Chapitre 27

Après une dizaine d'heures de voyage ininterrompu, ils atteignirent leur destination. À la suite de leur entrevue avec Richisium, ils s'étaient accordés un peu de temps pour récupérer leurs affaires cachées, ainsi que celles d'Arca laissées à l'hôtel auquel ils avaient séjourné.

Ils avaient réussi à récupérer une voiture abandonnée en état de rouler, puis avaient pris la route sans perdre de temps. À mesure qu'ils se rapprochaient de la Forêt de Briques, les quatre amis remarquèrent que la nature reprenait ses droits et envahissait de plus en plus la chaussée. Au final, à quelques kilomètres des ruines, ils avaient été obligés de stopper le véhicule puisque la voie était devenue impraticable.

Dès lors, ils avaient récupéré leur équipement de combat, quelques rations de survie et du matériel de repérage avant de s'engager dans l'un des endroits parmi les plus craints du Monde Humain. Armés et vigilants, ils s'engagèrent sur ce qui restait de l'accès menant à leur objectif.

Autour d'eux, les arbres grouillant de vie semblaient les accueillir avec les cris des animaux, les feuilles se laissaient caresser par le vent et le léger son d'un cours d'eau retentissait à proximité. Sans le risque omniprésent d'embuscade par une créature millénaire, Zircon aurait pu se croire dans une petite balade dans une forêt luxuriante et paisible. L'espace de quelques minutes, il s'accorda un léger relâchement avant d'entrer dans les ruines d'une civilisation passée.

Ces dernières semblaient dormir sous un tapis d'herbe et de plantes grimpantes. Pour la plupart des maisons, de nombreux trous permettaient aux Hybrides d'en observer sans avoir besoin d'entrer. Le plus saisissant restait l'immense bâtisse de métal et de béton torsadée qui subsistait et avoisinait les cinquante mètres de haut, telle un phare au centre de cette ville en lambeaux. En regardant autour d'eux, Zircon crut remarquer quelque chose d'intrigant sur le sol :

« Vous avez vu ça ? »

Ses trois amis se rapprochèrent pour contempler ce qu'il leur désignait : une empreinte animale, bien trop large et imposante pour avoir été faite par un être vivant dans le Monde Humain. La conclusion était la même pour chacun d'entre eux :

« Soit cette trace a été faite par une créature des Terres Extérieures... commença Subur.

— Soit il s'agit de la sombre bête meurtrière qui hante ces lieux, compléta Arca. »

Zircon passa le bout de ses doigts sur cette preuve intrigante et en observa les contours avec attention. Après un moment d'études, il déclara :

« Quoique ce soit, il est fort probable que ce soit toujours dans les environs. Cette empreinte date d'à peine quelques jours, alors il vaut mieux rester vigilant. »

Le message étant passé, ils dégainèrent leurs armes et raffermirent leur attention. L'Hybride cherchait tout mouvement suspect, mais ne se limitait toutefois pas à sa vue pour se repérer : il étudiait les vibrations du sol si une immense bête se déplaçait, il cherchait toute odeur suspecte et restait à l'écoute du chant des oiseaux. En effet, lorsque ceux-ci se taisaient, cela revenait généralement à signaler la présence d'un prédateur dangereux.

Pour le moment, rien ne signalait la présence d'une quelconque menace. Cela ne voulait pas pour autant dire qu'il pouvait se relâcher. Plus ils avançaient, plus les indices témoignant d'une présence malfaisante s'amoncellaient : un rocher éclaté, des griffures le long d'un mur ou encore des ossements et autres traces de sang qui teintaient l'herbe aux alentours.

