3. 01/04

9h30, Nantes


La chambre de Noé n'est pas très chaleureuse se dit Alix pour elle-même quand elle émerge. Il vit dans un appart de deux pièces dans le centre-ville, avec une chambre qui ressemble plus à un placard qu'à une vrai piaule. Sans faire de bruit, elle s'extirpe du lit et de la chambre puis passe rapidement dans la pièce principale, qu'elle s'empresse de quitter pour sortir de l'appart. Devoir échanger avec Noé lui coûterait trop. Ils n'ont rien en commun, il faut reconnaître qu'il est bon au lit, mais rien de plus, humainement, il est ennuyant à mourir. Sur le moment, elle n'a pas envie de discuter, mais elle sait que le lundi qui arrive sera gênant pour tous les deux, que personne n'osera aborder cette soirée si étrange, et qu'ils noieront le poisson autour de quelques vannes gênées.

Dans le hall, elle détache son vélo qu'elle a accroché en vitesse la veille, puis repart à la conquête de son appartement HLM en banlieue. Elle est crevée et a juste envie de passer son week-end à regarder des séries au fond de son lit. Depuis plusieurs jours, ça ne va pas fort. Son boulot ne lui plaît pas particulièrement, ses collègues non plus. Elle a l'impression de s'enfermer dans une routine incessante, un peu trop oppressante où elle a du mal à trouver sa place. Avant, elle évoluait de petits boulots en petits boulots, aimant ce sentiment de semi-liberté qu'elle avait accaparé dans son mode de vie. Elle travaillait quelques mois dans des jobs alimentaires — supermarché, plateforme de ventes en ligne, abattoirs — économisait, puis prenait congé pendant quelques mois, vadrouillait entre plusieurs villes de provinces, puis tout recommençait. Cette vie intrépide a duré six ans, jusqu'à ce que son désir de trouver un peu de stabilité rime avec sa jeunesse peu à peu transformée. Sur les conseils d'un ami, elle a fait une formation pour réparer des vélos, puis a trouvé dans la foulée un CDI, sur un coup de chance. Mais deux mois après avoir commencé, elle s'ennuie déjà. Sauf qu'elle le sait, ici, le but n'est pas de rester dans son boulot trois mois puis de partir voir d'autres horizons comme elle l'a toujours fait, mais bien d'essayer de trouver un peu stabilité. Et en plus de ses préoccupations d'adulte, sa mère est coincée dans son village de Provence à cause des pluies torrentielles qui se sont abattues quelques jours plus tôt. Sa mère est bloquée depuis quelques jours, sans aucun contact avec l'extérieur. Les torrents ont cessé, mais ont laissé derrière eux des dizaines de disparus et des morts. Ils en parlent, aux infos, en même temps que les grèves, la crise et les feux au Congo. Quand Alix allume son poste de radio, c'est l'anxiété qui se révèle en elle. Voilà presque une semaine qu'elle n'a plus aucun contact avec sa mère.

Alors qu'elle se perd sur Youtube pour oublier son inquiétude et se morfondre dans la morosité, elle reçoit un appel entrant de son père. Ce n'est pas dans leurs habitudes de s'appeler souvent, depuis qu'il s'est séparé de sa mère quand elle était petite, leurs contacts se sont cantonnés au strict minimum, un week-end sur deux, la moitié des vacances, puis des appels ponctuels pour fêter son anniversaire ou un événement marquant. Elle est étonnée qu'il l'appelle, réfléchit dans sa tête si il y a un événement particulier dont elle aurait dû se remémorer, mais rien ne lui vient en tête. Elle répond à l'appel, étonnée.

— Salut Alix, tu vas bien ?

— Salut Papa. Oui, ça va. Tu appelles pour quelque chose en particulier ?

— Non, pas spécialement. Je voulais prendre des nouvelles, la dernière fois qu'on s'est appelés, c'était pour ton anniversaire. Et puis, c'est l'anniversaire d'Oscar, aujourd'hui, si tu avais oublié.

— Ouais, j'avais oublié. Entre le boulot et maman, j'ai un peu la tête pleine là. Agnès et Oscar vont bien ?

— Oui, comme ça peut aller. Il a pas trop plu ici, heureusement. J'ai entendu, pour ta mère. Ils ont envoyé des secours, ils finiront bien par les sortir de là.

— Ouais, sans doute.

— Ah, en fait, Alix. Je t'appelais pour t'annoncer quelque chose.

— Ouais ?

— Je vais me marier avec Angès. En août. Voilà.

— C'est cool, papa. Je suis contente pour toi. Vraiment. Depuis le temps que t'en parlais, en même temps...

— Oui, c'est vrai. Alors, la vie à Nantes ? Des amours ?

—Non, pas vraiment.

— Il y a bien un homme qui te plaît, quand même ?

— Arrête, je suis plus au lycée, j'ai passé l'âge d'avoir des vues sur les garçons. Ca viendra quand ça viendra, et puis voilà. Tu peux me passer Oscar ?

— Oui, je te le passe. Oscar ! Ta sœur veut te parler !

Alix sourit derrière son portable. Elle n'a pas eu la chance de grandir avec des frères et des sœurs, mais plutôt seule, entre sa mère et son père, qui se sont séparés peu après sa naissance. Puis son père a refait sa vie, a trouvé une nouvelle compagne et a eu un nouvel enfant. La nantaise a sept ans d'écart avec cet ado grincheux aux boutons d'acné un peu trop voyants, le cliché du geek en pleine crise d'ado.

— Salut Oscar, ça va ? Joyeux anniversaire !

— Merci Alix.

— T'as pas l'air bavard, y'a un truc qui va pas ?

— Nan t'inquiète. Tranquille. Papa vient juste de me tirer du lit, là.

— Il est bientôt midi, c'est logique. Moi, il me tirait du lit à neuf heures pétantes, t'as de la chance qu'il ait revu ses méthodes éducatives entre ses deux gosses.

— Si tu le dis. J'ai un game à finir d'hier soir, là, je te laisse. A plus !

Oscar lui raccroche presque au nez, mais elle a fini par comprendre avec le temps que c'est sa manière de fonctionner, un peu trop frontale et peu réconfortante. Au téléphone, il est rarement bavard, mais elle s'entend bien avec lui quand elle revient à Nice chez son père, trop rarement au goût de son géniteur. Mais Alix aime son indépendance, et bien qu'elle porte de l'affection pour son père et sa famille paternelle, il ne lui vient pas à l'idée de passer plus de quelques jours chez lui, et il en va de même pour sa mère, à laquelle elle rend des visites l'été venu et lors des fêtes de fin d'année. Elle doit bien se l'avouer, un des avantages de vivre à Nantes, c'est l'argument des kilomètres pour éviter d'avoir à les voir trop souvent, sans passer pour une fille indigne. Elle n'est pas sans penser à sa famille, elle a juste besoin d'un espace pour respirer, oublier, apprendre et s'émanciper.

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