Chapitre 27.3 - ... requiert un ennemi

Eugen profite que nos poursuivants aient perdu du terrain pour se risquer à aller fermer les portes arrière.

— C'est pas possible, j'y crois pas ! Ils... ils viennent de lui rouler dessus ! Il était là... et...

Eugen tente de calmer Yvo.

Plus personne ne parle. Chacun fixe un coin du camion, digérant ce qui vient de se passer. Nous venons de perdre un homme supplémentaire et nous n'avons plus d'armes, mon chargeur restant ne sert plus à rien.

Une série de coups de poings retentit sur la paroi avant. C'est Kurt qui nous interpelle. Eugen se précipite et demande ce qu'il veut. Il attend la réponse, puis se retourne, les yeux exorbités.

— Accrochez-vous ! Une voiture arrive à contre-sens !

Ces enfoirés seraient déterminés à nous faire disparaître au point de lancer des kamikazes contre nous ?

Nous nous allongeons à plat ventre, mains sur la tête. Eugen se couche sur Phil pour le protéger. Lancés à cette vitesse, en cas de choc frontal, rien ne pourra nous sauver. Kurt fait un brusque écart à gauche, puis à droite, espérant sûrement que l'autre en face choisisse la mauvaise direction. Derrière nous, nos poursuivants ne ralentissent pas, mais n'accélèrent pas non plus, gardant leurs distances. Ils sont en contact radio avec les autres cinglés de devant, c'est certain. Le fourgon entame une série d'embardées. Il penche dangereusement dans un sens, puis dans un autre. Nous sommes à chaque fois à la limite de nous retourner. Les pneus crissent, le moteur hurle, la mécanique est mise à rude épreuve. Un violent freinage nous fait décoller du sol pour nous écraser contre le fond du véhicule. Puis nous sommes projetés sur la paroi de gauche, et enfin celle de droite. Rétrogradage, accélération, rugissement du moteur, nous sommes passés.

Yvo se relève et se précipite vers l'arrière.

— Ils font demi-tour ! Il y a deux voitures maintenant !

— On ne va jamais y arriver...

Eugen a perdu toute sa combativité. Yvo est en stress et Phil ne s'est pas réveillé. Quant au pote de Michael... toujours mort...

— Ils se rapprochent ?

Yvo me regarde, intrigué par ma question.

— Yvo, est-ce qu'ils se rapprochent ?

Il regarde.

— Oui.

— On a encore quelque chose à leur balancer...

Douloureusement, je me relève en m'appuyant sur la paroi métallique. Ma tête tourne mais mes jambes tiennent le coup.

— De quoi tu parles ?

Un violent choc à l'arrière manque de me renverser.

— Ils nous rentrent dedans ! Ils essayent de nous envoyer dans le décor !

— C'est parfait. Comment s'appelait le pote de Michael déjà ?

Ils me regardent, intrigués.

— Rudy ! Mais pourquoi ?

Sa question tout juste posée, le visage d'Eugen change immédiatement d'expression. Il a compris ce que je compte faire. Yvo, de son côté, ne pige toujours pas et m'interroge du regard.

— Nous allons offrir à Rudy l'opportunité de nous aider une dernière fois.

Ça y est, il a capté. Sidéré, il se tourne vers Eugen qui semble peser le pour et le contre. À contrecœur, il accepte d'un simple mouvement de tête. Le visage fermé, il se dirige vers le corps.

— Yvo, viens m'aider, Billy ne pourra pas le soulever.

Le jeune hésite, mal à l'aise.

— Mais... On peut pas...

— Arrête de réfléchir, agis !

Un nouveau choc à l'arrière fait dangereusement tanguer le fourgon. Je me rattrape de justesse tandis qu'Yvo s'étale de tout son long. Il se relève et fonce vers Eugen qui soulève déjà le buste du cadavre. Le gamin n'hésite plus, convaincu qu'il n'y a plus d'autres choix.

— Billy, va déverrouiller les portes et écarte-toi !

