CHAPITRE VINGT-SEPT
A peine sortais-je de mon bain qu'un long et large tissu vint recouvrir ma peau mouillée. Ses mains vinrent, à plusieurs endroits, appuyer le tissu et frotter pour sécher mon corps. Rapidement, je vis deux servantes s'approcher de moi avec une pièce de mon rectangulaire dans les mains. Elles plièrent le tissu en deux dans le sens de la longueur avant de me l'enfiler. Elles fixèrent ensuite le chiton sur chacune de mes épaules. Une ceinture vint serrer ma taille, raccourcissant par la même occasion la longueur du vêtement. Mon chiton aurait dû normalement tomber jusqu'à mes pieds, mais le mien s'arrêtait au niveau de mes genoux.
Des mains se retrouvèrent ensuite dans mes cheveux blonds pour venir les attacher à la manière dont les cheveux des statues des déesses dans les temples étaient faits. On m'ajouta une couronne de laurier sur la tête, une paire de sandales, et me voilà prête à arpenter le palais et à me rendre à la salle du trône de la cité d'Athènes pour me présenter face aux différents rois et reines qui étaient venus à ma rencontre.
C'est avec une certaine boule au ventre que je marchais désormais lentement dans les couloirs d'Athènes, accompagnés de trois servantes et des quatre soldats athéniens. Personne ne parlait, nous marchions simplement, jusqu'à s'arrêter devant de grandes portes de pierre.
« Savez-vous où se trouvent mes frères ? » Demandais-je alors.
C'était la première fois que je parlais depuis le début de ma préparation.
« Dans la salle du trône, déesse. » Me répondit l'une des servantes qui m'accompagnait.
Je hochai alors simplement la tête, prenant l'information en compte. Ils étaient probablement aux côtés du roi et de la reine d'Athènes. J'étais presque terrifié de franchir ces portes. A choisir, je pense que je préférerais refaire une nouvelle bataille sanglante que de me présenter devant ces dirigeants de la Grèce.
« Pouvions-nous y aller, déesse ? » Demanda l'un des soldats, la main sur la poignée de la porte.
J'inspirai profondément, et fermai les yeux quelques instants. Ce soir allait être mes derniers instants sur notre très chère Grèce, avant de ne pouvoir la contempler que du ciel. Ce soir serait les derniers instants que je passerais avec mes petits frères, et mes amis, avant de devenir une déesse qu'ils vénéreront pendant plusieurs centaines voire milliers d'années.
Durant tout mon séjour, j'avais tenté de rationaliser la chose, de me dire que tout cela n'était que le fruit de mon imagination. Je m'étais pincé la peau, j'avais frappé mon ventre avec mes poings, je m'étais claqué la tête contre le mur, j'avais essayé de me noyer en plongeant ma tête dans l'eau, je m'étais entaillé la main, j'avais essayé de me réveiller dans l'illusion qui me prenait. Rien ne marchait, alors j'avais finalement abandonné, en me disant que finalement, tout ce que je vivais n'était que la réalité des choses.
J'en avais presque la nausée. C'était une sensation étrange que de me savoir être autre chose que la princesse Agria de Corinthe. Je me sentais stressé, angoissée, empoté, oppressée, gênée, accablé, presque asphyxié par ce nouveau statut. J'avais l'impression qu'il m'étouffait, et m'empêchait de vivre convenablement. J'étais aussi stressé de quitter le monde des mortels que d'arriver sur le monde des immortels. Comment devrais-je me comporter face à toutes ces divinités qui j'ai vénéré pendant tant d'années ?
Peut-être serait-il mieux de ne pas y penser, et de profiter de ces derniers instants avec mes frères, et les gens que j'aime.
« Oui, nous pouvions y aller. » Répondis-je alors d'une voix contrôlée.
Pendant que la grande porte s'ouvrait, j'eus le temps d'inspirer lentement et profondément, comme si je n'aurais pas assez d'air une fois dans la salle du trône. La tête baissée jusque-là, je la relevai lentement, et vis alors des centaines et des centaines de personnes tournées vers moi, m'accueillant comme si j'étais leur reine.
Leur déesse.
