Chapitre 23.1 - Attrayante est la fuite, admirable est la lutte
Bientôt deux heures que nous sommes partis tous les trois, Joost, moi et ce Hinrich Jürgen, ancien avocat reconverti aujourd'hui en diplomate officiel du major Klein.
Il y a presque deux mois j'escortais déjà le Hollandais en compagnie de Tanya, direction New Town à l'époque. Cette fois-ci, nous nous en éloignons et marchons plein est pour rejoindre Peterstal, environ cinq heures à pied, et toujours cette même configuration en trio, si ce n'est que la Britannique n'est plus là pour faire la conversation à Joost.
J'ai beaucoup de mal à cerner ce Hinrich. Les présentations avant de partir tout à l'heure ont été aussi concises que cordiales, et nos échanges depuis que nous marchons sont rares. Cette situation m'irait très bien si je n'avais pas autant de questions qui se bousculent dans la tête. Depuis que Joost est venu me chercher à cinq heures ce matin je sais seulement que je sers d'escorte à ces deux-là pour une rencontre diplomatique à Peterstal et que nous allons faire l'aller/retour dans la journée.
Le cartographe marche devant, en silence. Il n'a pas dit un mot depuis vingt bonnes minutes, trop occupé à bidouiller son GPS depuis que nous avons une nouvelle fois perdu le signal satellite. Il n'y a pourtant pas lieu de s'affoler, le dernier avant-poste n'est qu'à une heure derrière nous. Sauf que, même si Joost a déjà écumé la région en long et en large, perdre ce signal satellite l'angoisse, c'est même sa deuxième source d'anxiété après le manque de Talium, la perte totale et définitive des signaux GPS.
Peu de gens en ont conscience, mais là-haut également ça a chauffé en 2037. Pendant que nous nous battions sur Terre, une guerre silencieuse et impitoyable faisait rage au-dessus de nos têtes, dans la stratosphère et au-delà. Les satellites militaires s'affrontaient à coups de lasers à haute densité, soutenus par quelques escadrilles de chasseurs suborbitaux, les premières d'un tout nouveau corps d'armée chargé de la défense spatiale. L'enjeu de ces combats ? Les satellites de communication, de géolocalisation et bien entendu, espions. Pour les deux camps, l'objectif était de rendre l'ennemi sourd, aveugle et muet, et une fois encore, nous avons été pris de vitesse. L'Alliance avait anticipé cette guerre des étoiles hautement stratégique et a fait en sorte de rendre son armée moins dépendante de ces technologies. Alors que nous étions formés à communiquer avec les dernières techniques de pointe et à nous orienter via les nouveaux bracelets-GPS, nos adversaires, eux, apprenaient également le réglage des radios à ondes courtes et l'utilisation du bon vieux combo carte-boussole. Cette préparation s'est avérée capitale lorsque la couverture satellite a commencé à s'amoindrir. C'est comme ça que des bataillons entiers se sont retrouvés coupés du monde pendant de longues minutes, parfois plus d'une heure, une éternité lorsque l'on considère le rythme effréné de cette guerre de mouvement sur-vitaminée. Par chance, il reste assez de satellites là-haut pour assurer une couverture suffisante à nos besoins. Pourtant, à chaque perte de signal, Joost se pétrifie, comme si plus rien n'avait d'importance.
Nous traversons une petite ville au sud de Schriesheim qui semble complètement abandonnée. Joost le savait, c'est pourquoi il l'a planifiée sur son itinéraire, pour prendre le moins de risques possible. Pour autant, Hinrich ne semble pas rassuré. Sûrement sa première sortie en-dehors des murs de New Town. Lui qui faisait partie des abrités dans le bunker, c'est comme s'il découvrait un nouveau monde dont il n'aurait entendu que d'horribles histoires.
Hinrich, justement, se rapproche de moi.
— Billy, je me demandais, êtes-vous déjà allé à Peterstal ?
Voix basse, regard fixé sur Joost marchant devant nous, il me fait part de ses inquiétudes et souhaiterait que ça reste entre nous.
— De ce que j'en sais, nous sommes les premiers.
— Ah.
— Ne vous inquiétez pas, Joost connaît très bien la région.
— Oh, ce n'est pas ça qui m'inquiète...
Il en reste là, sans aller au bout de sa pensée, me laissant avec ses trois points de suspension. C'est au moins la troisième fois qu'il me fait le coup depuis notre départ.
