Chapitre 17.1 - Même en terre étrangère se trouver des alliés
— J'aime autant te dire que si j'avais été là, on ne bavarderait pas en pleine nuit à se les cailler en attendant que nos chefs se décident à lancer cette contre-offensive.
Ça doit maintenant faire vingt minutes au moins que Chris tente, à sa manière, de nous expliquer la situation. Sans lui, nous ne saurions toujours pas pourquoi nous sommes ici avec une quarantaine d'autres types, planqués dans un petit bois au milieu de rien et à deux heures de marche de New Town. Nous avons bien eu un semblant de briefing avant de partir, mais entièrement en allemand, évidemment. Pas le temps pour la traduction, question de timing. Même Tanya s'est retrouvée larguée, trop de vocabulaire qu'elle ne connaissait pas. Heureusement, Chris est là pour donner des cours de rattrapage.
L'eau ! Voilà pourquoi nous sommes là, c'est l'eau qui motive cette mission. Vous aurez beau vous injecter n'importe quoi pour vous protéger des radiations et cuisiner tout ce qui vous passe sous la main pour remplir votre estomac, sans eau vous finirez par y passer rapidement. Et je parle d'eau un minimum potable, plus difficile à trouver, et ça, le major Klein l'a très vite pigé. Lorsque les recycleurs du bunker arrivèrent à saturation, il a envoyé des équipes de reconnaissance pour trouver des sources d'eau suffisamment abondantes et pas trop polluées. Les premiers sites trouvés permirent de subvenir aux besoins immédiats, souvent une canalisation souterraine mise à nue par la guerre, laissant échapper un filet d'eau peu contaminée provenant d'on ne sait où. Lorsque la ville commença à accueillir de nouveaux arrivants, ils n'eurent pas d'autre choix que de s'aventurer plus loin pour puiser dans une rivière polluée. Il y avait donc toujours un problème soit de rendement, soit de pollution. Alors, lorsque l'une de ses équipes a trouvé ces cinq corps de ferme posés au milieu des champs à l'est de Mannheim et disposant chacun d'un puits relié à une nappe phréatique, il a immédiatement envoyé des hommes s'y installer. Ils y emmenèrent une pompe trouvée dans les décombres de la ville et mirent en place une navette pour faire les allers et retours sur les quelques miles séparant les deux sites. Il y avait suffisamment d'eau pour satisfaire les besoins des habitants et permettre une production suffisante de Talium, tout en accueillant de nouveaux membres pour aider au développement de la communauté. Le problème aujourd'hui, c'est que New Town a perdu cette principale source. Le Point d'eau, comme ils l'appellent, a été capturé la semaine dernière par un groupe de pillards qui savaient parfaitement ce qu'ils faisaient.
Chris n'a intégré New Town que depuis trois semaines, au moment où le major a commencé à recruter des combattants pour faire face au nombre croissant d'attaques extérieures. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'intègre vite, et vu son bagou, je ne suis pas étonné qu'il connaisse déjà toute l'histoire de la ville.
— Tu sais quoi, Billy, ces idiots se sont reposés sur leurs lauriers. Ils ne s'attendaient pas à ce que le Talium se fasse connaître aussi loin et aussi vite. De toi à moi, ils n'étaient tout simplement pas prêts pour affronter quoi que ce soit.
Son jugement manque d'objectivité. Dans ce contexte de précarité post-apocalyptique, réussir à maintenir un minimum d'ordre et de cohésion tout en gérant l'approvisionnement des ressources vitales n'est déjà pas si mal. Mais il est clair qu'ils ont sous-estimé le pouvoir attractif du Talium. Les rumeurs à son sujet ont fini par attirer trop de monde, des plus désespérés aux plus mal intentionnés.
Le major a organisé une défense efficace pour contrer les attaques de pillards. Ça a fonctionné un temps, jusqu'à ce que l'afflux des survivants finisse par également devenir une menace. Certains loups en profitèrent pour se mêler aux demandeurs d'asile. Les gardes de New Town réussirent à capturer deux d'entre eux qui finirent par avouer être venus repérer les lieux pour le compte d'un groupe conséquent de survivants installé en périphérie de Mannheim. Face à cette menace, et à celle d'une implosion de sa communauté devenue trop grande trop vite, le major ordonna la fermeture des portes. Mais cette décision ne fit qu'empirer la situation. Parmi les désespérés refoulés de New Town, un certain nombre rejoignirent les rangs du fameux groupe dont les pillages commençaient à prendre de l'ampleur. Les attaques sont devenues de plus en plus fréquentes et de mieux en mieux coordonnées. Klein les surnomma simplement « le Gang » et dut mobiliser toutes ses forces à la surveillance de ses frontières. Aujourd'hui encore, ils ne savent pas qui dirige, ni comment sont donnés les ordres, et la suite fut aussi rapide qu'inévitable.
Ne pouvant pénétrer dans la ville, le Gang a lancé la semaine dernière une grande offensive sur le Point d'eau. Chris n'a entendu que des rumeurs sur le déroulement de la bataille, rien de fiable, ce qui est sûr c'est que la surprise fut totale. Même avec leurs armes et leur entraînement, les hommes du major, submergés, ont dû battre en retraite. Sur les huit soldats qui gardaient les lieux, la moitié a pu revenir. Cette défaite priva New Town de bons éléments, mais surtout de sa ressource la plus précieuse. Le Gang avait réussi son coup, trouver un moyen de forcer leur ennemi à négocier. Mais c'était mal connaître le major Klein. Il refusa tout contact avec eux et se lança dans le recrutement de nouveaux combattants parmi les civils pour monter une force d'intervention dont nous faisons partie aujourd'hui.
