Chapitre 27.2 - ... requiert un ennemi

Kurt reprend sa place de conducteur.

— Mais pourquoi ils n'peuvent pas nous laisser tranquilles ?

— Ils veulent vous empêcher de prévenir votre communauté.

Et il claque sa portière sans attendre notre réaction. Nous nous grouillons de remonter dans le fourgon. Michael s'arrête pour casser les feux arrières avec la crosse du fusil d'assaut. Kurt démarre dans l'urgence en faisant patiner les pneus sans faire gaffe à ce que nous soyons bien montés. Michael a sprinté comme un dingue pour nous rattraper. Sans mon aide il serait resté sur place.

Eugen nous r'garde, silencieux. Michael tente de dire quelque chose entre deux inspirations.

— Ils vont... nous attaquer... La République...

— Te fatigue pas, j'ai tout entendu.

Résigné, Michael s'assied dos à une des parois, face à Eugen.

C'est super chaud. Le massacre, Holzer qu'est mort, et maintenant la République qui risque de nous attaquer, on est mal barrés !

— Yvo, Billy s'est réveillé. Va voir comment il va.

Billy tourne la tête vers moi. Je l'éclaire par en dessous pour ne pas l'éblouir. Ses yeux sont à moitié fermés.

— C'est Yvo. Comment tu te sens ?

Ses lèvres bougent, mais aucun son ne sort. Il est encore sonné. Il peine à tenir sa tête droite à cause des vibrations.

— Depuis combien de temps...

— Pas longtemps, dix ou quinze minutes. Ta tête a tapé une caisse.

Il se touche le crâne puis examine la paume de sa main.

— Ça saigne plus, t'inquiète pas. T'as une grande plaie à l'arrière du crâne. C'est pas profond.

Il fait une moue sceptique, puis lentement regarde autour de lui.

— Comment être les autres ?

— Michael et Eugen vont bien. Phil s'est évanoui, il a le pied cassé.

— Au moins il pas souffrir. Et l'autre ? Le Michael pote ?

— Rudy ? Il est mort. Il a pris une balle qui a traversé le fourgon quand nous avons fui.

La nouvelle ne le touche pas, il s'en fout en fait.

Nous prenons un virage très serré et sommes tous projetés par terre comme des sacs à patates ! La manœuvre dure, les pneus crissent, nous sommes sur une boucle, un truc comme ça. Puis le véhicule se redresse et reprend une trajectoire rectiligne.

— On est sur l'autoroute. On va pouvoir les distancer.

— Personne derrière nous. Ils nous ont pas vus prendre la bretelle.

Alors qu'Eugen et Michael se félicitent d'avoir Kurt au volant, Billy se tient la tête.

— Ça va ?

— Faut pas que ce poursuite course durer longtemps. Qui conduit ? Hinrich ?

— Non. C'est un peu long à expliquer.

— J'ai tout mon temps...

*

Yvo se lance dans les explications. Cette crevure d'Hinrich qui tente de le tuer, Kurt qui lui sauve la vie, notre fuite, ma chute, les ambitions expansionnistes de la République... le merdier habituel. Si ce n'est que cette fois-ci le coût est particulièrement lourd.

Mon manque de réaction le surprend. Même s'il est très mature pour son âge, il manque encore de vécu en matière de perversité humaine. Mais je ne me fais pas de soucis pour lui, il vient d'avoir une excellente leçon. C'est le major qui avait raison.

J'ai soif.

— Tu as à boire ?

— Je... heu... non. Attends. Michael ?

Pendant qu'il me cherche de l'eau, de mon côté je tente de mettre la main sur mon arme. Elle est où ? Je suis sûr d'être monté avec.

— Où est mon fusil ?

— C'est moi qui l'ai.

La lui demander me fatigue déjà, alors d'un geste de la main je fais comprendre à Michael de me la rendre.

— Et s'ils nous poursuivent ? Il faudra bien se défendre. Vu ton état, ce ne sera pas toi.