Zircon s'accroupit un instant, toucha les marques rougeâtres et analysa ce qu'il pouvait en tirer. Le liquide rougeâtre avait eu le temps de sécher et de disparaître petit à petit. Il estima cet indice vieux de plusieurs heures. Cependant, il remarqua une coulée d'hémoglobine à plusieurs dizaines de mètres de sa position. Celle-ci, bien que commençant à sécher, n'avait pas totalement complété le processus. Pour le jeune Hybride, l'information était claire : au vu de la température ambiante se situant aux alentours de vingt degrés Celsius, cette trace de sang avait moins d'une heure. De plus, il avait la désagréable impression d'être dévisagé :

« On nous observe. »

Maintenant à proximité de la tour située au centre des ruines, ils se rapprochèrent les un des autres et se tinrent prêts à recevoir ce qui rôdait dans les parages. Une dizaine de secondes s'écoula dans un silence glaçant, les quatre amis prêts à agir, muscles tendus et la vigilance à son paroxysme. Pourtant, cela ne les empêcha de se faire renverser par une forme trop rapide pour être perçue nettement.

Zircon se retrouva en un instant le visage contre terre à mordre la poussière, ses camarades dans la même situation que lui. Il se releva, s'épousseta et ramassa sa lance avant de regarder les bâtiments autour de lui en quête d'un mouvement suspect. Toutefois, il ne vit rien de suspect et ne put envisager une contre-attaque.

« Zir ! cria Arca. »

L'intéressé se tourna vers celle qui venait de l'appeler et ne la vit qu'au moment où elle le ceinturait et le plaquait au sol. À l'endroit où ils se tenaient quelques instants plus tôt, un bloc de béton massif vint rencontrer le sol dans un fracas spectaculaire. Les quatre amis étaient perdus : quoiqu'ils affrontent, cela se déplaçait beaucoup trop vite pour qu'ils puissent le percevoir. Même eux étaient incapables d'aller au même rythme que cette chose.

L'instant d'après, Thryt devint la cible de leur adversaire surpuissant. Frappé de plein fouet, il fut catapulté contre un mur de pierre et en emporta un pan avec lui. Subur se campa sur ses jambes et fit un bond impressionnant pour aller rejoindre son ami blessé. Malheureusement, elle fut frappée par l'adversaire en plein vol et percuta le sol à vive allure.

En moins de dix secondes, la moitié des leurs n'étaient plus en état de se battre. Arca, n'étant pas leader de l'équipe pour rien, se mit à l'abri pour réfléchir à un plan d'action. Zircon, ne voyant pas de cachette à côté de lui, envisagea les choses sous un autre angle : il trouva un endroit clos disposant d'un seul accès et fonça aussi vite qu'il le pouvait. Pour éviter au maximum toute attaque, il effectua d'amples mouvements avec sa lance et pria pour ne pas se faire attaquer.

Lorsqu'il se jeta dans l'ouverture, il entendit un bruit sourd derrière lui et se sentit happé par les jambes. Dans la seconde qui suivait, son corps décrivait un arc-de-cercle pour se faire catapulter sur des rochers. Dans une réflexion des plus philosophiques, il songea :

« Je vais la sentir passer, celle-ci. »

Le choc fut rude : sa vision était obstruée par une myriade de points lumineux, chaque cellule de son corps souffrait et un goût de sang commençait à envahir sa bouche. Il entendait des bruits sourds, tels des détonations, chose qu'il trouva étrange, puisqu'une seule aurait dû retentir s'il s'était attaqué à Arca. Il lui fallut quelques secondes supplémentaires pour retrouver le contrôle total de ses bras et de ses jambes, puis il se releva, chancelant, pour contempler un spectacle intéressant.

Face à Arca et son arc se tenait une femme aux épaules solides, bras tatoués dignes d'une catcheuse professionnelle, cheveux blonds coiffés en queue de cheval et traits du visage marqués par des sourcils brossés et une bouche aux lèvres à priori tailladées par quelque chose de coupant. Le plus surprenant était sûrement la longue cicatrice qui descendait de son cou jusqu'en-dessous de son T-shirt noir.

Armée d'une titanesque hache à double lames, elle tentait de maintenir les flèches de son ennemie à distance. Ne réfléchissant pas plus longtemps, il prit sa lance et fonça vers l'adversaire identifié.

À quelques mètres du duel, il se mit en garde, pointe vers l'avant, et tenta de frapper l'opposante dans les jambes. Celle-ci le vit arriver, leva une jambe et le frappa à l'estomac. Le souffle coupé, Zircon fut éjecté contre un pan de murs qui tenait encore debout et se retrouva à côté de Subur qui se relevait péniblement :

« Comment on se débrouille ?