Les soldats commencèrent à avancer dans la salle, alors je fis de même. Je ne sais pas comment je parvins à marcher droit, mes jambes tremblaient de peur que j'étais persuadé que je tomberais à chaque nouveau pas. Je ne parvenais pas à contrôler calmement ma respiration, j'avais l'impression que je venais de courir pendant des heures. Néanmoins, je m'efforçai à garder la tête haute. Pour ne pas me perturber, je gardais le regard fixe devant moi. Je regardais la grande statue derrière le trône du roi : c'était la statue de ma mère, la déesse Athéna.
Plus je m'enfonçais dans la salle, plus je pouvais sentir les regards de ces personnages sur moi. Ils étaient là pour moi, pour me voir, alors que quelques années plus tôt, ils étaient prêts à me tuer pour avoir tué un prince de Sparte. Maintenant, ils me regardaient, et se prosternaient devant moi.
Plus je marchais, plus j'avais une sensation étrange dans le corps. La situation était très étrange pour moi, mais je l'appréciais tout de même. J'aimais que l'on m'observe ainsi, que l'on soit là pour moi. J'aimais ce nouveau statut. Cela pourrait paraître égocentrique, voire narcissique, mais je l'aimais autant que je le détestais.
J'avais l'impression que j'allais me mettre à pleurer à n'importe quel moment. Peut-être est-ce à cause de la tension du moment. J'avais l'impression d'être le centre du monde, d'être la reine de ce monde, d'être quelqu'un de très grand. J'avais l'impression d'être une forme forte et respectée.
J'arrivai ainsi face au roi et à la reine d'Athènes. Je leur souris, avant de les saluer comme une princesse devrait le faire à son roi et à sa reine. Lorsque je me redressai, ils firent de même, tout comme mon petit frère Electère et Cléarque. Lorsque nos regards se croisèrent, je leur fis un petit sourire en coin qu'ils me rendirent.
Ils m'invitèrent à monter sur l'estrade, ce que je vis. Ainsi, j'eus enfin une vision supérieure de l'ensemble de la salle qui était bondée de monde. Je pouvais repérer certaines personnes que je connaissais déjà, comme Anais qui était devant. Elle me fit un léger signe de la main que je lui rendis. Il y avait également le roi d'Ithaque avec sa femme et sa fille.
Soudain, mon sourire s'atténua. Les larmes montèrent rapidement, jusqu'à perler aux coins de mes yeux. Le roi de Phtie Néophyle était présent. Il était là, assis sur une chaise, d'une maigreur terrible. Il était d'une blancheur cadavérique. J'essayais de comprendre comment il était possible qu'il soit toujours en vie. J'avais cru comprendre qu'il était presque mort, mais je ne pensais pas que sa condition physique lui permettrait de faire le voyage jusqu'à Athènes.
Avec lui, je crus reconnaître des Myrmidons, de par leurs boucliers. Ils avaient survécu, et étaient venus me voir.
« Agria, dis leur. »
Je me retournai vers mon petit frère, Electère, qui venait de me dire cela. Avec sa petite toge d'athéniens, il avait l'air d'un véritablement petit roi, prêt à conquérir le monde. Il sourit, avant de regarder une nouvelle fois l'assemblée devant.
« Peuple de Grèce, de la Grèce Centrale, jusqu'à le Péloponnèse, en passant par la Thessalie, l'Empire, la Macédoine jusqu'à l'Anatolie. Nous, peuple de Grèce, qui vivons et honorons les dieux. Nous, peuple de Grèce, qui descendons d'Héraclès, de Jason, de Thésée, de Persée, de Béllérophon, d'Ulysse ou encore d'Achille. Mais aussi d'Ariane, de Clytemnestre, d'Hélène, d'Hermione Nous, peuple de Grèce, qui aimons notre Histoire. »
Il y eut quelques hurlements et des bruits d'épée contre des boucliers venant des Myrmidons. Je leur souris. Les larmes montent de plus en plus, et je ne suis pas certaines de pouvoir les contenir, cette fois-ci.
« Vous, peuple de la Grèce, m'honorez de vos acclamations. Vous, peuple de Grèce, m'acceptez comme déesse protectrice de vos cités, de votre Histoire. Moi, Agria, fille d'Athéna et d'Arès, dieux de la guerre réfléchit et brutale, princesse de Corinthe, déesse de l'Histoire, promet de protéger vos cités, vos familles, vos amis, et de vous inscrire dans notre Histoire. »
Il y eut de puissantes acclamations venant de toute l'assemblée. Beaucoup de soldats pointaient leur lance, leurs épées ou leurs boucliers vers le haut, tandis que les Myrmidons tapaient de plus en plus forts sur leurs boucliers.
