Chapitre 13
Les dégâts perpétrés au sein de l'hôpital étaient plus impressionnants que ressentis lors du combat contre le Dépeceur : un pan entier du couloir s'était effondré à l'étage de la cafétéria où tables et chaises avaient été réduites en morceaux. Le clou du spectacle était sûrement les parois vitrées du bâtiment qui donnaient sur l'extérieur : un trou s'y creusait sur dix mètres de longueur, laissant s'engouffrer la brise matinale et la lumière rosée du soleil qui se levait.
Zircon était retourné à l'intérieur après leur altercation sanglante face aux Dépeceurs qui se multipliaient aussi vite que des lapins un mois de Mars. Il était allé trouver de l'aide pour ses amis qui avaient seulement demandé un endroit où s'asseoir sans risquer d'être dérangés. Ainsi tranquilles, ils s'assirent tous en grimaçant, la douleur de leurs blessures et de cette défaite semblant faire de leurs cerveaux des émincés.
« Même si je sais qu'on a déjà fait pire comme blessures, commença Thryt, il n'empêche que celles-ci font un mal de chien malgré tout.
— On ne va pas pouvoir combattre avant un long moment, acquiesça Subur, dépitée. »
Zircon fixait le vide, ne sachant quoi penser de cette aventure qu'ils vivaient : à chaque réponse qu'ils trouvaient, dix questions se dévoilaient à leurs esprits.
« J'ignore ce qui nous attend, avoua Arca, l'air songeur. Toutefois, je sais ce que je vais faire dans un futur immédiat : je vais aller interroger une menteuse méprisante et détestable.
— Je viens avec toi, annonça Zircon. De nous quatre, je suis le plus épargné par notre combat de cette nuit et, de ce fait, le plus intimidant. »
Les trois autres Hybrides ne purent qu'acquiescer : avec leurs blessures et pansements partout sur le corps, ils avaient davantage l'air de blessés innoffensifs plutôt que de fiers soldats de Pleym-Shurg. Zircon et Arca se levèrent tandis que Thryt et Subur s'allongeaient sur les banquettes, visiblement fatigués.
Arca et lui passèrent dans le hall d'accueil, remplis de personnes venues estimer les dégâts, l'état des personnes sur les lieux lors de l'altercation entre les Hybrides et le Dépeceur, et bien d'autres. Ils se firent ainsi discrets et montèrent dans l'ascenseur jusqu'à l'étage où se reposaient les cibles des Dépeceurs. Sur le chemin, Zircon regarda sa petite-amie d'un air soucieux qui n'échappa pas à cette dernière :
« Je vais bien, Zir, ne t'en fais pas pour moi.
— Tu t'es quand même faite attaquer par un Dépeceur alors que tu étais seule.
— Ces créatures sont redoutables, mais se replient une fois confrontées à plus fort qu'elles. Celle qui m'a prise en traître avait pour seul objectif de fuir avec ses compagnons. De plus, je te l'ai déjà dit : ce ne sont que des blessures superficielles. »
Le jeune Hybride regarda les bras couverts de bandage sous son tee-shirt à manches longues gris et se força à ne plus y penser. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent au même instant, les laissant face à un trou béant comblé à la hâte par de grossières planches de bois. Même s'ils avaient combattu pour éloigner le Dépeceur de l'hôpital, les dégâts engendrés le faisaient culpabiliser. Ils avaient eu de la chance que personne ne soit blessé, pourtant l'échec de leur stratégie les faisaient passer davantage pour des idiots se croyant au-dessus des lois que des sauveurs.
C'est lorsqu'il vit la mine furieuse de Madame Alde qu'il réussit à se débarrasser de sentiment qui lui rongeait l'esprit. Arca lui administra une claque sur l'épaule et lui dit :
« Pour cette fois, je te laisse mener la conversation. »
Il ne put s'empêcher de pousser un grognement de satisfaction lorsqu'il poussa la porte de la chambre :
« Vous êtes de loin les Hybrides les plus incompétents que je n'aie jamais rencontré ! s'exclama la scientifique.
— Vous n'avez jamais rencontré d'autres Hybrides, Madame Alde, se moqua Arca.
— Comment osez-vous... ce monstre aurait pu nous tuer ! »
Zircon sentait son calme s'effriter petit à petit face à l'attitude détestable de cette femme. Il préférait clôturer cette conversation avant qu'il n'explose de colère, aussi il pointa un doigt accusateur vers elle :
« Si vous aviez vraiment eu peur pour votre vie et celle de votre mari, vous n'auriez peut-être pas omis de nous révéler quelques détails importants à propos de ce monstre. »
Madame Alde fronça les sourcils, l'air incrédule. Zircon se surprit à penser que son jeu d'acteur était aussi insipide que de gober un œuf cru.
« Je... de quoi parlez-vous ?
— Et vous feignez l'ignorance ? ricana Arca. Décidément, j'aurais dû laisser mon subordonné vous faire la peau, hier. Ça nous aurait évité tous ces problèmes.