Je fais aussi vite que possible. Je clanche la poignée sans pousser la porte et en profite pour jeter un œil par la fenêtre brisée. La voiture avec un seul phare est presque pare-chocs contre pare-chocs avec nous.

— Billy, dégage !

Je libère la place.

— Prêt ?

Yvo confirme fébrilement. Alors, presque simultanément, leurs pieds percutent violemment les portes déverrouillées pour les ouvrir telle une explosion. La seconde suivante, ils lancent le corps de toutes leurs forces. Eugen manque de basculer, se rattrapant au dernier moment. Le macchabée s'écrase sur le pare-brise et passe à moitié à travers. La voiture freine violemment et zigzague dangereusement. La perte de contrôle est inévitable. Dans un crissement de pneus aigu, elle part en tête-à-queue et vient se fracasser contre un camion abandonné sur la bande d'arrêt d'urgence. La seconde voiture s'arrête à sa hauteur pour leur prêter assistance.

— Je crois que nous sommes tirés d'affaire.

La mélancolie s'empare d'Eugen et Yvo.

Rudy n'aura pas de sépulture, pas plus que Michael, Alb, Holzer et tous nos camarades morts cette nuit. 

Nous sortons de l'autoroute, direction Walldorf, juste à côté.

Phil est réveillé depuis quelques minutes. Yvo lui a fait un résumé. La fin de son histoire coïncide avec la fin de notre voyage.

— Une minute. Personne ne nous attend à cette heure. Et encore moins un fourgon blanc. Ils vont nous tirer dessus oneu varnoung.

La remarque de Phil nous refroidit. Nous nous regardons Eugen et moi, comme deux cons qui viennent de prendre conscience d'une évidence. Eugen se lève et se précipite vers le fond du fourgon pour frapper et hurler à Kurt de s'arrêter, ce qu'il finit par faire après plusieurs appels répétés.

À peine notre véhicule garé sur le bas-côté que notre chauffeur descend. En deux secondes le voilà déjà à l'arrière. Il ouvre les portes en grand.

— Quoi ?

Hésitation. Puis Eugen se décide à lui expliquer la situation.

— Nos gars ne s'attendent pas à notre retour avant au moins deux heures, et à bord de notre camion. Donc je ne te fais pas un tzèchnoung, ssobald nous serons détéksionnsbeurèch, ils ouvriront le feu.

— On fait quoi alors, on leur passe un annrouff ?

Réflexion commune. Comment les prévenir de notre arrivée sans risquer de se faire tirer dessus ?

— J'irai.

Tout le monde se tourne vers Yvo.

— Tu iras où ?

— On est encore loin ?

— Deux kilomètres, à peine.

— J'irai donc à pied en ville pour les varneunn que nous arrivons et leur expliquer ce qui s'est passé. Garez-vous sur le parking du cimetière à l'entrée de la ville et attendez mon retour.

Phil et Eugen ne sont pas emballés.

— C'est dangereux, Yvo.

— Ils ne connaissent pas Kurt, et Phil et Billy ne sont pas en forme. Il n'y a donc que toi et moi qui pouvons y aller, et de nous deux j'suis celui qui court l'plus vite et l'plus longtemps.

— P'tit con.

Yvo se lève et sort du fourgon sans que personne ne tente une nouvelle fois de l'en dissuader. Il vérifie ses lacets et part en courant sans se retourner.

Phil s'inquiète.

— Qui est de garde à cette heure ?

— Je ne sais pas. Sûrement pas Flegel en tout cas.

Tout le monde est d'accord avec Eugen.

— On aurait peut-être dû fèstalteun zoleunn. Si c'est Akram qui dirige la garde à cette heure...

— C'est lui, sûr.

L'affirmation sèche d'Eugen coupe l'herbe sous le pied de Phil. Le silence qui s'installe en dit long, pas besoin de discours. Akram est synonyme de travail bien fait. L'avoir comme veilleur de nuit c'est dormir sur ses deux oreilles. Tel que je le connais il a dispatché ses hommes en binômes tout autour de la zone occupée de la ville.

