Chapitre 31.1 - Instaurer le dialogue pour que l'avenir soit

Le caporal Flegel vient de partir. Encore une journée bien chargée qui s'achève.

Je n'ai pas bougé d'ici depuis plus de cinq heures, depuis le briefing avec Joost en fait. Juste après son départ, Kadir est arrivé, répondant à ma convocation. Je lui ai parlé des fameux chargeurs de Damoclès. Il est reparti avec la ferme intention de renvoyer certains de ses hommes là où ils ont trouvé l'arme pour mettre la main sur ces munitions. Puis comme convenu, le caporal Flegel est revenu pour peaufiner le plan de bataille. Ça a pris du temps.

Me voilà maintenant seul dans mon appartement. La pression cumulée, le manque de sommeil, le stress, tout est soudainement remonté à l'instant où Flegel a fermé cette porte. Ma tête est lourde, difficile à maintenir droite. Chaque geste semble répondre avec un temps de latence. Je suis épuisé, profondément. Mes idées flottent sans aucune cohérence, libres de vagabonder.

Quelle heure est-il... Bientôt minuit. Il faut que je dorme.

Je me lève et me dirige vers ma chambre. Mes yeux m'abandonnent. Je baille, plusieurs fois. Sans retirer mes vêtements, je me glisse dans mon sac de couchage posé sur le lit et referme la fermeture éclair. Libérer mes pieds de leur charge, détendre mon dos, ma nuque, relâcher la tension, oublier mes soucis, méditer, sans réfléchir, tous ces plaisirs simples qui précèdent normalement le sommeil, je n'y arrive pas. Nous n'en serions pas là si j'avais écouté Lenz. Il se méfiait de la République et n'a jamais cessé de me répéter qu'il fallait d'abord les mettre à l'épreuve avant de traiter avec eux. Mais je n'ai pas tenu compte de son avis. Comprenant que je ne reviendrais pas sur ma décision, il a abdiqué, mais à une seule condition, qu'il y aille à ma place. J'ai accepté, en me moquant de sa paranoïa.

Je l'ai envoyé se faire tuer à ma place.

Si je lui avais tenu tête, si j'avais refusé qu'il me remplace, il serait toujours vivant. Comment peut-on se planter à ce point ? L'orgueil ! Voilà tout. Parce que le message de Rosenwald transmis par cette fouine d'Hinrich a réussi à flatter mon égo. Parce que j'étais « un grand homme », « un dirigeant visionnaire », parce qu'il voyait en moi « celui dont tout le monde avait besoin », parce que « notre alliance donnera naissance à un renouveau » ...

J'ai failli, et d'autres en ont payé le prix.

Je n'ai plus aucune certitude, l'impression de perdre pied. Je ne pense plus, j'agis, chaque jour, par réflexe. Mes paroles, mes gestes, mes décisions, c'est comme si quelqu'un d'autre pilotait mon corps...

— Major ! Réveillez-vous !

J'ouvre les yeux. La tête de Flegel est juste au-dessus de la mienne. Il me hurle dessus.

Je dormais.

— Mais qu'est-ce qui se passe, Caporal ? Vous êtes cinglé ?

— On cherche à vous joindre depuis dix minutes. Vous avez coupé votre talkie.

Je regarde l'appareil. Ma vision n'est pas nette.

— Non, il n'a plus de batterie, apparemment.

— Major, notre avant-poste nord a repéré un important groupe se dirigeant vers nous. Il s'avère que...

— Attendez, nord ? (J'ouvre mon sac de couchage et m'en extirpe.) Combien sont-ils ?

D'un bond, je me retrouve debout face à un Flegel, livide.

— Plus d'une centaine, au moins. Ils...

— Ils tentent de nous encercler. Vous avez votre radio ?

Ma question le surprend.

— Oui, mais...

Je sors de ma chambre et prends ma veste posée sur une chaise dans le salon.

— Major, où allez-vous ?

— Il faut prévenir tout le monde de se préparer au combat.

— Attendez, Major.

Je me tourne vers lui tout en ajustant ma veste.

— Il faut entamer l'évacuation des civils. Quelle heure est-il ?

— Je... (Il regarde sa montre.) Bientôt trois heures du matin.

Je lui prends la radio des mains et me dirige vers la sortie de l'appartement, mais il m'agrippe par l'épaule et me stoppe net.

— Major Klein, écoutez-moi. Ce n'est pas une attaque. Ce sont les renforts que Peterstal nous envoie enfin.

