Chapitre 16
Des cris retentirent tout autour d'Arca. L'Hybride savait qu'elle était loin de se situer dans une position avantageuse, cernée et débusquée comme lors d'une partie de chasse. Elle pesta : l'obscurité était oppressante et l'empêchait de distinguer clairement son environnement.
Cela ne l'empêcha pas de persévérer dans sa quête de réponses. Elle se savait près du but et n'allait pas renoncer, pas avant de découvrir la solution qui lèverait le voile de brume qui pesait sur le mystère entourant cette affaire. Derrière elle, de nouveaux grognements retentirent, plus proches que les précédents. Elle s'enfonça dans un passage sur sa droite et crapahuta aussi vite qu'elle le pût dans ce qu'elle imaginait être la bonne direction.
Ses vêtements lui collaient à la peau, trempés de transpiration et d'humidité ambiante, sa respiration était saccadée et ses muscles commençaient à atteindre leur limite. Pour autant, la proximité de ces présences hostiles et sa volonté de leur échapper lui donna le sursaut d'énergie dont elle avait besoin pour repartir de plus belle.
Était-ce une bonne idée de s'être aventurée en cet endroit seule ? Certainement pas. Cependant, la jeune Hybride n'avait pas pu se résoudre à attendre le retour de ses camarades pour exploiter cette piste. Elle avait aussi envisagé la perspective de se retrouver seule, livrée à elle-même et incapable d'établir un contact quelconque avec Zircon ou qui que ce soit d'autre. Elle avait, en conséquence, pris des dispositions pour que ses trois amis retrouvent sa trace sans trop de problèmes.
Elle repéra du mouvement devant elle, encocha une flèche et tira à l'aveuglette. À en juger par le cri que laissa échapper ce qui lui barrait le passage, elle avait fait mouche. Toutefois, elle ne se reposa pas sur ses lauriers et chargea son opposant dans un hurlement de défi. D'un coup de tête surpuissant, elle expédia la mystérieuse créature contre un mur et poursuivit péniblement sa course. Elle bifurqua de nouveau et sembla distinguer une légère lumière bleutée. Après un séjour prolongé dans un endroit privé de lumière, Arca distinguait cette lueur comme s'il s'agissait d'un rayon de soleil.
Elle continua à évoluer dans ce dédale complexe pendant quelques minutes et arriva dans une immense alcôve pouvant facilement accueillir un porte-avions en son sein. Sur les murs comme sur le plafond, de profondes failles serpentaient l'entièreté de l'espace, indiquant la menace d'un effondrement à n'importe quel moment. Au fond de la salle, enchaînés tels des esclaves dans un piteux état, une centaine de personnes la regardaient avec des yeux implorants.
« Qu'est-ce que... commença Arca. »
Ils semblaient tous connectés à ce qui s'apparentait à une paire de réacteurs d'avions, chacun aussi gros qu'une maison de trois étages. La lumière qu'elle avait perçue quelques minutes auparavant provenait d'ailleurs de ceux-ci, pour le moment silencieux et inactifs. La jeune femme poussa un soupir de soulagement : elle n'était pas arrivée trop tard. N'écoutant que son courage, elle s'élança vers les civils prisonniers dans l'objectif de les détacher.
Malheureusement, après avoir couvert la moitié de la distance les séparant, elle entendit un bruit assourdissant, semblable à du métal qui pliait en grinçant, qui provenait de derrière elle. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour comprendre ce qu'il en était : ses poursuivants l'avaient rattrapée. Consciente qu'elle n'avait pas assez de temps pour libérer les prisonniers sans les mettre en danger, elle pila net et se retourna, l'arc prêt à l'utilisation.
Se tenaient, dans l'encadrement de l'accès à l'alcôve, deux Dépeceurs artificiels prêts à lui sauter dessus. Pendant quelques instants de flottement, ni elle ni eux ne bougea. Puis, détournant le regard pour regarder derrière eux, les Dépeceurs baissèrent leur garde. Arca ne se fit pas prier : elle exploita cette faute d'inattention et tira.
La flèche décochée alla se loger dans la nuque du Dépeceur à la gauche de l'accès et lui arracha un mugissement de douleur et d'indignation. Déterminée, l'Hybride s'arma d'un nouveau projectile et mit en joue la créature blessée qui reportait un regard furieux sur elle. Cependant, son congénère n'avait pas bronché et restait à fixer l'extérieur de l'alcôve d'une rigidité presque cadavérique.
