Chapitre 18.2 - Et à la fin trouver une cause à rallier

J'emboîte le pas de notre chef de groupe qui court en direction du site suivant, le n°4 donc, droit devant nous. Le bruit de mes lourds pas percutant le sol est régulièrement couvert par celui des combats. Baumann arrive au niveau de la plus petite des maisons du site n°4. Il s'adosse violemment contre le mur le plus proche, son HK G36 contre la poitrine, canon dirigé vers le sol. Tout en regardant autour de lui, il nous fait signe de le rejoindre. Mais avant d'arriver à sa hauteur, il s'excite subitement en agitant sa main de haut en bas pour nous faire stopper. Puis, d'un doigt posé sur sa bouche, il nous fait comprendre que nous ne sommes pas seuls. Lentement, Tanya et moi nous rapprochons et nous alignons dos au mur aux cotés de Baumann, la jeune anglaise inexpérimentée entre nous deux.

Des hurlements résonnent derrière la maison. Un petit groupe s'agite dans la cour au milieu des bâtiments.

Baumann attire mon attention.

— Vous deux attendre moi attaque.

Quoi ?

— Quand moi parti, toi, et elle, partir.

Bordel ! Mais qu'est-ce qu'il raconte ?

Constatant qu'il n'y arrivera pas avec la parole, Baumann se lance dans une série de gestes pour coordonner nos actions, ce qui est nettement plus clair. Attaque simultanée ; de part et d'autre de la maison ; Tanya et moi de notre côté ; lui de l'autre ; attaque à son signal.

J'acquiesce.

Le caporal longe le mur pour aller se mettre en place. Tanya me regarde, complètement larguée. C'est peine perdue que de lui exposer la manœuvre, elle n'a pas le vocabulaire, et ses mains tremblent tellement qu'elle menace de lâcher son pistolet à chaque instant.

— Range ça.

— Pourquoi ?

— Je ne tiens pas à prendre une balle dans le dos. Range ça et reste ici, je t'appellerai.

Elle n'est pas d'accord, mais ne proteste pas.

Un coup de feu ! Des cris !

C'est le signal. Baumann est déjà passé à l'action.

Arme à l'épaule, je longe le bâtiment.

Un homme surgit au coin du mur, fusil de chasse à la main ! Face à face, d'abord stupéfaits par la surprise, nous levons nos armes en même temps, mais je tire le premier. Touché au torse, l'homme s'effondre sur le dos.

J'avance et m'accroupis au coin du mur.

D'autres cris, suivis d'autres tirs.

Je jette un rapide coup d'œil de l'autre côté. Personne. Je bondis et avance en direction de la cour où deux autres corps gisent déjà. Baumann bosse bien. Des bruits de verre cassé et de meubles renversés s'échappent de la maison que je viens de contourner. Ça lutte à l'intérieur. Deux types armés de haches sortent de la bâtisse d'en face, de l'autre côté de la cour, et foncent prêter main forte à leurs camarades en lutte contre Baumann. Ils ne m'ont pas vu. Je m'accroupis, inspire, bloque mon souffle et tire une rafale de trois cartouches sur le plus proche des deux. Il s'effondre, touché à la jambe. Le deuxième, surpris, me repère et comprend immédiatement qu'il ne peut rien faire. Il lâche son arme, s'agenouille et mets les mains sur la tête. Mon AK-12 en joue, je m'avance vers lui en surveillant les fenêtres. Les bruits dans la maison ont cessé. Baumann sort en poussant une femme dans le dos. Il s'avance vers les deux hommes que j'ai maîtrisés au milieu de la cour et fait s'asseoir la femme à leurs côtés. Puis il se penche pour leur parler. Celui blessé au sol n'exprime que des râles de douleur, l'autre lui répond d'un signe négatif de la tête puis désigne une direction.

Tanya nous rejoint, arme au poing.

— Je t'avais dit d'attendre que je vienne te chercher !

