Chapitre 17.3 - Même en terre étrangère se trouver des alliés

— L'explosion aurait détruit un quartier entier. Tout le monde pensait à une frappe de l'Alliance, un missile ou quelque chose dans le genre. Mais non ! C'était l'un des canons rail qui venait d'exploser, entraînant les autres dans une réaction en chaîne. Les médias ont tout de suite parlé de centaines de morts, civiles et militaires. On apprendra plus tard que l'incident a emporté avec lui une grande partie des stocks de munition, amplifiant l'intensité de l'explosion. Mais au début, la Coalition soutenait une autre version pour étouffer l'affaire. Un sabotage qu'ils ont prétexté, l'œuvre d'un agent double. Plus c'est gros, plus ça passe...

Silence.

— La suite est connue de tous. L'Alliance put enfin déployer son artillerie, et après un intense bombardement de plusieurs jours et malgré une défense acharnée de la Coalition, en particulier de ton ancienne division qui a subi de très lourdes pertes, le colonel Dennis dû sonner la retraite.

— Mais qu'est-ce qu'il y avait donc de si important à cacher ?

— L'incompétence ! Tu te souviens de la vidéo dont on parlait ? Le servant d'artillerie qui l'a prise faisait partie des rares survivants, c'est comme ça qu'elle a pu circuler. Peu de temps avant de succomber à ses blessures à l'hôpital, il a donné en douce une interview à un reporter de guerre où il expliqua que la première explosion était due à une importante surchauffe dans les générateurs électriques d'un des canons. Il a affirmé qu'une mauvaise manipulation était la cause de cette surchauffe, une erreur dans la procédure de mise en tension de l'arme apparemment. Le soir même, soit dès le lendemain de la défaite à Ulm, l'interview fut diffusée à la télé et la vidéo pirate du briefing postée anonymement sur Internet, atomisant la version officielle de l'état-major.

— Mais rien ne dit que nous aurions pu gagner la bataille s'ils avaient su utiliser ces foutus canons.

— Oui, c'est vrai, ça faisait d'ailleurs débat entre ceux qui pensaient comme toi et ceux qui affirmaient le contraire. Mais ce n'était de toute façon pas le problème des médias. Pour eux, c'était cette grave erreur de discernement du colonel qui a coûté la victoire. Nous étions en train de perdre la guerre, et l'opinion publique venait de trouver son bouc émissaire. Les médias et les réseaux sociaux se déchaînèrent sur Dennis. Pour tout le monde, la bataille d'Ulm fut le tournant de la guerre qui précipita notre défaite. Mais, on le sait tous les deux, la guerre, nous l'avions déjà perdue depuis longtemps.

D'ailleurs, qui l'a gagnée ?

— Et qu'est-ce qu'il est devenu ce colonel Dennis ?

— Il s'est suicidé une semaine plus tard.

Le silence s'est installé, comme si chacun méditait sur ce qu'il venait d'entendre. Une histoire parmi tant d'autres qui racontent comment la civilisation s'est autodétruite.

— Finalement, cette attaque sur le Point d'eau n'est pas une si mauvaise chose. Ça aura au moins fait comprendre à Klein que nous ne sommes pas autant à l'abri qu'il le croyait.

Chris n'a décidément pas envie de se reposer, à moins que la bataille à venir le stresse plus qu'il ne veut bien l'admettre.

— Bonne chose pour qui ? Je me serais bien passé de rejoindre les rangs de votre force de libération. Ça ne ressemble en rien à ce que Joost nous avait promis à Tanya et moi.

— En tout cas, pour ma part, ça va enfin être l'occasion de leur prouver ma valeur. Parce que croyez-moi, quand on est américain, qui plus est sans personne à vos côtés pour garantir de votre bonne foi ou vous faire la traduction, autant vous dire que vous ramez un moment avant de vous faire accepter. Et s'il n'y avait que la barrière de la langue... Parce qu'on a beau être venus les aider à défendre leurs terres pourries durant la guerre, ce n'est pas la peine d'attendre la moindre reconnaissance.

Il rumine dans sa barbe.

— Certains prétendent que tout ça serait de notre faute. Je me suis même fait tabasser un soir par trois de ces connards, simplement parce qu'ils estimaient que les États-Unis auraient dû ratifier le traité international de gestion des terres rares. Non mais t'y crois ? Qu'est-ce que j'en sais moi ? J'étais ado à l'époque. Tout ce qui m'importait c'était les filles. Mais va leur faire comprendre. Parce qu'avec ce genre de raisonnement, si ceci, si cela, on pourrait remonter jusqu'à l'assassinat d'Obama en 2014, et encore plus loin même.

— Tu sais qu'ils comprennent très bien l'anglais.

Judicieuse remarque de Tanya.

— J'en ai rien à foutre, je suis cash ! Vous apprendrez à me connaître. Et de toute façon, ils savent déjà ce que je pense de tout ça. Les problèmes, les vrais, commenceront demain, lorsque nous lancerons l'attaque. À ce moment-là, je compte bien montrer à ces amateurs comment on déloge un ennemi retranché. Après ça, ils seront bien obligés de prendre mon opinion en compte.