Je leur souris, et une larme ne put s'empêcher de couler le long de ma joue. J'étais une femme forte, respectée. Je savais que j'accomplissais de grandes choses, et que j'étais la première grande héroïne que notre monde connu.
Assise à table, j'observais la salle de trône animée cette fois par de la musique, des chants et des danses. Rois, reines, princes et princesses s'amusaient ensemble, peu importe leur provenance géographique. Il n'y avait plus qu'un seul peuple ce soir : le peuple grec.
Je me levai et, voyant que l'attention n'était plus exclusivement portée sur moi, m'approchai de l'homme malade que j'avais vue quelques heures plus tôt. Il sembla presque sentir ma venue, puisqu'il se redressa et posa son regard sur moi.
« Je commençais à me demander si tu m'avais reconnu, Agria. » Fit la voix du roi de Phthie.
Je souris, m'asseyant à côté de lui.
« Je ne pensais pas te voir ici, mon roi. On m'avait dit que tu étais faible. »
« Je me devais de venir, même si je devais y laisser ma vie. »
Je le regardai quelques instants. Il avait l'air épuisé, et très faible. J'avais même l'impression qu'il était déjà mort, mais qu'il s'efforçait de résister.
« Alors... tu es une déesse. »
« Il paraîtrait. Je vais rejoindre le monde des dieux, ce soir. »
« Je pourrais ainsi rejoindre le monde d'Hadès, alors... »
J'eus énormément de peine en entendant cela. Il savait que son temps était terminé. Il allait bientôt rejoindre ses ancêtres, sa soeur et son neveu.
« Je dirais à Alexios que tu es devenu une jeune femme incroyable. »
Je mordis l'intérieur de mes joues, avant de me relever. Je m'efforçai de sourire.
« Que les dieux de garde, roi Néophyle. Merci de m'avoir accueilli dans ton foyer. »
Il fit un simple hochement de tête, avant que je ne fasse demi-tour. C'étaient des adieux à mon roi, je le savais. Lui qui m'avait accueilli chez lui, qui m'avait nourri et éduqué pendant plusieurs années. J'étais fortement peiné du sort que les Moires lui avaient réservé.
« Agria. » Fit une petite voix que je connaissais.
Je me retournai, et vis Anais. Je lui souris alors, la prenant dans mes bras. Elle me serra quelques instants avant de se reculer et de s'agenouiller.
« Relève-toi enfin... tu es mon ami... » Dis-je alors en la forçant presque à se remettre debout.
Elle se releva alors, et nos mains se serrèrent, comme si elles ne voulaient pas se séparer.
« Je sens que je porte un garçon, Agria. » Me dit-elle avec un grand sourire.
Je la regardai et lui fit un grand sourire.
« C'est une super nouvelle. Tu seras une mère parfaite. »
« J'ai déjà choisi ses prénoms. J'ai quand même choisi un nom féminin au cas où mes estimations ne s'avéraient pas être les bonnes. »
« Je peux les connaître ? »
Elle me sourit davantage, et je vis ses yeux commencer à briller. J'avais peur de ce qu'elles allaient me dire.
« Si c'est un garçon, je l'appellerai comme son père, Bion. Et si c'est une petite fille, je l'appellerai comme toi, Agria. »
Je me mordis à nouveau l'intérieur des joues. Je ne voulais pas pleurer maintenant. Ce n'était pas le moment de pleurer.
« Je protégerais ton enfant comme je le pourrais. Il deviendra un grand roi. »
Anais me sourit, et me reprit dans ses bras une seconde fois. Je la serrai contre moi, et je l'entendis sangloter. Nous savions toutes les deux que le temps avançait, et que j'allais bientôt devoir partir. J'aurais aimé pouvoir rester plus longtemps avec elle, ou encore avec mes frères.
Il faisait désormais nuit noire, dehors. Je savais qu'il était temps pour moi de partir.