— Vous nous auriez, par exemple, appris que vous n'êtes en rien la personne qui a découvert la mutation génétique. Peut-être auriez-vous enchaîné avec le fait que vous avez démissionné de votre poste chez « Miracle Richisium » il y a de cela plusieurs mois. Le tout, évidemment, en volant des ressources essentielles à la création d'un Dépeceur mutant au passage. »
En voyant l'expression horrifiée de la scientifique prendre peu à peu possession de son visage, Zircon vit qu'il avait visé juste et que le directeur de l'entreprise ne leur avait pas menti. Pour couronner le tout, il décida d'enfoncer le clou jusqu'au bout :
« Et vous auriez conclu avec le fait qu'il n'existe, non pas un, mais plusieurs de ces Dépeceurs artificiels en liberté dans Udrar.
— Ça fait beaucoup, vous ne trouvez pas ? lui demanda Arca. Obstruction volontaire d'une enquête menée par les représentants du Conseil de Pleym-Shurg, vol de ressources appartenant à « Miracle Richisium » et, pour finir, complicité de meurtre par la création de multiples monstres sanguinaires programmés. »
Le visage de Madame Alde était si blanc qu'il aurait pu figurer comme record mondial dans sa catégorie. Soit la température avait brusquement chuté sans que les Hybrides ne s'en aperçoive, soit la scientifique craignait que la vérité n'éclate. Zircon, conscient que la façade effrontée et offusquée de son interlocutrice s'effrondrait à la manière d'un château de cartes, laissa volontairement un ange passer.
Ce silence oppressant et curieusement assourdissant amena Madame Alde à son point de rupture lorsqu'elle déclara, l'air battu :
« Je... je n'ai jamais voulu que tout cela arrive. »
Zircon s'appuya nonchalamment contre le mur lorsqu'il comprit que la scientifique allait vider son sac et, d'un geste, l'invita à poursuivre :
« La personne dont je vous ai parlé hier nous a offert de quitter nos emplois et de travailler pour lui en échange d'une somme astronomique. Il lui fallait également quelques ressources que nous pouvions trouver dans les locaux de « Miracle Richisium » pour assurer son projet.
— Vous avez donc volé des biens à votre ancienne entreprise, intervint Arca qui prenait des notes. »
Madame Alde hocha piteusement la tête et poursuivit :
« C'est dans un entrepôt à l'apparence désaffectée que nous avons rencontré les Leymas. Pendant que nous nous efforcions d'élaborer un Dépeceur dit « artificiel », ils nous fournissaient des fossiles exploitables pour l'avancée de nos travaux. Cependant... »
Elle marqua une pause, semblant assembler ses phrases avec précaution. Zircon la comprenait, dans un sens : elle venait de leur avouer être la créatrice des Dépeceurs artificiels qu'ils venaient d'affronter quelques heures plus tôt.
« Ils avaient une autre mission qui, selon eux, était beaucoup plus importante que la fourniture de fossiles pour ce que nous étions en train de créer.
— Quelle mission ? s'enquit Arca, l'air brusquement intéressé.
— Ils étaient à la recherche d'une relique ancienne et oubliée qui était vitale au succès de ce que nous entreprenions. Je n'ai, toutefois, aucune information quant à sa nature où son utilité. »
Zircon prit le temps de réfléchir à ce sujet. Juste avant de confronter le Dépeceur, la jeune Diana lui avait parlé d'une obsession qu'avait son père : plus de force pour un certain transfert, à quoi tout cela pouvait correspondre ? Il n'en avait pas la moindre idée pour le moment. Il se doutait, dans le même temps, que ni Madame Alde ni la survivante de la famille Leymas n'allaient pouvoir leur fournir des informations plus concrètes. Il préféra donc se concentrer sur ce que savait la scientifique et demanda :
« Les trois Dépeceurs artificiels que nous avons affronté cette nuit sont-ils les seuls que vous ayez créés ? »
Même s'ils devaient savoir, l'Hybride redoutait la réponse à cette question. Son interlocutrice répondit :
« Non, nous en avons fabriqué d'autres. »
Le cœur de Zircon rata un battement.
« Combien y en a-t-il ?
— En comptant ces trois-là, il en existe deux cents spécimens. »
Arca, sans le vouloir, brisa le stylo qu'elle avait dans la main lorsqu'elle entendit ce nombre. Le jeune Hybride, de son côté, manqua de tomber. Un sentiment de stupeur et d'effroi s'immisça dans son esprit : comment un bataillon de créatures aussi grandes et massives que des chevaux avait pu passer inaperçu dans cette ville qu'était Udrar ?
« Trois Dépeceurs sont capables de ravager une ville en l'espace de quelques heures, murmura Arca. Alors deux cents...
— Sont suffisants pour anéantir un pays, si ce n'est le Monde Humain dans sa totalité, acheva Zircon, l'air abattu. »
La situation venait de prendre une tournure extrêmement dangereuse, si ce n'est mortelle. Même l'ensemble des Hybrides ne suffisait pas pour contenir une telle menace.
