Chapitre 24

Après quelques minutes de marche, ils sortirent enfin des entrailles de la terre. La pluie commençait à tomber sur la ville, et ils prirent quelques instants pour savourer la sensation des gouttes dégoulinant dans leurs cheveux. Le changement de météo dépendait en effet de la région du Monde Humain dans laquelle ils se trouvaient : hormis à Goflana où la pluie était régulière pour arroser régulièrement et généreusement les denrées de la Ferme du Monde, Oflos était le seul pays où le temps qu'il faisait était naturel car trop proche du Rempart. Pour Skaidal et Pleym-Shurg, le temps était doux et agréable pour la plupart du temps grâce à un système placé dans le ciel, à la limite des nuages rouges.

« Que t'a dit Mathei ? demanda Zircon.

— Il ne m'a pas donné la position exacte d'Arca parce qu'il ne la connaissait pas, déclara Subur. À la place, il m'a communiqué les informations qui lui ont été transmises. »

Tandis qu'ils discutaient, ils s'arrêtèrent devant un plan de la ville sur lequel la jeune femme posa sa main en poursuivant :

« Selon lui, il y aurait un réseau de souterrains immense sous Udrar qui serait accessible depuis certains endroits de la ville. Il savait qu'il existe une immense grotte au centre de tout ça et qu'il s'agit à chaque fois de l'épicentre des tremblements de terre. »

Zircon regarda l'endroit désigné et réfléchit quelques instants : l'endroit que désignait son amie était idéalement situé. Tous les lieux où étaient apparus les Dépeceurs artificiels semblaient à équidistance de cet accès vers les sous-sols de la ville.

« Alors ces créatures se trouvaient sous nos pieds depuis tout ce temps ? songea-t-il. Quelle plaie.

— Il a aussi parlé de kidnappings massifs les nuits précédant les séismes. Des gens disparaissant par centaines sans laisser de trace.

— Ce qui pourrait expliquer pourquoi personne n'en parle : ces personnes sont supposées être enterrées sous les décombres, donc il n'y a pas de recherches qui leur sont dédiées particulièrement. »

Le jeune Hybride ne comprenait pas en quoi tout cela pouvait être lié, toutefois il se doutait qu'une seule personne saurait lui fournir des réponses.

« Ne perdons pas de temps, décréta-t-il. Arca n'a pas mis longtemps à perdre le moyen de contacter qui que ce soit, ce qui signifie qu'elle n'a pas eu à chercher longtemps pour dénicher une entrée.

— Pourquoi ne pas essayer à l'endroit où le Dépeceur s'est volatilisé la première fois ? suggéra Thryt. »

Ses deux amis hochèrent la tête à l'unisson : il s'agissait là de leur seule piste pour éviter de chercher à tâtons. Tandis que s'installait une accalmie, ils partirent s'aventurer dans les rues d'Udrar.

Même si le monde n'avait pas changé, Zircon eut la désagréable impression que c'était le cas pour l'univers autour d'eux. Il lui semblait que le Monde, presque instinctivement, se préparait au pire et souhaitait ardemment que les êtres qui l'habitaient se préparent au pire. Le jeune homme ne se faisait pas d'illusions : prévenir l'humanité ne changerait rien, si ce n'est causer davantage de chaos que nécessaire. Où iraient les humains pour se protéger ? L'endroit où ils vivaient représentait leur seul lieu sûr.

Après quelques dizaine de minutes à patauger dans les grandes flaques laissées par l'averse, ils arrivèrent à l'endroit où le Dépeceur artificiel leur avait échappé lors de leur premier affrontement.

« Alors, il était parti dans cette direction, se remémora Subur en désignant une ruelle une cinquantaine de mètres sur leur droite. C'était là-bas qu'il avait disparu.

— Il n'a pas pu s'aventurer bien loin, décréta Thryt. Il a peut-être eu le temps de s'échapper, mais il n'a eu qu'un court laps de temps, à peine trois secondes, pour emprunter son entrée. »

Zircon s'accroupit et effleura le sol de sa main, pensif. Il prit une grande inspiration et essaya d'analyser les odeurs qu'il pouvait percevoir. Après avoir analysé chacune d'entre elle, il se redressa et annonça :

« Comme je m'en doutais, l'odeur du Dépeceur a disparu. »

Thryt retint un juron et frappa dans un mur à portée de son poing, creusant un sillon dans sa structure.

« J'espère sincèrement que tu as autre chose à nous mentionner, Zir, éructa Subur. Je n'ai aucune envie de passer des heures à chercher une trappe quelconque qui est facilement camouflable. »

L'intéressé eut un sourire en coin et répondit :

« Eh bien, même si l'odeur de la créature a disparu, je peux déceler celle d'Arca, même si il n'en reste pas grand-chose.

— Parfait, dit Thryt dans un soupir de soulagement. Je veux dire, je l'aurais fait quoi qu'il arrive pour Arca mais... »

Zircon se mit à rire, amusé, tandis qu'il remontait la trace de son aimée perdue. Après quelques mètres, toute trace de son passage disparaissait derrière un pan de mur en briques apparemment très épais. N'ayant pas de temps à perdre, il le frappa sans vergogne et creusa, après quelques coups bien placés, un trou assez grand pour laisser passer un humain. Derrière le monticule de briques et le nuage de poussière nouvellement créé, un trou trop sombre pour en distinguer le fond descendait dans les entrailles de la planète.

En regardant autour de lui, il constata qu'une espèce de trappe était peinte de sorte à se confondre avec le paysage un étage au-dessus du trou qu'il avait créé.