— Si ce n'est pas notre itinéraire qui vous rend nerveux, alors c'est quoi le problème ?
— Il n'y a pas de problème. Et vous dites n'importe quoi, je ne suis pas nerveux.
— Si, vous l'êtes.
Pas de réponse.
Ce n'est jamais bon de marcher aux côtés d'un angoissé. Qui sait ce qui pourrait lui passer par la tête en cas d'urgence ou d'imprévu ? Cet homme a besoin de se détendre. Pas que je souhaite spécialement discuter avec lui, mais si ça peut aider à lui faire oublier son stress, tout en lui extorquant quelques infos, joindre l'utile au désagréable.
— Dites-moi, Hinrich, qu'est-ce que vous connaissez du Gang de Peterstal ?
— Uniquement ce que le major a bien voulu m'en dire.
— Alors pourquoi a-t-il fait appel à vous en particulier ?
— Il lui fallait au moins une personne de confiance pour le représenter.
— Au moins une ? Je vois...
Il prend aussitôt conscience de ses mots vexants.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Comme vous le savez, j'étais avocat. Faire passer un message est une seconde nature chez moi, et comme je parle le français, l'anglais et l'espagnol, en plus de l'allemand, bien évidemment, je peux faire face à tout type de situation.
— Je n'ai pas dû entendre de l'espagnol depuis mon départ de Los Angeles. Donc je ne pense pas que ça vous sera très utile. Mais si le major vous fait confiance...
— Disons plutôt qu'il a fini par admettre que je peux être utile à la cause. Je vais enfin pouvoir m'élever dans cette société sordide.
Devant nous, Joost reste imperturbable, toujours concentré sur son bracelet-GPS.
La journée va être longue, alors autant la rendre plus instructive.
— J'ai une question pour vous. Quand et comment s'est organisée cette rencontre ?
— Ça fait deux questions il me semble.
Et vas-y que je te prends de haut. Vraiment pas simple à cerner ce type.
— Pour tout vous dire, cette rencontre résulte d'un concours de circonstances. Tout commence au moment où nous perdons le Point d'eau. Quatre de nos soldats sont morts en le défendant.
— Oui, je connais l'histoire, j'ai participé à la reprise du site.
— Vraiment ? Alors je ne vous apprends rien en vous disant qu'en fait deux de nos hommes ont survécu.
Je n'ai jamais entendu parler de survivants.
— À voir votre tête, j'en conclus que cette partie de l'histoire vous est belle et bien inconnue. Ne vous inquiétez pas, peu sont au courant. Ces deux hommes, blessés, ont donc été capturés et envoyés à Peterstal. Pendant plus d'un mois nos deux militaires sont retenus prisonniers par le Gang sans que nous le sachions. Ils les maintiennent en vie pour obtenir des informations sur nous et les garder sous la main des fois qu'ils aient un jour besoin d'une monnaie d'échange. La semaine dernière, un de nos avant-postes repousse une attaque et fait quatre prisonniers. L'un d'eux nous apprend que Peterstal retient deux de nos hommes. Voulant les récupérer, le major se dit qu'il pourrait faire d'une pierre deux coups. Il renvoie donc le prisonnier bavard pour faire passer un message, et après quelques allers-retours du coursier, nous voici en route pour la première rencontre.
— Joost ne m'a pas prévenu que nous allions rentrer à cinq.
— Parce que ce ne sera pas le cas, tout a déjà été arrangé. Le Gang nous a renvoyé nos hommes en guise de bonne foi, il y a deux jours.
— Mais il n'y a donc pas eu d'échange de prisonniers ?
— Effectivement, nous détenons toujours les trois qui n'ont pas voulu causer. Notre preuve de bonne fois à nous la voici.
D'un geste ample de la main, il nous désigne tous les trois.
Je me demande comment le major en est venu à nousfaire confiance pour une tâche aussi importante. Cet Hinrich a sûrement lescompétences requises, mais Joost et moi dans une délégation diplomatique, jetrouve ça surprenant. Je comprends que le major n'y aille pas lui-même, beaucouptrop risqué, mais nous ? Alors je ne parle pas pour ma pomme, je ne suis qu'unpion sacrifiable dans cette histoire, mais il prend tout de même le risque deperdre deux de ses pièces maîtresses qui pourraient servir de monnaied'échange.
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