Danser sous la pluie
— C'est tellement super top méga giga cool que je vais me faire dessus, putain !
Azura hoche la tête à la remarque de Morgane pour marquer son approbation. La jeune fille ne l'aperçoit pas, toute hypnotisée qu'elle est par le groupe d'électro-punk-rock-conceptuel en train de se produire sur la petite scène dressée sur la plage. Il se rappelle l'adoration contenue dans ses yeux, le soir où l'étudiante aux cheveux bleus et ses amis se sont produits sur cette même scène, et se demande si elle n'a pas laissé filer sa vocation de musicienne.
Il avise Holly et Nana, restées en retraits de l'agitation générale, et part les rejoindre pour respirer. Gaël et Cherry sont en train de sautiller quelque part près de Morgane. Aucun soucis à se faire pour eux.
— J'aime bien quand on est toutes seules et qu'ils sont pas là, dit Nana à son approche, parce qu'on nous a confié tous les bonbons.
Elle ouvre un sachet de Dragibus gagné par Morgane et en propose un à Holly, qui l'accepte avec joie. Azura n'a pas cette chance.
Plus loin, perdue au milieu de la foule, Cherry abaisse sa mâchoire artificielle pour mieux respirer. Elle vérifie d'un coup d'œil la présence de Gaël et Morgane et se permet de rejeter en arrière sa tête avide d'oxygène.
La première goutte de pluie lui tombe sur le menton.
Elle ouvre ses yeux gris pour contempler le ciel. Dressé au milieu de la plage, un gigantesque feu de camp crépite dans l'obscurité. Il faudra plus qu'une petite averse d'automne pour en venir à bout.
— Vous voulez un truc à boire ? leur demande Morgane un peu plus tard. Je commence à fatiguer, je vais en profiter pour faire une pause.
— Un Coca Cherry pour moi, s'ils en ont.
— Et un thé glacé pour moi. En fait, tu sais quoi, reprend Gaël, je vais peut-être venir avec toi. Je commence à avoir mal aux genoux.
— Déjà ? le charrie Cherry. Paye ta jeunesse.
— C'est une provocation ?
— Peut-être.
Cherry remet sa mâchoire en place et attrape le garçon par les poignets. Elle le fait valser et tournoyer comme le ferait un couple, créant sans le réaliser un no man's land miniature autour de leur duo tandis que Morgane file vers les stands de boissons.
Voir les gamins s'amuser ainsi réchauffe le cœur pétrifié de Cherry. Ils le méritent bien, après l'année qu'ils ont passée.
La bruine s'est transformé en fin rideau de pluie froide quand Gaël heurte accidentellement le dos d'un type vêtu d'un épais manteau mauve. Le type se retourne, l'air prêt à lui casser les rotules, mais se fige face à l'air de chien enragé qu'aborde à présent Cherry. Ses yeux noirs passent de l'un à l'autre avec une expression d'étonnement que ni l'un ni l'autre ne comprennent. Des cheveux crades, traversés de mèches verdâtres, tombent en désordre sur son front plissé.
— Cherry ? Attends... Gaël !?
La voix fait bondir le cœur de la jeune femme. Elle abaisse de nouveau sa mâchoire, stupéfaite, et tente d'imaginer à quoi ressemblerait le type en question sans son maquillage de panda et les deux balafres qui lui traversent la bouche. Gaël réagit le premier.
— Joe ? Joe Grey ? Joe Grey de la clinique ?
— Mais oui ! fait Joe, ravi, en pliant les genoux. Mais qu'est-ce que vous foutez là ?
— On joue aux billes, ça se voit pas ?
— Gaël, mon pauvre, cette réplique a deux cent ans de retard.
— C'est de toi que je l'ai entendue pour la première fois.
— Quoi, sérieux, ça sort de moi ce truc ? grimace Joe. La honte.
— C'est aussi ce qu'a dit ta mère quand t'es venu au monde.
— Ça, c'est mon garçon !
Gaël tape dans la main de son ancien colocataire comme pour se féliciter de son propre sens de la répartie. De son autre main, Joe échange un long check compliqué avec Cherry. Gaël le bombarde de questions avant qu'elle puisse en placer une.
— Pourquoi tu m'as pas dit que tu venais ? Elles sont où, les autres ?
— Je suis venu seul. Tu sais, Yukiko et Monika, les trucs comme ça, c'est pas trop leur trip. Et pour l'autre question... mon portable est mort, en fait.
— Oh, merde. Mort, mort ?
— Autant que mes neurones quand Monika commence à piailler. Oh, en parlant de ça, vous devinerez jamais ce qui s'est passé à la clinique avant-hier !
Joe leur fait part des derniers ragots avec la ferveur d'une vieille ménagère. Le rire de Cherry se mélange à celui de Gaël pour former une symphonie nasillarde disgracieuse. Peut-être n'est-ce qu'une impression donnée par leur différence de taille, mais, chaque fois qu'elle le voit en compagnie de Joe, Cherry se fait la réflexion que Gaël ressemble enfin à un adolescent. Un adolescent en paix qui ricane aux anecdotes les plus stupides, comme il est censé le faire depuis longtemps.
— Eh, intervient Cherry au milieu de la discussion, faudrait qu'on te présente aux autres. C'est vrai, quoi, Gaël leur a déjà parlé de toi mais ils t'ont jamais rencontré.
— Ah ouais ? Tu parles de moi ?
— Seulement en mal, t'inquiète. T'es pas pris par le temps ?
— Nan, je dois juste rentrer avant neuf heures demain matin. Mais t'es sûr que c'est une bonne idée ? Je voudrais pas impressionner ton amoureux.
— Aucun risque, lui assure Cherry. Ils ont même réussi à me faire croire au pouvoir de l'amour, tu sais, alors...
— Sérieux ?
— Ouais. Ils sont tellement choux que j'attrape une carie chaque fois que je regarde dans leur direction.
Joe pince les joues de Gaël avec un cri attendri. Il ne tient pas deux secondes avant que l'autre garçon échappe à son emprise.
— Vous avez fini, oui ? Bande de mièvres, vous me dégoûtez.
— Oh, y a son petit nez qui gigote quand il s'énerve ! le torture Joe. Trop mignon !
Il écrase son index contre le nez cramoisi de Gaël, qui paraît prêt à imploser. Hilare, Cherry décide tout de même de les entraîner avec elle avant que Gaël perde définitivement la raison.
Chacun se retrouve avec un bras autour de la nuque tandis qu'elle use d'intimidation pour leur frayer un chemin à travers la foule. La pluie a redoublé d'intensité, mais ils s'en moquent. Leurs pieds se tordent et se superposent dans de vagues esquisses de pas de danse, leurs silhouettes se découpant à contre-jour contre la lumière du feu de camp comme celles d'autant de phénix.
Cherry sourit en évoquant l'image. N'a-t-elle pas dit quelque chose d'hyper profond à propos de phénix, un jour ?
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