CHAPITRE DEUX
La nouvelle de mon futur mariage avec le prince Euryanax était vite arrivée aux oreilles de ma mère. Le soir même, alors que j'étais seule dans ma chambre, ma mère était venue me rendre visite pour s'assurer que tout allait bien.
« Ce n'est qu'une mauvaise période à passer, ma fille. » M'avait-elle dit.
Mais elle ne comprenait pas : ma mère avait toujours été folle amoureuse de mon père, alors ça ne lui avait posé aucun problème de l'avoir épousé à un âge précoce. Mais moi, épouser un homme qui a le double, voire le triple de mon âge ne me donnait pas envie.
« Tu ne comprends pas, maman. » Lui dis-je, l'air excédé. « Je ne peux pas épouser cet homme, il va me violenter. »
« Seulement si tu te comportes mal avec lui. »
« Il va me violer. »
« Mais il te donnera des enfants, et tu te raccrocheras à eux. »
J'étais presque choqué ; ma mère, sans réellement s'en rendre compte, était tout aussi pire que mon père.
« S'il veut que je devienne une princesse de Sparte, qu'il me laisse épouser le prince Nicias. Je promets d'être une épouse exemplaire avec lui... »
« Mais le prince Nicias ne sera jamais roi. »
« C'est toi qui m'avais dit que c'était un bon parti. »
« C'était pour t'encourager à lui parler. »
Décidément, j'étais vraiment seule contre tous...
« Ecoute ma chérie, » Fit ma mère d'une voix douce en caressant ma joue. « Tu es Agria, princesse de Corinthe, il est de ton devoir d'épouser un roi et de devenir reine... »
« Et si je ne voulais pas devenir reine ? »
« Tu es... Tu es une femme, tu n'as pas à choisir ton futur. Ton père fait tout pour toi, ma chérie. »
Je suis une femme, donc je dois me taire et me soumettre. C'était que sous-entendais ma mère. J'étais agacé par ce qu'elle me disait. Comment une mère pouvait dire cela à sa propre fille ? Elle n'était même pas de mon côté, et elle se fichait bien de ma souffrance.
Je la vis se relever après m'avoir embrassé le front.
« La nuit te portera conseil, ma fille. » Dit-elle avant de me laisser seule.
Mes yeux se fermèrent. Je serrai les poings si fort qu'ils me faisaient souffrir. Mais ils ne me faisaient pas aussi mal que mon coeur à cet instant. Mon père m'agaçait, le prince Euryanax m'agaçait, la reine m'agaçait, ma mère m'agaçait, tout m'agaçait.
Mon père m'agaçait d'être autant attiré par le pouvoir. J'espérais au fond de moi qu'un jour, mon père serait puni par les dieux pour être autant attiré de pouvoir. Le prince Euryanax m'agaçait d'être ce genre d'homme qui prenait de haut les jeunes femmes, et il m'agaçait d'être l'ainé de sa fratrie. La reine m'agaçait d'être finalement comme toutes les autres femmes, à vouloir marier ses enfants à tout prix. Ma mère m'agaçait de ne pas me comprendre. Peut-être que ces rumeurs étaient vraies. Après tout, peut-être que ma mère était véritablement faible d'esprit.
J'espérais que les dieux n'aient pas entendus mes pensées, je ne voulais pas que l'on sache que j'avais manqué de respect à ma mère.
Sur ma paillasse, je me recroquevillai sur moi-même et tentai tant bien que mal de trouver le sommeil, mais en vain. Je restai une bonne partie de la nuit allongée dans le noir, seule, confrontée à mes pensées.
Le lendemain, une servante était venue me réveiller pour que je puisse prendre mon petit-déjeuner. Je n'avais pas réellement faim ce matin-là, mais je me forçai tout de même à m'y rendre, juste pour passer un peu de temps avec mes petits frères.
Lorsque j'arrivai dans le séjour, l'un de mes frères me sauta dans les bras. Je le pris dans mes bras et m'avançai vers la table. Je l'installai sur mes genoux et le laissai manger. Quant à moi, je ne touchai à rien, observant simplement ma famille manger.
