𝐗𝐕𝐈𝐈𝐈. 𝐀quaboulevard (quoique pas tout à fait)
XXVIII
Ils glissaient depuis déjà une bonne demi-seconde lorsque Mac osa enfin rouvrir les yeux. Il tenait Vendredanche contre lui avec une délicatesse telle qu'on avait l'impression qu'il comptait lui broyer la cage thoracique. La demi-seconde suivante, il la passa à se demander ce que diable il avait boulotté pour avoir une telle haleine, — avant de réaliser qu'il glissait en quasi-chute libre le long des parois répugnantes d'un vide-ordure et que, subséquemment, l'odeur en question viendrait difficilement de sa propre bouche. Quelqu'un braillait à côté de son oreille gauche. Une fois n'est pas coutume, il s'agissait de Vendredanche.
Vendredanche qui, avec une sollicitude hors du commun, prenait le soin d'articuler suffisamment pour être vaguement compréhensible :
« LE CRAAAABE ! »
...Et ça n'était comme ça que depuis une demi-seconde, mais Mac en avait déjà marre. Ça sentait très mauvais et ils glissaient très vite et les jointures irrégulières de la conduite (qui défilaient à une vitesse qui — d'après Mac — devait au moins avoisiner l'intégrale d'une demi-douzaine de g) lui faisaient méchamment mal au derrière, aussi répliqua-t-il dans le noir :
« OUI, le crabe ! Ça suffit à la fin ! C'était ça ou les taupes ! »
Mais Vendredanche criait un peu trop fort et l'air sifflait à leurs oreilles et Mac était malade en transports en commun, ce qui résultait qu'il n'était de toutes façons pas à l'aise dans une conduite pestilentielle à glisser sur les fesses comme à AquaBoulevard. Il ajouta :
« Et arrête donc de crier ! C'est agaçant à — »
BOUM : voilà le bruit sec et net que firent les deux larrons en heurtant soudain un sol bétonné. Mac poussa un glapissement. Vendredanche prit trois secondes pour se souvenir d'arrêter de hurler.
Il faisait sombre.
« Ven...Vendredanche ? » appela Mac, pas bien assuré. Ça faisait des échos dans le noir. « Où est-ce qu'on est ?
— J'en ai aucune idée » répondit le stagiaire d'une voix blanche. « Tu peux me lâcher ? Je crois que ma cage thoracique va céder d'une minute à l'autre, et je ne suis pas un grand fan des pâtes bolognaises. »
Mac gargouilla quelque chose et libéra Vendredanche, qui lui servait de nounours désarticulé de soutien émotionnel depuis les huit microsecondes cumulées qu'ils avaient passées dans la conduite. Ça arracha un soupir de soulagement au stagiaire, qui fit jouer les articulations de ses bras avec une grimace.
« Merci.
— Tu peux marcher ? » s'enquit Mac, un peu inquiet.
« Je crois pas. Pas tout seul. » Vendredanche chopa le recenseur d'autorité par le bras et se hissa debout, pour s'appuyer sur son épaule. Mac était nettement plus grand que lui, mais peu importe, il ferait une béquille satisfaisante.
Ils regardèrent devant eux.
C'était légèrement stupide, puisqu'on ne voyait strictement rien ; il faisait noir comme dans un estomac de rhinocéros (un gros rhinocéros, admettons, mais on raconte que les créatures des abysses sont toujours nettement plus volumineuses que celles qu'on trouve généralement sur le plancher des vaches). Néanmoins, dans l'obscurité, on ne savait jamais trop quoi faire de ses yeux. Regarder devant était donc un choix parfaitement viable.
« Tu aurais un briquet ? » lança Vendredanche, perçant un silence de plusieurs minutes. Ça ne sentait pas très bon.
« Je ne fume pas » répliqua Mac, avant de subséquemment lui tendre un très joli briquet jaune en plastique. Vendredanche hocha la tête d'un air appréciateur et fit craquer la pierre. Une flamme vacillante s'éleva dans l'obscurité comme une étoile.
(Allumer un briquet dans un vide-ordure croupissant où macèrent des déchets organiques depuis près de six ans n'est pas, sur un plan parfaitement théorique, ce qu'on appelle une « idée de génie » si l'on ne tient pas à fiche le feu à l'atmosphère, — mais nos deux compères n'étaient ni chimistes ni foncièrement brillants, quoique cependant pas mal chanceux ; aussi passèrent-il sans un clignement d'yeux à côté de la mort la plus stupide de l'histoire de la biosphère multiverselle. À peine y eut-il l'étincelle un peu dérangeante que fait un pet particulièrement solide sur une chandelle.)
Devant eux, bien sûr, s'étendaient des monticules poisseux et informes, lesquels semblaient jeter un reflet trouble et maladif évoquant de façon irrépressible un pique-nique sauvage au bord de l'autoroute, qui aurait été abandonné là pendant une demi-vie humaine. Ça croupissait dans les coins — envahissait tout l'espace. Mac réprima un haut-le-cœur discret. Même Vendredanche, qui se lavait sous la gouttière depuis presque six ans, fronça le nez avec répugnance en avisant la scène. Le reste des déchets putrides s'enfonçaient dans une obscurité étouffante, suffocante d'une odeur ignoble ; ça prenait à la gorge. Tout faisandait et puait, jusqu'aux poumons.
Comme une percée au milieu des déchets pourris, il y avait un boyau obscur.
Mac se raidit, agrippa comme par réflexe le bras de Vendredanche. Ce dernier soupira.
« Je crois qu'il faut le suivre » suggéra-t-il d'un air incertain. Il leva la flamme du briquet. On y voyait rien. Où ça menait ? Aucune idée. Mais est-ce qu'ils avaient le choix ?
« Euh...et remonter la conduite pour revenir au cinquième, c'est une option ? » Vendredanche oublia une seconde qu'il avait mal à la jambe pour lui décocher une bourrade en traître.
« Non. Je grimpe pas tout ça avec mon agrafe dans la guibolle. » Il grimaça. Ça le lançait.
« Ça va ?
— Non.
— D'accord. »
Mac leva les yeux vers le boyau obscur, et déglutit. Un couloir, plutôt. Probablement que c'était par là qu'on faisait circuler les poubelles, autrefois.
« Mais...et le crabe ? » souffla-t-il. Il faisait si chaud — et l'atmosphère était si lourde. Ça puait. Dans tous les sens du terme. — Le recenseur s'essuya le front du dos de la main, et pour une fois, il avait ses raisons d'être nerveux.
« Ben, maintenant qu'on est là... » philosopha Vendredanche, un brin fataliste, en haussant une épaule. Mac lui jeta un regard de travers.
« Je croyais qu'il avait mangé un certain Tom » lança-t-il. Vendredanche cligna des yeux.
« Tom...de la maintenance informatique ?
— Non. Tom Volauvent, du service des ampoules grillées.
— Ah oui. Pardon. » Vendredanche eut une grimace. « Hé bien, oui, c'est très possible. Mais on est deux. Pas vrai ? » il serra amicalement l'épaule de Mac. C'était maladroit, mais il n'avait pas franchement de meilleur argument.
Mac écarquilla les yeux. « Tu veux dire que notre vie tient au fait que nous sommes DEUX éclopés, face à UN crabe anthropophage assoiffé de sang ?
— ...Dans les grandes lignes. » Mac se décomposa.
« ...On est foutus. »
Vendredanche lui tapota gentiment l'épaule.
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