Chapitre 22.2 - Le passé reviendra, exigeant l'expiation

Bientôt trois jours que je suis enfermé dans cette chambre. Un vrai prisonnier politique. Ils ont au moins eu la gentillesse de m'ôter mes liens, c'est déjà ça.

Mes journées sont rythmées par mon plateau repas, mon changement de pot de chambre – un simple seau en plastique – et le médecin qui vient quotidiennement vérifier mon rétablissement. Je ne doute pas de son implication, vu qu'il ne rate jamais une occasion de me signifier à quel point il a hâte de me voir partir. Plus vite soigné, plus vite débarrassé. En-dehors de ces rares instants, je reste seul à tourner en rond dans ma petite chambre individuelle. M'évader ? Je pourrais, mais pour aller où ? Surtout avec une gueule pareille, impossible de passer inaperçu. De toute façon, s'ils avaient l'intention de me tuer, ils ne prendraient pas la peine de me soigner avant. Je dois donc prendre mon mal en patience en attendant de savoir ce qu'ils comptent faire de moi.

Les journées sont interminables. Je dors, puis me lève pour me dégourdir les jambes, regarder par la fenêtre, écouter ce qui se passe dans le reste de l'appartement, avant de retourner me coucher. Les paroles de Tanya résonnent constamment dans ma tête, elles m'occupent l'esprit et me font réfléchir. Elle a réussi à m'atteindre, à traverser ma carapace, un exploit que peu ont réalisé jusqu'à présent. Je me suis mis à dresser un court bilan de ma vie, à réfléchir à mes actes, et à faire le point sur moi-même. Je ne remets pas en cause mes choix passés, ils m'ont tout de même permis de survivre jusqu'à aujourd'hui, mais je commence à douter de moi, du sens même de mon existence. Depuis que j'ai posé le pied sur ce foutu continent, j'ai toujours vécu au jour le jour, que ce soit sur le champ de bataille, dans les rues en proie au chaos, ou embusqué le long des routes. Mon unique obsession était de rentrer au pays, auprès de ma famille. Mais aujourd'hui ? Maintenant que j'ai accepté mon sort, quel est mon but ? Après quoi je cours ? En s'investissant dans la vie de New Town, Tanya a atteint le but qu'elle s'était fixé, donner un sens à la sienne, d'existence. Elle a trouvé sa place parmi ces gens. Mais moi, quelle peut bien être la mienne, de place ? Maintenant que ma vraie nature d'impitoyable opportuniste a été révélée au grand jour, quel futur m'accordera-t-on ? En ai-je au moins un ?

Le tintement métallique d'un trousseau de clé me sort de mes pensées. Claquement distinctif du déverrouillage du loquet, immédiatement suivi par l'ouverture énergique et entière de la porte. En deux foulées, le docteur Engels entre dans la chambre et se place au pied de mon lit tout en me désignant d'un geste dédaigneux, comme pour montrer les dégâts d'un vulgaire accident domestique.

— Le voilà.

À la porte, quelqu'un passe la tête pour jeter un œil à l'intérieur. C'est Joost. Assuré qu'il s'agit bien de moi, il entre d'un pas ferme.

— Bonjour, Billy. Malgré les circonstances, je suis content de vous revoir, ça faisait longtemps.

Je le salue, sans trouver quoi lui répondre. Je ne m'attendais pas à sa visite.

Derrière lui, un militaire fait également son entrée. Un quinquagénaire, portant des lunettes, rasé de près, les cheveux blancs et courts, une tête de moins que le Hollandais, environ ma taille. Paye pas de mine la nouvelle escorte de Joost.

Le médecin fait un compte rendu, en allemand, évidemment, ils ne vont quand même pas faire un effort pour moi. D'après le ton, les gestes et les quelques mots que je comprends, les nouvelles semblent bonnes, rien de neuf donc.

Aussitôt les explications terminées, il se dirige vers la sortie et ferme la porte derrière lui. Il n'a pas une seule fois daigné me regarder, comme s'il voulait s'éviter la pénible vision de quelque chose qui le dégoûte.

Joost s'assied sur la chaise près du lit, tandis que le militaire s'adosse à l'armoire, les bras croisés, l'air sévère, me dévisageant du regard comme si j'étais une bête de foire. Sans déconner, faut-il que je sois dangereux au point qu'il faille fournir une escorte à Joost pour venir me rendre visite ?

— Dites donc, il ne vous a pas raté à ce que je vois.

Bienveillant, Joost inspecte mon visage avec une expression qui alterne entre douleur et admiration du travail bien fait.

— Oui, Johan a bien bossé.

— Vous ne l'avez pas volé à ce qu'on dit.

Son ton léger tranche avec les raisons même qui m'ont amené jusqu'ici. C'est comme s'il considérait les événements comme une simple bagarre où les seuls enjeux étaient de mesurer la force et l'orgueil des deux protagonistes. Même si je suis habitué au détachement du personnage, c'est à chaque fois déstabilisant.

— En tout cas, je constate que vous êtes déjà en forme, un vrai dur à cuire.

Vraiment déstabilisant.

Pendant ce temps, le militaire, qui ne m'a pas lâché du regard, commence déjà à perdre patience. Encore un qui ne voulait pas faire du « baby-sitting ».

— Bien que votre rétablissement me réjouisse, vous devez bien vous douter que nous ne sommes pas venus pour simplement prendre de vos nouvelles.

— Nous ?

Regard gêné. Joost ne comprend pas ma question. Il se tourne vers le militaire, un poil exaspéré, avant de me regarder à nouveau.

— Oui, nous. Moi et le major Klein.

