XVIII
Mac ré-émergea quelques mètres plus loin, lorsque ses muscles décidèrent enfin de laisser les manettes à son cerveau, et que ses surrénales cessèrent de pleurer en boule.
Autour de lui Tango, Vendredanche, Lily et Sonja rampaient sans bruit.
Les lobes de Mac, son surmoi et pas mal d'adrénaline décidèrent de concert de râler, parce que, non, franchement, ils n'avaient pas payé pour ça, d'autant qu'on ne s'était pas concertés...
...Ils en étaient à improviser un meeting et sortaient le paperboard lorsqu'un tout petit Maciej, le Maciuś de son enfance, avait pointé sa petite tête aux cheveux noirs et clamé : « hé ! Les amis, nous sommes vivants ! »
Alors lobes, surmoi et quelques glandes concernées levèrent la tête et constatèrent que ça restait plutôt chouette, au fond, d'être en vie.
Mac laissa échapper un glapissement de joie, se redressa brusquement, et se cogna.
« Oh, évite de tout casser, Wayde Preston » lui lança Tango juste devant en tournant la tête. « J'avais déjà parié que tu serais trop lourd pour tenir, ne me donne pas raison. »
Maciej reprit une position allongée plus adaptée et lança, en se massant le crâne :
« On est dans les faux plafonds ?
— Ravie de voir que tu as suivi » railla Sonja. « C'est toi qui as eu l'idée, mon grand. »
Mac cligna des yeux. « Comment ça ?
— Ils allaient ouvrir la porte, quand tu t'es mis à faire la courte échelle à littéralement tout le monde » sourit Vendredanche, à côté. « Je sais pas si l'adrénaline y était pour quelque chose, le fait est qu'on était tous planqués quand ils ont déboulé. Bien joué, Mac. » Il lui donna un gentil coup de poing dans l'épaule. Mac sourit.
« J'en ai honnêtement aucun souvenir » admit-il.
« J'aurais pas cru que ça tiendrait » lança Tango. « Sinon, vous pensez...
— Visiblement, ça a tenu » nota Sonja.
« Après, personne n'a rien mangé d'autres que des pigeons et des ragondins depuis six ans » fit remarquer Tango. « Ça peut jouer.
— Et les yaourts aux fraises ?
— Oh, espèce de sadique. Ne me parle pas de yaourts aux fraises.
— Pardon.
— Où va-t-on, précisément ? » lança Mac, à la cantonade.
« On va libérer les copains » clama hardiment Sonja, qui rampait sur les coudes avec un enthousiasme un peu préoccupant, surtout qu'elle arborait le sourire triomphal du gros chat du voisin quand il déniche enfin le pot de nutella dans le placard. Vendredanche lui jeta un regard en coin.
« Euh, voilà » fit-il finalement, comme d'un air d'excuse.
« Hein ? » s'étrangla Mac. « Comme ça ? À...à quatre et demi ? C'est du suicide ! C'est l'univers qui pète les plombs ! C'est...
— Hé ! Je compte pas pour un demi ! » protesta Lily.
« C'est pas toi que je comptais, Lily » gémit Mac. « On va se faire boulotter en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! Empaler ! Ils vont danser sur nos tombes, et...
— "On" ? » releva Vendredanche en haussant un sourcil. Mac rougit, mais prit l'air le plus digne qu'il avait en stock.
« Oui, enfin, je ne vais pas vous laisser tous seuls » marmonna-t-il. Vendredanche s'éclaira d'un grand sourire.
« Je suis content de te l'entendre dire ! » s'exclama-t-il joyeusement. « Et puis, tu sais ce qu'on dit, Mac...
— Quoi ?
— Depuis l'élection de Meredith Jones aux miss Univers, plus rien ne peut arriver à l'humanité » grimaça Vendredanche. « OUAIS » ponctua Sonja, de façon pas très appropriée. Mac soupira.
« C'est la pire idée qui soit, j'espère que tu en es conscient » laissa-t-il tomber. Le stagiaire eut une mimique d'excuse.