— Alors prends celui de ton pote Rudy, il n'en aura plus besoin.

— Espèce de...

Il ne termine pas sa phrase, pas la peine. Ils me regardent tous, outrés par mon manque de respect. Michael me jette mon AK12 qui s'écrase bruyamment au sol juste à côté de moi. Je le soupçonne d'ailleurs d'avoir loupé son coup. Tout en baragouinant des mots exotiques en allemand, il ramasse l'autre fusil et se positionne à la vitre d'une des deux portes arrière du fourgon.

Yvo s'est assis face à moi. Il me regarde, trop.

— Quoi ?

Il sursaute, puis se décide à me parler, mais je ne capte pas la moitié des mots à cause du vacarme ambiant.

— Plus fort.

— Comment tu t'es retrouvé parmi nous ?

— Ce n'est pas le moment, Yvo, et je ne suis pas d'humeur.

— On aura peut-être plus d'autres occasions...

Sûrement, oui.

— Tu veux quoi ? Un conseil ?

Une embardée fait tomber Michael qui se relève aussitôt.

— J'essaye de te comprendre. On vient de s'faire massacrer par des faux alliés qui vont tenter de nous envahir, et ça te fait pas peur.

— Ma propre survie, avant tout. Il n'y a rien à comprendre d'autre, mon grand. Je respire encore, alors ça me va.

— Mais le sort de l'Union ne te préoccupe pas ?

— Tant qu'il est lié au mien, si.

— Mais si nous perdons face à la République, qu'est-ce que tu f'ras ? Tu partiras ?

— Soit ça, soit je m'accommode de leur politique si je peux en tirer parti et grappiller du Talium au passage.

Ma réponse le scie. Je l'avais prévenu que je n'étais pas d'humeur.

— Mais comment tu peux dire ça ? Regarde c'qu'on a accompli à New Town. C'est bien parce qu'on s'est tous unis que nous avons réussi.

Il est mignon avec ses étoiles dans les yeux.

— Va donc parler de réussite à Holzer.

— Mais ça n'a rien à voir !

— Tu as quel âge ?

La question l'exaspère.

— Bientôt 17 ans. Mais qu'est-ce que ça change ?

— Tu viens d'entamer ta première guerre. Si tu en ressors vivant, alors tu comprendras.

Mes paroles le laissent perplexe. Au moins il me fout la paix.

— Ils nous poursuivent toujours.

Eugen se relève pour vérifier les observations de Michael.

— Ils ont dû faire demi-tour après s'être aperçus que nous n'étions plus devant eux.

— Ils sont combien ?

— Toujours qu'une seule voiture, en approche.

Eugen traverse le fourgon en seulement trois foulées. Il frappe contre la paroi du fond.

— Plus vite ! Ils sont sur nos fèerzeun !

Notre chauffeur lui répond à travers la tôle, mais je ne comprends pas un mot, le son est trop étouffé.

L'habitacle se remplit lentement de lumières à mesure que les phares de nos poursuivants se rapprochent. Kurt rétrograde d'un rapport pour gagner en reprise, mais rien à faire, on perd du terrain.

Michael casse la vitre de l'une des portes avec la crosse de son fusil et sort le canon à l'extérieur. Il tire une petite rafale. Enfermé dans cette boîte de conserve, le son rebondit sur les parois métalliques, résonnant durant de longues secondes après le dernier tir. Assourdissant.

— Ne gaspille pas nos munitions.

— Il a raison, Micha, attends qu'ils se rapprochent, tu n'as rien touché là.

Nos poursuivants n'ont pas ralenti. Ils sont encore trop loin pour que nos tirs puissent être une menace. Debout, appuyé contre la porte, le quarantenaire grincheux attend le bon moment pour à nouveau ouvrir le feu. À l'arrière d'un fourgon lancé à vive allure, en pleine nuit avec des phares en pleine tronche, difficile d'ajuster, d'autant plus qu'il doit constamment lutter pour ne pas tomber.

