22. 22/04
8h30, Paris
Max émerge en nage. Assis sur le siège passager, il ne se rend pas directement compte qu'il vient de passer la nuit dans une voiture inconnue aux côtés de Julien, qui pionce encore à côté de lui. La soirée de la veille lui trotte encore en mémoire, et sa première idée et de rallumer l'autoradio pour avoir de nouvelles infos. Son ami se réveille après quelques minutes de latence que Max passe à observer son environnement.
— Salut, commence Julien en se frottant les yeux.
— Salut. On regarde si ça marche ? demande Max en pointant du doigt l'autoradio.
— Ouais, vas-y.
Max presse le bouton on avec un peu d'appréhension. Il n'a jamais eu autant peur de tomber sur un morceau de Mozart. Il change plusieurs fois de station pour en obtenir une à peu près audible. Et ce n'est pas de la musique qui tourne en boucle, mais la voix d'un journaliste. Julien s'empresse de monter le volume.
— Nous savons donc que la coupure générale d'électricité survenue sur la région parisienne est localisée et n'est pas étendue au reste du pays. Les habitants de Paris et sa proche banlieue sont priés de garder leur calme et de rester chez eux. L'électricité devrait être remise dans les heures qui suivent, ce n'est qu'une panne de réseau.
Sauf que dans les heures qui ont suivies la déclaration du journaliste, le courant n'est pas revenu, et les radios ont continué à diffuser des musiques classiques. Max et Julien alternent entre fumer quelques bédos tant qu'ils ont encore de l'herbe, écouter la radio dans la voiture vandalisée, admirer les immeubles en contre-bas depuis la petite ceinture. Max n'arrive plus à savoir si cette routine dure quelques heures ou des journées entières, durant laquelle ils se morfondent dans leur torpeur.
Les pensées de Max sont de plus en plus tournées vers Soline, il a envie d'aller la voir, et se sent coupable de l'abandonner alors qu'il est à quelques centaines de mètres d'elle, occupé à zoner avec son pote.
Il y a quelques jours à peine, ils étaient encore deux être aux corps charnels qui se confondaient l'un et l'autre. Ils ont vécu quelques instants dans une euphorie mélangée à de la mélancolie, dans un fatalisme maladif et une bulle impeccable. Max a mis du temps à en sortir, et à présent, il ne désire plus que d'y rentrer. S'enfermer dans leur cocon, oublier leur existence mise à mal, faire l'amour toute la journée, manger les quelques dernières denrées échouées dans les placards de Soline.
Il ouvre alors sa portière en tremblant presque. Il ne peut pas abandonner Julien comme ça, ce serait trop méchant, une véritable trahison pour leurs moments passés pour surmonter ce moment de l'époque. Peiné, il décide de jouer la carte de la sincérité :
— Julien, je peux pas rester éternellement avec toi. Faut que j'aille voir une amie, elle doit avoir besoin de moi... Je sais pas quand on pourrait se rejoindre, mais si t'as besoin de moi, on se donne rendez-vous à la petite ceinture, genre, demain soir ?
— OK... Je vais aller voir ma famille aussi. A demain soir, dix-neuf heures ?
— Dix-neuf heures. Salut mon pote, conclut Max.
Il sort de la voiture sans un regard de plus, part à l'assaut des rues du quartier de Soline pour la rejoindre. Elle lui manque. C'est la meilleure amie de son ex, il l'avait toujours vu comme une personne du décor quand il était avec Layla, et maintenant, dans l'état d'exception qui les traverse, elle devient véritable, prend des traits plus humains dans son imaginaire, et irrémédiablement, il développe des sentiments envers elle.
Ils refont l'amour avec encore plus de passion que les fois précédentes, oubliant tous leurs problèmes autour, ils ont allumé la radio à piles de Soline pour écouter une symphonie de Beethoven qui passe. De temps autres, on entend des journalistes en duplex depuis la province qui évoquent ce black-out, expliquent les quelques informations officielles qu'ils ont à ce sujet, couvrent le gouvernement qui perd toute la mainmise sur la situation. Ils le voient, aux fenêtres de Soline. Les pilleurs n'attendent plus la nuit pour voler, les gens deviennent fous enfermés dans leur appartements, par les murs fins on entend les pleurs de lamentation et les cris de rage. Des irrémédiables en voiture tentent de passer le périph' avec quelques litres d'essence en stock, en quête d'un avenir meilleur ailleurs. Ils sont nombreux à tenter l'exode, ils l'ont tous compris, plus rien ne les attend en ville. Ceux qui restent sont les plus sinistrés, les cas les plus fragiles, qui n'ont personne pour les accueillir ailleurs, pas de voiture pour partir, le dernier symbole de la liberté.
— Pourquoi on partirait pas, nous aussi ? demande innocemment Max.
— Ta voiture est en panne. On deviendra quoi, à pied ?
— J'en sais rien. Mais on deviendra quoi ici ?
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