24. 24/04

7h, Sèvres

Max se réveille dans un monde encore un peu plus en ruines que la veille. Leur périple jusqu'à son village natal breton, c'est de la folie. Mais c'est trop tard pour reculer. Ils n'ont presque pas de provisions, juste leurs jambes pour avancer. Max a cru avec innocence qu'ils trouveraient de quoi manger en chemin, qu'à mesure qu'ils s'éloigneraient de la capitale les magasins seront plus remplis. A quelques kilomètres de Paris intramuros, la situation est la même. L'électricité est inexistante, et les magasins ne sont plus approvisionnés. Les habitants des banlieues tranquilles quittent aussi un à un leur pavillon, laissant des épaves sans vie dans ces villes dortoirs de l'ouest parisien. Il voit son ami faire un léger mouvement sous sa couverture, puis en sortir :

— Salut, commence Julien. J'ai la dalle, on part bientôt ?

— Ouais, dès que Soline est réveillée.

Comme si elle répondait à son prénom, la brune ne met que quelques instants à se lever elle aussi, reprenant ses esprits.

— Je suis prête.

Les trois compagnons économisent leur salive. La gourde d'un litre de Soline est presque vide, et même si l'eau courante n'est pas encore coupée, c'est une question de temps avant qu'elle ne le soit, et trouver des points d'eau potable n'est pas chose aisée. Il doit être sept heures quand ils se mettent en route vers l'ouest, et sentent bientôt le soleil qui tape dangereusement dans leur dos. Ils traversent la couronne péri-urbaine de Paris, finissent par dépasser le panneau symbolique qui délimite l'entrée dans les Yvelines. Il y a beaucoup d'autres groupes de marcheurs, souvent membrés de trois ou quatre personnes. Chaque groupe s'espace le plus possible des autres et évitent au maximum le dialogue. La règle implicite semble être celle du silence.

— J'ai faim.

— Moi aussi, bredouille Soline.

— OK, ça devient vraiment urgent on dirait.

— Bah ouais, mec. On a rien mangé depuis hier et on fait que de marcher depuis des heures, forcément qu'on a la dalle.

— OK, OK. C'est juste pas vraiment une surprise.

Ils entrent dans une énième ville fantôme qui perpétue les schémas institutionnels de la ville de banlieue chic. Après avoir dépassé les premières salves de quartiers pavillonnaires, ils entrent dans un maigre centre-ville essentiellement composé de banques, assurances et agences immobilières. La seule épicerie du centre-ville est ouverte, mais se contente de vendre à des prix exorbitants des denrées périmées et abîmées. Leurs poches sont pourtant vides.. Soline a encore un peu d'argent sur sa carte bancaire, mais les commerçants n'acceptent plus que le liquide. Parfois, ils réclament carrément des denrées à troquer ou de l'or. En se faisant mutuellement les poches, ils arrivent à collectiviser sept euros, et ils s'empressent de prendre à parti l'épicerie pour avoir un petit quelque chose à se mettre sous la dent. Une dame pas très aimable gère la caisse, et les voyant arriver avec leurs quelques pièces, leur cède un paquet de pâtes tellement minuscule qu'il ne nourrit pas une personne pour un repas.

En sortant, dépités, Max a l'air grave, mais il a une idée :

— Bon, je crois qu'on est arrivé à l'étape où on va devoir voler pour survivre, déclare le brun d'un ton grave.

Soline et Julien obtempèrent d'un signe du menton. Max part alors dans de longues explications tactiques, où il raconte un peu sa vie, contant qu'il a dû voler pour survivre quand il est arrivé à Paris, après son BTS. Il leur explique qu'il faut mieux entrer par effraction dans des maisons inoccupées et récupérer les liquidités et les quelques denrées mangeables qu'il reste.

— Si on arrive à trouver des maisons désertées depuis une dizaine de jours, on trouvera plus de choses que dans une maison abandonnée hier. Y'a encore dix jours, les gens étaient pas aussi à cheval pour emmener jusqu'à leur dernière boite de conserve.

Ils choisissent en premier lieu un énième quartier pavillonnaire qui leur paraît un peu plus embourgeoisé que les autres. Les allées aux noms de fleurs sont à présent larges, les voitures qui stationnaient avant sagement devant les baraques des actifs ont disparu. Une maison aux volets fermés par des galets et au portail attaché avec un cadenas retient leur attention. Les occupants ont pris le temps de barricader leur demeure, espérant y revenir un jour, ce qui trahit la date de sa désertion.

Plus par conformisme du cambriolage que par peur, Max prend quand même le temps d'observer les maisons voisines et les rues alentour pour vérifier que la voie est libre même en plein jour. Après les vérifications d'usage, les voilà qui escaladent le petit portail haut d'un mètre et qui se dirigent en courant vers l'entrée de la maison. Ils n'ont comme unique solution pour entrer de défoncer la porte, après avoir trouvé une barre de fer suffisamment solide dans le jardin. En s'y mettant à trois, la porte finit par céder au bout de quelques minutes de pression. Le sésame ouvert, c'est un terrain de jeux qui s'offrent à eux. Ce n'est pas l'envie qui manque de mettre à sac la belle maison et jouer les robins des bois, mais ils cherchent en premier lieu de la bouffe à se mettre sous la dent. Les quelques denrées échouées dans le frigidaire sont moisies, et dans les placards, ils trouvent quelques paquets de riz et de pâtes, également quelques conserves, et une boite d'œufs. Pas un gain énorme, mais de quoi tenir quelques jours en se rationnant. Max a estimé à l'aide de sa carte michelin qu'ils en auraient pour au moins deux semaines de marche pour rejoindre son bled aux coffins des Côte d'Armor. Il essaie de se consoler en disant que tout ira mieux une fois la région parisienne dépassée. C'est leur objectif, leur cap pour éviter de flancher. Soline rempli méthodiquement son sac à dos des denrées récoltées, ils récupèrent un peu de monnaie dans une assiette à l'entrée, puis sortent ni vu ni connu, soulagés d'avoir de quoi manger pour les deux ou trois jours à venir.

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