2. 31.03
9h, Gare Montparnasse, Paris
— A plus Soline ! On se revoit bientôt de toute façon, je pars juste quelques temps...
— Ouais, je sais bien, ça va juste faire bizarre de plus avoir ma coloc comme d'hab. Prends soin de toi, Layla.
— Promis.
Soline l'aide à monter sa valise dans le train, Layla lui fait un dernier signe rapide de la main et part s'installer. Elle a réussi à avoir ce train de justesse, l'écran géant des départs de la gare était rempli d'annulations à cause des grèves. Sa destination semble la seule maintenue. Soline lui a dit qu'elle avait réservé quelques nuits dans un camping des Pyrénées espagnoles, et lui a en vitesse confié sa tente et quelques babioles de camping. La valise est remplie à bloc d'accessoires pour vivre sa nouvelle vie « d'aventurière » comme l'a spécifié Soline. A peine installée, elle éteint son portable et le range au fond de mon sac à main. Elle s'est promis d'arrêter de répondre à ses messages. Il continue de la harceler, malgré les multiples comptes qu'elle a bloqués sur les réseaux sociaux. Layla se met à l'aise, sort ses sodokus qu'elle a acheté dans le hall de la gare juste avant de partir, et essaie de se vider l'esprit. Elle est en vacances, enfin. Après tous ces mois d'enfer passés dans la capitale.
Le conducteur passe quelques rapides annonces, et quelques instants plus tard, le train s'élance sur les rails. Layla jette un dernier coup d'œil à son amie qui lui sourit sur le quai, avant de détourner le regard vers son cahier de sodokus. La jeune femme a l'impression qu'une page se tourne, à mesure que le train prend de la vitesse. Elle fait table-rase.
*
15h, Nantes
— Ça te dirait de boire un verre, ce soir ?
Alix relève la tête vers son interlocuteur qui vient de la déconcentrer dans son assemblage de pièces sur un nouveau vélo. Elle n'apprécie pas être dérangée dans son travail, surtout pour des futilités, et par un stagiaire qu'elle connaît à peine, et ce n'est pas du mépris de classe déguisé, simplement un vœu de tranquillité.
— Ouais, si tu veux, répond-elle, sans enthousiasme
Noé lui sourit de toutes ses dents. Alix le trouve un peu enfant, parfois, même si elle ne le connaît pas depuis longtemps, elle est arrivée encore récemment dans l'atelier vélos de la ressourcerie, et lui est en stage pour un semestre. Avant, elle avait bossé quelques temps dans le bâtiment, puis à la fourrière, même quelques mois en abattoir. Mais son corps de femme de vingt-sept ans commençait à lâcher, il était devenu impensable qu'elle reste ouvrière toute sa vie, et puis une pote lui a parlé d'une formation de réparations de vélos, Alix y est allée sans aucune attente, et a enfin échoué dans cette boutique au gré du vent. Elle travaille avec des gens qui n'ont jamais eu de problèmes d'argent, qui ne connaissent pas la galère, qui vivent reclus dans leur idéal. Le genre de type pour qui l'écologie est un loisir, qui essaie de se donner bonne conscience en achetant de la seconde main, qui vit dans un entre soi bourgeois. Alix les a longtemps testé, mais depuis qu'elle se frotte constamment aux personnages, elle comprend un peu plus leurs motivations. Ils ne vivent pas dans le même monde.
Noé est un petit blondinet toujours enthousiaste, qui bosse avec elle pour réparer les vélos. Il n'a pas vraiment plus d'expérience qu'elle — il n'est qu'en stage — et du haut de ses vingt-deux ans, il se contente de faire quelques blagues plus ou moins marrantes durant les pauses. Avec Lila à la vente, ils sont trois à bosser à pleins temps, trois jeunes anciennement précaires qui ont été priorisés pour obtenir leur emploi, comme si la conscience de classe des écolos n'était qu'une règle d'éthique parmi d'autres.
Le verre offert par Noé que déguste tranquillement Alix est un peu fade. Elle a connu de meilleures bières, et la compagnie de ce garçon ne rend pas le moment incroyable. La jeune femme le trouve un peu plat, sans grand intérêt.
— Ça te dirait de venir chez moi ce soir ?
