Chapitre 3

La première chose que Zircon distingua fut une intense lumière blanche qui l'aveugla. Par réflexe, il ferma les yeux un instant, avant de les rouvrir, battant intensément des paupières. Il distingua des contours flous, des objets aux formes indistinctes qui se mouvaient devant lui. Vinrent ensuite les sons : imprécis, agressifs et lointains. Il entendit un bip régulier à sa droite, puis comprit que les autres bruits qu'il percevait étaient des voix. Le temps d'analyser tout ceci, sa vision se fit plus précise et il put enfin comprendre où il se trouvait.

Allongé dans un lit, un bandage autour de son torse et des fils reliés à un moniteur qui surveillait son rythme cardiaque, Zircon constata qu'il se trouvait dans un hôpital. Perplexe, il se redressa et sentit des élancements au niveau de sa blessure. Il tenta de se repérer, perdu dans cet environnement qui ne lui était pas familier. Dans un flash, les événements qui avaient précédé sa perte de connaissance lui revinrent en mémoire : l'attaque du Rempart, la mort de son père puis sa confrontation avec un Dépeceur. Se rappeler de tout ça lui arracha une larme, puisqu'il réalisa qu'il n'avait plus aucune attache en ce monde.

« Bon retour parmi les vivants, jeune homme. »

L'intéressé tourna la tête vers celle qui venait de lui parler, une femme d'une quarantaine d'années en blouse bleue qui le fixait, un tas de feuilles sous le bras, un stylo dans l'autre main.

« Vous êtes qui ? demanda Zircon. Et je suis où, là ? »

Il jeta un œil aux bandages enlacés autour de son torse et commença à tirer dessus pour les enlever.

« Je ne ferais pas... commença l'inconnue. »

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. D'un coup sec, les rubans se déchirèrent et le jeune homme put voir sa blessure, ou du moins ce qu'il en restait. Le résultat n'en fut pas moins surprenant.

« Incroyable... commenta la femme alors qu'elle passait la main à l'endroit où il ne restait plus qu'une large cicatrice blanchâtre. Personne n'aurait pu se tirer d'une telle situation critique sans de sérieuses séquelles. Comment avez-vous réussi à guérir d'une blessure potentiellement mortelle en moins de deux jours ? »

Zircon ne répondit pas, trop occupé à fixer le mur en face de lui. Lui vint alors une sensation particulière, comme s'il étouffait dans un espace trop confiné. Il souleva la couverture et constata avec soulagement qu'il avait un pantalon. Il étira ses membres, sortit de son lit et se mit debout malgré les protestations de son interlocutrice :

« Non, non, non, monsieur. Vous venez d'échapper de peu à la mort, je ne peux pas vous laisser quitter votre lit.

— Je vais bien, je vous assure, répondit Zircon. J'ai seulement besoin d'un peu d'air frais, j'étouffe.

— Je refuse catégoriquement que vous sortiez. Vous venez à peine de vous réveiller et j'ai encore d'autres examens à vous faire passer. Sécurité ! »

Le jeune homme grommela lorsqu'un homme en uniforme de vigile s'approcha, suspicieux.

« Un problème, docteur? s'enquit-il.

— Oui, mon patient refuse de me laisser poursuivre mes analyses et ne veut pas retourner se coucher. »

L'homme s'approcha de Zircon qui leva les deux mains en signe de soumission.

« J'ai seulement besoin d'un peu d'air, il n'y a aucun besoin d'en faire un drame.

— Monsieur, déclara-t-il d'un ton autoritaire, je vais vous demander de regagner votre lit. Vous pouvez avoir contracté une maladie contagieuse qui rendrait d'autres patients vulnérables. Nous faisons cela pour vous et pour les autres personnes de cet hôpital. »

Zircon n'aimait pas défier l'autorité, pourtant il commençait à sérieusement étouffer et tout lui donnait l'impression de l'oppresser.

« Je suis sérieux, monsieur le vigile. Je ne me sens pas bien et je commence à suer abondamment. Laissez-moi, s'il vous plaît, je vais faire une crise de panique si je reste plus longtemps ici.

— C'est moi qui vous le demande sérieusement, s'énerva l'homme de la sécurité. Retournez dans votre lit. »

Il appuya ses paroles lorsqu'il saisit le bras du jeune homme avec fermeté. Celui-ci, parce qu'il souhaitait se dégager de l'étreinte, s'écria :

« Laissez-moi tranquille ! »

Sentant la panique prendre le contrôle de son système nerveux, il repoussa son assaillant d'un geste imprécis. Il y mit probablement plus de force qu'il ne l'avait souhaité puisque le vigile vola sur plusieurs mètres avant de s'enfoncer dans le mur derrière lui. Dans un mélange de surprise et de peur, il fonça au travers du couloir pour aller rejoindre les ascenseurs. Il martela le bouton qui commandait la descente et le brisa avec son doigt. Intrigué, il regarda ses mains en se demandant ce qui lui avait donné tant de force.