Une silhouette entra alors dans le champ de vision d'Arca, depuis l'endroit que fixait le Dépeceur immobile. L'Hybride grogna et décocha instinctivement sa flèche vers ses ennemis. Malheureusement, la forme apparemment humanoïde effectua un court saut et attrapa le projectile avant qu'il n'atteigne sa cible, puis le brisa en deux.
« Rends-toi, Hybride, tonna l'étrange silhouette. Tu n'as aucun moyen de l'emporter contre mes Dépeceurs.
— Je demande à voir, murmura l'intéressée. »
Elle passa sa main derrière le carquois qui était attaché à sa hanche et dégaina un poignard qu'elle ne réservait qu'aux situations délicates. La jeune femme ne pouvait s'y tromper : il s'agissait de la même personne encapuchonnée que celle passée devant les caméras de Subur la nuit précédente. Elle se tenait face à la personne à l'origine de ce complot de Dépeceurs artificiels.
« Ton courage est louable, continua son mystérieux interlocuteur d'une voix de baryton, mais il te coûtera la vie. »
Arca rangea son arc, sortit une flèche et l'empoigna comme s'il s'agissait d'une arme blanche, pointe vers elle avant de rétorquer d'une voix forte :
« La partie n'a pas encore commencé que déjà tu te proclames vainqueur ? Les Hybrides ont toujours été réputés pour être les créatures les plus dangereuses du Monde Humain, et je déteste la concurrence déloyale. »
Visiblement irrité, l'inconnu frappa trois fois dans ses mains et désigna Arca d'un doigt tendu. Les Dépeceurs artificiels réagirent instantanément : ils s'élancèrent vers la jeune femme. Celle-ci savait qu'elle était désavantagée, à raison de deux contre un, pourtant elle ne sentait pas le destin jouer en sa défaveur. Elle connaissait ses limites, elle savait ce dont étaient capables ses ennemis, ce qui lui insuffla une énergie nouvelle dans l'ensemble de son organisme. À présent, il n'appartenait qu'à elle de disputer honorablement son combat pour se retrouver uniquement face à un être humain dépossédé de ses chiens de garde.
Elle se baissa pour éviter le premier Dépeceur qui lui sautait au visage, puis profita de sa position pour lui planter avec force sa flèche dans l'estomac. Malgré ses efforts pour se dégager sans se blesser, la créature se retrouva avec la hampe du projectile à moitié enfoncée dans le corps.
Arriva le second adversaire, d'ores et déjà blessé, qui tenta un coup de patte puissant pour faucher les jambes de l'Hybride. Même si l'attaque aurait pu priver la jeune femme de ses deux jambes, elle était d'une lenteur risible. Arca saura vers l'avant, fit une roulade et effectua un arc-de-cercle avec son poignard. La tentative fut fructueuse : la lame s'enfonça profondément dans le côté de la bête et créa une plaie d'une vingtaine de centimètres de long.
« J'ai affronté des chiots plus féroces que ça ! vociféra la jeune Hybride. Tes Dépeceurs ne valent rien. »
Elle acheva son travail en un éclair : elle sauta sur le Dépeceur le plus proche et lui taillada sauvagement la gorge. Alors que ce dernier s'écroulait dans un dernier soupir, elle récupéra son arc, encocha une flèche et la tira vers son second adversaire encore en train de se remettre du coup précédent. Le projectile alla visiter les poumons du monstre, tandis qu'une deuxième, envoyée quelques instants plus tard, termina sa course dans le crâne.
Triomphante, Arca écarta les bras et cria :
« Il va falloir faire mieux que ça, si tu souhaites te débarrasser de moi.
« Sombre idiote ! Ceux-ci n'étaient que des maillons faibles, envoyés à l'abattoir pour me débarrasser. Ta mort aurait été moins pénible que celle qui t'attend maintenant. »
La silhouette dégaina une épée et s'avança en prenant son temps. La jeune Hybride ne perdit pas le sien et tira autant de flèches qu'elle le pût pour ne pas avoir à affronter ce mystérieux adversaire en face à face. Malheureusement, ce dernier était doué et n'eut presque aucun mal à dévier chaque projectile qui fonçait dans sa direction, d'un geste désinvolte.