— Mais... Comment êtes-vous sûr qu'il s'agit bien d'eux ?

— Ils ont envoyé deux hommes en avant pour nous prévenir, justement pour éviter ce genre de quiproquo.

— Ils sont encore loin ?

— Ils vous attendent à l'entrée nord.

Je peine à y croire. Ils sont finalement venus.

— C'est une excellente nouvelle.

Je lui rends sa radio puis nous sortons tous les deux de l'appartement et descendons les escaliers.

— Cette arrivée de dernière minute va changer nos plans, Major.

— D'autant plus que nous allons devoir briefer les nouveaux arrivants. Caporal, convoquez tous les chefs d'équipes et leurs seconds en salle de briefing, il va y avoir du changement.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Il est encore tard, laissons-les dormir et profitons du reste de la nuit pour revoir notre stratégie.

Nous arrivons au rez-de-chaussée.

— Vous n'y êtes pas du tout, Caporal. La République devrait attaquer dans moins de vingt-quatre heures maintenant. Il nous faut incorporer au plus vite les nouveaux arrivants à nos troupes déjà sur place. Alors tant pis si nous sommes au beau milieu de la nuit, mais il faut réveiller tous les chefs de groupes pour les briefer, avec leurs seconds. Et pas question de revoir notre stratégie, plus le temps.

Pas convaincu, il acquiesce malgré tout.

Il prend son talkie avant que nos chemins ne se séparent.

— À tous les chefs d'équipe et leurs seconds, ici le caporal Flegel. Rassemblement en salle de briefing tout de suite...

*

... Je répète, à tous les chefs d'équipe et leurs seconds, rassemblement en salle de briefing. Caporal Flegel, terminé.

« Leurs seconds » ? Mince, je n'ai pas encore pris le temps d'en désigner un, il va falloir trancher. Ça fait deux jours que le major l'a demandé à tous les chefs d'équipes et je n'ai pas encore tranché.

Les rares encore éveillés se tournent vers moi, ou plutôt vers mon talkie que je tiens à la main. La même question est sur toutes les lèvres : « Qu'est-ce qui se passe ? ».

— Eh bien, ne faisons pas attendre le major. Tony, va me chercher Billy. Tod, tu prends le commandement en mon absence.

Son camarade parti, Tod s'approche de moi, l'air renfrogné.

— Attends, c'est moi qui remplace Alb. Depuis quand l'Américain est ton second ?

Il a déjà compris...

— Depuis que je viens de demander à Tony d'aller le chercher.

Vexé, Tod tente malgré tout de sauver les apparences.

L'idée trotte dans ma tête depuis quelques jours, mais l'appel surprise du caporal a précipité ma décision. Tod le mérite ce poste de second, c'est vrai, mais il n'a pas l'expérience de Billy en matière de bataille. Même s'il fait partie des meilleurs il reste un civil que nous avons entraîné, il n'a pas de réelle expérience de combat. Si je venais à disparaître au beau milieu de la bataille, je préfère que le commandement revienne à quelqu'un d'expérimenté, quelqu'un qui saura gardrer la tête froide quand les balles siffleront.

— Hey, Akram, qu'est-ce qu'il vous veut à ton avis ?

Je croyais qu'il dormait celui-là.

— Aucune idée. Pas de mauvaises nouvelles j'espère.

Caporal Flegel, c'est Boris, que se passe-t-il ?

— Boris, changement de situation. Les renforts de Peterstal viennent d'arriver. Nous avons une centaine de nouveaux combattants à intégrer au plan de bataille. Ne traînez pas. Terminé.

— Voilà, Karl, tu as ta réponse.

Billy arrive d'un pas nonchalant, comme à son habitude.

— Comment ça Flegel nous demande ? Qu'est-ce qu'il nous veut au beau milieu de la nuit ?

— Nous présenter les gars de Peterstal, ils ont fini par arriver.

C'est rare d'observer la joie sur le visage de Billy, et c'est assez étrange.

— Pas trop tôt. Et c'est quoi le rapport avec moi ?

— Ils ont convoqué les chefs d'équipes et leurs seconds pour un briefing général. Donc tu viens avec moi.

— Ah. Et depuis quand tu as un second ?

— Depuis que je suis obligé de l'emmener avec moi. Vous m'agacez tous avec vos questions.

Il esquisse une moue ambiguë. Impossible de savoir s'il est satisfait ounon. L'insondable Billy Allen. 

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