CHAPITRE DIX-NEUF


Nous avions réussi à calmer l'hémorragie de mon frère, mais il fallait que nous nous dépêchions de trouver un guérisseur pour pouvoir l'aider. Le prince avait évidemment quelques notions de médecine venant de Chiron, son frère Asclépios et son père, maiss il ne pouvait rien faire mise à part stopper l'hémorragie. Il fallait énormément de repos pour mon frère, surtout qu'une fièvre commençait à lui monter.

Nous avions retrouvé les chevaux et étions rapidement remontés après que mon frère parvint à se mettre debout. Le prince galopait, et mon frère était derrière lui, presque affalé sur lui. Nous galopions rapidement, mais cela faisait mal à Bion. Mais il préférait arriver rapidement à Argos pour qu'on puisse le soigner.

Lorsque nous étions arrivé à Argos, mon frère était presque inconscient. Des gardes couraient vers nous en nous forçant à nous arrêter avant d'avancer davantage dans le palais.

« Je suis Agria, princesse de Corinthe ! Je suis accompagné du prince Alexios de Phtie, fils d'Apollon ! Mon frère, le roi de Corinthe est blessé ! Il a besoin de soin de toute urgence ! » Criais-je alors.

Je pense que les gardes reconnurent mon frère, car dès qu'ils le regardèrent, ils nous laissèrent passer.

Alexios descendit de son cheval alors que de nouveaux gardes arrivaient vers nous. Il aida mon frère à descendre. Il était toujours aussi pâle, et semblait épuisé. Néanmoins, il était capable de bégayer quelques paroles.

« Je vais l'accompagner, va parler au roi d'Argos. » Me fit le prince Alexios avant de s'éloigner avec mon frère et des gardes.

Quant à moi, j'entrai dans le grand palais d'Argos avant que des servantes s'approche de moi. Je leur demandai s'il était possible de voir le roi et la reine de toute urgence. Heureusement, elles m'assurèrent que c'était possible.

Elles me guidèrent à la salle du trône. Je supposais qu'il était l'heure du diner, car des serviteurs se hâtaient les bras remplis de nourriture. Un garde annonça ma venue au roi, avant que je n'entre dans la salle.

Le roi et la reine se levèrent instantanément en me voyant. Lorsque je fus à une certaine distance, je m'agenouillai devant. Je les perturbais pendant leur repas, c'était la moindre des choses à faire.

« Mon roi... Ma reine... » Dis-je, la voix haletante d'angoisse.

La reine s'approcha rapidement de moi, tandis que le roi restait à sa place. Je vis à la table une jeune femme de mon âge. C'était Anais, je l'avais reconnu.

« Ma reine... J'ai besoin d'aide... »

« Dis-moi. »

« Mon frère, le roi Bion et l'époux de ta fille... Il est blessé... gravement... »

J'avais vraiment peur pour mon frère à cet instant. Avant, j'étais encore dans l'euphorie du combat. Mais maintenant, je prenais conscience que la vie de mon petit frère était en danger.

Anais fit un cri de terreur en entendant ce que j'avais à dire. Elle courut en dehors de la salle du trône pour très certainement aller voir son époux.

« Que s'est-il passé, fille guerrière ? » Me demanda le roi.

La reine m'aida à m'approcher un peu plus. Au vu de l'expression de son visage, elle était inquiète pour moi.

« Nous sommes partie de Corinthe ce matin, et nous avons vu une cité qui semblait abandonnée entre nos deux cités, mon roi. Mais une telle cité n'est pas sensée exister ici. Il y avait un géant qui s'y cachéer! Un véritable géant ! Nous avons été contraint de nous battre, moi, le prince Alexios de Phtie et mon frère ! Le géant l'a blessé au flanc gauche avec sa lance ! »

Le roi ordonna à son conseiller d'aller chercher le guérisseur de la cité.