« La famille de Sparte reste plus longtemps avec nous. » Fit la voix forte de mon père. « Ils resteront quelques jours supplémentaires afin que l'on organise le mariage de votre soeur avec le prince Euryanax, le futur roi de Sparte. »
Soudain, il y eut un énorme silence. On pouvait presque entendre le bruit des mouches et des moustiques voler autour de nous. Même les serviteurs avaient cessé toutes activités, surpris par l'annonce.
« Annie n'a pas encore l'âge de se marier. » Fit Bion, mon premier frère.
Bion et moi n'étions pas réellement proches, bien qu'il soit le plus âgé de mes frères. Je me souviens que lorsque nous étions petits, nous jouions beaucoup ensemble. Mais après, Bion était devenu plus grand, et à vite commencé son entraînement pour devenir un guerrier. Aujourd'hui, il avait onze ans, et il ressemblait toujours à un enfant. Je le trouvais si mignon avec ses joues rondes d'enfants, ses yeux bleus comme l'océan, ses cheveux courts et blonds. J'aurais aimé que nous restions des enfants afin que nous puissions continuer de jouer ensemble pour l'éternité.
« Votre mère m'a épousé alors qu'elle avait le même âge que votre soeur. » Lança mon père.
« Elle reste quand même trop jeune. Attends au moins ses quatorze ans, père. Elle ne doit pas être encore prête à... »
« C'est non négociable, mon garçon. Ta soeur deviendra la reine de Sparte. »
Je baissai les yeux vers le sol, comme pour essayer de camoufler les larmes qui voulaient s'écraser sur mes joues. Je sentis la main de main frère venir tenir la mienne. Je la serrai légèrement, et ne la lâchai pas de tout le repas.
« C'est un bon garçon, il s'occupera bien de votre soeur, les garçons. »
« Permet moi d'en douter. » Finit par dire Bion dans un murmure.
Je serrai sa main encore plus fort, comme pour lui dire d'en arrêter là. De toute façon, ça ne servait à rien d'insister : mon père avait décidé que ça se passerait ainsi, et lorsque mon père voulait quelque chose, il l'avait toujours. C'était sans espoir.
« J'espère que tu lui donneras rapidement des enfants. »
Je mordis l'intérieur de mes joues. Je pouvais sentir le regard de ma famille et des serviteurs sur moi.
« Quand a-t-elle eu ses dernières règles ? » Demanda soudainement mon père.
Je relevai le visage vers mon père et le regardai, les yeux ronds. En général, ce n'était pas à un père de poser cette question. L'époux pouvait le demander, la mère aussi, mais pas le père.
« Père laisse... » Commença Bion, la voix agacée.
« Je posais la question aux serviteurs, pas à toi. »
Une servante s'avançai donc. Comme c'était elle qui m'aidait à faire ma toilette, il était naturel que ce soit elle qui informe mon père.
« Mon... Mon roi... La princesse Agria n'a pas encore eu de menstruation... » Finit-elle par dire.
Voilà, c'était dit. Treize ans, bientôt une femme, mais toujours pas capable de donner des enfants.
Je vis le regard de mon père se poser sur moi, et je le détournai aussitôt. Je ne voulais pas être confronté à ça. J'étais trop fatigué pour cela.
« Je t'avais dit qu'elle était trop jeune, père. Attends au moins ses quatorze ans. » Continua Bion, tentant de m'aider.
« SILENCE ! »
Je sentis mon petit frère sur moi sursauter, en lâchant un petit cri d'effroi. J'embrassai l'arrière de son crâne, comme pour le rassurer. Il vint se nicher contre moi.
Malgré tout, je voyais là une issue pour moi de décaler le mariage. Je n'avais pas encore la capacité de porter la vie, je ne pouvais pas encore épouser un homme. J'étais trop jeune pour cela.
« Ma décision est prise. Tu feras semblant d'avoir des saignements jusqu'à ce que tu saignes vraiment. » Dit-il en se levant. « Tu me déçois, ma fille. »
Je ne le regardai même pas partir. Je fermai les yeux lentement, avant de les rouvrir. Encore une fois, tous les regards étaient posés sur moi. J'avais été une fois de plus humiliée par mon père. Après chaque humiliation, je le détestais encore un peu plus.
