26. 27/04
18h, Sérignac
Alix est descendue au village pour aider un voisin contre un peu d'eau potable récupérée par un système de pompe à eau. Le type lui a expliqué le système, mais elle n'a pas compris — ou bien n'a juste pas écouté ce qu'il lui disait. Elle porte donc les récipients sur son porte-bagage superposé d'une cagette où elle entasse les jerricans. L'eau n'est pas encore coupée définitivement, mais Alix sait que le jour où cela arrivera, les gens n'hésiteront pas à la troquer contre beaucoup plus que ce qu'elle vaut actuellement. Elle fait spéculer son eau, en quelques sortes. Cette pensée la fait rire.
Quand elle arrive dans la cour de la ferme qui se transforme peu à peu pour s'acclimater à leurs nouveaux besoins, elle découvre le corps inerte de sa grand-mère au sol, couvert de sang. Alix met du temps à réaliser. Elle prend son pouls, l'appelle plusieurs fois, essaie de se convaincre qu'elle n'est pas morte, juste inconsciente, qu'il y a un espoir. Puis, elle repart son vélo, à demi-consciente, pédalant à toute allure, comme si sa vie en dépend — c'est celle de sa grand-mère dont on parle, pour le coup.
Elle arrive chez Damien — le médecin qui lui a prêté la remorque — au prix d'un essoufflement mémorable. Elle explique la situation, sa grand-mère qui baigne dans son propre sang, sa panique ressort dans ses mots, ses explications s'emmêlent, et elle le fait monter sur le porte-bagage, pédalant à toute allure pour rejoindre sa maison.
Elle est tombée du haut d'une échelle contre quelques cailloux plus où moins pointu, qui ont rouvert sa peau fragile au col du fémur laissant échapper des litres de sang, puis a fait un arrêt cardiaque. C'est ce qu'a supposé le médecin, les yeux désolés. Elle est morte, là comme ça, allongée dans sa cours, là où elle a toujours vécu. Puis, plus rien, le vide. Juste cette épave sans vie. Alix a longuement lavé le corps pour le faire ressembler à une vraie vieille dame, enlevant tout le sang qui entache sa peau, l'habillant dans ses habits les plus beaux, réservés aux rares occasions, la couvrant d'un voile de son parfum préféré. Alix se résout alors à creuser un trou à côté du potager que Paulette chérissait. Damien est resté dans sa cuisine, Alix lui intimant de la laisser faire cette tâche, seule. Elle creuse toute la soirée, sous le soleil scintillant. Elle creuse sans pleurer une seule fois, les yeux scrutant la terre sans s'y dérober. Quand elle se décide à mettre le corps inerte de sa grand-mère dans cette fosse vertigineuse, elle se met à pleurer, en tirant le cadavre sur plusieurs dizaines de mètres. Elle a même mouillé les vêtements secs et propres de sa grand-mère, qu'elle largue ensuite dans ce trou où elle voyait déjà gigoter les asticots. Elle s'est ensuite empressée de remettre de la terre, après un court moment de recueillement. Elle a passé une partie de la nuit dans le noir complet, à bouts de forces, à recouvrir le cadavre de sa grand-mère avec la terre de son jardin. La voilà qui enterre ses morts, à présent. Le summum de la barbarie de l'époque. Une torture.
En revenant dans la cuisine, où Damien s'attelait à lui préparer un repas avec ce qui lui reste de nourriture, elle vomit une nouvelle fois, un vomi de dégoût face à la mort, se dit-elle. Mais ça continue, par spasmes, ses nausées matinales reviennent. Damien lui demande plus de renseignements sur son état, Alix déblatère tout, son retard de règle, le test de grossesse négatif, ses nausées depuis plusieurs jours. Il lui dit qu'elle est probablement enceinte, que sans doute, le test était un faux-négatif, Alix dément, assure avoir suivi les consignes du test à la lettre.
— Je vais aller au supermarché, il doit bien leur en rester. Ca m'étonnerait que les gens se soient rués vers ce genre de trucs.
— Ça sert à rien... C'est pas ça.
En le disant, Alix tente de se convaincre elle-même. Alors Damien reprend sa bicyclette, et malgré l'heure tardive, il se met en tête de rejoindre la ville accueillant la moyenne surface la plus proche.
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