— Eh bien maintenant je suis là, affirme-t-elle, des trémolos dans la voix.

Pendant ce temps, Baumann ordonne aux prisonniers de porter leur camarade blessé jusqu'à la première maison. Toujours sous le choc, ils obéissent. Puis notre chef d'équipe vient vers nous.

— Pas tuer si vous pouvoir faire prisonnier. Okay ?

Il tend à Tanya une poignée de colliers rilsan en plastique noir.

— S'il te plaît, mets ça sur... eux, leurs mains je veux dire.

Ses explications sont laborieuses, mais Tanya comprend.

— Billy, peut-être il y a gens ici. Toi chercher là-bas, moi là-bas, m'ordonne-t-il en désignant successivement les deux petites maisons.

Puis nous partons chacun de notre côté.

Il nous aura fallu à peine cinq minutes pour faire le tour. Personne de mon côté, un homme pour celui de Baumann.

Devant la petite maison, Tanya débriefe les événements à Chris qui nous a rejoints avec Abel et Gust. Le groupe est toujours indemne et complet, si on écarte Fried.

— Le hangar est nettoyé.

Comprendre qu'eux n'ont pas fait de prisonniers.

Baumann ne relève pas et dirige toute son attention sur le prochain site.

— Des nouvelles du groupe 1 ? Il n'y a plus de bruit là-bas.

Chris a raison, tout est redevenu calme.

Troublé, le caporal prend son talkie mais s'arrête avant de communiquer quoi que ce soit.

— Holzer me dire pas contact pendant bataille.

Il le remet à sa ceinture et nous fait signe de le suivre. Nous nous engageons à nouveau sur le chemin blanc pour nous diriger vers le site n°5.

La matinée s'installe, nous devrions avoir le soleil dans le dos s'il n'y avait pas ce couvercle nuageux.

Baumann nous fait sortir de la route pour couper à travers champs. Nous courons droit vers une grande maison du site n°5. Arrivés sur place, nous nous adossons contre le mur de la bâtisse.

Aucun bruit. Est-elle vide ou savent-ils que nous arrivons ?

Le caporal prend Chris à part pour lui expliquer son plan. Mon compatriote – qui se débrouille bien en allemand – semble d'accord et se tourne vers moi.

— Nous allons nous séparer en deux groupes, les germaniques d'un côté, les anglophones de l'autre.

Meilleure décision de la journée.

— Nous allons tous les trois passer par le nord pendant qu'eux vont contourner par le sud. Ils feront un tir de diversion pour nous permettre de rentrer dans la maison. Puis ils iront directement vers le site n°2. Il faudra agir vite ici pour rapidement les rejoindre là-bas.

Timing serré.

De son côté, Tanya reste attentive et ne conteste pas.

Les trois allemands s'en vont se mettre en position au coin sud du bâtiment. Nous partons à l'opposé.

Une rafale ! Ils n'ont pas tardé.

Deux autres retentissent dans la cour ! Des répliques.

Quelqu'un hurle à l'intérieur de la maison, comme un ordre. Sans attendre, Chris se place à côté de la porte arrière de la maison. Il teste la poignée. C'est ouvert.

Rapide inspection à l'intérieur.

C'est clean.

Il nous fait signe de nous placer derrière lui. Au même moment, l'échange de tirs reprend de plus belle de l'autre côté. C'est bien, ils sont occupés pendant que nous allons les surprendre par derrière.

— Montrons ce qu'on sait faire. Progression en trinôme ?

De la tête, je lui fais signe que non, tout en désignant discrètement Tanya avec mon pouce.

— Elle n'y connaît rien. On y va tous les deux, elle couvrira nos arrières.

Il fait une moue sceptique tout en la regardant.

— Comme tu veux.

Puis, dans le même mouvement, il se retourne, ajuste son arme à l'épaule, fléchit les jambes et rentre dans la maison. Nous lui emboîtons le pas. Le couloir étroit dans lequel nous nous trouvons dessert plusieurs pièces. Nous examinons sommairement la première avant de rapidement passer à la suivante.

