Les amants du clair de lune
— J'adore les haïkus, lui confie Gaël un soir où il feuillette un magazine de voyage ramassé en centre-ville.
Sans trop voir le rapport entre les deux, Azura regarde les photos par-dessus son épaule. Un ciel immaculé surplombe une mer azure qui, plus loin, vient border une plage de sable blanc. Il hausse les sourcils, peu convaincu. La moitié des bénéfices des agences de voyage devraient revenir aux créateurs de Photoshop.
— Je trouve ça évocateur, poursuit Gaël, rêveur. Avec assez de talent, c'est comme une photographie mise en mots.
— Et t'en as jamais écrit ? s'étonne Azura.
Gaël frotte le bout de son nez d'un air embarrassé. Ses jambes se croisent sous le plaid jeté sur leurs genoux.
— Une seule fois, avoue-t-il. J'ai voulu essayer mais j'étais pas satisfait, alors j'ai jamais retenté l'expérience.
— Tu veux dire que t'as pas atteint la perfection immédiatement ? Je suis choqué et déçu.
— La ferme, Azu.
Gaël le pousse du coude, déclenchant l'hilarité chez son ami qui fait mine de frotter ses côtes douloureuses.
— Je peux l'entendre ? réclame ce dernier.
— Ça fait des années, rétorque Gaël. Tu crois vraiment que je m'en souviens ?
— Je sais que tu t'en souviens. Un premier haïku, c'est comme le reste, ça s'oublie jamais. Et puis, tu serais pas en train de virer au rouge pivoine si tu l'avais vraiment effacé de ta mémoire.
Pris sur le fait, Gaël se masse les joues dans l'espoir de cacher leurs couleurs. Il soupire, vaincu, et se racle la gorge.
— Bon, si t'insistes, ça ressemblait à quelque chose du genre. Le nectar pourpre de mes ancêtres, coule à flot sur mes lèvres entrouvertes, la lune me sourit en retour.
Gaël s'exprime d'une voix claire, marquant des pauses là où s'achevaient les vers sur le papier. Les traits d'Azura s'éclairent d'émerveillement. Des applaudissements feutrés concluent le récit de Gaël et lui valent un nouveau coup de coude.
— Et c'était inspiré de quoi ? veut savoir Azura. C'est un peu glauque, quand même. Enfin... ça te va bien.
— Merci... je crois. Ça m'est venu à l'esprit en lisant un truc. La fille de la créatrice de Trois Petits Chats écrit une série de bandes-dessinées, Killjoy, où une des protagonistes finit par craquer et commettre un meurtre. Elle sort de chez elle, couverte de sang, et lève une main vers la pleine lune qui semble l'encourager.
Gaël écarte les doigts de sa main gauche pour la lever vers l'ampoule nue suspendue au-dessus de leurs têtes, reproduisant le geste pour mieux l'expliquer à Azura. La partie ainsi obscurcie de la lumière paraît former un sourire.
— Tu crois qu'elle va sombrer dans la folie, continue-t-il, mais au contraire. Quand tu vois enfin son visage, tu comprends qu'elle est en paix pour la première fois de sa vie. J'oublierai jamais son expression. C'est le genre d'émotion que j'aimerais faire passer avec ce que j'écris.
Sa main retombe sur sa cuisse et il tourne la tête vers Azura, qui ne cesse de le dévisager. Son expression d'admiration totale le fait rougir de nouveau.
— Je t'avais dit que c'était nul, se défend Gaël. Et puis, t'as pas à te foutre de moi. C'est pas comme si tu pouvais faire mieux.
— Non, c'est pas ça, c'est juste que je... je t'aime.
L'air se contorsionne dans la gorge de Gaël, qui manque de s'étouffer. Il tousse dans son poing, les yeux écarquillés, et tente de se recomposer un air impassible avant de reprendre la parole.
— D'où ça sort ? Tu veux me tuer, c'est ça ?
— Non... non, bien sûr que non, banane ! C'est juste vrai.
Les yeux d'Azura se plissent de rire tandis que la joie secoue ses épaules. Gaël a beau essayer de lui en vouloir d'être aussi gênant, la colère fond autour de son cœur pour ne laisser derrière elle qu'un nuage tiède flottant dans tout son corps.
— J'aime le fait que tu sois aussi sensible, développe Azura. Que tu sois investi dans un film à la con au point d'en vomir dans ton pop-corn. Que t'écrives des poèmes, même si tu les trouves nuls, surtout quand tu les trouves nuls. Que t'aies accepté de jouer le jeu pour Halloween alors que t'avais aucune idée de ce en quoi on était déguisés.
— Tout ça pour qu'on me reproche d'être basique, lui rappelle Gaël en croisant les bras.
— Mais justement ! C'est ça qui te rend si...
Azura lève les mains devant lui comme pour soupeser un poisson invisible avant de les laisser retomber. Le brasier se déchaîne dans la poitrine de Gaël, mais il ne compte pas accepter aussi facilement des compliments aussi peu mérités.
— ...si spécial à mes yeux, termine Azura dans un soupir. Crois-moi quand je te dis que je ressentirai jamais des choses pareilles pour quelqu'un d'autre.
— Je sais.
L'un comme l'autre se contente de cette réponse simpliste. Le cœur battant à lui rompre les os, Gaël marmonne quelques mots tâtonnants avant de le charrier à nouveau.
— Tu sais que c'est pareil pour moi. Mais dis donc, c'est le cidre que t'as bu tout à l'heure qui te rend aussi mielleux ? T'as les joues toutes rouges.
— Quoi ? Non ! Qui serait bourré avec un cidre, sérieux ?
Azura part dans un rire bête. Sans insister, Gaël se permet tout de même d'arquer un sourcil circonspect. Tout ça lui rappelle drôlement une certaine scène de leur sortie à Devil's Rock.
La vie est un cycle éternel. Un cycle éternel de cidre et de déclarations embarrassantes.
Life hack : si tu as peur de ne jamais avoir le temps ou la motivation d'écrire une histoire, contente-toi d'en mentionner ta scène favorite dans une autre histoire.
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