Chapitre 22.3 - Le passé reviendra, exigeant l'expiation
— Personne ne peut vous forcer à accepter l'offre du major, mais soyez raisonnable. Songez un peu à ce que vous pourriez apporter à New Town. Je suis persuadé qu'ils finiront tous par oublier vos actes passés. Et de vous à moi, vous serez plus utile à mes côtés plutôt qu'à former de nouvelles recrues.
Regard assassin. Le major n'apprécie pas du tout les sous-entendus du Hollandais. Mais il prend sur lui. Voilà qui en dit long sur leur relation, collaboration contrainte, pour le bien de tous.
Je suis maintenant dos au mur. Ils me regardent tous les deux, silencieux, attendant ma réponse. L'un semble confiant, l'autre commence à s'impatienter sérieusement.
— Alors ?
— Je peux poser mes conditions ?
— Non. Vous n'êtes pas en position de négocier. Mais si elles concernent le Talium, sachez que vous serez rémunéré.
— Et le job ?
Long souffle d'agacement.
— Rien de nouveau par rapport à ce que vous avez fait pour arriver jusqu'à New Town. Surveiller les alentours, les gens, Joost, et vous placer entre lui et les balles qui pourraient fuser le cas échéant.
Charmant.
— Donc, escorter Joost, seulement ?
— Si ça ne vous intéresse pas, j'ai une liste longue comme le bras d'autres pauvres types comme vous qui ne prendront pas la peine de réfléchir.
Dans ces conditions...
— Très bien, j'accepte.
— Évidemment !
Il n'y a vraiment que Joost pour afficher un tel optimisme dans ce genre de situation.
De son côté, le major semble soulagé.
— Voilà une urgence de moins à traiter.
— Une urgence ? Je moisis ici depuis trois jours tout de même.
Klein me regarde, la bouche à moitié ouverte, étonné par ce que certains pourraient considérer comme de l'insubordination.
— Je ne parlais pas de vous, en tout cas pas directement. Cet entretien, et votre acceptation, me permet de solutionner un problème, bien que vous en soyez un à part entière.
Il s'arrête pour jeter un rapide coup d'œil à sa montre.
— Maintenant je dois vous laisser, on m'attend. Je compte sur vous pour régler le problème du Gang de Peterstal.
Et il s'en va précipitamment, sans se retourner, claquant la porte derrière lui.
— Qu'est-ce qu'il a voulu dire par « régler le problème » ?
— À votre avis, pourquoi ai-je tant besoin de votre assistance ? Il m'a chargé de mettre un terme aux agissements du Gang.
— Attendez, vous ? Nous ?! Je ne vois pas comment NOUS pourrions « y mettre un terme ». Je ne suis pas une machine de guerre. Encore moins dans mon état.
Il me regarde fixement, perplexe. Puis un léger rictus naît sur son visage.
— Vous voulez dire que... vous croyez qu'à nous deux on va...
Il éclate de rire. Malaise et incompréhension de mon côté.
— Vous vous méprenez, on ne part pas faire la guerre, on part y mettre un terme, du moins avec le Gang. Mais je vous expliquerai tous les détails demain en chemin.
— Parce qu'on part dès demain ?
— Oui, et de bonne heure. Je viendrai vous chercher dans vos quartiers à cinq heures zéro zéro.
Fier de la stature que lui donne cette mission, semble-t-il importante, il se dirige à son tour vers la sortie.
— Donc je sors aujourd'hui de l'hosto ?
— Oui, quelle question. Vous sortez dès maintenant. À moins que vous ne souhaitiez demeurer une nuit de plus dans ce mouroir.
— Trois jours que je suis ici et que je prie pour en sortir.
— Tant mieux, parce que le docteur Engels nous bassine depuis aussi longtemps pour qu'on le débarrasse de vous, je cite. Enfermé dans cette chambre je ne vois pas en quoi vous avez été un problème pour lui, mais enfin.
Cet homme a un vrai souci avec les relations humaines.
— À demain donc. Et essayez de dormir, histoire de faire passer cette sale mine, ce serait un plus pour demain.
Pas le temps de lui demander davantage de précisions sur notre programme de demain, il est déjà parti, me laissant seul avec mes questions et la porte grande ouverte sur l'extérieur et mon avenir.
récupérées juste avant ma sortie de l'hôpital.
Entre ceux qui savaient qui j'étais et ceux dont ma tronche déformée les interpelait, tous les regards étaient braqués sur moi. Je me suis donc emmitouflé au maximum, capuche et col remonté, pour ne pas être reconnu dans la rue. Je ne suis pas passé inaperçu en pleine après-midi, mais je suis resté incognito jusqu'à arriver à mon bâtiment. Là, dans les couloirs et les escaliers, les rares personnes que j'ai pu croiser se sont retournées. En tant que voisin, je pense qu'eux m'ont reconnu, mais il n'y a pas eu d'histoire, pas même un mot, seulement des regards de travers.
Je suis maintenant chez moi, allongé sur mon lit, seul. J'ai fait un point sur mes affaires en arrivant. Tout était là, même mon fusil. Personne n'a profité de mon incarcération pour me dévaliser.