Deux lourds coups de feu retentissent ! Un fusil de chasse. Prudence. À bout portant ça ne pardonne pas ce genre d'engin. Tanya parvient à maîtriser son angoisse. Chris, toujours en tête, garde le contrôle et progresse rapidement. Nous sommes maintenant tout proches de la zone dangereuse. En dehors de quelques tirs dirigés vers l'extérieur, ce sont surtout des cris et des bruits de pas qui nous parviennent. Chris s'arrête juste avant l'entrée de la pièce d'où provient toute l'agitation. Je lui pose une main sur l'épaule pour lui signifier que je suis juste derrière lui et que je le couvre.

Il s'élance.

Trois courtes déflagrations.

— À terre ! Je t'ai dit à terre !

Je rentre à mon tour dans ce qui ressemble à un salon.

C'est déjà fini. Bilan, deux morts et un prisonnier, un jeune de 20 ans à peine, couché au sol, les mains sur la tête, terrorisé.

— Billy, la fenêtre là-bas. Tanya, viens attacher celui-là.

Nous nous exécutons tous les deux.

Dehors, c'est la guerre. La fenêtre derrière laquelle je me poste donne sur une cour intérieure. En face, un groupe tire depuis un autre bâtiment, une sorte de remise. Ils visent la haie derrière laquelle Baumann et ses hommes sont coincés. De là où je suis, je ne peux rien faire. Il faut agir vite pour les sortir de là.

— Aide-moi à l'asseoir, ordonne Chris à Tanya.

D'autres hurlements éclatent dehors, plusieurs fois la même phrase répétée. Que vont-ils faire ? Tenter un contournement ? Sont-ils au courant que nous venons de neutraliser une partie de leurs camarades ?

— Combien êtes-vous ? demande Chris au jeune prisonnier.

Sa question reste sans réponse.

Une rafale retentit au loin.

— Combien êtes-vous et quelles armes avez-vous ?

Toujours pas de réponse.

Derrière moi, apeuré, le jeune n'ose même pas regarder Chris. Tanya, stressée, reste spectatrice. Dehors, le chaos continue.

Nouvelle rafale d'arme automatique ! Tout proche cette fois.

Une autre ! Immédiatement suivie par des râles de douleur. Merde, ça provenait de la position de Baumann.

— Je vais perdre patience !

— Laisse-le ! Il ne parlera pas.

— Tanya a raison, nous perdons du temps.

— C'est ce qu'on va voir...

Chris sort un pistolet de son manteau.

— Qu'est-ce que tu fous ! Il s'est rendu ! s'indigne Tanya.

De l'autre côté, la fusillade reprend de plus belle. C'est bizarre, on dirait que ça vient de plus au nord.

— Lâche-le !

La situation dégénère. Chris a posé le canon de son arme sur le front du gosse en pleurs, tandis que Tanya tente de le raisonner.

Le regard de l'Anglaise croise le mien.

— Billy, fais quelque chose ! Il va le tuer !

Je lui réponds d'un simple haussement d'épaules. Aussi jeune soit-il, ce gamin a choisi son camp. J'en ai vu d'autres avant lui. Et au moins, on pourra se bouger, parce que de nouveaux problèmes se profilent. Les tirs provenant du nord résonnent dans la cour et se rapprochent. Je ne vois rien de là où je suis, ni le groupe de Baumann, ni ceux qui leur tirent dessus, ni même les derniers qui viennent se joindre à la fête. Deux types sortent précipitamment du bâtiment en face du nôtre et courent dans notre direction. Ils doivent penser rejoindre leurs camarades, ceux que nous venons de neutraliser. J'ajuste précipitamment mon arme et tire sur le premier, celui avec une carabine. Mais c'est le deuxième que je touche, à la poitrine. Ma cible ratée comprend instantanément la situation et accélère sa course en direction de l'entrée de la maison où nous nous trouvons.

