Chapitre 20
Thryt et Subur regardaient Zircon avec insistance, attendant qu'il fournisse au plus puissant des Hybrides une explication qui pourrait leur éviter la mort. Le jeune homme prit une grande inspiration et déclara :
« Le Conseiller Suprême vient tout juste de trahir le Monde Humain en créant des Dépeceurs artificiels et en les utilisant pour attaquer ses confrères dirigeants. »
Devant l'air incrédule de Casan, il comprit qu'il allait devoir étayer son propos pour qu'il puisse se décider. C'est donc ce qu'il fit, en donnant un maximum de détails en un minimum de temps sur les révélations de Sarlor et leur combat pour éviter le massacre des Conseillers de Pleym-Shurg.
Une fois qu'il eût fini son résumé, haletant comme après avoir couru un marathon, il guetta la réaction de leur supérieur. Il garda le silence quelques instants, le regard perdu dans le vide, avant de reporter son attention sur Zircon et de dire :
« Ce sont là de graves accusations que tu portes contre la plus haute autorité de notre monde.
— Nous n'aurions jamais osé les proférer si nous n'en avions pas la certitude. Je t'ai résumé tout ce que nous savions à propos de l'affaire : vas-tu nous laisser passer ou mettre fin à nos existences ? »
L'espace de quelques instants, l'aura de Casan emplit l'espace autour d'eux. Les trois amis frissonnèrent : l'Hybride Souverain était dans une colère noire, si froide et meurtrière que Zircon crut sentir de petites lames de couteaux lui taillader la peau. Le plus puissant d'entre eux ne se laissait pas si facilement happer par ses émotions, pourtant ses yeux trahissaient une lueur bestiale. Lorsqu'il remarqua qu'il s'emportait, il se calma promptement et fit disparaître son aura, laissant les trois Hybrides penauds et aussi effrayés qu'une gazelle face à un lion.
« Alors il se servirait de ce que nous représentons pour camoufler ses activités illicites ? maugréa-t-il. Cela expliquerait pourquoi les réseaux criminels du Monde s'agitent beaucoup, ces derniers jours. Qu'allez-vous faire ? »
Zircon, encore paralysé par l'extériorisation de Casan, n'eut pas la force de répondre. Bien que grièvement blessé, le plus résistant d'entre eux sortit du silence et annonça :
« Arca était en train de localiser le site où tout a commencé lorsque nous avons perdu le contact avec elle. Nous allons nous rendre à Udrar, la récupérer, puis utiliser ses informations pour traquer et capturer Sarlor.
— D'autant plus qu'on sait quelque chose d'autre, désormais, ajouta Subur. S'il peut manipuler la magie, ses recherches sur le Briseur d'Enclaves ont dû lui révéler qu'il existait. Il va donc s'y diriger et provoquer la destruction du Monde Humain. »
L'Hybride Souverain se gratta le menton un instant, l'air en pleine réflexion, et dit :
« S'il veut faire entrer une menace extérieure, alors toute information est bonne à prendre. Le Briseur d'Enclaves semble être le moyen le plus efficace d'y parvenir.
— Alors il faut qu'on l'arrête avant qu'il ne fasse chuter les défenses de notre civilisation, résuma Zircon.
— Concentrez-vous dessus et ne vous occupez pas des Dépeceurs camouflés ici : je vais prendre une dizaine d'Hybrides avec moi pour les localiser et les empêcher de se déchaîner. »
Zircon haussa un sourcil : voir Casan les croire et les aider semblait trop beau pour être vrai, lui d'habitude si strict et respectueux des protocoles.
« Mais la police vient pour tous nous arrêter, répliqua-t-il.
— S'ils le faisaient pour un motif valable, je me rendrais sans faire d'histoire. Cependant, je doute qu'on ait d'autre choix. Je me charge d'attirer leur attention en faisant autant de tapage que possible. Pendant ce temps, je veux que vous empruntiez une sortie inconnue de tous : allez dans la salle où vous avez passé le dernier test de votre formation, pressez le bouton rouge sur le moniteur et empruntez le tunnel qui s'ouvrira face à vous. Grâce à lui, vous rejoindrez la gare en un temps record et vous pourrez filer aussi vite que possible. »
Les trois amis se regardèrent et hochèrent la tête à l'unisson, reconnaissants envers l'Hybride Souverain à qui ils dirent :
« Merci pour ton aide, Casan, et bon courage pour la suite.
— Ne vous inquiétez pas, c'est plutôt ceux venus nous arrêter qui ont du souci à se faire. Filez, à présent ! »
Ils ne se le firent pas répéter deux fois, prirent leurs affaires et partirent aussi vite qu'ils le pouvaient. Derrière eux, le plus puissant des Hybrides fit craquer ses doigts et dégaina son arme fétiche : un couteau à cran d'arrêt.
Ils ne croisèrent pas beaucoup de monde sur leur chemin jusqu'à la salle de réalité virtuelle. Une fois arrivés, Subur pressa le bouton rouge sur le moniteur de contrôle. Dans un bruit de coulissement strident, le sol entre les fauteuils s'ouvrit et laissa place à un escalier en pierre noire. Alors qu'ils s'y engageaient, un terrible rugissement secoua les murs du centre, ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose pour les trois Hybrides :
« Le combat a commencé, il ne faut pas perdre de temps. »
Les parois étaient froides et moites, le sol était dangereusement glissant et le boyau était plongé dans l'obscurité, toutefois ils avançaient sans broncher. Zircon était en tête du cortège, son instinct et ses sens plus aiguisés que ceux de ses amis.