Je me reculai et, après une dernière main serrée, et un dernier regard et sourire partagés, je m'éloignai de mon ami, pour m'avancer vers la grande porte. Pendant que je marchais, j'observais ceux qui chantaient et dansaient autour de moi. Certains m'observaient partir. Je leur accordai un signe de tête comme signe de reconnaissance. Je croisai le regard du roi d'Ithaque, d'Athènes ou encore d'Argos. Katrina, la princesse d'Ithaque, m'observa et me salua d'une légère révérence. Je lui fais un léger sourire, avant de sortir de la pièce.
Lentement, je parcourus le long et épais couloir du palais pour me rendre au temple Héphaïstéion, sur les hauteurs d'Athènes. Je marchais lentement, la nuit m'éclairait le passage. Je montais les marches les unes après les autres. Mes jambes ne tremblaient désormais plus du tout. J'avais l'air plus assuré qu'en début de soirée. J'avais bien profité de cette dernière soirée.
J'arrivai presque contre mon gré face au temple. Il semblait encore plus beau que la première fois que je l'avais vue. J'étais arrivé bien trop vite devant. Je ne pouvais plus faire demi-tour, je devais y aller.
Alors, j'entrai presque timidement dans le temple. Je m'avançai alors jusqu'à l'autel. Il n'y avait personne, juste moi. Je profitai de ces dernières minutes à moi ici, dans ce temple. Bientôt, peut-être, on érigera des temples en mon honneur dans les quatre coins de la Grèce.
Derrière moi, j'entendis des pas. Je me retournai, et je le vis. Apollon était là, il s'approchait de moi. Je restais là où j'étais, l'observant simplement fouler les derniers pas qui nous séparaient l'un de l'autre.
« J'ai comme un air de déjà vue. » Dit-il, avec un sourire en coin.
Je souris.
« En effet. » Répondis-je simplement.
Il attrapa ma main, et je me laissai faire.
« Tu les reverras. Ne t'en fais pas pour cela. »
« Surement. »
Je ne voulais pas dire quoique ce soi de plus. Tout simplement parce que je savais que si je commençais à dire plus de chose, j'allais me mettre à exposer en sanglots, et je ne voulais pas de cela.
« On peut encore attendre quelques minutes si tu veux. »
Je secouai la tête.
« Allons-y maintenant, sinon je vais me dégonfler. »
« Agria ! » Fit la voix d'un garçon derrière le dieu solaire.
Ce dernier se retourna, surprit, tandis que je regardais face à moi. Deux garçons arrivaient en courant dans le temple : Electère et Cléarque. Ils s'arrêtèrent devant nous.
« Tu pars ! Et tu ne nous dis pas au revoir ! » Fit Electère, la mine boudeuse, les joues rouges par la course qu'il venait de faire.
Il ignora totalement le dieu olympien à mes côtés, tandis que Cléarque, lui, était agenouillé face à lui.
Il y eut un léger blanc, où aucun de nous quatre ne savait ce qu'il devait dire ou faire.
« Electère... »
« Tu nous abandonnes sans nous dire au revoir... » Fit le petit garçon.
Il était vrai que c'était ce que je voulais. Je ne voulais pas leur faire mes adieux, je ne voulais pas les voir ce soir. Je voulais partir, comme ça, pour ne pas à avoir à pleurer dans leurs bras.
« Electère... » Répétais-je alors, incapable de dire autre chose.
Il ne répondit pas. Je vis qu'il avait une mine triste sur le visage. Alors, je m'agenouillai face à lui, et attrapai son visage en coupe avec mes mains.
« Electère... Si tu as peur que je t'oublie... Je ne le pourrais jamais. Je me souviens de chaque instant que j'ai passé avec toi depuis ta naissance. N'oublie jamais que tu es le prince d'Athènes. Tu seras roi, un jour. N'oublie pas que je serrais là pour te surveiller. »
Il hocha la tête, avant que je ne lui embrasse le front. Je fis la même chose avec Cléarque.
« Je ne t'oublierai jamais. Jamais. » Insistais-je en le forçant à me regarder dans les yeux.
Je me redressai alors. La suite, je ne m'en souviens que de façon très floue. Je me souviens de voir une dernière fois le regard de mes frères. Je les vois s'éloigner, et je me sentis être transporté par le dieu à mes côtés.
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