« Agria, allons prendre l'air. » Me fit mon petit frère en se levant.
Je fis donc de même, posant mon petit frère sur le banc. Sans un dernier regard pour ma famille, je suivis mon frère.
Pendant plusieurs minutes, nous marchâmes en silence. Il n'y avait que le bruit de nos respirations. Lorsque nous croisions des serviteurs, ils s'inclinaient devant nous.
Non, pas devant nous, devant lui. Devant Bion, leur futur roi.
En arrivant dans la cour extérieure, nous pûmes apercevoir la famille royale de Sparte au complet, en train d'admirer la cours. La cour de notre palais était presque une attraction nationale. Il avait tant d'arbres, de buissons, de fleurs et de sculptures, c'était l'une des fiertés de mon père. Il se ventait toujours d'avoir l'une des cours les plus belles de Grèce - si ce n'était pas la plus belle selon lui -.
Je reculai et cachai mon visage avec mes mains avant que leur regard ne se pose sur moi. Mon frère eut le réflexe de se mettre devant moi alors que le roi et la reine s'approchaient de nous, accompagnés de leurs files.
« Prince Bion. » Fit d'une voix forte le roi de Sparte.
« Roi Pytias. » Répondit mon frère, sur un ton plutôt calme.
« Qui caches-tu derrière toi ? »
« Ma soeur. Elle ne porte pas son voile, elle ne souhaite pas que vous voyez son visage. »
« Le mariage est déjà arrangé, c'est comme si elle était mon épouse. » Intervint la voix d'Euryanax.
Je calai mon visage contre le dos de mon frère pour être sûr de ne pas le montrer. Bien qu'il soit mon petit frère, il était plus grand que moi d'une demi-tête.
« Je te prierai d'attendre d'épouser ma soeur pour voir son visage, mon prince. »
Je ne remercierai jamais assez mon frère pour ce qu'il faisait pour moi. Peut-être était-il le seul à me comprendre, avec le prince Nicias.
« Ne mets pas ta future femme dans l'inconfort, mon fils. » Intervint la reine. « Sois patient. »
« En tout cas, elle a de beaux cheveux blonds. » Continua-t-il.
Je pouvais le sentir se rapprocher, mais mon frère nous forçai à reculer.
« Je te demanderai de ne pas manquer de respect envers ma soeur. »
« Pour qui te prends-tu ? Je suis le futur roi de Sparte. »
« Et moi, le futur roi de Corinthe. Et le frère de ta future femme. Tu es sur mes terres, tu me dois le respect. »
Il y eut un silence pesant, avant que mon frère ne reprenne.
« J'espère que la cours vous plaît, notre père a toujours pris soin de cette partie de la maison, plus que les autres. » Dit mon frère, histoire de changer de sujet pour apaiser la tension.
« Cela se ressent, mon prince. » Fit la reine Phrynon en s'inclinant.
La conversation était terminée, et c'était parfait comme cela. Je me décalai de mon frère qui se tourna vers moi.
« Merci, Bion. » Remercie-je, d'un léger hochement de tête.
Il pinçai légèrement ses lèvres et s'avançai pour s'installer sur un banc, là où se trouvait la famille de Sparte il y a quelques minutes de cela. Nous nous installâmes en silence, personne ne parlai.
« Je le déteste déjà. » Fit Bion.
« Tu n'es pas le seul, crois moi. »
« Si je pouvais éviter ce mariage, tu peux être sûr que je le ferais, et je t'aurais laissé choisir quand et avec qui. »
Je lui fis un sourire attendrissant.
« Je le sais. Mais tu n'es pas roi, et tu n'es pas mon père. Tu es juste le prince pour le moment, et tu es mon petit frère. »
« Petit frère mais je suis plus grand. » Lâcha-t-il, un sourire malicieux.
« Tu es un garçon en pleine croissance. » Me défendis-je avec le même sourire.
