Chapitre 13.3 - De singulières voies sont alors révélées
— Environ vingt-cinq jours après votre dernière injection, parfois plus, parfois moins, vous êtes enfin sevré du Talium, et de nouveau sans défense face aux radiations. D'où l'importance de bien prendre son sérum tous les quatorze jours.
— C'est de votre propre expérience dont vous parlez ? demande Tanya d'une voix compatissante.
Lent et pénible signe affirmatif de la tête.
— C'était il y a deux mois environ, lors de ma précédente mission. La zone n'était pas particulièrement dangereuse, mais suite à l'incompétence des deux soldats qui m'accompagnaient l'un d'eux s'est fait tuer. J'ai dû, là encore, me cacher pour m'en sortir. Ne me retrouvant pas après l'incident, mon deuxième escorteur est reparti à New Town, me pensant mort. C'est lui qui avait les doses de Talium, mais je ne m'en suis pas soucié sur le moment, mon principal problème était de rentrer.
Transporté par son passé, il se lève tout en continuant à nous raconter son récit.
— Et puis je me suis dit : « quitte à repasser par les mêmes coins, autant s'y attarder pour approfondir mes relevés ». Je me suis alors arrêté dans chaque village précédemment traversé à l'aller. Sur mon cahier, je relevais le nombre d'épiceries et de supermarchés abandonnés, avant d'y entrer pour faire un rapide inventaire de ce qu'il pouvait rester. Je comptais les voitures en bon état que je croisais, je vérifiais même si les pompes à essence marchaient encore.
— Mais pour quoi faire ?
La voix de Tanya l'a comme ramené parmi nous.
— Pour savoir plus tard où il faudra envoyer les équipes de récupération, pardi ! Ma mission sert aussi à ça. D'habitude je n'ai que le temps de noter s'il y a la présence de véhicules, de magasins, de menaces, des choses vagues dans ce genre-là, sans jamais avoir de données chiffrées fiables. Pour une fois je pouvais faire les choses de manière exhaustive. Mais dans l'un des villages, dont j'ai omis le nom, j'ai commencé à ressentir les effets de manque. Je ne savais pas encore ce qui m'arrivait, je pensais au début à une simple grippe. Puis avec les symptômes qui s'accentuaient, je me suis soudainement rappelé les avertissements de Sarah. J'ai alors compris que j'expérimentais les effets de manque de son sérum. Mon état se dégradait si vite qu'il m'était impossible de continuer. Je me suis donc réfugié dans une maison en attendant que ça passe. J'y suis resté dix jours ! Seul, cloué sur un vieux matelas moisi à mourir de froid, de chaud, de soif et de faim. J'ai vraiment cru que j'allais y rester. Heureusement que j'avais encore des vivres, je n'aurais jamais eu la force d'aller en chercher.
— Mais vous vous en êtes sorti.
— Oui, et je me suis fait la promesse de ne plus jamais revivre ça, d'autant plus si la prise trop rapprochée de Talium augmente l'intensité et la durée de ces effets secondaires. Vous allez donc devoir me faire confiance si vous voulez en profiter.
Nous sommes arrivés au bout des négociations. Joost ne lâchera rien. Il préférera repartir seul et sans escorte plutôt que de risquer une nouvelle fois le pénible calvaire des effets du manque de Talium.
Cette petite délibération en privé avec Tanya n'a pas été aussi simple que je l'espérais. Continuer vers Birkenfeld restait pour elle la meilleure option, la plus sûre en tout cas. Je lui ai donc forcé la main en la menaçant de la laisser y aller seule, qu'après tout, nous n'étions liés par aucun pacte. Je savais que cette perspective allait la faire réfléchir.
Nous avons donc accepté l'offre de Joost, tous les deux. Il a fallu ensuite régler un point essentiel avant notre avance sur paiement : quelle seringue utiliser ? Le genre de détails que l'on peut rapidement omettre quand on n'est pas rodé à l'exercice. Joost nous a d'abord envoyé fouiller les corps de ses défunts collègues, des fois que les pillards ne les aient pas entièrement dépouillés. Nous avons eu la chance de trouver une seringue cachée dans la doublure de la veste d'un des deux militaires. Avec celle d'urgence que Joost se gardait de côté – et qu'il a sorti après, l'enfoiré – ça nous en faisait une chacun. Elles étaient encore emballées dans leurs sachets d'origine. La prochaine fois nous devrons les stériliser nous même à l'eau bouillante et à la flamme pour les réutiliser. Et malgré ces précautions, il y a toujours des risques. C'est vraiment combattre le mal par le mal cette saloperie, il y a intérêt que ça marche.
Joost est maintenant en train de faire les préparations, 20 ml dans le réservoir gradué, pas plus, pas moins. Il s'agit de la dose optimale incontournable si on veut une protection efficace.
— Voulez-vous que je vous fasse votre première injection ?
Soulagement de Tanya.
— Oui ! J'allais vous le demander.
Je n'ai pas de problème particulier avec les piqures, et si ça devient régulier, je préfère m'y mettre tout de suite.
— Ça ira pour moi, Joost, je vais me la faire moi-même. Il faut bien une première fois.
— C'est comme vous voulez. Mais vous savez comment faire ?
Je confirme que oui d'un signe de tête.