« Un géant ? » Me demanda la reine, les sourcils froncés. « Comment se fait-il qu'un géant soit ici ? »

« Aucune idée, ma reine. Mais selon le prince Alexios, il est mort. »

« L'avez-vous tué ? Mais... »

« Je sais. Nous n'avons pas résolu ce problème. Il y a plus urgent pour moi. Le prince Alexios l'a emmené avec des gardes à l'intérieur. »

Le roi se leva à son tour, et la reine et moi le suivîmes en dehors de la pièce. Nous nous aventurèrent alors dans les couloirs du palais d'Argos, avant de nous retrouver dans une infirmerie. Là, je pus voir le prince, les gardes, mon frère et sa femme. Bion était allongé, des servantes autour de lui chantaient les bandages que moi et le prince lui avait fait.

« Il perd trop de sang, mon roi. Et sa fièvre ne fait qu'augmenter. » Fit l'une d'elles.

Le prince me vit du coin de l'oeil avant de s'approcher moi. Il se pencha vers moi, avant de me souffler.

« Il ne lui reste que quelques minutes. Je suis désolé. »

Je me contentai de regarder mon frère, somnolant, alors que mes jambes commencèrent à nerveusement trembler. J'avais l'impression que toute l'énergie de mon corps me quittait, et que j'allais tomber. J'avais l'impression que j'allais m'évanouir en me rendant compte que j'avais perdu mon petit frère.

Le prince m'aida à m'avancer, et je m'installai sur le lit. J'attrapai la main de mon petit frère, alors que l'autre était dans celle d'Anais. Je me tournai vers elle. Elle pleurait bruyamment.

« Pourquoi... Pourquoi tu pleures ? » Demanda-t-il faiblement.

« J'ai peur... » Dit-elle simplement entre deux sanglots.

Personne ne parlait. La pièce était envahie par les pleures de la jeune femme. Je me mordis les lèvres pour ne pas me mettre à pleurer. Au lieu de cela, je me penchai pour embrasser le front brillant de mon frère. Il me regarda, avant de me faire un sourire.

« Je suis heureux... »

« Pourquoi ça ? » Chuchotais-je.

« Je suis avec... les deux femmes que j'aime le plus... Il ne manque que... Que mes petits frères...»

J'eus envie d'exploser en larmes en l'entendant dire cela. Mais je pris sur moi. Je ne voulais pas qu'il me voie pleurer. Pour qu'il continue d'être heureux.

Avec compassion, je passai une main dans le dos d'Anais. Je la vis mettre la main de Bion sur son ventre légèrement arrondi par sa grossesse. En voyant ça, je ne parvins pas à contenir mes larmes. Je les laissai couler, réprimant un sanglot. Cet enfant allait grandir sans son père.

« Tu lui parleras de moi ? » Demanda-t-il.

Elle hocha la tête.

« A chaque instant de la journée. » Répondit Anais, se forçant à sourire.

« Dis... Dis-lui Bion... » Dis-je.

Il me regarda. Je n'eus rien d'autre à dire, il comprit ce que je voulais dire. Il reporta son attention sur Anais.

« Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime... » Répéta-t-il à plusieurs reprises.

Au bout d'un moment, il ferma ses yeux, et murmura encore un peu en serrant ma main. Puis plus rien. Il n'y avait plus aucun son qui sortait de sa bouche. Il n'y avait aucun mouvement de son corps. Il n'y avait plus aucune pression sur ma main.

Anais se mit à hurler en lui demander de se réveiller. Je me sentis tiré en dehors de lit alors que je commençais à pleurer plus bruyamment. Je criais - j'ordonnais même - à mon frère de se réveiller. Au final, je me retrouvai à l'extérieur de la salle. Je me débattais, mais Alexios me demanda d'arrêter.

« Laisse-moi ! » Criais-je alors.

« Il est parti Agria... »

« NON ! NON ! » Hurlais-je nerveusement.