Plus jeunes, Bion et moi étions réputés pour en faire voir de toutes les couleurs aux serviteurs. Nous faisions des bêtises dès que nous en avions l'occasion. Je me souviens qu'un jour, pendant que les serviteurs étaient occupés, Bion et moi étions allés dans la salle des armes. Etant trop petits, nous avions interdiction d'y aller. Mais nous avions toujours eu un certain goût pour l'aventure et surtout pour l'interdit. Alors, une fois dedans, nous avions commencé à jouer avec les armes. Lorsque les serviteurs nous avaient retrouvés, ils s'étaient dépêché de tout ranger pour que le roi ne s'aperçoive de rien.
Le temps avait passé, et mon père avait décidé que mon frère devait commencer son entraînement de guerrier dès l'âge de neuf ans. C'était bien trop tôt, encore une fois. Mais il nous fallait nous plier aux exigences de notre père.
« Père a dit qu'il voulait que je suive les enseignements de Chiron. »
Je regardai mon frère avec surprise.
« Le centaure Chiron ? Est-il au courant que tu n'es pas le fils d'un dieu ? »
« Père pense que le fait que nous descendons de Jason et Bellérophon suffit. »
« Qu'il est naïf... »
Jason et Bellérophon avaient été deux souverains de Corinthe. Mais nous n'avions pas leur sang dans le nôtre. Et même si nous en avions, il ne devait plus exister, car cela remontait à plusieurs générations.
« Sauf que si on regarde nos ancêtres, on ne descend pas de Jason, ni de Bellérophon, mais de son frère Chariton. » Répondit mon frère.
« Va dire ça a père... »
« J'espère que tu enseignes à nos frères notre véritable lignée, pour qu'ils évitent d'être trop imbus d'eux plus tard. »
« Ne t'en fais pas pour ça, mon frère. Ils savent quelle est leur place. » Le rassurais-je alors.
Je tournai la tête vers Bion regardait devant lui. Il avait un profil parfait - selon moi -. Il avait des mèches blondes qui lui tombaient sur le front, camouflant légèrement ses yeux bleus. Son nez était comme le mien. J'aime à croire que c'était notre marque de fabrique.
« Tu feras un bon roi. Meilleur que notre père, en tout cas. » Lui dis-je presque dans un murmure.
« Je viendrai te rendre visite quand je serai roi. Très souvent. »
Je levai la main et la glissai entre ses mèches blondes. Il tournai la tête vers moi. Je sentis une larme couler le long de ma joue. Il m'attirai alors contre lui, et je laissai les larmes que je retenais depuis la veille couler. J'en avais besoin, je devais pleurer un bon coup pour éviter de craquer pendant le mariage.
« Un père devrait avoir honte de faire pleurer sa fille. Un père est censé protéger sa fille et la chérir, il n'est pas censé s'en débarrasser... » Dit-il, d'une voix colérique.
« Notre père n'est pas un bon père, ce n'est pas nouveau... » Dis-je en me reculant légèrement.
« Je pense à nos frères. A Cléarque, Diogène et Electhère... Comment vont-ils faire sans toi ? C'est pratiquement toi qui élèves nos frères... Mère se contente de s'offrir à père... J'ai horreur de ça... »
« Mère aime père, tu n'y peux rien. »
« Elle n'a aucune raison de l'aimer. »
J'étais d'accord avec lui, je ne voyais pas réellement pourquoi ma mère aimait mon père. Ce n'était pas vraiment un bel homme. Il était petit, avait un oeil plus petit que l'autre, et sentait une odeur semblable à celle d'un soldat qui venait de combattre pendant des jours sans s'arrêter. A la différence que mon père était bien trop gros pour entrer dans une armure de guerre. Il était désagréable, et ne vivait que pour le pouvoir et la gloire. Il lui arrivait même parfois d'être violent. Il n'avait définitivement rien pour plaire.
« Mère n'est qu'une simple d'esprit, après tout. »
« Ne dis pas ça... »
« J'ai entendu les servantes dire qu'elle attendait un nouvel enfant. »
Je soupirai.
« Encore ? »
« Encore. »
Electhère n'avait que quelques mois, et voilà que maman était encore enceinte. Les grossesses se rapprochaient de plus en plus, et je m'inquiétais pour elle : elle était encore si jeune, mais cela n'empêchait pas les risques durant l'accouchement.