« On ne peut pas attendre. Ils ont fait des prisonniers. Et...et il y a Rafaíl, dedans » ajouta-t-il à voix basse. « Et Jasmine. »
Mac jeta un coup d'œil à Lily, qui rampait sans bruit, le regard vide. Une seconde passa. Même Sonja se taisait, dans une expectative nerveuse.
« Une mission sauvetage ? » fit enfin Mac, doucement, en revenant à Vendredanche.
« C'est ça.
— Et les autres rouges ? Ils sont en sécurité ?
— On les a bouclés au rez-de-chaussée, il y a pas dix minutes, dans le caisson de crise » expliqua Tango. « J'imagine que tu ne t'en souviens pas...
— Pas franchement, non » s'excusa Mac, en notant le tutoiement anarchique. « J'étais dans une espèce d'état second. » Puis, parce qu'il était un peu long à la détente : « dans le caisson de crise ?
— La loge du concierge » développa Tango. « Il n'était pas là lors du Confinement. Depuis, elle est vide...c'est une zone neutre. On y met les populations sensibles, en cas de guerres. »
Mac hocha la tête. « Ils sont en sécurité, là-bas ? Pourquoi est-ce qu'on y a pas laissé Sonja et Lily ? Je veux dire, c'est dangereux pour une enfant, et Sonja est quand même bl—AhAÏE ! » pailla-t-il soudain, parce que Sonja lui avait méchamment bourré l'index dans les côtes.
« Je me battrai jusqu'à la mort ! » brailla-t-elle, déchaînée. « C'est pas une agrafe qui va m'empêcher de sortir les copains du pétrin !
— De marcher, par contre — aïe » nota placidement Vendredanche, gratifié du même traitement que Mac.
« J'ai dérobé une béquille ! » précisa vaillamment Sonja, en brandissant ladite béquille avec une énergie qui faillit du même coup assommer Tango et Mac dans un arc-de-cercle géométriquement impeccable.
« Fais attention, quand même » lui lança Vendredanche, un peu nerveux.
« Foutaises » râla Sonja. « Je suis parfaitement capable de vous aider.
— Je préfère qu'on ait toutes les chances de notre côté, alors s'il te plaît, ne tue personne sur le chemin » l'implora Vendredanche.
« Dacodac.
— On a pas eu trop le choix » continua Vendredanche à l'adresse de Mac. « Elle ne nous l'a pas laissé, pour être précis.
— VOUS LE REGRETTEREZ PAS ! » brailla Sonja.
« Elle a participé aux deux grandes guerres » explicita Vendredanche, parce que Mac venait d'avoir un petit sursaut flippé de recul. « De toutes façons, son expertise peut être appréciable.
— Je vois » opina Mac, le regard toutefois pas franchement détendu.
« Mac. On a pas le temps d'attendre. » Vendredanche eut une grimace, hésita une seconde, puis laissa tomber : « Trompe est prêt à tout, maintenant.
— Trompe ? » répéta Mac.
« Ah, oui, on ne t'a pas encore expliqué...c'est le secrétaire général. » Un sourire amer passa sur le visage du stagiaire. « Justement, je crois que tu le cherchais, il y a quelques jours ?
— Cet homme qui vous assujettit ? J'ai cru cerner le personnage.
— J'imagine.
— C'est donc un taupe ? Ceux du...du cinquième étage ? » ajouta Mac, pas bien sûr de ce qu'il fallait mieux dire. Ça semblait encore assez douloureux.
Vendredanche hocha sombrement la tête. Ce fut cet instant que choisit Sonja pour lui envoyer discrètement un coup de coude dans les côtes.
« Il serait temps de lui expliquer tous ces étages, tu ne crois pas ? » fit-elle doucement. Vendredanche soupira.
« Bon, puisqu'on ne peut pas y échapper, j'imagine que je vais devoir te faire un récapitulatif. Tu te souviens des bleus ?
— Comment les oublier ? » frissonna Mac.
« Je compatis à ton traumatisme, » lâcha laconiquement Vendredanche. « Les bleus vivent au troisième. Ils sont...relativement inoffensifs. Et inutilisables pour chaque côté. Les taupes ont bien tenté de les corrompre, dans les premières années, mais tout le monde s'est rendu compte qu'ils ne fichaient pas grand-chose et préféraient reconstituer une secte hippie chamanico-toxicomane avec de la moquette et trois velux. Depuis ils recherchent l'alignement de leurs chakras et nous laissent plutôt tranquilles.