L'ascenseur ouvrit ses portes et Zircon pressa, non sans précaution, la commande qui le conduirait au rez-de-chaussée. Une fois en train de descendre, il se colla contre le mur du fond et se mit à fixer le plafond, revivant dans un flash de souvenirs son expérience de mort imminente lors de sa descente du Rempart. La gorge serrée, ses pensées se dirigèrent inévitablement vers les événements qui étaient survenus avant qu'il ne perde conscience. Comment tout cela avait-il pu lui arriver ? Il n'avait pas à se plaindre de sa vie telle qu'elle était auparavant. Après tout, il rénovait et construisait des armes. Il aimait ce qu'il faisait, il vivait avec un toit au-dessus de sa tête et il vivait comme il l'entendait.

Seulement, avec l'attaque des Dépeceurs, il se rendait désormais compte que plus rien ne serait comme avant. Qu'adviendrait-il de lui ? Il n'en avait aucune idée. Il n'avait plus de repères, plus personne pour l'accompagner. Il se retrouvait de nouveau seul, sans avoir aucune idée de ce qu'il allait pouvoir faire dans l'avenir.

Il était encore plongé dans ses réflexions lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur cinq soldats aux uniformes d'un bleu très sombre, chacun avec la panoplie complète d'un militaire, du fusil d'assaut jusqu'au gilet pare-balles.

« À terre ! hurla l'un d'entre eux alors qu'ils le mettaient en joue. »

Zircon eut la certitude qu'il y passerait s'il obéissait. Comment le savait-il ? Il se fiait à son instinct. Il prit discrètement appui sur la paroi derrière et se propulsa de toutes ses forces. Sa charge fut bien plus puissante qu'il ne l'avait escompté et il se retrouva à catapulter ses assaillants à plusieurs mètres de lui tels des poupées de chiffon. Il entendit des cris de surprise mais n'en tint pas compte, seule comptait la grande porte en face de lui qui donnait sur l'extérieur.

Il se mit à courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient et, sans le vouloir, arracha la porte de ses gonds. Une fois à l'extérieur, il prit une grande inspiration et souffla tout aussi bruyamment. Il ignorait ce qui lui procurait tant de soulagement, mais il sentait son corps et son esprit se détendre petit à petit. Il en profita donc pour regarder ce qu'il y avait autour de lui, et il dut reconnaître qu'il n'avait strictement aucune idée d'où il se trouvait.

Les bâtiments n'étaient plus de petites maisons entassées les unes contre les autres, avec des trottoirs de goudron noir sales et des épaves de voitures qui roulaient et laissaient un épais nuage grisâtre derrière elles. Les gens qu'il voyait n'avaient pas de cernes, de cicatrices et d'habits en lambeaux. D'ailleurs, et par-dessus tout, la présence rassurante du Rempart manquait à l'appel. Où pouvait-il donc bien se trouver ?

Autour de lui, les bâtisses semblaient vouloir toucher le ciel de leur pointe, les trottoirs étaient d'une propreté irréprochable et des véhicules aux allures diverses et variées. Il nota également qu'ils ne touchaient pas le sol, ce qui lui parut très étrange. Très peu de gens se déplaçaient à pieds, et ceux-ci arboraient des habits étincelants et neufs, tandis qu'ils affichaient un air fier et presque juvénile sur leurs visages.

« Je ne suis pas à Oflos, songea Zircon à voix haute. Mais alors quel est cet endroit ?

— Bienvenue à Pleym-Shurg, la bleusaille. »

Le jeune homme se retourna et fit face à un homme d'une dizaine d'années son aîné, les cheveux bruns coupés courts, les yeux d'un gris métallique, un nez aquilin et une bouche fine déformée par un léger rictus amusé. Le tout lui donnait l'air de provenir d'une planète où les êtres ont tous une apparence de meurtrier maniéré et classe. Ses vêtements ajoutaient de la crédibilité à cette image : un pantalon et un pull gris, ainsi qu'un long manteau noir qui recouvrait le tout. Zircon était sûr d'une chose : il n'avait jamais vu cet homme de sa vie.

« Je ne cherche pas d'ennuis, répliqua-t-il, je veux seulement qu'on me laisse tranquille.