« J'espère que ce sera un garçon. » Répondis-je.
« J'espère que ton mari ne te forcera pas à lui donner trop d'enfants... »
« Les hommes aiment se vanter d'avoir une longue progéniture, dans la majorité des cas. »
Bion m'attrapa la main, comme dans le séjour, est la serra.
« Je serai toujours là pour toi, ma soeur. »
Ces paroles me réchauffèrent le coeur. Je souris sincèrement à mon frère avant de caresser sa joue et d'embrasser l'autre. Il me sourit à son tour. Pendant un court instant, nous avions retrouvé notre complicité d'enfance. Mais c'était trop tard, maintenant. Dans quelques jours, j'allais partir pour Sparte dans ma nouvelle famille.
« ANNIE ! BION »
Je reconnus immédiatement la voix de mon frère Diogène. Je me tournai et le vis courir. J'ouvris mes bras pour lui intimer de finir sa course vers moi, ce qu'il fit. Je le portai, et je tournai sur moi-même avec lui dans mes bras. Ses rires cristallins envahirent la cours et réchauffèrent mon coeur meurtri. J'aimais mes frères, plus que n'importe qui.
« Annie ! Raconte-nous l'histoire de Bellérophon ! » Criai Cléarque en s'avançant vers nous.
« Tu connais l'histoire par coeur, mon frère. »
« Moi aussi je veux l'entendre. » Fit Bion.
Je le regardai et rapidement, les trois garçons se retrouvèrent assis devant moi, prêt à écouter mon histoire. Si mon père était présent actuellement, il aurait crié au scandale : des princes n'avaient pas à s'asseoir au même le sol devant une femme, même si cette dernière était une princesse et une future reine.
« Notre histoire commence ici, sous le soleil de Corinthe. » Commençais-je, alors que des serviteurs s'approchaient pour se convier au spectacle. « Bellérophon tue accidentellement un homme et doit, par conséquent, quitter la ville. Son exil va le mener à Tyrinthe où le roi Proetos consent à le purifier. Mais en réalité, les vrais problèmes ne font que commencer... Sthénébée, l'épouse du roi Proetos, s'enflamme pour le jeune Bellérophon. Mais chez le jeune homme, les sentiments ne semblent pas réciproques. Alors, pour se venger, elle décide de l'accuser de viol. Bellérophon est donc expédié chez Iobatès, roi de Lycie, qui n'est autre que le père de Sthénébée.
» Tandis que Iobatès, pour venger sa fille, l'envoie combattre la terrible Chimère, Bellerophon voit en cette vengeance une épreuve dont il est possible de prier quelques gloires. Le jeune homme, accompagné du cheval ailé Pégase, terrasse le monstre, mais vient aussi à bout de différents ennemis que le roi de Lycie s'acharne à placer sur son chemin. C'est ainsi que Bellérophon accumule les prouesses qui font l'étoffe des héros. Le roi de Lycie, plein d'admiration devant tant de courage et d'habileté, reconnaît sans difficulté les origines divines de Bellérophon et l'engage a demeurer à ses côtés.
» Lorsque Iobatès présente la lettre de Proétos à Bellérophon, ce dernier prend la mesure de la fourberie de Sthénébée. Bien décidé à se venger des calomnies dont il est victime, il retourne à Tyrinthe, que Sthénébée parvint à quitter à temps sur le dos de Pégase. Mais dans sa folle échappée, la reine est désarçonnée par le cheval ailé et tombe dans la mer, se tuant sur le coup.
» On raconte aussi que Sthénébée, apprenant le retour de Bellérophon, se donne la morte, échappant ainsi à la vengeance du héros corinthien. Ce dernier, désormais purifié de la faute qu'il n'avait pas commise, retourne à Lycie et épouse Philonoé, la soeur de Sthénébée, avec il aura deux fils, Isandors et Hippolochos, et une fille, Laodamie, qui s'unira elle-même avec le roi des dieux, donnant naissance à Sarpédon.