« Pourquoi... pourquoi avez-vous accepté un tel travail quand vous en connaissiez les conséquences ? demanda-t-il.
— On nous avait dit qu'ils seraient utilisés comme nouvelle arme pour déblayer les Terres Extérieures, pour reprendre les territoires qui nous reviennent de droit ! »
Zircon balaya cet argument de la main : cette famille était-elle si naïve pour avoir cru à quelque chose d'aussi stupide ? Le fait que ces Dépeceurs aient tenté, à plusieurs reprises, de les tuer, témoignait largement du contraire.
« Un détail me turlupine, confia Arca. Si vous avez effectivement créé deux cents de ces abominations, comment se fait-il que nous n'en avons rencontré que trois ? Où sont les autres ?
— Les trois ont dû être laissés en sentinelles dans la ville pour effacer toute trace incriminant le cerveau de l'opération. Les autres ont été envoyé à Pleym-Shurg il y a de cela une semaine pour une mission dont je ne connais pas la teneur.
— J'imagine que vous ne connaissez pas non plus l'identité de votre employeur, lâcha Zircon. »
Elle secoua la tête avant de répondre :
« Hormis une bague avec la représentation d'un oiseau sur le dessus, je n'ai jamais vu son visage. »
Zircon regarda cette femme, rongée par la culpabilité et le doute. Même si ses intentions et celles de son mari étaient louables, il était clair que celles de leur employeur étaient tout autre. Ils remercièrent madame Alde et sortirent de sa chambre à la hâte pour aller retrouver Thryt et Subur. Ils prirent l'ascenseur sans un mot, le stress leur coupant tout envie de discuter.
Lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit où se reposaient leurs amis, ils les trouvèrent en train de regarder d'un air curieux une tablette que tenait Subur.
« On a de nouvelles informations, annonça Arca. Il faut retourner à Pleym-Shurg.
— Avant cela, répliqua Thryt, venez jeter un œil à ce qu'on vient de trouver. »
Les deux Hybrides s'assirent à côté d'eux et regardèrent, curieux, ce qui leur était montré sur la tablette.
« Je repassais les images capturées lors de notre confrontation avec les Dépeceurs pour essayer de découvrir où ils avaient fui. Sauf qu'à un moment, je suis tombé sur quelque chose d'intrigant. Ça devait être... ah, juste là ! »
Zircon sentit un frisson lui parcourir dans le dos : une personne dont on ne voyait rien car encapuchonnée et camouflée dans des vêtements amples se dirigeait au pas de course vers le lieu de leur combat. Il se revit deux nuits auparavant, au moment où Thryt et lui pénétraient dans la maison des Alde. À ce moment-là, puisque chassant un Dépeceur artificiel, il n'y avait pas accordé beaucoup d'importance et croyait avoir rêvé. Pourtant, cette fois, il ne pouvait se tromper :
« J'ai déjà vu cette personne. Il y a deux nuits, lorsque nous chassions le premier Dépeceur.
— Dans ce cas, sa présence n'est pas une coïncidence, songea Arca. Qui que ce soit, il ou elle manipule ces créatures à sa guise et tente de couvrir ses traces. »
Thryt et Subur acquiescèrent, conscients de la gravité de la situation. À présent, ils regardaient leur meneuse et attendaient ses ordres :
« Nous n'avons pas de temps à perdre : vous allez rentrer à Pleym-Shurg pour expliquer au Conseil la tournure qu'ont pris les événements. Appuyez-vous sur les preuves que nous avons s'ils ne vous croient pas. Si quelqu'un a envoyé près de deux cents Dépeceurs artificiels à la Ville-Capitale, il faut s'attendre à ce que les dirigeants soient visés.
— Tu ne viens pas avec nous ? s'étonna Subur.
— Il reste tout de même trois menaces à Udrar, et je vais les débusquer. J'irais me renseigner auprès de vieilles connaissances pour tenter de trouver leur repaire. Une fois débarrassée d'eux, je vous rejoindrais. Avant que je ne l'oublie, prenez ça. »
Elle sortit de sa poche un petit enregistreur vocal qui devait, selon le jeune homme, contenir le témoignage de madame Alde. Zircon s'empara du petit objet, puis saisit son aimée par l'épaule et la prit dans ses bras.
« Promets-moi d'être prudente, lui demanda-t-il.
— Eh, tu me connais, non ?
— Raison de plus pour respecter ta parole. »
L'air amusé, elle l'embrassa et, d'un geste de la main, l'incita gentiment à ne pas perdre de temps. Thryt, Subur et lui partirent de l'hôpital pour aller à la gare d'Udrar et monter à bord du train à propulsion.
Tandis que le moyen de transport le plus rapide du Monde Humain entamait son trajet, les trois Hybrides ne purent malheureusement pas voir les rouages du Temps se mettre à tourner dans un grincement affolé et inquiétant. Leur aventure allait devenir capitale pour la survie de la société en place et la vie de tous les êtres à l'abri derrière le Rempart mais cela, ils n'en avaient pas encore conscience.
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