« Voilà notre voie d'accès, s'exclama Subur. On y va ? »

Ne souhaitant pas se briser tous les os du corps lors de son atterrissage plus bas, il alluma une lampe qu'il avait sur lui et la jeta. Il soupira : il compta facilement une dizaine de secondes avant qu'il n'entende le son de l'objet se fracassant au sol. Il dégaina sa lance, sauta et planta sa lance dans le sol sur ses côtés après un laps de temps pour freiner sa chute. Il répéta plusieurs fois l'opération et finit par se réceptionner au fond du trou.

« Vous entendez ? demanda-t-il lorsqu'ils arrivèrent tous en bas.

— C'est un bourdonnement assez puissant, ça, commenta Subur. L'odeur d'Arca va dans la même direction ?

— La sienne et celle des Dépeceurs. Restons prudent. »

Ils partirent tous les trois vers l'origine du bruit, avançant à tâtons puisque dans le noir. Au bout de quelques minutes, ils débouchèrent dans une immense alcôve pouvant facilement accueillir un porte-avions en son sein. Sur les murs comme sur le plafond, de profondes failles serpentaient l'entièreté de l'espace, indiquant la menace d'un effondrement à n'importe quel moment. Au fond de la salle se trouvait ce qui s'apparentait à une paire de réacteurs d'avions, chacun aussi gros qu'une maison de trois étages, inactifs. Sur le sol se trouvaient quatre corps : trois Dépeceurs étaient étalés sur le sol, tandis que la quatrième était...

« Arca ! s'exclama Zircon. »

Allongée sur le côté, les jambes repliées sous sa poitrine en position fœtale et le teint dangereusement pâle, la jeune femme semblait encore en vie. Les trois amis, de leur côté, se précipitèrent dans sa direction et s'affairèrent à la débarrasser des chaînes qui l'entravaient. Thryt tenta de les arracher à mains nues, puis de les mordre, mais rien n'y faisait.

« C'est rudement solide, ce truc, commenta-t-il.

— Pas étonnant, répondit Subur en effleurant le métal du bout des doigts. Arca n'a même pas réussi à les érafler. Elles ont l'air capables d'absorber la force, ce qui ne devrait pas être possible. »

Zircon dégaina sa lance et suggéra :

« Dans ce cas, utilisons des moyens détournés. »

Il abattit son arme sur l'un des maillons avec force. Dans une espèce de suintement métallisé, l'ensemble des chaînes vola en morceaux. Presque simultanément, Arca reprit conscience et se jeta sur Subur, un air furieux sur le visage, puis s'arrêta lorsqu'elle constata que celle qu'elle étranglait n'était pas une ennemie, elle recula, l'air désemparé.

« Qu'est-ce que... ? »

Un instant de silence passa, puis la jeune Hybride sembla retrouver la mémoire et se retourna vers ses amis :

« Vous êtes là ? Vous êtes vraiment là ?

— Où veux-tu qu'on soit ? sourit Thryt. C'est bon de te revoir, Arca. »

En pleurs, elle se jeta dans leurs bras, heureuse de constater que son calvaire était terminé. Après quelques secondes, elle s'écarta d'eux et demanda :

« Et Zircon est... »

Elle laissa sa phrase en suspens lorsqu'elle vit l'intéressé. Celui-ci prit Arca dans ses bras, heureux.

« J'ai eu si peur qu'il te soit arrivé quelque chose. Je ne te laisserais plus jamais en mission seule.

— J'approuve, sourit-elle. Je n'aime pas frôler la mort d'aussi près. »

Ils s'embrassèrent et restèrent dans les bras l'un de l'autre pendant un long moment, savourant ce moment de soulagement. Une fois les retrouvailles terminées, un détail frappa le jeune Hybride. Il fit quelques pas et s'accroupit au-dessus d'un tas de cendres qui semblait étranger à l'environnement de cette immense grotte. Il ne lui fallut longtemps pour faire le lien entre les personnes disparues et les différents tas de cendres reposant sur le sol. Une larme à l'œil, il regarda son aimée et demanda d'une voix étranglée :

« Est-ce que... ce sont... »

L'air grave, elle hocha la tête, confirmant ses craintes, tandis qu'elle leur expliquait :

« Qui que ce soit, il a absorbé la force vitale des prisonniers faits ici et s'en est servi pour s'octroyer un pouvoir incommensurable. J'ai eu de la chance d'être Hybride et non complètement humaine, sans quoi je mourrais aussi. »

Zircon se releva, laissa retomber les cendres qu'il avait dans la main et poussa un soupir de colère :

« Il est fou à lier, on ne l'arrêtera pas avec un discours sur les miracles de la vie.

— Vous savez de qui il s'agit ? demanda Arca, surprise. »

Le jeune Hybride la regarda, interloqué, puis se rappela soudainement qu'elle ne les avait pas accompagnés à Pleym-Shurg. Elle ignorait donc qui était le responsable de ce vaste complot. Aussi rapidement que possible, il résuma leur périple à celle qui était captive dans une grotte depuis plusieurs jours. Une fois qu'il eût terminé, la réaction de son aimée était sans équivoque : non seulement elle était aussi furieuse que lui, mais elle semblait avoir une idée derrière la tête. De son côté, elle leur résuma les éléments dont ils ne connaissaient pas encore la teneur. Cela permit aux trois secouristes d'avoir une certitude : Sarlor était en quête du Briseur d'Enclave pour mener son plan à terme, qu'il soit réel ou non.

« Remontons à la surface, voulez-vous ? suggéra Arca. Je commence à me sentir à l'étroit dans cet endroit clos. »

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