» Mais gare au mortel qui, succombant aux plaisirs de sa puissance, confond son renom avec celui des dieux ! Bellérophon commet cette erreur, et paie au prix fort. Monté sur Pégase, il tente de rejoindre l'Olympe, la demeure céleste et sacré où nul n'entre sans l'autorisation de son roi, Zeus. En apercevant l'impudent qui vint vers lui, le roi des dieux n'a aucun besoin de déchaîner le foudre sur le malheureux : il envoie simplement un taon piquer Pégase, qui fait un brusque écart et désarçonne son cavalier. Nul ne sait si Bellérophon est mort sur le coup, ou s'il est devenu aveugle ou infirme. »
Devant moi, les serviteurs commençaient à m'applaudir. Mes frères entrèrent dans leur jeu. Cela m'amusai, et mes joues s'empourprèrent. C'était rare que l'on applaudisse une femme. Je fis un large sourire avant de saluer la foule de spectateurs d'un air théâtral. Amusés, mes frères en demandèrent encore. D'ailleurs, les serviteurs aussi. Ils profitaient que mon père ne soit pas dans les parages pour se reposer et s'amuser un peu.
« Je ne sais pas de qui je peux vous raconter l'histoire... »
« Ma Dame, racontez nous la création du monde ! » Fit une servante.
J'aperçus le ventre de cette servante arrondi. Je savais que c'était soit l'enfant d'un serviteur, soit un bâtard de mon père, et cela me brisa le coeur. Je déviai rapidement le regard.
« D'accord. »
Je vis mes frères sourirent davantage.
« Au commencement, il n'y avait rien. Rien, sauf Chaos. Chaos est un gouffre sans fond, il est un tourbillon d'où le monde est sorti. Mais il est aussi une brume humide plongée dans une obscurité sans fin. Avant que la mer, la terre et le ciel ne naissent, l'univers n'était qu'une masse informe et confuse qui n'était qu'un poids inerte. C'était un espace désorganisé, et très difficile à déterminer.
» Mais Gaïa finit par sortir de Chaos. Elle est le premier élément solide, stable, fini, qui est apparu dans ce qui n'était jusqu'à là qu'un milieu mouvant et instable. Gaïa s'apparente à un disque plat, comme une surface horizontale. Elle est la première divinité à sortir de Chaos.
» Gaïa fut suivie de près par Eros, l'Amour. Non pas le fils d'Aphrodite, mais la force élémentaire qui unit les éléments de l'Univers entre eux, comme une énergie transformatrice qui permet une création continuelle. Eros représente le désir, la puissance de renouvellement, de reproduction sans laquelle rien n'existe. Eros est indispensable à l'origine du monde, car c'est grâce à lui qu'il s'agrandit et qu'il devient plus important.
» Enfin, vint le Tartare. Tartare est le fond de la Terre. C'est le monde souterrain. Logé dans les profondeurs de Gaïa, c'est un lieu très obscur. Plus tard, il deviendra une partie des Enfers. C'est ainsi que les premiers éléments sont créés. Gaïa et Chaos étaient destinés à être séparés pour que le monde commence à se créer.
» Sous l'influence d'Eros, Chaos donne naissance à Erèbe, les ténèbres, et Nix, la Nuit. Ensemble, ils donnèrent naissance à Héméra, le Jour, et Ether, l'Air Supérieur. De nouvelles divinités en parallèle avec Gaïa et Chaos se mettent en place : Ténèbre et Nuit sont des puissances d'obscurité, ils sont deux aspects de l'obscurité du monde. La Nuit est dans le monde d'en haut, est Ténèbres est dans le monde d'en bas. Ténèbre est le noir absolu d'en bas comme Ether est la lumière absolue d'en haut. Ils ne se rencontrent jamais, ils n'ont aucun contact entre eux. La Nuit et le Jour se complètent et n'existeraient pas l'un sans l'autre, ils se succèdent. La temporalité est mise en place par l'alternance entre la Nuit et le Jour. Le Temps né grâce aux descendants de Chaos.
» De son côté, Gaïa met au monde Ouranos, le Ciel. Ouranos est aussi grand que sa mère. Gaïa engendre aussi les Montagnes. Ces dernières vont venir donner du relief à Gaïa. Puis, elle engendre Pontos, la mer. Pontos représente la mer salée, la haute mer, cette mer dangereuse. C'est ainsi que nos terres sont créées.
