𝐗𝐕𝐈𝐈. 𝐄pic saugrenue battle
XVII
Mac fut réveillé le lendemain matin par un cri strident.
Le cri strident en soi n'aurait pas été si terrible — rappelons que le recenseur avait à sa charge deux enfants en bas âge — si toutefois il n'avait pas été poussé à la tierce, à trois centimètres de son oreille gauche, et minoré par un solide cent trente décibels.
Mac hurla aussi par solidarité, et aussi parce que ça permit à la personne qui criait de la fermer un peu parce que lui aussi savait bousiller les oreilles d'autrui au petit matin, sans blague.
Toutefois il trouva très vite plus fort que lui lorsque Vendredanche lui tomba dessus alors qu'il se relevait à peine, et le plaqua par terre sans ménagement.
« À TERRE ! » fut la seule chose que son cerveau voulut bien traiter avant que la personne inconnue susmentionnée ne se remette à brailler. « T'es complètem— » protestèrent en automatique tous ses lobes un peu secoués, au moment précis où, en vrac, il tenta de se relever sur un coude, Vendredanche le re-ficha au sol de tout son poids, une agrafe lui passa un deux centimètres de l'œil gauche, Vendredanche hurla, il hurla, la personne à gauche hurla encore plus fort, puis il y eut un bruit net et mou, un cri aigu, puis un sifflement, et Vendredanche lui boucha d'autorité les oreilles.
Un index étranger dans chaque conduit auditif n'étant pas parmi les sensations les plus agréables sur cette terre, Mac tenta un ronchonnement pas franchement approprié.
Il n'eut pas le temps. Personne ne l'écoutait.
« Rafaíl ! À COUVERT ! » brailla Vendredanche en tirant un Mac complètement sonné par les aisselles, histoire de forcer un peu la position debout.
« JE TROUVE PAS LILY ! » fit la voix comme lointaine et pleine d'échos.
Mac crut voir le visage de Vendredanche pâlir nettement.
Mais il n'en vit toutefois pas grand-chose, entendu que le stagiaire l'avait poussé à l'angle du couloir juste avant de le bazarder sans ménagement dans une cage d'escalier. Mac se vautra lamentablement sur les marches, juste à temps pour entendre un vertige :
« Je reviens ! Occupe-toi des autres ! »
Puis la porte se referma violemment, et Mac se retrouva sonné dans une semi-pénombre, que seule une longue fenêtre venait percer comme en rayons d'anges.
Un gémissement dans son dos le tira de sa stupeur.
Derrière, dans le noir, il y avait des dizaines de rouges.
« Que...qu'est-ce qui s'est passé ? » balbutia-t-il.
Un type barbu renifla dans l'air gris.
« Vous êtes le recenseur ? » lança-t-il d'une voix grondante.
« Euh...oui ?
— Je lui fais pas confiance » fit une petite dame aux cheveux en pompon gris. « Il débarque de nulle part. On n'en sait rien. C'est bizarre, non ?
— Hé ! Je suis aussi coincé que vous, que je sache, » protesta Mac.
Les regards qu'on lui décocha semblaient dire que non. Au fond, il n'était pas là pour les mêmes raisons qu'eux.
Eux n'avaient plus rien, à part cette idée malsaine de pouvoir le jeter par la fenêtre sans trop de représailles, et aux yeux d'une foule qui mangeait du ragondin depuis cinq ans, ça faisait une supériorité non négligeable. Un sentiment qu'ils n'avaient pas ressenti depuis un paquet d'années. Celle d'avoir l'avantage.
Mac frissonna.
« Euh, je...je mange très peu, » lança-t-il en désespoir de cause.
« Y a intérêt, » gronda quelqu'un.
Pouvait-il leur dire qu'il espérait s'en aller très vite ? Non, il n'avait pas le droit à leur maigre espoir. C'était un luxe qu'ils avaient gagné par la souffrance...et au fond, réalisa Mac avec horreur, ils semblaient l'en tenir responsable.