Des mois que j'entends parler du chef de New Town, de la ville qu'il a créée, des initiatives qu'il a prises et des responsabilités qu'il doit assumer. Des semaines que son aura plane dans les conversations autour de moi, que j'entends toutes sortes de choses sur son caractère, son management ou son autorité. Des jours que je croise partout son empreinte, que ce soit dans l'organisation ou les règlements, tout ça sans jamais l'avoir croisé, et voilà que le jour où enfin je le rencontre, je suis incapable de reconnaître le major Klein. L'image que je m'étais faite de lui est assez éloignée de la réalité, mais le charisme qu'il dégage tend à confirmer tout ce que j'ai pu entendre sur lui. Comment ai-je pu passer à côté ? Même ses galons sur les épaules de sa veste m'auraient immédiatement mis sur la voie si j'avais un tant soit peu pris la peine de les regarder.

Joost reste toujours perturbé par mon étonnement.

— Vous ne vous étiez jamais rencontrés ?

— Non, Joost, il me semblait pourtant te l'avoir dit, lance le major, exaspéré. Mais passons. J'aurais aimé que ce soit dans d'autres circonstances, Billy, mais votre passé vous a finalement rattrapé.

Sa voix, calme et légèrement rocailleuse, inspire immédiatement le respect. Son anglais est parfait, grammaire, vocabulaire, accent... Il n'a rien à envier au Hollandais.

— C'est un plaisir de pouvoir enfin vous parler, Major.

— « Plaisir », nous verrons bien. Je vais aller droit au but. Si vous êtes encore vivant à cette heure, ce n'est pas grâce à moi, en tout cas pas directement. Je dirige peut-être la ville, mais j'ai dû déléguer une partie de mes responsabilités à Wilhelm Falchenbach, responsable de l'autorité civile. En mon absence, c'est lui qui commande, et heureusement pour vous, malgré le large champ d'action que je lui ai accordé, je me suis gardé le privilège d'être le seul et unique décideur des peines à appliquer. Sans ça, nous n'aurions pas cette conversation.

— Alors, merci.

— Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas moi qu'il faut remercier. Après la récupération du Point d'eau, le sergent Holzer a souligné vos remarquables compétences. Quant à Joost, il considère que vous avez été tout simplement la meilleure escorte qu'il ait pu avoir depuis le début de ses périples. Si vous tenez à remercier quelqu'un, vous savez maintenant à qui vous adresser.

D'un signe de la tête, j'exprime toute ma gratitude à Joost.

— Très franchement, ce que vous avez fait subir à cette famille est terrible, largement condamnable même, mais ce n'est pas mon problème. Nous avons tous porté un jour ou l'autre le deuil d'un proche, et nous le ferons encore. Mais ne vous faites pas d'illusions, Billy, votre sort m'importe peu. Vous savez, il n'y a guère que vos aptitudes à combattre et à survivre qui ont pesé dans la balance.

Impassible, visage ferme et regard perçant à travers ses lunettes, une voix posée, laissant le temps à chaque mot d'être parfaitement réfléchi puis articulé, j'expérimente pour la première fois l'autorité naturelle que le major peut exercer sur son entourage.

Allongé, je reste muet, comme un élève attentif au discours de début d'année de son nouvel enseignant.

— Vos compétences sont trop précieuses, je vous laisse donc une chance de vous racheter. Sur demande de Joost, je vous rattache donc à sa protection rapprochée. À ce titre, vous devrez l'accompagner et le protéger à chacune de ses sorties de New Town. Il devient également votre supérieur direct.

— Et qu'est-ce que je fais lorsqu'il n'est pas en mission ?

Klein décolle son dos de l'armoire et s'avance lentement vers le bout de mon lit, tête baissée. Il cherche ses mots.

— Pour le bien de tous, Wilhelm a fait enfermer Johan depuis votre altercation. Le maîtriser n'a apparemment pas été facile et ces quelques jours de captivité ne l'ont pas calmé, bien au contraire. Johan est très apprécié par la communauté et votre histoire s'est rapidement répandue. L'opinion générale n'est pas en votre faveur, loin de là, et son incarcération indigne beaucoup de monde, pour ne pas dire toute la ville. Vous comprendrez donc que cette situation ne peut plus durer. On sait tous ce qui se passera dès que vous vous croiserez, et je ne peux pas le permettre.

Il marque une pause, le temps que je prenne pleinement conscience du message qu'il veut me faire passer. Joost, lui, reste concentré sur notre échange, à moins qu'il planifie dans sa tête sa prochaine expédition.

— Voilà pourquoi, lorsque Joost séjournera ici, vous serez réaffecté à l'extérieur. Ça pourra être au Point d'eau, à l'un des avant-postes ou une autre mission d'escorte, mais pas en ville. Dès que vous sortirez de cette chambre, ce qui ne va pas tarder, vous serez interdit d'entrée à New Town.

— Mais qu'est-ce que j'y gagne si je suis banni ?

Tout en gardant les bras croisés, le major se frotte le menton avec sa main droite.

— À quand remonte votre dernière prise de Talium ?

Merde, c'est vrai. Ça fait longtemps.

— Je ne sais plus, un bon moment.

Petit sourire en coin, presque mesquin.

— Ne vous faites donc pas d'illusion. D'ici quelques jours, vous ne vous poserez plus aucune question quant à ma proposition, mais il sera alors trop tard. Ne me faites pas perdre mon temps, acceptez maintenant ou je vous expulse immédiatement et définitivement de ma ville, dans le meilleur des cas...

Il n'y a pas à dire, lui aussi sait commentm'atteindre. 

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