Le prince ne dit rien. Il me plaqua contre lui, et je continuai à pleurer mon frère. J'étais tellement épuisée, tant moralement que physiquement. J'avais l'impression que tous ces efforts n'avaient servie à rien. J'avais l'impression que cette maudite quête n'était qu'un fiasco. J'étais vue comme un monstre auprès des Hommes, j'avais perdu un frère, abandonné deux autres et laissé mourir le dernier sous mes yeux.

« Il ne voudrait pas te voir comme ça... »

Je le savais, mais c'était plus fort que moi. J'avais l'impression qu'une part de moi était encore en train de se casser un peu plus. Je venais de perdre quelqu'un de plus. Je venais de perdre sous mes yeux mon petit frère. Celui que je m'étais juré de protéger.

« Ce sera qui, le prochain... » Chuchotais-je en me reculant.

Agria attrapa mon visage pour capter mon contact visuel. Nous nous regardâmes alors pendant quelques secondes. Ses joues étaient humides. Il pleurait aussi.

« J'ai perdu Antanasie, mes amis, mon père, ma mère, Diogène, Bion... Qui sera le prochain, Alexios ? »

Il ne répondit pas, mais nous connaissions chacun la réponse.

« Pense à Cléarque qui t'attend, Agria. »

« Il faut envoyer quelqu'un donner la nouvelle... Je ne veux pas être celle qui lui annoncera... »

Il essuya à l'aide de ses pouces les traces laissaient par mes larmes.

Tout aller très vite. Tout allait trop vite. Beaucoup trop vite. Je ne savais plus comment réagir et agir. J'étais persuadé qu'il allait se réveiller d'une minute à l'autre. Il le fallait.

« On va se reposer, d'accord ? »

« Reste avec moi... Je ne veux plus perdre quelqu'un... je ne veux pas que tu partes aussi... »

Il m'embrasse le front, en me chuchotant qu'il resterait à mes côtés. Je finis par me calmer au bout de plusieurs minutes. Il essuyait les dernières larmes qui perlaient au coin de mes yeux.

« Nous allons nous reposer quelques heures, d'accord ? »

Il me prit mes mains tout en me faisant un sourire. Il voulait me rassurer. C'était ce don j'avais besoin. J'avais l'air d'être si fragile à cet instant que j'avais l'impression de me sentir aussi vulnérable que le jour au le prince de Sparte m'avait volé ma chasteté.

Je me fis embarqué dans une chambre que je partageais avec le prince. Je sanglotais toujours, et je restais immobile au milieu de la pièce. Il était là pour moi, mais j'avais l'impression d'être seule. Seule dans ma souffrance, parce que personne d'autres que moi pouvait ressentir ce que je ressentais à cet instant.

Il m'aida à retirer mon armure en voyant que je ne bougeais pas. Ma tunique était partiellement couverte du sang séché de mon frère. Il y avait des tuniques neuves qui nous avaient été apportées. Le prince était déjà vêtu de celle-ci.

« Tu peux retirer ta tunique seule ? » Me demanda-t-il avec douceur.

J'osai la tête en enlevant ma tunique, la jetant loin de moi. J'étais aussi nu qu'Aphrodite lorsqu'elle émergea de l'écume de l'océan, le jour de sa naissance. Je ne faisais pas attention au regard du prince s'il me regardait. Je mis la nouvelle tunique, avant de lever le regard vers Alexios.

Il s'approcha de moi, et m'embrassa le front une seconde fois.

« Tu veux dormir un peu ? »

J'acquiesçai et, rapidement, nous nous retrouvâmes l'un à côté de l'autre sur notre paillasse. Je le vis me regarder avant de passer sa main sur ma joue pour dégager les quelques mèches de cheveux qui recouvraient mon visage.

« Tu es belle. Vraiment belle. »

Il caressait lentement ma joue, et je souris. J'avais tellement pleuré que j'avais mal à la tête, comme ci cette dernière était sur le point d'exploser.

Nous restâmes plusieurs minutes en silence durant lesquels nous nous regardions simplement. Parfois, nos sourires s'élargissaient. Parfois, nous reprenions notre petit sur triste. Il y avait une telle intimité entre nous qui nous laissait sans voix, bloqués dans le regard l'un de l'autre.