Arca lâcha un juron de frustration en comprenant que ses capacités physiques allaient devoir la sauver. Une fois à proximité, son adversaire se fendit et lui lança un coup d'épée au visage. L'Hybride inclina la tête sur le côté et frappa l'inconnu au bras, ce qui le força à replier ce dernier pour ne pas perdre son arme. Même si seule une lueur émeraude émanait de sa tête encapuchonnée, la jeune femme n'eût aucun mal à sentir le regard brûlant de haine de son ennemi posé sur elle, ni sa volonté de la terrasser.
Elle ne s'arrêta pas pour autant : elle pivota légèrement et administra un puissant coup de pied dans ce qu'elle supposait être les côtes du mystérieux personnage. Son attaque fit mouche : dans une expiration étranglée et surprise, son opposant recula de quelques pas en palpant la zone blessée avant de se remettre en garde. Arca n'avait même pas besoin de ses talents de déduction pour connaître l'état de l'adversaire, aussi flou et mystérieux soit-il. Sa position chancelante, son souffle rauque, la difficulté avec laquelle il tenait son épée irradiaient la faiblesse et la fatigue.
« Tu t'es bien battu, pour un lâche qui se cache derrière ses chiens de garde pour faire son sale boulot, cracha-t-elle.
— Ne pense pas... pouvoir te débarrasser de moi... aussi facilement, haleta l'inconnu.
— Regarde-toi, tu tiens à peine debout et chaque seconde qui passe te demande une énergie considérable. Je vais libérer ces innocents, puis te livrer à la police avant de prévenir le Conseil de Pleym-Shurg. Ton temps est compté. »
Dans un râle de désespoir, l'être mystérieux lança son épée dans sa direction. La tentative était courageuse, mais faible et futile. Arca esquiva sans difficulté, saisit l'arme tombée au sol et la renvoya à son propriétaire. Le coup était cependant bien plus puissant et transperça de part en part son adversaire qui mordit la poussière. Elle s'arma alors de son arc, encocha une flèche et la tira dans la poitrine encore secouée de spasmes de l'inconnu. Voulant s'assurer de sa mort, elle en tira une deuxième, puis une troisième avant de lui tourner le dos pour aller libérer les prisonniers.
Quelques mètres la séparait du civil le plus proche d'elle lorsque les réacteurs d'avion se mirent en marche. D'instinct, Arca regarda l'endroit où elle avait laissé son adversaire pour mort et constata qu'il n'avait pas bougé. Elle fronça les sourcils : qui avait activé ces machines ? Ces dernières tournaient de plus en plus vite, dégageant de plus en plus de bruit, jusqu'à ce qu'un brouillard bleuté flotte derrière les pales qui s'emballaient.
Passée la surprise, l'Hybride se précipita vers les prisonniers et brisa les chaînes des dix premiers à mains nues. Ceux-ci, tout en la remerciant, coururent vers la sortie sans demander leur reste. Arca posait sa main sur les chaînes du suivant lorsqu'un phénomène aussi étrange que terrifiant se produisit sous ses yeux impuissants : des langues de fumée s'échappèrent du brouillard caché au sein des réacteurs et saisirent les prisonniers restants. En quelques secondes, les yeux de ces derniers brillèrent intensément et, dans un cri d'effroi, ils tombèrent raides morts sur le sol, privés de leur force vitale.
La jeune femme lâcha la chaîne qu'elle tenait dans sa main et inspecta le cadavre le plus proche. Il ressemblait à une dépouille vieille de plusieurs années, avec la peau sur les os, littéralement, sans aucune trace de muscles ou de sang. Devant elle, les réacteurs tournaient toujours à plein régime et ne semblaient pas avoir terminé leur sombre besogne.
L'intégralité de la brume bleutée sortit des réacteurs et, tel un immense tentacule opaque, alla frapper le cadavre de l'inconnu qu'Arca venait de tuer. Quelques secondes passèrent, au cours desquelles le corps sans vie sembla accumuler le brouillard malfaisant. Passé ce délai, les réacteurs cessèrent subitement de fonctionner et l'ennemi défunt brilla intensément, aveuglant presque la jeune femme.
Dans un puissant concert de coups de tonnerre, l'adversaire terrassé d'Arca se redressa comme si de rien n'était. De nombreux traits lumineux semblaient se déplacer sous ses vêtements, tels des serpents phosphorescents agités. Il sembla regarder les civils qui tentaient de s'enfuir et, d'un mouvement du poignet, créa une vague d'énergie qui vaporisa la dizaine d'innocents sans laisser de traces.
