Arc I. La chasseuse, Myreïn. Chapitre II : La chasseuse et le roi
À ce jour, Thétis maudis encore le moment où je n'ai pas simplement décidé de lui fermer la porte au nez. Mais au final, est-ce qu'il ne me l'aurait pas juste lancer à la figure avec ces compliments ? Je ne le saurais jamais. Toujours est-il que ma destinée est venue me chercher un soir de printemps anormalement chaud et qu'elle a poliment retourné mon existence comme on le ferait d'un simple tapis.
Extrait du journal de Myreïn
L'air de la montagne, à la fois glaciale et brûlant, me donne l'impression qu'un millier d'épines se plantent dans mes poumons à chaque inspiration. À cette douleur s'ajoute celle des branches basses qui fouettent sans pitié mon visage et s'emmêlent dans mes cheveux roux et celle de mes mains aux extrémités bleuies par le froid extrême. Pourtant, je continue de courir, car je les sais à mes trousses. Je les entends crier leurs menaces derrière moi, décrire tout ce qu'ils comptent me faire subir une fois qu'ils m'auront attrapé, leurs rires alors qu'ils me lancent des pierres qui heureusement ne m'atteignent pas.
Je continue de courir et saute par-dessus le tronc d'un arbre mort pour soudain me retrouver au beau milieu d'une grotte recouverte de cristaux d'un vert similaires à l'herbe grasse au printemps et comme piqueté d'étoiles. Je connais cet endroit. Je pousse un cri de surprise et glisse sur le sol lisse, me mordant violemment la langue au passage. Le goût métallique du sang rempli ma bouche alors que des rires puis des exclamations confuses remplissent la caverne et un sourire fleurit sur mon visage. Ils sont là eux aussi, étrangement quelque part en face de moi alors qu'ils me couraient après, il n'y a pas si longtemps. Je lève la tête et je les vois, des pierres ou des couteaux à la main. Lothaire le fils du forgeron et Carden et Varen, les jumeaux du tanneur qui le suive comme son ombre. Ils ont quinze ans à l'époque et moi tout juste dix, ce qui ne m'a pas empêché de casser le bras de Lothaire il y a deux mois pour ce qu'il a tenté de faire à la fille de la boulangère à l'époque.
Une grimace de surprise tort le visage de ce dernier alors que lui et ses acolytes réévaluent la situation.
- Où on est là ? S'étonne Carden en reniflant bruyamment.
- T'es sûr de ton coup, Lothaire ? Enchaîne Varen, ses yeux repérant presque immédiatement un tunnel à sa droite. Tu sais ce qu'on dit de cette monta-
- Je sais, le coupe le fils du forgeron en jouant nonchalamment avec son couteau. Je suis déjà venu ici, je connais l'endroit.
Et à ces mots, je suis maintenant certaines qu'il ment à ses amis et qu'il ne sait absolument pas où nous sommes, autrement, il ne serait pas aussi calme.
Pourtant, les deux jeunes hommes semblent tout de suite plus détendu tandis que je me lève tant bien que mal, la respiration courte. Un sourire mauvais étire les lèvres de Lothaire dont je peux presque goûter la joie folle qui grandit à mesure qu'il s'approche de moi.
- Je t'avais promis que tu allais le payer, Myreïn. Dit-il d'un ton léger.
Pour toute réponse, je crache à ses pieds un mélange de sang et de salive en signe de défi. Les deux jumeaux me regardent avec des yeux arrondis par la surprise alors qu'une expression de dégoût déforme le visage du fils du forgeron.
- Et moi, je t'ai promis que tu t'en sortirais pas vivant la prochaine fois, pauvre con !
La rage qui gonfle en lui fait écho à ma colère et à celle de la créature qui, je le sens, approche depuis le tunnel à notre droite. Il n'a pas le temps de réagir. Aucun d'eux n'en a le temps et en réalité moi non plus. Tout ce que je sais, c'est que je les ai sciemment condamnés au moment où ils ont décidé de me suivre dans cette montagne et seul l'intervention de mon père et du chevalier Nox a permis à Lothaire de survivre à l'attaque.
- Ne retourne plus jamais dans cette montagne. M'avait averti mon géniteur d'une voix où perçait une peur si profonde qu'elle résonne encore dans ma tête avec clarté jusqu'à maintenant.
Les deux autres sont morts et, à ce jour, je n'ai aucun regret.
*****
-... reïn ? Myreïn !?