Après s'être un peu éloigné pour vérifier que nos poursuivants n'avaient pas repris notre piste, Kurt revient vers nous.

— Il est de confiance votre jeune ami ?

— Comment ça ?

— Il avait l'air de raouskomeun avec votre Hinrich.

— Je croyais qu'il avait essayé de le tuer ?

— C'est le cas, mais peut-être que le gosse en savait trop. Peut-être qu'il n'était qu'un pion dont il fallait lossverdeunn.

Eugen s'avance vers lui.

— T'es qui pour parler de confiance ?

— Eugen, laisse-le, il nous a guérètètt.

Le doute s'installe et la tension monte.

Après ce que nous venons de vivre, difficile de faire confiance au premier venu, même si nous lui devons la vie.

Assis dans le fourgon, son pied valide pendouillant dans le vide, Phil calme le jeu. Il demande des précisions sur la rébellion dont fait partie Kurt. Discuter lui permet de ne pas penser à la douleur.

Difficile pour moi de suivre la conversation, ils parlent trop vite et le vocabulaire utilisé m'est hors de portée. Je décroche, pars dans mes pensées, m'assoupis, je me dis que nous avons laissé partir le gamin un peu vite. Après tout ce qui vient de se passer et vu comment tout le monde le traite, il a dû se dire que c'était le moment pour lui de nous prouver sa valeur. J'espère que ça ne lui sera pas fatal. Nous n'en sommes qu'au début de cette nuit hivernale, le jour se lève dans dix heures. Personne ne pourra reconnaître Yvo dans le noir, et après notre combat de ce matin à Walldorf, les vigiles risquent d'être à cran.

Cette putain de journée est interminable. Garde les yeux bien ouverts, Akram.

*

Mon dos commence à me faire mal à force de greloter. J'ai beau porter plusieurs épaisseurs, je n'arrive pas à me réchauffer, et impossible de faire un feu, ordre de moi-même, pour tous, il ne faut pas risquer de révéler nos positions. Décision logique, mais si c'était à refaire je reviendrais peut-être sur ces dernières paroles.

Un coup de feu ! Lointain ! En écho !

Nous nous regardons avec Rick, mon binôme.

— C'était quoi ?

— Une erreur j'espère.

Une nouvelle détonation, toujours aussi lointaine.

Ça ne rigole pas, il y a un problème !

— Je vais voir ce qui se passe. Reste ici et ouvre les yeux.

— Plutôt les oreilles dans cette obscurité...

Je descends quatre à quatre les trois étages de l'immeuble où nous étions planqués. Dehors, je remonte la rue en courant, fusil en main.

D'autres tirs ! Plus distincts cette fois. Je me rapproche.

Je croise un de mes hommes. Dans le noir, je n'arrive pas à distinguer de qui il s'agit.

— Akram ?

Ouf, il m'a reconnu.

— Oui ! D'où ça vient ?

— Du sud j'ai l'impression. On nous attaque ?

— J'en sais autant que toi. Restez tous les deux à votre poste.

Je reprends ma course. Le bruit de mes semelles frappant le sol et de ma forte respiration haletante résonne dans les rues sombres et vides de Walldorf. J'ai l'impression que les tirs ont cessé. Un incident isolé ?

— Akram, par ici.

Je reconnais la voix de Sybille, la copine d'Alb, partie avec le sergent Holzer pour je ne sais quelle mission diplomatique.

Je me laisse guider au son de sa voix.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

On a vu quelqu'un dans la grande rue, juste en face.

— Qui ?

— Un type qui courait. On lui a tiré dessus mais je ne sais pas si on l'a touché.

— Où est ton binôme ?

— Il est parti voir.

Il n'a donc pas respecté mes ordres en quittant son poste pour poursuivre sa cible.

— Sybille ?

Justement, le revoilà. Sa voix est lointaine.

— Tu l'as eu ? demande-t-elle.

— Non, et heureusement. On arrive, ne tire pas.

— Qui ça « on » ?

— Moi et Yvo.

Yvo ? Mais qu'est-ce qu'il fiche là ?

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