Chapitre 7.2 - Seulement subsister n'engendre que rancœurs
J'arrive devant les sanitaires. Très vite dépassées par le nombre et faute d'eau courante, les têtes pensantes de la communauté ont fait construire un petit ensemble de toilettes sèches. À l'aide de planches et d'agglos, ils ont érigé une sorte de grande cabane bâchée et surmontée d'un toit de tôle. Ils y ont casé huit cabines individuelles où de simples rideaux préservent l'intimité. L'idée est plutôt bonne, mais quand je vois le monde qui attend son tour en ce moment, je n'ose pas imaginer l'ampleur du travail qui m'attend.
Profitez-en, c'est bibi qui nettoie ce soir.
Me voilà de retour à ma tente, moi et mes désillusions. Au moins j'ai pu recharger mon smartphone sur l'un de leurs groupes électrogène, c'est toujours ça de pris. Pour le reste, interdiction de sortie, sauf si je souhaite définitivement partir. Dans ce cas pas de négociation. L'eau, la nourriture, les médicaments, ils ne donneront rien. Confisquées les armes et les munitions. Tout leur appartient, en guise de paiement pour l'hébergement. Communistes ! Donc si je ne veux pas passer le restant de ma vie à récurer la merde ou remplir leurs gamelles en priant que la Horde ne vienne pas tous nous réduire en esclavage, il faut que je trouve un moyen de récupérer armes et vivres sans me faire repérer avant de me tailler fissa. J'ai déjà pensé à saboter leur générateur d'électricité, nécessaire à l'alimentation de leurs deux projeteurs, ça me permettrait de fuir dans la pénombre. Mais si je ne peux pas me ravitailler avant, autant partir officiellement dès demain, les poches vides. Donc retour à la case départ.
Réfléchis Bill !
Ça ne va pas être simple, sachant qu'il m'est impossible d'approcher l'armurerie, même juste pour aller voir à quoi elle ressemble et que l'option d'intégrer les récupérateurs est pour le moment au point mort. J'ai bien pensé à postuler comme vigile, mais ce sera certainement le même résultat. Reste que je pourrais faire prévaloir mes connaissances en matière d'entretien des armes à feu, je n'y avais pas pensé. À creuser...
Tous ces problèmes me feraient presque oublier qu'on meurt tous à petit feu, certains plus vite que d'autres. Ça fait deux jours que mon mal de ventre est revenu, enfin, deux jours qu'il me fait plus souffrir que d'habitude. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir faim, et justement ça sent déjà le bouillon de poulet. J'ai une bonne heure devant moi avant mon tour pour aller dîner, autant faire une petite sieste en attendant. J'aurai besoin de forces après manger pour récurer les chiottes juste avant le couvre-feu, heure définie pour le nettoyage quotidien.
Pouah ! L'odeur !
Six mois de classe, six autres d'entraînements spécialisés, un an et demi de service, dont un mois au front avant d'être blessé au combat, tout ça, pour vider les toilettes sèches d'une putain de communauté allemande à la seule lumière de ma frontale. Tout ce temps à apprendre à manier une arme, je me retrouve à manier la pelle et le seau. Toutes ces nuits à monter la garde pendant le sommeil de mes anciens camarades de pillage, me voilà maintenant à veiller sur l'hygiène de ces connards. Et comme si ça ne suffisait pas, je me suis endormi comme une pierre pour finalement me réveiller bien après le dîner, bien après le couvre-feu, donc bien après ma prise de service normalement prévue. Me voilà dans le froid, la puanteur et la faim en plein milieu de la nuit à pester sur mon sort. Je pourrais tout balancer, là maintenant, me diriger vers l'armurerie, tuer les deux gardes, m'armer, puis aller à la réserve pour remplir mon sac et tchao ! Tant pis pour ceux qui se mettraient en travers de mon chemin. Peut-être même foutre le feu à un bâtiment ou deux, histoire qu'ils n'oublient pas le p'tit Américain. Ce serait un super plan si mes chances de survie dépassaient au moins les dix pour cent.
Le début d'un de mes morceaux préférés m'extirpe de mes pensées vengeresses. Voilà au moins un point positif depuis que je suis arrivé ici, mon téléphone maintenant rechargé je peux écouter ma musique stockée sur mes plaques d'identification numériques, ça me donne du courage. L'affichage indique 16 %. La poisse. Il n'aura pas fallu une heure pour que la batterie soit presque complètement vidée. Elle n'a visiblement pas supporté la décharge profonde de presque un an, dommage. Par contre, timing parfait avec la fin de ma corvée, je termine le dernier toilette. Après ça, il me faudra encore retourner discrètement à ma tente sans me faire voir, couvre-feu oblige, il vaut mieux éviter les ennuis.
Un bruit attire mon attention, comme si quelqu'un se faufilait.
Non, ils sont plusieurs !