— Arca a trouvé un moyen de ralentir l'adversaire pour qu'on ait une chance de l'emporter. »

L'Hybride dégaina son sabre et haussa les épaules :

« Dans ce cas, profitons de l'opportunité. Tu viens ? »

Le jeune homme sourit et se redressa pour tenter sa chance une deuxième fois. Sur les talons de son amie, il constata que la mystérieuse guerrière qui leur faisait face avait beaucoup de mal à anticiper les tirs de l'arc de leur meneuse.

Les deux intervenants s'invitant au duel se jetèrent sur l'opposante simultanément. Celle-ci, les réflexes encore très rapides, les désarma à l'aide de sa hache aux dimensions hallucinantes. Privé de sa lance, Zircon ne se découragea pas pour autant. Il se plaqua au sol et tenta de déséquilibrer l'ennemie. Son essai fut fructueux : l'espace d'un instant, l'adversaire fut incapable de se mettre en garde et tituba.

Les deux alliées de l'Hybride exploitèrent cette ouverture du mieux qu'elles le purent : Arca décocha deux flèches qui se plantèrent dans l'abdomen de l'intrigante ennemie tandis que Subur lui administra un formidable coup de poing qui la propulsa au sol. Le combat n'était toutefois pas terminé : la femme qu'ils combattaient frappa le sol de son poing et créa une puissante onde de choc.

Les trois Hybrides chutèrent, à leur tour, pendant que l'être surpuissant face à eux se relevait. Elle récupéra sa hache et s'apprêta à l'abattre pour mettre fin aux jours de Subur quand un rugissement furieux retentit dans son dos. Elle n'eut pas le temps de se retourner que Thryt lui expédiait son genou dans la cage thoracique, puis l'attrapait par la tête pour l'envoyer valser contre un mur.

« J'en ai assez de ces conneries, cracha Thryt. Reste tranquille. »

La guerrière adverse sortit du trou qu'elle venait de faire et se remit en position. Visiblement furieux, le plus sauvage du quatuor poussa un rugissement à faire froid dans le dos. Cela n'aurait dû être qu'un avertissement, pourtant ce son glaça le sang des Hybrides.

« Ce rugissement... murmura Arca. »

Ils ne le connaissaient que trop bien : il s'agissait de la mélodie funeste, le cri si particulier des Dépeceurs. L'espace de plusieurs secondes, personne ne bougea, pas même la femme qu'ils affrontaient. Le temps semblait s'être arrêté, comme si quelqu'un avait mis le combat sur pause. Les oiseaux s'étaient tus, le ciel rouge ne changeait pas, seul le vent qui résonnait contre les murs prouvait que le monde tournait toujours normalement.

Après ce moment au cours duquel un ange passa, la guerrière ennemie planta sa hache dans le sol et croisa les bras d'un air circonspect. Indécis quant à l'attitude à adopter, Zircon regarda sa meneuse, guettant sa réaction. Celle-ci rangea son arc, déposa son carquois de flèches, s'assit sur un monticule de pierres et envoya :

« On peut faire une pause ? J'ai mal aux doigts. »

Le visage de l'opposante se fendit d'un mince sourire tandis qu'elle répondait :

« Vous êtes d'étranges guerriers, je dois le reconnaître. C'était un combat très intéressant.

— Pourquoi avoir ralenti ? demanda Subur. Nous mettre à terre en un seul coup n'était plus amusant ? »

Arca sourit et sortit une fiole vide de sa poche. Il ne fut pas longtemps à ses alliés pour comprendre l'explication implicite :

« Tu as utilisé l'atout de secours, comprit Thryt.

— Un brouillard opaque en est sorti et l'a aveuglée, ce qui m'à permis de lui placer une flèche à la jambe, expliqua la jeune Hybride. À partir de ce moment-là, la combattre était plus simple.

— Trêve de bavardages, s'exclama l'inconnue. Je suppose que si vous êtes là, ce n'est pas simplement pour vous mesurer à moi. Venez avec moi, nous allons parler dans un endroit plus discret. »

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