent quelques mots avant qu'Erwin lui ouvre la porte puis la referme derrière elle. Après avoir marqué une petite pause il se retourne.

— Je ne te fais pas confiance.

Déception. Toute cette attente pour me sortir une telle évidence.

— Ce n'est pas une surprise.

— Je ne sais pas pourquoi, mais Tanya croit toi quand elle dit tu te soucier de la communauté. Mais je connais les gens comme toi, tu penses toujours à toi avant. Non ?

— C'est vrai, je suis ce genre de personne, le genre à être toujours vivant, et je compte bien faire en sorte que ça continue. Tu sais, je serais parti depuis longtemps si vous m'aviez rendu mon Lb29.

— Pas possible de te laisser partir avec ça. Mais si tu le veux tu pars ce soir avec les autres. Tu auras eau et nourriture, mais pas d'arme.

Rapide ces négociations.

— Okay. C'est quoi le plan ?

— Va voir Ralph, il sait tout. Tu lui diras que c'est moi qui envoie toi, il expliquera.

Énervé, il se retourne pour se diriger vers la sortie. Il ouvre la porte et me lance un dernier regard.

— Ce soir, beaucoup de problèmes terminent.

— On est d'accord.

Et il me fait signe de sortir. Ni au revoir, ni merde. La porte claque derrière moi. Je suis bien content de ne plus avoir à discuter avec un type qui parle aussi mal anglais. En tout cas je m'en sors bien, j'ai mon ticket de sortie pour ce soir, avec guide et repas compris, manque plus que l'option armes et munitions. Mais avant, il va me falloir prendre connaissance du programme.

Déjà qu'il n'est pas beau en temps normal, Ralph est encore plus moche quand il prend son air méchant et suspicieux.

— Erwin t'a tout raconté ?

Difficile de savoir si c'est le stress ou la surprise qui domine dans sa voix.

— En quelque sorte, mais il ne m'a pas dit grand-chose à propos du plan de ce soir, seulement que vous êtes une vingtaine à partir.

Il réfléchit, puis me regarde de travers, tiraillé par le doute.

— Et t'veux partir ? Pourquoi ?

— Tu as déjà eu une discussion avec Erwin à mon sujet ?

— C'est arrivé, oui...

— Eh bien voilà, tu sais pourquoi je veux partir.

— Je vois. Entre toi et moi, j'sais pas pourquoi il t'en veut. Ta tête lui r'vient pas, à moins que ce soit ton passé de bidass, va savoir.

— Ça doit être ça.

Il vérifie qu'il n'y a personne d'autre à l'intérieur de la réserve.

— T'as une montre ?

— Oui.

— Rendez-vous ici, cette nuit, à 3h, pile.

— Mais il n'y a pas de risque de se faire voir par les vigiles ?

— Non, Erwin n'aura placé qu'des hommes de confiance, cinq dans la grande cour, trois à la grande porte et deux à la p'tite. Ils sont tous briefés et partagent le même point d'vue qu'lui, comme la plupart des récupérateurs d'ailleurs.

Ça commence à faire beaucoup de monde au courant...

— Mais évidemment, il faudra faire preuve de discrétion. Pour ça j'ai prévu trois p'tits groupes à trois horaires différents, 1h, 2h, et le tien, le dernier, 3h.

— D'accord, et après ?

— Sur place, vous récupérerez ce que j'aurai mis de côté : nourriture, eau et médicaments.

— Pas d'armes ?

— C'est plus compliqué...

Ah ! Ce n'est pas un non définitif...

— Erwin n'veut pas désarmer la communauté et d'toute façon les types qui seront à l'armurerie sont à la botte de Lisbeth. Mais il nous laisse malgré tout un sac avec un pistolet et des munitions.

— Une arme fantôme ?

— C'est ça. Elle n'a jamais figuré dans le registre. C'est comme si elle n'existait pas.

Et voilà l'option arme et munitions qui se présente à moi.

— Mais c'est juste pour l'trajet, au cas où. On ne devrait pas en avoir besoin une fois arrivé à Nonnweiler.

Merde !

— Nonnweiler ? C'est là-bas que vous allez ?

— Oui, pour l'moment, à défaut d'mieux. Les récupérateurs entendent régulièrement parler de cette communauté, elle semble prospérer, enfin c'est ce qu'il se dit.

Je ne tiens pas à le savoir, je suis certainement blacklisté là-bas à l'heure qu'il est.

— Des questions ?

— Non, c'est assez simple. Mais qui sera chargé de protéger le groupe jusqu'à Nonnweiler ? La route est longue.

— Non, il n'y a que vingt bornes, ça ira vite en fourgon, je doute que nous ayons besoin de nous défendre.

— Parce qu'on va voler le fourgon ?!

— Attends, qu'est-ce qu'il t'a dit exactement ?

— Erwin ? De venir te voir pour connaître le plan.

Ralph marque une pause et me regarde avec méfiance. J'ai vraiment envie de lui dire à quel point il est moche.

— Oui, on part avec le fourgon. On veut s'assurer d'être suffisamment loin au moment où Lisbeth et les autres se rendront compte de notre départ, au cas où elle déciderait de nous poursuivre.

Ça se complique là.

— Mais comment Erwin va justifier qu'une vingtaine de personnes ait pu partir avec vivres et médicaments à bord du fourgon, en pleine nuit et sans que lui et ses hommes ne s'en aperçoivent ?

— La mise en scène ! Pendant qu'Lorenz ira chercher la carte de démarrage du fourgon et fera monter tout l'monde dedans, j'irai chercher l'sac d'arme caché dans l'cabanon près d'la grande porte. Lorenz f'ra des appels de phares dès que tout l'monde sera prêt, puis Erwin et ses hommes crieront dans tous les sens, projecteurs allumés pour faire croire qu'nous les avons obligés à coopérer en prenant un garde en otage. J'tirerai deux ou trois coups en l'air pour faire plus vrai.

C'est d'un compliqué...

— Pendant c'temps, ils nous ouvrent la porte et nous partons.

— Il ne donne qu'un seul flingue mais rien à faire du fourgon.

— C'est un vieux modèle essence des années dix, il a plus d'vingt piges. On l'utilise jamais à cause de sa consommation astronomique. Et il leur restera toujours les deux voitures hybrides, c'est bien assez pour la communauté, vu c'qu'ils en font...

— Et Erwin est d'accord avec ce plan ?

— Évidemment, c'est lui et moi qui l'avons monté ensemble.

— Et vous êtes sûr que tout fonctionnera comme prévu ?

— Il n'y a aucun risque, et Erwin m'assure qu'il n'aura pas d'mal à faire gober sa version des faits. De toute façon demain matin ce ne s'ra plus mon problème.

Et il rigole.

Demain matin, je ne sais pas où j'irai, sûrement en direction du nord, vers les côtes allemandes, ou néerlandaises, espérant que ma théorie soit vraie, et que celle de Walter soit fausse. Pour le moment mon souci premier concerne ce soir : trouver un moyen de leur fausser compagnie tout en emportant ce sac d'armes.

J'ai encore tout l'après-midi pour y réfléchir...

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