Je coupe ma lampe et me fige. Ils sont juste derrière les sanitaires, de l'autre côté. Je pose doucement mes outils de travail et sors de la cabine que je nettoyais pour aller dans celle d'en face. Leurs voix sont plus distinctes et je peux voir leurs silhouettes dans l'interstice entre deux planches. Trois personnes discutent à voix basse, mais impossible de comprendre quoique ce soit, les rares mots qui me parviennent me sont inconnus. Ce rendez-vous nocturne n'est pas clair. Ils n'ont rien à faire ici à cette heure. Si ces types risquent sciemment de braver le couvre-feu imposé par Lisbeth depuis cinq jours c'est que ça doit en valoir la peine. Je suis prêt à mettre ma main au feu que ce sont des partisans de Klaus qui complotent. La façon dont Lisbeth a récemment renforcé sa position dans la communauté a dû faire beaucoup de mécontents, rien d'étonnant qu'une résistance se forme, comme au sein de n'importe quel autre pouvoir autoritaire. Et le mouvement semble prendre de l'ampleur. Ils sont maintenant cinq. Il vaudrait mieux que je ne m'attarde pas dans le coin. D'un autre côté, leur projet pourrait converger avec le mien. Il faut que j'en sache plus. Je vais enregistrer leur conversation avec mon smartphone, ça me laissera plus de temps pour l'étudier et comprendre les subtilités. Plus que 11 % de batterie, ça risque d'être short.
Je me suis repassé au moins cinq fois l'enregistrement, mais impossible de saisir l'essentiel ce qu'ils se sont dit. Il y a pas mal de parasites et il m'en manque un bon bout, faute de batterie. Ça a d'ailleurs été compliqué de la recharger tout à l'heure, heureusement que Karen m'a à la bonne. Tout ce que j'ai pu comprendre c'est qu'ils parlent de « la situation actuelle », qu'« elle est dangereuse » – la situation ou Lisbeth ? – et qu'ils préparent « un départ » ou quelque chose dans le genre. Ces types-là m'intéressent, mais il m'en manque beaucoup trop pour envisager quoi que ce soit. Voilà pourquoi je me suis tourné vers Tanya, pour qu'elle puisse me traduire ce qu'elle peut. Seulement, vu sa réaction, je commence à me demander si j'ai bien fait, si elle ne va pas finalement tout balancer à sa chère mentore.
— Tu commences à me saouler, fais-moi écouter ou tire-toi !
— Okay, mais jure-moi que ça restera entre nous. Je veux juste une traduction, on a peut-être entre les mains quelque chose d'explosif.
La fermeté de son regard en dit long sur son niveau d'agacement. Faut dire que je viens de la réveiller alors qu'elle a monté la garde toute la nuit sur la grande porte. Ses deux petites heures de sommeil ont bien entamé sa patience.
Bon.
— Tiens, mets les oreillettes, je lance l'enregistrement.
Elle écoute attentivement, les sourcils froncés, le regard fixé sur ses pieds. Elle semble comprendre la conversation. Elle pose sa main sur sa bouche, pensive, puis croise les bras. Ça fait presque deux minutes. Subitement, ses yeux s'ouvrent en grand, puis elle prend une grande inspiration avant de me regarder tout en enlevant les écouteurs.
— Et c'est tout ce que tu as ?
— Oui, désolé, la batterie était naze. Alors ? Ça dit quoi ?
— Ça n'a pas l'air d'être un complot. Je n'ai pas tout compris, mais on dirait qu'ils montent un plan pour partir, ou...
— Parle pas si fort.
— Ils vont s'enfuir, réalise-t-elle à voix basse.
— C'est ce qu'il me semblait. Mais j'imagine qu'il ne s'agit pas que de s'en aller bêtement, sinon ils l'auraient déjà fait.
— Oui, ils parlaient de quelqu'un qui les aiderait à partir en pleine nuit, en emportant tout ce qu'il leur faudrait pour survivre. Et ton enregistrement s'arrête là, justement.
— Évidemment...
— Tu ne me crois pas ?
— Si, mais on n'est pas vraiment avancés avec tout ça.
Après une petite minute de réflexion commune, Tanya semble avoir trouvé une solution.
— Écoute, je sais que tu ne veux pas l'ébruiter, mais imagine si tout ceci venait à dégénérer. Imagine s'ils se font prendre et qu'on se retrouve avec des morts sur la conscience.
Je m'en fous. Mais je continue à soutenir son regard et la laisse continuer dans son raisonnement.
— On doit faire quelque chose, Billy. Il faut en parler à Erwin.
Quoi ?! Mais qu'est-ce que...
— Laisse-moi finir. Lisbeth a durci les règles, oui, mais essaie de comprendre, il lui faut maintenir l'ordre pour le bien de tous. D'un autre côté, je suis d'accord avec toi, elle risque de très mal le prendre, il vaut mieux éviter qu'elle entende parler de ça.
Jusque-là okay, j'approuve du regard.
— Voilà pourquoi je te propose plutôt d'en parler à Erwin.
— Lui ou un autre, qu'est-ce que ça change ?
— Crois-moi, Billy, il est bien plus humain qu'il n'y paraît, c'est un modéré. Je l'ai surpris à se disputer avec Lisbeth au sujet de ces nouvelles règles. Il saura trouver une solution pour que ça (Elle pointe le smartphone du doigt.) ne dégénère pas. Et d'un autre côté, c'est l'occasion pour toi de prouver ta loyauté. En te souciant du futur de la communauté, tu pourrais montrer que tu es finalement digne d'intégrer les récupérateurs.
Là, tu m'intéresses. Sans le vouloir elle vient peut-être de m'apporter la solution à mon problème d'approvisionnement.
— Okay, allons voir Erwin.
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