Le temps passé dans ce tunnel semblait infini, toutefois dix minutes s'étaient écoulés. Ils soulevèrent une grille au-dessus de leur tête et se retrouvèrent au cœur de la gare, dans un espace dont l'accès semblait restreint au personnel employé. Ils franchirent la porte et se retrouvèrent dans le hall principal de la gare de Pleym-Shurg.
Ils poussèrent un soupir de soulagement : la police n'était pas encore là pour réguler les départs et arrivées dans la Cité-Capital. Ils purent ainsi se fondre dans la foule et rejoindre le train qui les transporterait jusqu'à Udrar. Cependant, dans un souci de discrétion, ils allèrent s'installer dans un endroit que personne ne songerait à fouiller : la salle des machines où tournaient les moteurs du moyen de transport le plus rapide jamais inventé par l'Homme.
Ils relâchèrent leur vigilance lorsqu'ils sentirent le train se déplacer. Une fois sûrs d'être partis, ils firent en sorte d'allonger Thryt dans une position confortable pour qu'il puisse se reposer. Zircon offrit d'aller fouiller en dehors de leur cachette à la recherche de bandages et de médicaments pouvant atténuer ses douleurs et vertiges. Le jeune Hybride n'était pas stupide : il sentait que ses deux amis avaient besoin d'un moment seuls et ne comptait pas le leur refuser. De plus, il souhaitait rester seul à voguer sur le flot de ses pensées et s'accorder un instant de répit dans ce chaos qui s'emparait de leur monde.
L'espace d'un instant, Zircon se découragea : il avait beau être Hybride, il lui semblait qu'une seule personne ne pouvait changer le destin d'une civilisation entière. L'humanité, au même moment, devait sûrement apprendre que les siens s'étaient attaqués au Conseil de Pleym-Shurg pour prendre le pouvoir dans un élan de vanité. Sarlor, seul dirigeant qui n'était pas tombé dans le coma, pouvait désormais manipuler le Monde Humain à sa guise. Que pouvaient faire trois soldats Hybrides contre une société qui ne cherchait qu'un prétexte pour condamner leur existence ?
L'ancien Conseiller Suprême venait habilement de le montrer : la survie de leur civilisation ne fonctionnait que si personne ne la brusquait. Il suffisait d'un léger déséquilibre pour que tout s'effondre, tel un château de cartes balayé par une petite brise d'été. Il se reprit prestement : de leur réussite dépendait désormais le destin du monde tel qu'il l'avait connu. Il n'avait pas le droit de douter. Si lui pouvait probablement survivre dans un monde dominé par les Dépeceurs, des enfants tels que la petite Diana n'auraient jamais la chance de vivre heureux et en sécurité. S'il ne le faisait pas pour lui, il se devait de le faire pour l'espoir de l'humanité.
Il mit une trentaine de minutes à trouver ce dont il avait besoin pour soulager Thryt de sa douleur et revint dans leur cachette pour les retrouver tout deux endormis côte à côte, se tenant la main et leurs sacs servant d'oreillers de fortune. Il préféra ne pas interrompre leur sommeil et alla s'appuyer contre un mur à quelques mètres, pour aiguiser la lame de sa lance. Quelques heures passèrent pendant lesquelles seul le bruit des machines accompagnait leur voyage.
Une trentaine de minutes avant qu'ils n'arrivent à destination, Thryt se réveilla subitement et se redressa, l'air de chercher ses repères. Lorsqu'il vit Zircon, il sembla s'apaiser et lui demanda :
« Tu te sens comment ? »
L'intéressé émit un petit rire amusé et rétorqua :
« Ce serait plutôt à moi de te demander ça. Tu n'as plus mal ? »
L'Hybride blessé jeta un coup d'œil aux profondes griffures qui sillonnaient son corps et dit :
« Je les sens, mais elles sont aussi désagréables qu'un bouton de moustique.
— Ne te sens pas obligé de mentir pour paraître plus solide. On est entre nous, après tout.
— Je n'ai pas le choix, pas plus que toi. On est une dizaine à connaître la vérité sur le futur proche du Monde Humain, alors et la faiblesse n'est pas envisageable : pour le bien de tous, on doit être forts et aller au bout des choses, quoiqu'il en coûte. »
Thryt ne l'avait pas explicité, toutefois il comprit ce qu'il sous-entendait : pour arrêter Sarlor, le laisser en vie ne suffirait peut-être pas. Les Hybrides étaient supposés éliminer les Dépeceurs, ils avaient été formés en vue de cet objectif. En revanche, la question de tuer des êtres humains, aussi malfaisants et dangereux soient-ils, n'avait jamais été un sujet abordé lors de leur entraînement.
« Le moment venu, nous saurons quoi faire, affirma-t-il. »
Son ami hocha la tête, l'air d'y songer lui aussi, puis entreprit de se soigner avec les éléments que Zircon lui avait apporté. Les bandages qu'il s'était enroulé autour du corps se tâchetaient de rouge et les mouvements trop brusques lui arrachaient une petite grimace, cependant il semblait en forme. Subur se réveilla à son tour lorsqu'un grand bruit retentit depuis l'extérieur.
« Nous voilà à Udrar, annonça Zircon. Il est temps d'aller chercher Arca. »
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