La dernière chose qu'aimerait Alix, c'est de parler de références culturelles qu'elle ne connaît pas d'un poil avec ce type un peu trop sûr de lui. Elle a remarqué qu'il prend un malin plaisir à exposer tout son savoir, avec une pointe de mépris. Ça doit être l'effet d'étudier non-stop à la fac depuis cinq ans, le défend-elle. Pourtant, il faut avouer, il est plutôt mignon, avec sa gueule d'ange et ses yeux pleins de malice. Et depuis ce garçon rencontré quelques semaines plutôt à Paris quand elle déménageait Lionel et Mélodie, elle n'a eu aucun rapport sexuel avec un homme, et ça lui manque un peu. Tant pis si elle doit l'entendre débiter tout un tas de conneries sur l'art ou la musique quelques temps, elle a envie de baiser.
— OK. T'habites loin ?
— Dix minutes.
Le trajet est tout aussi long et plat que le verre qu'ils ont échangé. Noé étale sa culture, lui parle d'architecture alors qu'elle a déjà arrêté de réfléchir. Elle veut juste être bien, oublier la morosité, arrêter de penser.
— Tu m'écoutes ?
— Hein ? Non, Noé, je t'écoute pas. J'ai déjà eu toute ma journée de boulot et après tu reviens me parler de Gaudi ou je sais pas quoi, j'ai juste pas la capacité intellectuelle là.
— OK... Désolé. Je pensais que ça t'intéressait.
— Pas grave.
Alix a l'impression d'avoir blessé le blond. Pour contrevenir au silence gênant, il sort une cigarette de son blouson et lui en tend une :
— T'en veux une ?
— Nan, ça ira. J'ai arrêté.
Sa réponse est un peu sèche, et elle voit le blondinet faire une rapide grimace. Ca la gêne quelques secondes, mais en fait, elle s'en fout.
Chez lui, il lui sert un verre de vin rouge, qu'ils dégustent tous les deux sur son canapé, dans un état de semi-silence. D'un air entendu, ils savent déjà ce qu'ils souhaitent faire ensuite, et Noé, visiblement vexé, a arrêté de faire la conversation.
Elle en a marre de le voir combler les silences avec gêne, alors elle l'embrasse. C'est un baiser charnel, mais sans romantisme ni passion. Ce soir-là, ils ont juste envie de faire l'amour, rien de plus. Pas d'engagements futurs, juste du plaisir spontané.
*
15h30, gare de Toulouse Matabiau
Layla arrive à la gare de Toulouse dans l'après-midi, elle s'achète un sandwich dans une boulangerie d'une grande firme implantée dans la gare, elle crève la faim car elle n'a pas emporté d'en cas pour son voyage. Elle attend à présent patiemment que sa correspondance arrive sur le quai en lisant un bout de son bouquin à l'eau de rose. Elle est crevée et a hâte de pouvoir planter sa tente dans une vallée des Pyrénées espagnols. Layla aurait préféré une chambre d'hôtel, mais avec ses moyens, elle n'aurait pu rester qu'une nuit. Elle a alors opté pour un camping municipal d'une petite ville tranquille à l'extrémité est des Pyrénées, non loin de la frontière française.
Après avoir pris le train, puis deux bus, Layla est enfin arrivée à bon port pour le dîner. Elle monte sa tente sous les derniers rayons lumineux du soleil, et se demande si elle va réussir à tenir avec cette météo peu clémente. En arrivant, elle s'est directement rendue dans une boutique de la bourgade pour s'acheter un pull et un sac de couchage supplémentaires. Le printemps vient tout juste de s'installer, et les conditions de vie montagneuses lui font peur. Elle n'est pourtant pas si loin de la mer, quarante kilomètres à peine. La toile de son nouvel habitat est réconfortante. Le kaki s'accorde parfaitement avec les arbres du camping, presque inoccupé en cette basse-saison. Les stations de ski sont loin et commencent à être désertées à mesure que le printemps arrive.
La jeune femme s'est installée, s'est aménagé un espace rien qu'à elle pour les prochains jours. Elle ne sait pas combien de temps elle va rester, elle a pris une semaine de vacances, mais au fond, elle sait qu'elle pourrait rester plus longtemps. Elle en a besoin.
Layla se cuit un plat de pâtes qu'elle a ramené de ses petites emplettes en centre-ville, puis part à la douche, se baladant entre les allées vides du campement. Elle croise quelques tentes, deux familles de roms dans le fond de l'espace qui semblent sédentarisées, ainsi que deux camping-cars, dont l'un est immatriculé en France. Derrière la haie qui délimite le camping, et qui donne sur un parking, elle observe les montagnes qui la dominent d'ici. La brune n'est pas habituée à ce paysage, elle qui a toujours vécu en région parisienne, connaissant seulement les immeubles et la pollution dans le ciel gris. Elle en est convaincue, ces quelques jours de vacances vont la ressourcer.
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