— Non mais, regarde autour de toi ! C'est tout ce qu'ils ont pu trouver en une semaine ! Franchement, tu les vois se battre ?
Sur ce point, il n'a pas tort. Elle est belle la grande armée en devenir de ce Klein. Même pas un fusil chacun, les moins bien équipés devant se contenter de lances ou de machettes bricolées avec ce qu'ils ont trouvé. Pas que ces armes de fortune soient de mauvaise facture, elles peuvent sans aucun doute tuer, mais si en face ils nous balancent des pruneaux, elles risquent de ne pas servir à grand-chose. Le seul intérêt de compter parmi nous des types qui se feront descendre avant même d'arriver au contact est de créer le surnombre. Gonfler volontairement les rangs avec n'importe qui pouvant courir et faire du bruit permettra de submerger l'ennemi et, pourquoi pas, le mettre en déroute. Après tout, c'est avec cette même stratégie du désespoir que le Gang a réussi à prendre le Point d'eau, et c'est bien la même que compte utiliser le sergent Holzer.
Désigné commandant de l'opération par le major, Holzer souhaite clairement exposer le minimum de ses hommes, ceux avec qui il s'est retrouvé enfermé plusieurs mois sous terre dans le bunker de New Town pour assurer la protection de plus de quatre-cents civils. D'après Chris, l'effectif initial de ces militaires professionnels d'avant-guerre comptait trente-et-un hommes et femmes lors de la fermeture de l'abri. Un est mort durant le confinement, et depuis sa réouverture il y a neuf mois, six autres auraient perdu la vie. Ajouter à ça les quatre qui ont péri dans l'attaque du Point d'eau, mais aussi les trois qui escortaient Joost, ça commence à faire beaucoup, d'où la nécessité de monter cette unité de fortune. Nous sommes sacrifiables, nous, pas les potes d'Holzer, d'autant que le pouvoir du major repose en partie sur leur soutien. Que se passerait-il à New Town si le grand Klein devenait le dernier représentant des forces armées de l'ancien monde ? C'est pour cela que seul le sergent Holzer et trois de ses hommes nous accompagnent. Ce sont eux qui encadrent l'opération. Nous autres sommes les troufions de base devant obéir. Notre seule motivation : la promesse d'une paie en Talium et d'intégrer New Town. Finalement, nous ne valons pas mieux que de simples mercenaires, si ce n'est qu'en temps normal on fait appel à ce genre de personnes pour s'offrir les services de vrais combattants. Je lui souhaite donc bien du courage au sergent. Commander ces hommes et ces femmes, des bleus pour la majorité, sous-équipés et qui ne se connaissaient pas il y a encore quelques jours, on peut difficilement piocher pire comme cartes. On ressemble plus à une milice du désespoir qu'un véritable groupe de combat.
Mais ça m'est égal. Avec mon passé de militaire et mon AK-12, je fais partie des favoris. J'aurai de quoi me défendre contre ce foutu Gang, ou contre ceux qui m'empêcheront de me barrer si ça venait à tourner au vinaigre.
— Voilà pourquoi c'est aussi tendu. Okay, perdre le Point d'eau c'est condamner tout le monde à New Town, mais seulement sur le long terme, tu vois ce que je veux dire ? Il n'y avait aucune urgence à monter cette armée de clowns. Avec nos quelques jours de réserves et d'autres moyens d'approvisionnement nous aurions eu suffisamment de temps pour monter une véritable force d'assaut digne de ce nom.
Chris marque une pause, le temps de vérifier si d'autres écoutent notre conversation. Puis il reprend.
— D'accord, l'image de faiblesse que nous donnons à l'extérieur est dangereuse, il ne faudrait pas que ça motive d'autres fils de putes à nous attaquer. Mais je vais te dire quel est le vrai fond du problème : l'influence du major à l'intérieur même de New Town. Franchement, si nous sommes ici cette nuit, c'est surtout parce que Klein ne veut pas perdre la face vis-à-vis des résidents de la ville. Il ne peut pas se permettre de paraître faible s'il veut continuer à exercer le pouvoir. Ne t'y trompe pas, notre contre-attaque précipitée est plus politique qu'il n'y paraît.
Mes paupières sont de plus en plus lourdes. La fatigue cumulée de ces derniers jours brouille mes sens et alourdit ma tête. Je pourrais m'endormir en quelques secondes s'il ne faisait pas si froid, et si Chris ne me déblatérait pas tout ce qu'il sait – et ce qu'il pense – de New Town et de sa politique. Surtout sa politique. Putain de yankees, toujours supérieurs aux autres. Je dois toutefois admettre qu'au milieu de ses plaintes et de sa vision très personnelle de la situation, de précieuses informations ressortent malgré tout. Et il paraît tellement heureux de pouvoir parler à un compatriote que je n'ose pas lui faire comprendre qu'il commence à me casser les oreilles.
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