» Poussé par Eros, Ouranos va s'unir avec Gaïa. L'union d'Oursons et de Gaïa explique pourquoi il faut un homme et une femme pour avoir un enfant. Ils auront plusieurs enfants ensemble. Tout d'abord, il auront les Titans. Au nombre de douze, ils sont dotés d'une extrême puissance. On compte six Titans et six Titanides : Océan, Coeos, Hypérion, Crios, Japet, Cronos, Téthys, Rhéa, Phoebé, Théia, Thémis et Mnémosyne.
» Egalement, ils auront les Cyclopes. Avec comme particularité d'avoir un oeil unique au milieu du front, ce seront les forgerons des dieux. Appelé aussi Cyclope Ourania pour les distinguer des autres cyclopes qui arriveront plus tard, ils ont pour nom Brontès, Stéropès, et Argès.
» Et puis, il y a les Hécatonchires. Ce sont des géants avec cent bras et cinquante têtes. Ils incarnent la force physique par excellence. Ils se nomment Briarée, Cottos et Cygès.
» Mais Ouranos et Gaïa ne s'entendaient pas très bien. Ouranos était un très mauvais père, il haïssait ses enfants. Il ne les laissait même pas voir la lumière, car il les enfouissaient dans Gaïa. Cette dernière ne supportait plus cette situation qui devenait insupportable pour elle. Seul Cronos, le petit dernier, accepta d'aider sa mère à se révolter. Cronos s'arma alors de la faucille d'acier que sa mère avait tirée tout aiguisée de son sein. Cronos sortit discrètement de Gaïa et castra Ouranos. Le sang jaillit de la blessure d'Oursons et se répandit sur la Terre à la large poitrine et féconda une nouvelle fois Gaïa.
» De ces éclaboussures de sangs naquirent les Erinyes. Alecto l'Implacable, Tisiphoné la Vengeresse, et Mégère l'Envieuse, sont les divinités de la vengeance. Elles ont un coeur avec des ailes, des cheveux avec des serpents et tiennent dans la main une torche consumée. Elles ont pour mission de chasser les criminels de sang dans les familles.
» Ensuite, les géants armés furent engendrés. Ils sont mortels, mais ils ne peuvent mourir que s'ils sont tués par des mortels et des dieux en même temps. Ils sont des divinités guerrières.
» Les nymphes de frêne, aussi appelées nymphes méliennes, naquirent. Personnification des forces de la nature, elles sont des divinités des arbres, et elles fabriquent des lances avec ces arbres.
» Les testicules d'Ouranos tombent dans la Mer alors que le sang tombe sur la Terre. Laissant s'échapper du sperme dans l'eau, Ouranos donnent involontairement naissance à l'écume. Une forme féminine apparut de cette écume : la belle Aphrodite. Elle vogue longtemps sur les flots avant d'attendre Cythère.
» Ouranos, mutilé, s'éloigne de Gaïa et s'installe définitivement sur le toit du monde parsemé d'étoiles. Cronos s'empare ainsi du pouvoir et libère ses frères et soeurs encore prisonniers des entrailles de Gaïa.
» Ainsi apparut la première génération divine. Des éclaboussures de sang d'Ouranos naît la violence et la haine, et de son sperme naît la beauté, l'amour et le désir. »
J'allais continuer mon récit sur la naissance des dieux de l'Olympe, en parlant de la destitution de Cronos, mais je fus coupé. En relevant la tête, je pus voir mon père, les bras croisés à plusieurs mètres de nous. Je le regardai simplement.
Mon frère Bion semblait comprendre, puisqu'il se tourna, les serviteurs l'imitèrent. Chacun se dépêchai de se relever et de retourner à ses activités comme si de rien était. Moi, je restai là, debout, les bras ballants, fixant mon père. Je vis son corps se mettre en mouvement. Malgré sa petite taille pour un homme, il était si grand comparait à moi tant j'étais petit. Il faisait un pas lorsque j'en faisais trois. Il se plantai devant moi encore plus vite que je ne l'avais imaginé.