Un tir lointain s'écrase contre la tôle ! Du petit calibre, suffisant pour faire baisser la tête à tout le monde.

Michael se relève.

— Bande d'enfoirés !

Cette fois il n'hésite pas. Sous pression, c'est plusieurs rafales qu'il lâche sur nos poursuivants. Je pose mes mains sur mes oreilles. Mes tympans vont exploser. Les pneus crissent et la lumière vacille, ce con a dû les toucher.

Plusieurs impacts criblent l'arrière du fourgon !

La deuxième vitre vole en éclats !

Accroupi, l'ancien policier lève son arme au-dessus de lui et tire au jugé. Mon cœur s'emballe et résonne dans ma cage thoracique.

— J'ai plus de cartouches !

— Ça ne sert à rien, tu es trop mauvais. On va leur balancer des caisses.

— Bonne idée.

Eugen met aussitôt son plan à exécution. Yvo l'imite. Ils se rapprochent tous les deux des portes arrières. Michael se tient prêt à les ouvrir.

Bref moment d'hésitation.

— Vas-y !

Dans un mouvement ample et énergique, le quarantenaire pousse sur les deux portes qui s'ouvrent violemment. Nous sommes soudainement inondés de lumière, et le vent s'engouffre dans l'habitacle. Eugen et Yvo lancent tous les deux leurs caisses sur la route. Le conducteur n'a pas le temps de réagir. Deux lourds impacts retentissent, puis des crissements de pneus déchirent la nuit. La lumière vacille et perd en intensité. Ils ont ralenti.

— On continue, il faut leur faire quitter la route.

Une nouvelle série de caisses est expulsée du fourgon. Cette fois la voiture parvient à les éviter dans de violentes embardées qui font hurler ses pneumatiques.

— On n'a plus rien à leur balancer.

— Billy, passe-nous ta kalash !

— Pour que tu gaspilles toutes MES munitions ?

— Tu fais chier !

— Arrête tes conneries, Billy.

Quelques tirs lointains retentissent ! L'un d'eux touche le fourgon ! Tout le monde se couche une nouvelle fois.

— Billy, si tu ne veux pas nous la passer alors fais quelque chose !

Je suis encore sonné par ma chute. Ma tête tourne et je sens que mes bras ne pourront pas soulever mon arme, et encore moins la soutenir si je tire avec. Et je ne parle même pas des secousses.

Sans un mot, je pose donc mon fusil au sol et le fais glisser vers eux, à contrecœur. Tout le monde est soulagé. Michael ramasse l'arme puis s'agenouille et colle son épaule droite contre la paroi pour se stabiliser. Il tire quelques rafales mais ne touche a priori rien.

— Je n'ai qu'un seul chargeur de rechange, alors doucement sur la gâchette. Attends qu'ils soient plus près.

Kurt fait d'autres embardées. Par endroits, l'autoroute est encombrée de véhicules abandonnés, surtout à la hauteur des sorties. Nous n'avons pas encore été bloqués jusqu'à présent, mais si ça devait arriver il faudra faire mouche au tir.

La voiture se rapproche. Michael attend encore le bon moment. Il y a tellement de vibrations qu'il risque encore de les louper.

Une série de coups de feu retentit à nouveau, plus proche que la dernière fois. Tout le monde est déjà à plat ventre, sauf Michael qui reste concentré et attend toujours le bon moment. Il tire ! Un phare s'éteint. Touché. En face ça réplique, trois coups, les trois au but, dont l'un sur Michael. Il vacille. Eugen se précipite vers lui, mais trop tard. Michael bascule dans le vide et s'écrase sur la route, et avec mon fusil. Nos poursuivants ne cherchent pas à l'éviter. Le phare restant garde la même trajectoire. Un premier sursaut le fait disparaître une demi-seconde, puis un deuxième. Ils ont gaspillé moins de munitions que nous.

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