L'Hybride regardait ce spectacle d'un air interdit, se demandant, d'une part, comment cette personne qui avait cessé d'exister pouvait se relever aussi facilement qu'après une courte sieste, mais aussi d'où lui venait cette effroyable puissance.
« Je te dois des remerciements, confia l'inconnu d'une voix surnaturelle. Il fallait que je meure pour achever la dernière étape cruciale de mon plan. Grâce à toi, le sort du Monde Humain est entre mes mains, et entre les miennes uniquement. »
Arca ne se laissa pas impressionner. Dans un rugissement de défi, elle décocha flèche sur flèche à mesure qu'elle se rapprochait de son opposant. Ce dernier, visiblement bien plus puissant qu'auparavant, n'avait même pas besoin de dévier les projectiles que ceux-ci changeaient de trajectoire pour se planter dans le sol. Sentant que la victoire était incertaine, la jeune femme se débarrassa de son arc et, la lame de son poignard au clair, effectua un bond prodigieux vers l'inconnu pour lui ouvrir la gorge.
La tentative se solda par un échec cuisant : le ressuscité bougea si rapidement que l'Hybride fut incapable de suivre. En une fraction de seconde, elle se retrouva saisie à la gorge par une main froide, sans vie, ses pieds incapables de s'appuyer sur le sol pour lui donner du répit. Dans un élan de lucidité, elle mobilisa ses dernières forces pour se dégager de l'étreinte : elle ramena ses pieds sous son menton, puis les projeta dans la tête de son adversaire. Malheureusement, ce dernier ne cilla pas, comme si le coup ne lui avait fait aucun effet.
« Courageuse tentative, complimenta l'inconnu. Cependant, tu ne peux pas me vaincre sous cette forme. Puisque tu mourras en cet endroit où personne ne pourra te trouver, je peux te le dire : je dispose présentement d'un pouvoir incommensurable et inégalable, me rendant apte à contrôler l'ensemble de ces Dépeceurs artificiels. Même si ma puissance va décroître à mesure que les jours passeront, elle sera suffisante pour que je mène à bien mon projet. »
D'un mouvement brusque, il projeta Arca au sol. Celle-ci, trop sonnée pour se relever, ne put que regarder le mystérieux personnage la dominer de toute sa taille :
« J'aurais préféré avoir recours à ce processus plus tard pour maximiser mes chances, mais ton entêtement et ta découverte de mon repaire m'ont obligé à accélérer les choses. Toutefois, ça ne changera pas grand-chose, je reste inarrêtable.
— Qu... quel est ton plan ? demanda-t-elle dans un souffle. »
L'inconnu eut un rire amusé, comme s'il trouvait la question vraiment drôle :
« Ce monde est corrompu. L'humanité n'apprend rien et reproduit les mêmes erreurs que ces ancêtres. Je n'ai même pas besoin de m'attaquer frontalement à cette société : une fois le Briseur d'Enclaves activé, les Dépeceurs de l'extérieur et les miens, depuis l'intérieur, balaieront l'humanité comme deux lames meurtrières. Quand je pense que ces idiots d'Enfants du Soleil m'ont expliqué comment obtenir ce pouvoir, ils feront une drôle de tête quand ils comprendront que je ne les laisserai jamais gouverner quoi que ce soit. »
La jeune femme eut un petit couinement de peur : ce plan était complètement fou, mais réalisable avec les ressources que cet homme avait à sa disposition. Le Monde Humain ne saurait gérer une crise comme celle-ci, le chaos s'emparerait de leur civilisation et cette dernière s'éteindrait probablement avant de pouvoir lancer une contre-attaque. Les Conseillers de Pleym-Shurg seraient probablement les seuls à pouvoir réagir assez vite pour limiter les dégâts au maximum.
L'inconnu la frappa à l'estomac, lui arrachant un caillot de sang et la projetant jusqu'aux chaînes délaissées des civils réduits en poussière. Il agita son index et les menottes se refermèrent sur les chevilles et poignets d'Arca qui, lessivée, ne put réagit assez vite.
« Tu n'es pas entièrement humaine, alors je ne pourrais pas prendre ton énergie. Tu as la vie sauve, pour l'instant, mais tu mourras car privée de tout. Savoure bien ta défaite et contemple la chute de ce monde depuis ta belle prison ! »
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