Je reviens brusquement à moi. Une main secoue doucement mon bras et j'aperçois par-dessus l'épaule d'Hermelin le vieux Evrart qui salue ma mère d'un signe de la tête. Son regard indéchiffrable s'attarde sur moi et j'ai l'impression d'y voir quelque chose qui ressemble à du regret. Je n'ai pourtant pas le temps de m'attarder là-dessus puisque la porte se referme sur lui et ma mère pousse un long soupir en se laissant choir sur une chaise. Hermelin décide de préparer un thé alors que je me dirige vers cette femme qui paraît vieillie de dix ans de plus sous la lumière cru du porte bougie qu'elle a posé sur la table. Je m'agenouille tout près d'elle et pose la tête contre ses cuisses tandis que sa main vient se perdre dans ma longue chevelure rousse.
- Qu'est-ce qu'on va faire ? Soupire-t-elle. Si seulement ton père était encore là, avec nous...
Je ne réponds pas à sa question. À vrai dire, je ne sais jamais quoi dire lorsqu'elle aborde le sujet de mon père disparu il y a deux ans dans les mêmes montagnes où mes frères et d'autres jeunes hommes seront vraisemblablement envoyés au nom de l'étrange lubie du duc et de son mystérieux invité.
La chaîne de Duaele
Plongée dans un hiver éternel, cet endroit semble suivre ses propres lois à l'écart de celles qui régissent le reste de Britannia. Les légendes racontent que quelque chose de fabuleux s'y cache, mais rare sont ceux qui osent tenter l'aventure et encore plus ceux qui en reviennent vivant. En fait, je suis même certaine qu'à ce jour, ceux qui prétendent en être revenue ne sont que des vantards au mieux ou des charlatans qui ont réussi à y piéger des voyageurs et à leur voler tout leurs biens au pire. De mémoire, mon père et ma grande sœur étaient sûrement les seuls que j'ai jamais vu revenir en un seul morceau, et me concernant, l'interdiction de mon géniteur tenait toujours et m'empêchait d'y retourner de toute façon. L'odeur de menthe se mêle à celle âcre du thé et me sort de mes pensées. Je vois du coin de l'œil Hermelin poser deux tasses fumantes sur la table. Je me lève et m'empare de l'une d'elles que je bois d'une traite avant d'embrasser le front de ma mère qui sirote doucement le sien.
- On est encore là, nous. Je la rassure d'une voix douce.
Elle secoue la tête, mais l'ébauche d'un sourire semble étirer ses lèvres.
- Tout est devenu tellement plus compliqué depuis qu'il a disparu.
Hermelin et moi échangeons un regard. Disparu. Elle ne peut même pas commencer à concevoir qu'il est mort. Il secoue doucement la tête avant de pousser un soupir et de proposer son bras à notre mère.
- On va se débrouiller. On s'est toujours débrouillé pas vrai ? Je te ramène dans ta chambre ?
Ma mère semble avoir repris des couleurs. Elle accepte avec un petit sourire le bras tendu d'Hermelin qui, d'un simple coup d’œil, m'ordonne de nettoyer nos tasses et la table que nous avions occupé. Je lui réponds d'un sourire fatigué et me mets à la tâche alors que je les vois disparaître tout en haut des escaliers.
Un silence agréable remplie la pièce, seulement interrompu par le clapotis de l'eau dans le bac que j'utilise pour laver nos tasses. J'envisage de préparer les pâtes à pain du jour tout en essuyant la vaisselle lorsque la porte d'entrée s'ouvre doucement. Étonnée, je me rends compte que ma mère a sûrement oublié de fermer la porte à clé après le passage du chevalier sacré et je me maudis intérieurement de ne pas avoir pensé à la vérifier moi-même.
- Bonsoir, je tente à voix basse en essayant d'apercevoir la silhouette en face de la porte maintenant à moitié ouverte. Je suis désolée, nous sommes fermés jusqu'à demain matin.
Et pour faire bonne mesure, j'ajoute.
- Il n'y a malheureusement plus aucune chambre disponible. Donc...
- Vraiment ? Mes excuses, la porte était ouverte alors je me... Vous permettez ?
Au même instant, toutes les bougies de la salle s'allument et le feu dans l'âtre rugit derrière moi, chassant les ténèbres de la grande salle. J'ouvre grand les yeux sous l'effet de la surprise alors que la porte se referme et que la lumière offre à ma vue un homme loin des voyageurs typiques que j'ai vu pu voir rentrer dans cette auberge. De sa tenue de voyage sans un grain de poussière à ses cheveux de la couleur de l'ambre en passant par ses yeux d'une jolie teinte violette, cet homme n'a en fait rien à voir avec ceux que j'ai côtoyé jusqu'à présent. Il m'offre alors un sourire chaleureux.
- Je suis bien à l'auberge du Moulin Noir ? Je suis à la recherche de sir Azarius, peut-on m'aider à le trouver ?
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