« Qui serait capable de soulever des fonds suffisamment importants pour faire un prix que même un couple de scientifiques et les dirigeants d'une entreprise d'archéologie seraient prêts à accepter ? se questionna Thryt. »
Après avoir quitté l'hôpital où ils avaient interrogé la famille Alde, Zircon et Arca avaient rejoint leurs amis à l'endroit où ils logeaient. À présent assis à la même table, ils discutaient de la procédure à suivre pour résoudre cette enquête.
« Il faut aussi pouvoir accéder à une carcasse de Dépeceur, rappela Subur. Rares sont ceux capables d'accéder à quelque chose d'aussi rare et prisé. Les dépouilles sont vendues aux enchères à Pleym-Shurg, non ?
— Tout à fait, acquiesça Arca. Les habitants de la Ville-Capitale aiment collectionner ce genre de trophées, même s'ils ne les ont pas tués. Zir, tu as pu fouiller les dernières recherches de nos premières victimes ?
— Mis à part la création et amélioration d'un Dépeceur artificiel, ils semblaient très intéressés par ce qu'ils appellent le Briseur d'Enclaves.
— Pas possible, argumenta Subur, il ne s'agit que d'une légende. »
Devant l'air circonspect de ses trois amis, la jeune femme poussa un soupir et poursuivit :
« Le Briseur d'Enclaves est un artéfact qui permettrait, selon les différents textes qui en font mention, de faire chuter le Rempart et ouvrir le Monde Humain aux Terres Extérieures. Ce serait un dispositif installé par les ingénieurs pour permettre à l'Humanité de reprendre possession du monde entier une fois toute menace est éradiquée.
— Je me souviens de cette histoire, songea Thryt. Activer le Briseur d'Enclaves n'est pas aisé, seul les pouvoirs d'un dieu peuvent en permettre l'activation, donc ce ne sera pas le premier touriste qui en aura la capacité.
— Pourquoi faire des recherches là-dessus ? s'enquit Zircon. La création d'un Dépeceur artificiel ne permet pas d'obtenir de pouvoirs magiques, et les seuls artéfacts qui en ont la capacité ont été confisqués aux Enfants du Soleil pour restreindre leurs rangs. Seuls les Conseillers de Pleym-Shurg y ont un accès direct. »
Zircon se mit à réfléchir : les éléments qu'ils avaient ne s'imbriquaient pas les uns avec les autres. Qui voudrait créer des Dépeceurs artificiels et tenter de trouver un artéfact dont l'existence officielle n'avait jamais été prouvée ? Plus que tout, qui en avait les moyens financiers ? Une petite élite résidant encore à Udrar pouvait éventuellement se le permettre, y compris un personnage auquel Arca avait sûrement pensé elle aussi :
« Le Briseur d'Enclaves peut attendre. Dans l'immédiat, on doit trouver qui a créé ce Dépeceur artificiel pour éliminer toute menace. Ce directeur qui garde secret la découverte de la mutation génétique, vous ne pensez pas qu'il mériterait une petite visite ? »
Ils hochèrent la tête, convaincus qu'ils pourraient en apprendre davantage en allant visiter le centre de recherche et lieu de travail du mystérieux directeur. Cette fois, ils rejoignirent leur destination à pieds.
Ils évoluaient dans la rue, entre les voitures qui klaxonnaient et les piétons qui se criaient dessus, lorsque Subur pila net, le regard perdu dans le vague. Surpris, ses amis s'arrêtèrent et regardèrent dans la même direction qu'elle, comprenant implicitement lorsqu'ils virent son regard empli de regrets et de fureur muette.
« C'est... commença Thryt, c'était ta maison ? »
Elle hocha lentement la tête, incapable d'émettre le moindre son. Zircon la comprenait : eux seuls avaient un souvenir plaisant de leur vie d'antan, là où Thryt et Arca avaient davantage survécu que vécu. Regarder cette bâtisse le ramena cette nuit-là, en nage au milieu des flammes, des ruines et des cadavres éparpillés dans la rue. La chaleur insupportable des alentours, la crainte de se faire tuer par un Dépeceur et, par-dessus tout, ce sentiment d'impuissance qui lui donnait l'impression d'affronter un typhon destructeur, animé par un instinct bestial et une cruauté inarrêtables.