— Des petits joueurs, » commenta Sonja avec excitation.
« Je ne dirais pas précisément ça, » fit précautionneusement Mac.
« Peu importe. Les rouges sont au premier.
— LES GUERRIERS DU WALHALLA ! » Beugla Sonja.
« Tu les connais, » poursuivit Vendredanche sans broncher. « Ceux du rez-de-chaussée sont sans étiquette. On est très peu nombreux, surtout parce qu'au rez-de-chaussée, à part la cantine, la photocopieuse, deux toilettes et une poignée de salles pas bien définies, il n'y avait pas grand-chose d'évolué.
— Si, la salle neuf.
— La salle neuf n'est précisément pas ce que j'appelle quelque chose d'évolué. » Tango haussa les épaules. « Enfin, » reprit Vendredanche, « au second, il y a les verts. Il faut s'en méfier.
— Pourquoi ? » lança Mac, curieux.
« Parce qu'ils vont au plus offrant » expliqua Vendredanche. « Les verts et les rouges ne s'entendent pas franchement. Ils n'ont aucune loyauté, et servir les intérêts des taupes leur paraît la plupart du temps plus rentable qu'autre chose. Ce sont des genres de mercenaires qui vendraient père et mère pour un peu de gel hydroalcoolique.
— Du gel hydroalcoolique ?
— Certains en ont fait une monnaie alternative et non reconnue » grimaça Tango.
Mac dévisagea Vendredanche, qui se tenait allongé, appuyé sur ses coudes, et le dévisageait aussi, parce qu'il le dévisageait, et que ça devenait gênant de dévisager n'importe qui pour n'importe quoi.
« Tu as oublié le quatrième » fit obligeamment remarquer Mac après une minute.
Vendredanche tressaillit comme s'il l'avait griffé.
« On...évite d'en parler » fit Sonja. « C'est dérangeant.
— Qu'est-ce qui est dérangeant ?
— Le quatrième.
— Et pourquoi ?
— Parce que tu continues précisément à insister très lourdement, » siffla Tango.
« Ils ont régressé » capitula Vendredanche, avec une mimique d'excuse. « Enfin, c'est ce qu'on pense. Peu de gens en sont revenus. Je crois qu'un baobab a poussé dans un pot à crayons.
— Et ils mordent fort » grimaça Sonja. « Les saletés.
— Qui ça ? Les baobabs ?
— Non, les types du quatrième » soupira Tango.
« Peu importe » fit Vendredanche. « Le fait est que, depuis la mort de Bleuchardon, les taupes — qui sont au cinquième et se targuent de diriger tous les étages — ont, plus ou moins, désigné Trompe comme leur nouveau chef. Et Trompe est loin d'être un enfant de chœur.
— C'est un névropathe, ouais » grommela Sonja.
« Ce que je ne comprends pas » lança Tango, « c'est pourquoi Bleuchardon a désigné un type comme Trompe à la tête de l'entreprise. Il nous aimait bien, le vieux. J'aurais cru qu'il trouverait quelqu'un d'autre. Ou du moins qu'il voie un peu au-delà du jeu de gentil toutou de l'autre déséquilibré. »
Vendredanche eut une mimique contrite et se racla la gorge. Tous les regards se tournèrent vers lui, interloqués.
« Justement, » lâcha-t-il à contrecœur d'une voix étranglée, « il se pourrait qu'il ne l'ait pas désigné.
— Hein ? » Tango eut un rire nerveux un peu flippant. « Ouais, sauf que Trompe règne en maître. Donc la probabilité que Bleuchardon ne l'ait pas confirmé comme son successeur est quasi nulle. »
Vendredanche toussota. « Il se pourrait que Trompe ait pris le pouvoir sans avoir été désigné, » lâcha-t-il mine de rien.
« Et Bleuchardon aurait désigné qui ? » railla Sonja. « Rafaíl ?
— Moi » grimaça Vendredanche.
Mac s'étrangla sur une rognure d'ongle.
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