— Je crains ne pas pouvoir te convenir, dans ce cas, lança l'inconnu. Vois-tu, les événements dont tu as été le témoin et l'acteur il y a de ça deux jours me contraignent à te demander de me suivre. »

Le jeune homme se braqua immédiatement. Il demandait juste un peu de calme et de respect pour son deuil. Était-ce trop demander ?

« Je ne me répéterais pas, avertit-il.

— Moi non plus, et j'en suis navré. »

Zircon se mit alors à charger dans la direction de son nouvel opposant qui ne daigna bouger ne serait-ce que le petit doigt. Cela le surprit, certes, mais ne le fit pas renoncer pour autant. Il poursuivit sa course, épaule en avant, puis se prépara à l'impact. Seulement, il n'y en eut aucun. Intrigué, il s'arrêta puis regarda derrière lui pour constater que l'homme se trouvait toujours devant lui. Puisqu'il bloquait encore le passage, le jeune homme fonça vers lui mais s'arrêta pour le forcer à bouger.

Zircon mit toute sa force dans un coup de poing qu'il expédia dans la mâchoire de son adversaire. Du moins, c'était ce qu'il avait visé au départ. Alors que son coup allait faire mouche, son adversaire inclina la tête et le frappa dans l'estomac. Le jeune homme fut propulsé sur un mètre de hauteur avant de mordre la poussière, la respiration coupée. Paniqué, il chercha un moyen de respirer mais n'y parvint pas avant une bonne dizaine de secondes qui lui parut durer une éternité.

Une fois de nouveau capable d'approvisioner ses poumons en dioxygène, il se releva et regarda avec méfiance cet inconnu qui venait de le mettre à terre d'un simple coup. Comment avait-il fait ? Il ne l'avait même pas vu bouger.

« Comment est-ce que vous avez fait ça ? demanda-t-il. »

L'inconnu lui sourit d'un air amusé, un sourcil haussé.

« Viens avec moi, je t'expliquerais.

— Je viens uniquement si vous promettez de me foutre la paix. Où allons-nous ?

— Au centre d'entraînement des Hybrides, là où je vis. »

                            *****

Ils marchèrent une dizaine de minutes en silence, le bruit de la circulation et des courants d'air entre les gratte-ciels leur tenant compagnie. Zircon en profita pour admirer cet environnement qu'il n'avait vu qu'à la télévision et qui lui donnait l'impression d'être une fourmi au milieu d'une horde de géants de ciment et d'acier. Ils ne tardèrent pas à arriver devant un bâtiment particulier qui semblait être fait d'une base rectangulaire de plusieurs étages puis, au-dessus, quatre tours avec pour chacune, une apparence de barre métallique déformée. Autour de ce bâtiment, une espèce de camp d'entraînement protégé d'une clôture faisait office de jardin d'extérieur.

Ils traversèrent ce terrain curieux dans lequel s'entraînaient une bonne dizaine de personnes. Leurs capacités impressionna Zircon : certains courraient à une vitesse surhumaine, d'autres poussaient des bulldozers sur plusieurs centaines de mètres, tandis que d'autres encore escaladaient un mur d'une trentaine de mètres de haut en s'aidant uniquement de leurs mains. Curieux, le jeune homme se demanda s'il était lui aussi capable de telles prouesses.

Ils passèrent tout deux une grande porte en verre gardée par un soldat en arme et uniforme de chaque côté, prirent les escaliers blanchâtres en colimaçon pour monter quatre étages afin d'atteindre ce qui semblait être le bureau de l'inconnu. La pièce était modeste : un bureau en verre blanc et aux pieds en métal, deux sièges rouges de chaque côté, une large baie vitrée et une étagère fixée dans le mur avec une série de photos qui illustraient probablement des faits d'armes.

L'inconnu s'installa confortablement et invita Zircon à faire de même tandis qu'il commençait ses explications :

« Tu as dû remarquer quelques changements au niveau de ton corps depuis que tu t'es réveillé, je me trompe ? »

Zircon secoua la tête. Il avait une force décuplée, et se demandait ce qu'il pouvait bien avoir reçu de plus.