La présence de ses camarades sembla soudain ramener Subur à la réalité. Les choses avaient changé, et rester immobile comme cela face à un souvenir d'une autre époque ne l'avancerait à rien. Elle passa sa main dans ses cheveux et fit signe aux autres qu'il était prêt à repartir, malgré la petite larmes qui coulait le long de sa joue.
Ils ne tardèrent pas à atteindre le fameux laboratoire auquel travaillait la famille Alde. Il s'agissait d'un bâtiment à l'architecture particulière : la base était rectangulaire, tandis qu'une grande sphère de verre y était juchée à cent mètres du sol, le tout lui donnant une allure de levier de vitesse d'une voiture ancienne. Zircon se demanda d'ailleurs par quel miracle le sommet ne se précipitait pas vers le sol. Bien évidemment, l'élément principal était l'enseigne bleue qui brillait même pendant la journée et épelait « Miracle Richisium ».
Ils se présentèrent à l'accueil, indiquant qui ils étaient venus voir sans rendez-vous. Leur stature imposante et les armes qu'ils avaient avec eux acheva de convaincre le pauvre réceptionniste devant eux d'appeler promptement le directeur. Après un court échange, on leur indiqua que ce dernier les attendait dans son bureau, prêt à répondre à leurs questions.
Ils montèrent dans un ascenseur aux murs de bois, pressèrent le bouton les menant dans la sphère au sommet du bâtiment et se retrouvèrent au centre d'un décor qui contrastait furieusement avec ce qu'ils voyaient depuis l'extérieur.
En effet, l'entièreté de la sphère aurait été plongée dans le noir si d'immenses lustres qui pendaient depuis le plafond n'étaient pas présents. Autour d'eux, répartis en quatre grandes plateformes surélevées, des scientifiques semblaient s'affairer à toutes sortes d'activités : si certains faisaient des expériences sur différents cobayes, vivants ou non, d'autres prenaient des notes devant une colonne de fumée qui dessinait différents bâtiments : La Tour Brisée de Pleym-Shurg, la Luciole, le schéma du Rempart dans son intégralité et bien d'autres encore. Disposés en carré, à quelques marches de l'ascenseur, ces espaces renforçaient l'impression d'immensité à laquelle étaient soumis les quatre Hybrides. Cette sphère semblait si petite, vue depuis le pied de l'immeuble, pourtant elle avait l'air de pouvoir contenir une maison entière sur chaque plateforme de travail.
Face à l'ascenseur se trouvait une porte en bois sur laquelle étaient disposées de petites diodes luminescentes en un ample rectangle. Puisqu'il devait s'agir de l'accès au bureau du directeur, les quatre Hybrides y toquèrent et attendirent une réponse. Après quelques secondes troublées uniquement par le brouhaha des scientifiques qui travaillaient, la porte s'ouvrit sur un homme qui avait dépassé l'âge de la retraite, crâne chauve, tâche de vin au-dessus du sourcil et une formidable moustache blanche en croissant de lune qui semblait orner une bouche fendue d'un rictus intrigué.
« Ah ! Vous devez être les Hybrides qu'on vient de m'annoncer.
— Tout à fait. Voici Zircon, Thryt, Subur et je suis leur meneuse, Arca. Et vous êtes... ?
— Pressé, alors j'espère que nous pourrons clore cette discussion assez rapidement. »
D'un geste impatient, il leur fit signe de le suivre à l'intérieur de son bureau. Celui-ci se composait principalement d'un bureau en bois verni, avec dessus une tour de dossiers penchait dangereusement et un cendrier dont s'échappait une fumée opaque. Sur le mur grisâtre, seule une étagère de trophées scientifiques servait de décoration. Le directeur
« Très bien, je vous écoute : qu'est-ce que quatre mercenaires à la solde du Conseil de Pleym-Shurg peuvent bien vouloir à un honnête homme qui ne cherche qu'à faire avancer la Science ? »
Cette critique à peine dissimulée ne plut pas aux quatre Hybrides. Zircon, qui avait déjà rencontré ce genre de mentalité, s'efforça de rester neutre. Thryt, bien plus sanguin que son ami, fit craquer les jointures de ses doigts en regardant le petit personnage méprisant d'un air cruel. L'atmosphère se tendit immédiatement tandis qu'Arca rappelait à l'ordre le plus sauvage de ses subordonnés. Zircon jeta un œil à Subur qui, curieusement, semblait contempler le mur derrière le siège du directeur d'un air concerné.