Il doute de rien celui-là.

— En tout cas, je vous conseille de faire profil bas, surtout toi, Billy.

— Et pourquoi lui ?

Sursaut général !

Une voix aux forts accents germaniques vient de surgir de derrière Chris, comme sortie d'outre-tombe.

Tanya et moi levons la tête.

Un homme se tient derrière mon râleur de compatriote, je ne l'ai pas vu arriver dans le noir. Une grande silhouette allongée dans un uniforme allemand, une casquette vissée sur la tête et un étui de pistolet porté en travers sur la poitrine. Pas de doute, c'est le sergent Holzer. Il reste immobile, attendant une réponse à sa question. La moitié supérieure de son visage est plongée dans le noir, dissimulée sous sa visière. L'autre moitié, partiellement visible malgré la nuit, laisse apparaître une large mâchoire imberbe se terminant sur un menton carré également dépourvu de tout poil. Sa bouche affiche une moue sévère, et même si je ne peux pas voir ses yeux, je sens son regard inquisiteur me fixer.

Sans un mot, il s'avance lentement de façon à rentrer dans le champ de vision de Chris.

— Alors ? De quoi vous discutiez ?

Un frisson parcourt ma nuque.

Chris hésite. Il semble construire dans sa tête la réponse la mieux adaptée à cette situation gênante.

— Oh... rien d'important. Je leur expliquais la vie à New Town, son histoire, enfin ce que j'en sais.

— Et qu'est-ce que vous pouvez bien savoir ?

Silence. Lourd, le silence.

— Il nous expliquait pourquoi nous sommes ici.

Tanya tente de désamorcer l'ambiance électrique qui plane.

Sceptique, le sergent affiche une simple moue approbatrice, sans un mot. Puis il prend le temps de nous regarder.

— Vous saurez vous en servir tout à l'heure ?

Il ne s'adressait à personne en particulier, laissant s'installer la confusion entre nous.

Comprenant que sa question n'aura pas de réponse, il désigne du doigt mon fusil posé à mes côtés.

— Ça. Vous saurez vous en servir ?

Je pose ma main sur l'arme pour confirmer que cette fois j'ai bien compris sa question. Mais Chris ne me laisse pas le temps de répondre.

— Ne vous faites pas de soucis, Holzer, Billy était dans l'armée américaine, comme moi. Vous pouvez compter sur nous.

Encore cette même affirmation tintée de scepticisme.

— Bien. Et ce sera Sergent Holzer la prochaine fois. En tant que militaire, ça ne devrait pas être un problème pour vous en souvenir, soldat, non ?

— Oui, bien sûr. Désolé, Sergent.

La personnalité arrogante et volubile de Chris vient de laisser la place à une toute autre facette, plus docile.

— Et vous devriez dormir un peu, j'ai besoin que vous soyez en forme tout à l'heure.

Puis il repart d'où il vient.

— Comment va se dérouler l'attaque ?

Question spontanée et tintée d'angoisse de la part de Tanya.

Le sergent s'arrête.

— Comme prévu, je l'espère.

— C'est-à-dire ?

Holzer se retourne et s'accroupit pour se mettre à notre niveau. Je peux maintenant voir ses yeux, lui redonnant un peu d'humanité.

— Vous vous attendez à quoi ?

Sa voix calme et posée tranche avec son regard froid.

Tanya, troublée par la question, cherche ses mots. Elle baragouine quelques bouts de phrases en allemand, effort ridicule puisque notre supérieur s'adresse à nous dans un anglais correct.

Consciente qu'elle n'y arrivera pas, elle se reprend face à son interlocuteur qui reste totalement impassible.

— Une bataille. Je m'attends à une bataille... Sergent.

— C'est ça. Avec ses cris, ses coups de feu et ses morts. Rien de plus, rien de moins. Vous voyez ? Je n'ai rien d'autre à vous apprendre.

Tanya acquiesce timidement, absolument pas satisfaite par la réponse qu'elle vient d'avoir.

Le sergent se relève lentement tout en la fixant du regard.

— Vous n'étiez pas militaire comme vos deux amis, je me trompe ?

Timide négation de la tête pour Tanya, lent et long soupir d'exaspération pour Holzer.

— La peur est quelque chose de naturel. Elle est ancrée au plus profond de nos instincts primaires. En temps normal, elle nous préserve du danger, mais une bataille est précisément le point convergent de tous les dangers. Alors la peur ne fera que vous handicaper en vous envoyant des signaux contradictoires, interférant avec ce que vous devrez faire pour être efficace au combat.

Méditation générale sur ces paroles.

— Quel est votre nom ?

— Tanya.

— Tanya, votre seule chance est d'accepter que vous soyez déjà morte. Dans ce cas seulement, la peur disparaîtra, et qui sait, peut-être survivrez-vous à votre baptême du feu.

Elle baisse le regard, puis signifie d'un bref hochement de tête qu'elle a compris le conseil et qu'elle tentera de l'appliquer.

— Ne vous y trompez pas, la guerre n'est pas terminée. Seuls les enjeux ont changé, il s'agit désormais de se battre pour survivre. Maintenant silence et dormez, c'est ce que les morts font le mieux. 

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