« Si cela peut te rassurer, ce que tu expérimentes est tout à fait normal. Tout a été chamboulé au moment où tu as tué ce Dépeceur lors de l'attaque d'Udrar. Il faut dire que ces trucs-là sont coriaces, vicieux, mais ont le mérite de respecter la force. S'ils rencontrent un être humain capable de les vaincre, ils reconnaissent leur défaite et confèrent leurs capacités à leur bourreau. »

Zircon réfléchit quelques secondes. Il avait un goût de sang dans la bouche lorsqu'il ressassait les derniers souvenirs qu'il possédait avant sa perte de conscience. Il répliqua :

« Dans le corps du Dépeceur, quelque chose s'est mis à briller alors qu'il passait l'arme à gauche. Quelque chose s'est déplacé de son sang vers le mien. C'est de ça dont vous parlez ?

— Tout juste, sourit-il. Ils ne contrôlent pas ce phénomène, il s'agit de quelque chose inscrit dans leur ADN. Cela fait de toi un élu, mi-homme, mi-Dépeceur : tu es devenu un Hybride, tout comme ceux qui ont vécu la même expérience que toi et qui vivent dorénavant dans ce bâtiment.

— Tout comme vous, déduisit Zircon. »

L'homme en face de lui inclina légèrement la tête en signe d'acquiescement et poursuivit :

« Oh, j'allais oublier. Impoli comme je suis, je ne me suis pas présenté : mon nom est Casan, et je suis le chef des forces armées du centre Hybride.

— Casan ? répéta le jeune homme, incertain d'avoir bien entendu. « Le » Casan ? Le seul Hybride à avoir abattu un Dépeceur Souverain, soit l'un des spécimens parmi les plus dangereux jamais rencontrés par un humain ? »

Le dénommé Casan sembla rougir à la mention de son exploit et répondit :

« Bien que cela soit vrai, nous ne sommes pas là pour parler de moi. Non, nous sommes ici pour toi ou devrais-je dire... »

Il se pencha, posa ses coudes sur la table et fixa Zircon plus intensément :

« ... de ton potentiel futur. Au vu de ta situation actuelle, deux choix s'ouvrent à toi. Le premier, sans doute le plus simple, serait de retourner à Oflos. Tu pourrais redémarrer ta vie, te faire embaucher quelque part où tu pourrais faire ce que tu fais de mieux. En somme, tu fais un pas vers le tunnel avant de rebrousser chemin et retourner en territoire conquis. C'est un choix tout à fait louable, bien qu'il ne représente aucun risque, simplement une vie dans la facilité. »

Le jeune homme attendit quelques instants que son interlocuteur poursuive, même s'il savait qu'il allait probablement accepter la première option.

« Le second, en revanche, est plus complexe. Au lieu de faire machine arrière, tu t'engages dans le tunnel pour voir s'il existe une lumière au bout.

— Ce qui veut dire ? »

Casan désigna le centre d'entraînement visible depuis la fenêtre derrière lui et sourit d'un air satisfait.

« Tu intègres les rangs Hybrides. Après une formation de trois ans, tu nous rejoins et tu feras officiellement partie intégrante de nos troupes. Tu opéreras sur des missions plus ou moins importantes pour nous : des enquêtes pour meurtre jusqu'aux opérations militaires contre des groupuscules qui complotent contre l'ordre mondial, sans oublier les potentielles attaques de Dépeceurs à Oflos. »

Zircon prit quelques instants pour peser le pour et le contre. D'un côté, il avait envie de saisir cette chance qu'on lui offrait de recommencer une vie sans souci, au cours de laquelle il pourrait faire ce qu'il maîtrisait complètement : une vie sans surprise, normale, banale. Seulement, et il le savait, une telle vie reposait sur un pari audacieux quant à la possibilité de subir une nouvelle attaque de Dépeceurs au cours de son existence, ce qui revenait aussi à prendre le risque de perdre d'autres personnes qui pourraient lui être cher à l'avenir.

Rejoindre les Hybrides serait donc l'option la plus sûre ? Il commençait à en être persuadé. S'il vivait parmi des personnes semblables à lui, avec cette malédiction qui lui pesait, peut-être pourrait-il non seulement vivre à l'abri des Dépeceurs, mais serait-il aussi capable de se défendre et de limiter les dégâts lors d'intrusions dans le Monde Humain. Il aurait l'opportunité de faire la différence et d'assurer la sécurité de sa civilisation, permettant aux personnes vivant derrière le Rempart de prospérer sans vivre dans le danger d'une potentielle attaque mortelle et dévastatrice.

Une fois son temps de réflexion écoulé, il annonça son choix :

« L'inconnu ne m'effraie pas, aussi je ne vois pas pourquoi j'aurais peur d'un tunnel. J'accepte de rejoindre les Hybrides. »

Le chef des forces armées le regarda avec respect et répondit :

« Dans ce cas, sois le bienvenu parmi nous. Ton entraînement commence dès demain. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top