« Faire avancer la Science, répéta Arca d'un ton horriblement calme. C'est justement pour cela que nous sommes ici. Je suppose que vous êtes familiers avec le concept de mutation génétique ? »
Même si le petit homme tenta de le dissimuler, l'évocation de ce sujet le fit tiquer.
« Je... je ne crois pas avoir à vous dire quoique ce soit à propos de cela.
— Même lorsque il s'agit d'un enjeu capital dans une enquête pour meurtre ? »
Cette dernière remarque de Zircon le fit blanchir à vue d'œil.
« Enquête pour... meurtre ?
— Voyez-vous, reprit Arca en adressant un clin d'œil complice à Zircon, il se peut qu'une créature dangereuse issue d'une manipulation génétique soit en liberté dans Udrar. Mais vous étiez déjà au courant de cela, pas vrai ? »
Le petit directeur secoua vivement la tête, sa réaction apparaissant davantage comme un réflexe que comme un mensonge. Cela provoqua une certaine surprise chez Zircon qui s'attendait à ce que leur interlocuteur ait l'air suspect, voire reconnaisse ses torts. Arca dût avoir la même réflexion que lui puisqu'elle demanda :
« Que savez-vous à propos de cette bête ?
— Je ne sais rien, je le jure ! Nous avons effectivement découvert le secret de la mutation génétique il y a de cela quelques mois, mais jamais je ne l'aurais utilisé pour créer des monstres !
— Pourquoi avoir caché cette avancée scientifique majeure au public, dans ce cas, monsieur Richisium ? demanda Subur. »
Zircon sursauta, puisque cette dernière était restée immobile et muette depuis leur arrivée dans ce bureau.
« En premier lieu, pour être sûr qu'aucune personne mal intentionnée n'essaie de voler notre secret pour créer des monstres. Je souhaitais aussi être sûr de son efficacité et de sa capacité à être répliquée pour améliorer la vie des citoyens sans danger.
— Ça, ou vous souhaitiez vendre ce secret au plus offrant pour accroître votre pouvoir économique. C'est assez petit de critiquer la police d'élite de Pleym-Shurg quand vous avez vous-même pour projet de vous y installer. »
Arca avertit son amie du regard, cependant celle-ci regardait le directeur d'un air dégoûté et ne semblait pas prête à le laisser tranquille.
« Je n'ai jamais fait une chose pareille, alors de quoi m'accusez-vous, jeune fille ?
— Ce que je suis en train d'affirmer, monsieur Richisium, c'est que vous n'en seriez pas à votre coup d'essai. Après tout, vous avez bien essayé de faire couler la famille Risacar après avoir tenté de leur escroquer leur invention la plus précieuse. »
Zircon allait intervenir lorsqu'il entendit le nom « Risacar ». Il ne pouvait pas se tromper : il s'agissait du nom de famille de Subur, ce qui signifiait qu'elle et le directeur de « Miracle Richisium » ne se rencontraient pas pour la première fois.
« Vous... hésita ce dernier, vous ne savez rien de ce qui est arrivé entre eux et moi.
— Rien ?! Vous avez humilié mes parents, puis vous avez essayé de nous tuer dans une prétendue « fuite de gaz » ! Et aujourd'hui, vous avez créé des mutants monstrueux pour vos desseins sordides, et vous tentez de le cacher en tuant vos employés impliqués dans cette découverte, comme la famille Alde ! »
Zircon sentit de légers frissons parcourir sa nuque. Subur était redoutable lorsqu'elle se mettait en colère, et elle semblait savoir de quoi elle parlait. Le petit directeur moustachu dévisagea la jeune Hybride et pâlit davantage :
« C'est impossible... tu... tu es... la petite Subur ? »
L'intéressée manqua de briser le bureau lorsqu'elle abattit son poing dessus.