J'ai essayé de dormir, mais impossible, je cogite trop. Les trois derniers jours passés à tourner en rond, cette mission d'escorte dès demain matin dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants, la seconde chance que m'octroie le major... Pourquoi d'ailleurs ? Si je suis tant un problème aux yeux de Klein, qu'est-ce qui le motive tant à me remettre aussi vite au travail ?
Une porte claque, celle d'un meuble. Je sursaute dans mon lit.
C'est Akram qui range ses affaires dans son armoire. Je regarde ma montre. J'ai finalement réussi à m'assoupir, dix minutes.
Le Syrien ne me décroche pas un mot, à peine s'il me regarde. Il y a comme un malaise. Les rumeurs sur moi ont tourné dans toute la ville, en voici l'une des conséquences. Lui qui m'expliquait tout ce qu'il savait sur New Town et qui m'offrait ma première brochette, voilà que je suis devenu un parfait inconnu, un inconnu dangereux qui plus est, dont il faudrait se méfier.
Malgré ses réticences, je sens que sa curiosité le titille. Je le vois à son regard qui se pose régulièrement sur moi. Et ça commence à m'énerver, j'ai l'impression d'être un nuisible.
— Vas-y, pose-moi ta question.
Il ne s'attendait pas à ce que je réagisse. Figé, il hésite un instant. Puis il reprend le pliage de ses vêtements propres.
— C'est... c'est vrai ce qui se raconte sur toi ? À propos de la femme de Johan ?
— Oui. Oui, c'est vrai, c'est bien moi.
Pas de réaction. Le pliage de linge continue.
— Et qu'est-ce qui se dit d'autre sur moi ?
Sans lever la tête, il cherche à formuler une réponse.
— Pas mal de choses. Tu sais comment c'est, les rumeurs... On peut entendre tout et n'importe quoi. Je suis bien conscient que la plupart sont fausses, il n'y a qu'à te connaître un minimum pour le savoir. Mais globalement, tu aurais tué sa femme sous les yeux de ses enfants pour les dépouiller avant de fuir.
— Eh bien laisse-moi t'apprendre que même la version soft des rumeurs présente des erreurs. C'était un accident. Je me rendais à Nonnweiler avec d'autres personnes lorsque nous sommes tombés sur des gens qui se faisaient attaquer par des pillards. Dans la nuit, alors que ça tirait et criait de partout, je l'ai prise pour l'un d'eux. Et si j'ai fui c'était sur le coup de la panique, parce que les types avec qui j'étais à ce moment-là auraient pu me tuer pour ça.
Il m'écoute, sincèrement, sans jugement.
— Il n'a jamais été question de voler qui que ce soit. Je l'ai tuée par accident et fui juste après pour ma survie. Et je savais les gosses en sécurité avec ceux de mon groupe.
— Donc tu ne voulais pas non plus kidnapper les enfants ?
— Mais non ! Bien sûr que non !
— Voilà une autre rumeur qui ne tient pas la route, je le savais.
Il esquisse un léger sourire.
— Je comprends. Je comprends ton histoire, mais aussi la souffrance de Johan et de ses enfants.
— Tu serais bien le premier.
— Et il est là le problème, c'est symptomatique de notre société, actuelle comme passée. Un fait divers éclate, les gens s'en emparent puis prennent position pour condamner telle ou telle partie de l'affaire, sans en connaître les détails, seulement les gros titres. Personne n'attend de jugement alors que tout le monde réclame justice, elle est où la logique ? Le pire, c'est que ces opinions sont fondées sur des rumeurs, des on-dit, sans même connaître les protagonistes.
— N'empêche que je dois me déplacer à visage couvert.
— Parce que Johan te l'a arrangé. C'est comme marcher dans la rue avec une pancarte, tout le monde peut savoir que c'est toi. Mais en réalité, je t'assure que peu savent à quoi ressemble la tronche de Billy Allen, la vraie tronche je veux dire, celle sans hématome.
— Merci.
— Ne t'y trompe pas, je défends la justice. Que tu plaides coupable est une bonne chose, c'est du moins un premier pas, il n'en reste pas moins que, même accidentellement, tu as tué cette femme.
Voilà qui est franc.
— Je ne vais pas t'accabler davantage, mais je suis étonné de te voir en liberté.
— J'ai plus ou moins été relâché sous condition, par le major Klein lui-même. Je suis maintenant rattaché à la protection de Joost. Le major veut me garder sous la main tout en évitant que je traîne ici.
Akram affiche une moue d'approbation.
— Tu t'en sors bien.
— Et votre formation des nouvelles recrues avec Erich ?
— Ça démarre bien. On a une petite quarantaine d'hommes et de femmes à entraîner. Pour l'instant c'est surtout exercices physiques et enseignement militaire de base.
Et le voilà lancé à me raconter comment ils ontsélectionné les nouvelles recrues parmi les volontaires sous la supervision ducaporal Flegel. Fier et passionné, en voilà un autre qui a trouvé sa place dansla société. Une fois encore, je suis passé à côté de quelque chose.
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