— Dernière chance ! Parle !

— Billy !

Je me retourne pour recevoir notre nouvel arrivant. La porte d'entrée s'ouvre et claque violemment contre le mur qui sépare le salon du couloir. Chris et Tanya se retournent brusquement.

— Couchez-vous !

Mais ils ne bougent pas.

Des impacts de balles crépitent juste à côté de moi ! Pris pour cible depuis la cour, je me jette à terre. Puis une double détonation retentit dans le salon. À plat ventre sur le sol, je pointe mon arme en direction de l'entrée du salon, prêt à tirer. Chris et le prisonnier sont à terre, inertes. Me montrant son dos, Tanya se tient accroupie entre moi et le type du Gang qui fait irruption dans la pièce. Elle tend les bras et tire. Le recul la déséquilibre. Sa balle s'est figée dans l'encadrement de la porte, faisant voler des éclats de bois et de brique dans toutes les directions. L'homme a lâché son arme sous le coup de la surprise. Il reprend très vite ses esprits et se précipite pour la ramasser. J'ajuste mon fusil, mais Tanya gesticule devant moi. Je risque de la toucher.

— Barre-toi Tanya !

Elle reste sur place et tend à nouveau son pistolet en direction de la menace qui vient de se saisir de sa carabine.

— Couche-toi bordel !

Elle se fige. Deux coups de feu, très rapprochés. L'homme en face se raidit immédiatement. Tanya n'a pas bougé cette fois, elle est restée solide sur ses appuis, une vraie pro. Les bras toujours tendus droit devant elle, son corps n'est animé que par sa respiration qui s'accélère rapidement, puis s'emporte. En face, l'homme titube. Il laisse tomber son arme et s'appuie contre le mur pour éviter la chute, se tenant l'abdomen avec sa deuxième main. Il se retourne péniblement pour tenter de prendre la fuite, mais ses forces le quittent déjà. Il parvient à faire un pas avant de s'effondrer. Tanya ventile de plus en plus fort, au point que je peux entendre les sifflements de ses inspirations. Elle lâche son pistolet sans quitter l'homme gisant sur le sol, face contre terre. Les bras de Tanya tombent sous leur propre poids et pendent le long de son corps, comme un pantin désarticulé. Je me précipite vers elle et m'agenouille à ses côtés.

— Ça va ? Tu n'as rien ?

Pas de réaction.

Rapide examen. Aucune trace de sang, ni sur elle ni à côté. Son corps est indemne, seul son esprit est touché, sévèrement. La bouche à moitié ouverte, le regard fixe, les sourcils remontés au plus haut, son visage est un mélange de stupeur et de tristesse.

Je lui saisis l'épaule pour la secouer légèrement.

— Hey, Tanya.

Une larme coule sur sa joue.

— Il est... mort ?

Sa voix tremble.

— Oui.

Des cris accompagnés de fracas et de coups de feu reprennent subitement de l'autre côté du bâtiment. Ils n'ont en réalité jamais cessé, mais le pouvoir sélectif du cerveau est tel qu'il m'a fait oublier la bataille à l'extérieur pour me focaliser sur celle à l'intérieur.

En attendant qu'elle se reprenne, je mets Tanya à l'abri derrière une table renversée et vais aux nouvelles de Chris, toujours allongé sur le dos juste derrière nous. Il est inconscient. Je l'examine. Il a été touché sur son flanc gauche, au niveau des côtes. Il perd beaucoup de sang. Un pouls, faible. Il est encore vivant, mais pour combien de temps ? Le prisonnier, allongé à côté, est lui bien vivant. Pieds et poings liés, il s'est jeté au sol pendant la fusillade. Il reste là, face contre terre, à renifler et pleurnicher, tétanisé par la peur.

Dehors, le calme est revenu.

Des bruits de pas ! Quelqu'un approche ! 

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