...

Alexios et moi étions dans le temple de Poséidon. Nous n'avions rien à offrir à ce dieu, mais nous cherchions la présence d'une de ses paires. Nous étions assis devant l'autel, en silence, sans que nous ne parlions.

Cela faisait deux jours que Bion était parti. Il ne s'était jamais réveillé, comme j'avais pu l'espérer. L'inhumation avait été faite la veille. J'avais été au côté d'Anais tout le long. J'avais de la peine pour elle, mais aussi pour l'enfant qu'elle portait. Je n'avais rien su lui dire pour la rassurer, et je m'en voulais.

« Est-ce que tu veux prier ? » Demanda Alexios.

Je secouai la tête négligemment. Je n'avais pas la tête à prier.

« Ça te ferait peut-être du bien de discuter avec la princesse. »

« Peut-être. »

J'entendis un bruit à l'entrée du temple. Alexios et moi tournions la tête. Elle était là, debout. Elle avait dans les mains un panier. Elle s'approcha lentement, alors que nous nous levions. Nous nous inclinèrent, mais elle ne fit un signe pour nous montrer que cela n'était pas nécessaire.

La jeune femme était désormais devant nous.

« Est-ce que tu vas bien, princesse d'Argos ? » Demanda alors Alexios. « Pouvons-nous faire quoi que ce soit pour toi ? »

J'étais toujours fasciné par sa façon de parler à une jeune femme. C'était d'une extrême douceur, et rempli de respect.

« Ne vous inquiétez pas. Je venais prier. »

« Pouvons-nous rester ? »

Elle sourit légèrement, approuvant silencieusement la demande. Nous restâmes en retrait durant sa cérémonie. Elle parla à Poséidon comme si elle parlait à son confident. Elle lui exprima sa peine. Alexios et moi ne faisions que de nous lancer des regards, comme si nous demandions à l'autre de faire un pas vers elle.

Lorsque la cérémonie fut terminer, je fus alors la première à parler.

« Je suis désolé. »

Je ne fus capable de ne dire rien d'autre. Elle se tourna et me fit un petit regarda attristé. Ses yeux étaient rouges tant elle avait pleuré ces deux derniers jours. Moi, je n'avais plus de larmes à faire couler. Je n'arrivais pas à en faire couler une seule. A présent, j'étais en colère. En colère contre absolument tout, même sur moi-même.

J'étais fatigué de voyager, de perdre des gens, de me battre. J'étais épuisé, et je ne voulais qu'une chose : que les choses s'arrêtent.

« J'espère que vous aurez l'occasion de rester plusieurs jours ici. » Fit Anais. « C'est un honneur de recevoir un demi-dieu et la soeur de mon époux sous notre toit. »

Je lançai un regard vers Armin qui se contenta d'observer le sol. Luis aussi était mal à l'aise avec elle. Lorsque nous pensions à elle, nous pensions directement à Bion, et cela me brisait le coeur.

« Nous devons être fortes. Pour lui. » Dit Anais avant de m'attraper les mains. « Il voudrait que l'on soit forte, que nous continuions de vivre pour lui. Et je dois garder la santé pour donner naissance à notre bébé. Je laisserais une partie de lui dans ce monde. Il sera toujours là. »

Je lui souris, acquiesçant légèrement.

« Ton enfant est chanceux d'avoir un père aussi gentil que Bion. »

Elle sourit à son tour. Je vis une larme couler sur sa joue qu'elle balaya presque immédiatement.

« Que les dieux te protège, Agria de Corinthe. » Me dit-elle, un grand sourire aux lèvres.

A côté de moi, Alexios souriait légèrement. Alors, je fis la même chose, avant de prendre la jeune femme ana ses bras. Elle me serrait, et je fis de même. Elle portait mon neveu en son sein. Elle était de ma famille, et je me devais de me battre pour elle et son bébé.

Le combat ne faisait que commencer. 

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