— Très bien, Billy, voici votre dose, la première. Comme je n'ose pas la poser n'importe où pour des questions évidentes d'hygiène, surtout ici, je vous la donne maintenant, le temps de préparer celle de votre amie. Veuillez donc patienter encore quelques instants.
Il me donne la seringue, puis se dirige vers Tanya assise un peu plus loin.
Je mets maintenant la touche finale. Ceinture bandée autour du bras gauche pour faire apparaître mes veines, puis passage d'un chiffon humide pour nettoyer l'intérieur du pli du coude. Je n'en reviens pas de l'épaisseur de crasse que j'ai pu accumuler. Je vais m'injecter cette merde pour me soigner alors que je ne suis même pas capable de faire un minimum de toilette. Petit tapotage sur la zone à piquer, avant de poser le bout de l'aiguille sur un conduit bleu, celui qui ressort le plus au travers de ma peau. J'hésite, ma main tremble légèrement. Je sens la pointe me piquer, mais je n'ose pas aller plus loin. Ce n'est pourtant pas si terrible, une piqûre, c'est de devoir se la faire soi-même qui complique considérablement la chose.
Je prends une grande inspiration et me décide à appuyer dessus pour faire rentrer l'aiguille dans mon bras. Entre la douleur aiguë de la piqûre au moment de percer la peau ou la désagréable sensation de la tige métallique qui s'enfonce lentement, je ne sais pas laquelle est la pire. Je n'ai pas encore pressé sur le piston que j'ai déjà mal, comme si j'appuyais sur un hématome.
Je presse.
Ah ! Putain, non ! En fait non... c'est ça le pire !
À peine ai-je commencé à m'injecter le produit qu'une atroce sensation de brûlure envahit mon bras et se répand dans tout mon corps. J'arrête d'appuyer sur le piston le temps que la douleur se dissipe.
— Mais qu'est-ce que vous faites ?!
Joost me regarde, horrifié.
— Il ne faut surtout pas s'arrêter une fois commencé.
— Ça fait super mal...
— Pressez bon sang !
Je presse à nouveau.
— Mais pas si vite !
Trop tard, le réservoir de la seringue est vide.
Mon bras gauche me brûle ! Je le secoue dans tous les sens en jurant, mais ça n'arrange évidemment rien. L'incendie se propage à mon torse. Mon cœur se sert, j'ai l'impression qu'il va exploser !
Joost se précipite vers moi en tirant Tanya par la manche.
— Aidez-moi à l'allonger !
Ma tête est comme prise dans un étau chauffé à blanc. Je ressens chacun de mes battements de cœur dans mes tempes. Je suis pris de vertige. Ils me rattrapent tous les deux puis m'allongent au sol.
— Vous ne pouviez pas attendre que je vous explique !
— Je crois qu'il ne vous entend plus.
Si, j'entends encore, mais je ne peux pas répondre, et leurs voix sont tellement lointaines...
Ma vue se trouble, ils ne sont plus que des silhouettes difformes penchées au-dessus de moi à débattre. Alors que le temps semble ralentir autour de moi, tout mon organisme paraît au contraire accélérer à chaque battement de cœur. Mon corps tout entier est un immense brasier qui pompe toute mon énergie pour tenir ce rythme infernal. Respirer devient difficile. Un voile noir obscurcit peu à peu ma vision tandis que mon ouïe s'atténue, comme lorsqu'on plonge lentement la tête sous l'eau.
Du poison ! Il voulait vraiment nous empoisonner ce malade. J'espère que Tanya saura...
*
Au sol, sur le dos, Billy convulse violemment. Je dois presque m'allonger sur son corps pour le maintenir un minimum.
— Tanya, faites attention à sa langue, il ne faut pas qu'il l'avale !
Je m'exécute.
— Aidez-moi à le mettre sur le côté !
Je glisse une main sous son dos et pousse avec le reste de mon corps pour le basculer sur le flanc. Il continue de s'agiter, les yeux grands ouverts, comme s'il se faisait électrocuter, c'est horrible. Je lui ouvre la bouche, sa langue est toujours là. Il respire encore, par saccades, et son cœur bat très fort. Je dois continuer à le maintenir fermement, sinon il risque de se blesser.
Joost se relève. Il n'a jamais parlé de ce genre de réaction. Aurait-il essayé de nous tromper ?
— Qu'est-ce qu'il y avait dans sa seringue ? C'est ça le Talium ?
Le Hollandais grogne en faisant les cent pas derrière moi. Il semble hors de lui.
— Joost, qu'est-ce qui arrive à Billy ?
— Il ne m'a pas écouté, voilà ! Il a voulu faire son cowboy solitaire alors que j'avais prévu que vous fassiez cette injection en même temps, et selon la procédure. Maintenant vous allez vous méfiez, réfléchir, douter, peut-être même me menacer, bref, nous allons perdre un temps précieux alors que, justement, nous n'en avons pas assez !
Et il repart de plus belle dans ses grognements néerlandais.
Je ne suis pas certaine d'avoir compris de quoi il voulait parler.
J'avais pourtant prévenu Billy qu'il fallait se méfier de ce produit, ça paraissait trop beau. Si Joost a voulu nous empoisonner, Billy risque de ne pas survivre, et je devrais alors me débrouiller toute seule.
Le fusil est juste à côté de moi, je garde un œil dessus, et sur Joost...
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