« Que faisais-tu, jeune fille. »
« Je racontais des histoires à mes frères. Les serviteurs ont étés attirés et sont venus m'écouter. »
« Tu les déconcentres dans leur travail. »
« Ils faisaient une pause, ils se sont remis immédiatement au travail. »
« Ne me réponds pas quand je te parle. »
J'obéis alors. Je n'allais pas prendre le risque de le défier maintenant.
« Tu devrais aller t'occuper de ton plus jeune frère. Ta mère n'est pas là. »
« D'accord. » Fis-je en m'inclinant légèrement devant mon père.
Je me précipitai à l'intérieur de la maison. J'y courrai presque, comme si j'essayais d'être le plus loin possible de mon père. J'arrivai très rapidement dans la pièce où se trouvait mon petit frère. Il était allongé dans son petit lit, éveillé.
Je m'approchai de lui et caressa doucement sa petite joue ronde. Il me fit un petit sourire, puis il attrapai mon petit doigt qu'il serai dans sa main potelé. Je souris à mon tour : il était si adorable...
Pendant une bonne partie de la journée, je restai avec lui. Electhère était le genre de bébé que l'on n'entendait jamais. Il était toujours très calme, très silencieux, pleurant rarement. J'aimais particulièrement les moments où je l'allongeais sur moi et qu'il gazouillait en s'amusant avec mes cheveux. Chaque moment partagé avec mes frères était des moments que je chérissais.
Je profitais de pouvoir passer du temps avec ce bébé, car je savais que je partirais bientôt, et que lorsque je le reverrais, il serait sûrement un jeune homme.
Même si j'étais résolue, une partie de moi se disait que je n'allais pas épouser ce prince. Une partie de moi était persuadée que j'allais être sauvé à la dernière minute. Je l'espérais tellement fort, mais cet espoir n'était qu'illusion. Il aurait fallu un miracle pour me libérer de cette situation.
Toute l'après-midi, j'étudiai les différentes possibilités qui me permettraient de m'échapper de ce mariage. Etonnement, j'en trouvai quelques-unes.
La première, c'était que le prince Euryanax pourrait tomber malade et mourir dans les prochains jours. C'était mal de penser à sa mort, mais au moins, je serai certaine de ne jamais me marier avec lui s'il mourrait.
Il y avait aussi la mort de mon père qui pourrait m'aider. Si mon père n'est plus le roi de Corinthe, c'était mon frère Bion qui le deviendrait. Sachant que ce dernier m'avait dit qu'il aimerait éviter ce mariage. Mais ce n'était pas bien de penser à la mort de son père. J'espérais que les dieux n'entendent pas mes pensées.
Ou alors, je pourrais causer la mort de quelqu'un. Au moins, je serai certaine de ne pas me marier avec ce prince. Si je venais à tuer une personne importante, sois je devais mourir, sois je devais être exilé, comme Bellérophon le fut. Je ne sais pas réellement où mon père m'amènerait. Enfin, j'étais sûr que mon père choisirait de me tuer plutôt que de me laisser en exil.
Je pourrais aussi fuir la ville et explorer la Grèce en essayant de trouver quelqu'un qui voudrait bien de moi. Je pourrais aider cette personne. Mais je n'étais pas certaine de survivre.
Je ne savais pas réellement quelle solution était la plus plausible. Mais il me semblait inévitable de me libérer de ce mariage forcé. Je deviendrai, d'ici quelques jours, princesse de Spart en épousant son futur roi. Beaucoup de jeunes femmes voudraient être à ma place, je le reconnais. Ce serait un honneur d'occuper la place qu'occupait la reine Hélène il y a de cela plusieurs années. Mais je n'aspirais pas à être reine.
J'avais toujours espéré échapper au mariage. J'avais songé, il y a quelques mois, à devenir une prêtresse d'Apollon, mais mon père ne voyait pas l'utilité de conserver ma virginité pour un dieu qui ne me reconnaîtrai jamais. Soit.
Toujours était-il que maintenant, j'étais certaine que ce mariage aurait bien lui. Et ça, je ne le supportais pas.
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