« Qui je suis importe peu, vieillard. Alors, tu te mets à table ou on t'inculpe directement pour meurtre et tentative de meurtre ? »
Le regard de Richisium passa de la peur à la surprise :
« Envers la famille Alde ? C'est ridicule ! Ils n'ont rien à voir avec la découverte de la mutation génétique. Pourquoi me parler d'anciens employés de l'entreprise ? »
Les Hybrides tiquèrent sur cette dernière phrase :
« Anciens employés ? répéta Arca, relayant son amie en train de bouillonner de colère.
— Oui, cela fait plusieurs mois qu'ils m'ont présenté leur démission. Je les soupçonne d'ailleurs d'avoir volé plusieurs éléments essentiels à la réalisation d'une mutation génétique, puisque certains de nos stocks ont mystérieusement disparu peu après qu'ils soient partis. »
Arca regarda ses amis, incapable d'extérioriser ce qu'elle souhaitait dire, tant les révélations et les acteurs de cette affaire se contredisaient. Grâce à leur amitié complémentaire et complice, elle n'en eut pas besoin :
« Pourtant, observa Thryt en la regardant, Madame Alde t'a dit qu'elle travaillait toujours pour lui.
— Posez la question à qui vous le souhaitez ici, vociféra le petit homme, vous aurez la confirmation que les Alde n'ont plus été vus ici depuis qu'ils ont plié bagages et sont partis. »
Arca regarda ses alliés d'un air entendu et remercia le directeur de l'entreprise avant de quitter le bureau. Thryt passa derrière Subur qui maugréa au petit directeur moustachu d'un doigt menaçant :
« Vous avez de la chance que cette enquête ne concerne pas ce que vous avez fait. Viendra un jour où vous paierez pour ce que vous avez infligé à ma famille. »
Le concerné déglutit difficilement et hocha discrètement la tête. Ils ressortirent du bâtiment et restèrent quelques minutes à discuter de sujets autant professionnels que personnels :
« Il va falloir que nous clarifions quelques points avec Madame Alde la prochaine fois que nous la verrons, songea Zircon.
— Cela devra attendre, répondit Arca. La nuit ne va pas tarder à tomber, il faut que nous défendions l'hôpital de toute attaque éventuelle ce soir. Nous irons les voir demain. »
Ils allaient partir quand Thryt demanda à Subur :
« Tout va bien, de ton côté ?
— Bien sûr que tout va bien, répondit-elle d'une voix qui indiquait clairement le contraire. Pourquoi tu me demandes ça ?
— Eh bien, tu as attaqué monsieur Richisium avec violence. Même si tout était légitime, tu ne penses pas que sans preuves...
— Quelques mois avant que tout change, alors que mes parents et moi mettions au point une invention qui aurait pu révolutionner le sort de l'humanité, une partie notre maison a explosé. Elle a envoyé ma mère à l'hôpital et a détruit nos efforts. Nous savions que Richisium était responsable, mais il a prétexté une fuite de gaz accidentelle que nous aurions utilisée pour être pris en pitié par les autorités compétentes. »
Subur marqua une pause, les sanglots lui entravant la gorge, avant de poursuivre :
« Le commissariat d'Udrar nous avait appelé quelques heures avant l'attaque des Dépeceurs : le rapport de la fuite de gaz était arrivé et tout indiquait qu'il s'agissait d'un incident criminel dont le coupable était relié de différentes manières à « Miracle Richisium ». Ce connard sait ce qu'il a fait et que je serais là pour lui faire payer la note. »
S'ensuivit un silence gênant avant qu'Arca ne dise :
« Nous t'aiderons à coffrer cette pourriture, compte sur nous. Mais en attendant, il ne faut pas que nous soyons en retard pour garder l'hôpital ! »
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