Il n'avait pas verrouillé la porte, il n'avait pas fermé le portail, il n'avait pas laissé la végétation et la rouille et les murs leur boucher l'avenir. Mais en étant ici et bien condamné, il rongeait leurs rêves. Il représentait quelque chose, l'enfermement qui durait, et qui toujours était sans espoir. C'était facile de mélanger.
Bouc émissaire ?
La tête de Mac bourdonnait.
« MAC ! » hurla Vendredanche, en réapparaissant par l'entrebâillement de la porte. « Il y a des blessés ! On trouve plus Lily !
— Qu'est-ce qui se passe ? » s'écria Mac, nerveusement.
« Les taupe ont fait une descente ! Ils nous canardent !
— Je veux aider » bafouilla Mac. Vendredanche eut une mimique contrite et au lieu de ça, lui tapota l'épaule.
« Écoute, je m'en voudrais s'il t'arrivait quelque chose » soupira-t-il.
« Ne raconte pas n'importe quoi ! » protesta Mac. « Je suis sûr que...
— Oublie » le coupa Vendredanche. « C'est trop dangereux.
— Et c'est pour ça que tu y vas ?!
— J'ai pas deux enfants » répliqua simplement le stagiaire.
Et sans prévenir il disparut par l'entrebâillement de la porte, sans même écouter Mac, ...sans même entendre ce qu'il avait à dire.
L'argument était logique. Vendredanche n'avait pas d'enfants. Vendredanche n'était peut-être même pas marié, de ce qu'il en savait, — et du moins n'avait-il plus personne à l'attendre chez lui, depuis tout ce temps.
Mac ravala son impuissance et sa colère et tourna le regard vers les rouges, serrés dans la cage d'escalier, comme des oiseaux frileux.
Ça criait, au-dehors. Il pensa avec un pincement au cœur à Vendredanche, à Rafaíl, à Lily surtout, perdue on ne sait où à attendre son père — ou pire. Il ne voulait pas y penser.
Il sursauta, quand une agrafe vint se ficher dans le bois de la porte.
« Hé. »
Mac fronça les sourcils, leva la tête. — C'était Tango, émergeant d'une dalle de faux-plafond. Le recenseur soupira.
« Quoi ?
— Faites pas cette tête-là. Faut avouer que vous envoyer au combat comme ça, c'est un peu comme prendre un concombre, lui filer un fer à friser, et lui dire « bonne chance, mon vieux, puisses-tu nous débarrasser de toute la pègre de Gotham ».
— Je ne vois pas le rapport, » releva Mac, en fronçant les sourcils.
« Ben, c'est un peu tendu » expliqua obligeamment Tango.
« Hmpf. Merci bien.
— 'Pas de quoi. Au fond, il vous aime bien. Ça l'ennuierait que vous cassiez votre pipe comme un idiot d'une bête agrafe.
— Pourquoi les gens trouvent-ils toujours le moyen de se flanquer sur la tronche en toutes circonstances ? » gémit Mac.
« Aucune idée. Faut leur demander. »
Ce fut à cet instant qu'un petit cri perça le battant, puis un choc, puis un hoquet terrifié, puis —
« Au secours ! J'arrive pas à ouvrir ! »
Mac sursauta et Tango pâlit. Les coups sur la porte redoublèrent.
« Oh, bon sang, Lily ! » s'écria le recenseur en bondissant sur ses pieds. Plus vite que ce qu'il croyait être la vitesse de pointe de ses jambes, il se précipita, manqua de défoncer la porte, enfin la flanqua grande ouverte, — et Lily terrifiée lui tomba dessus, en larmes.
Mac à la seconde d'après réalisa la fillette qui pleurait, les bras autour de lui et ses chuchotements qu'il voulait apaisants.
Il cligna des yeux. Lily sanglotait.
« Je trouvais plus papa ! » gémit-elle. Mac prit une profonde inspiration, qui tremblait dans ses côtes. « Je trouvais plus Vendredanche ! Il y avait des taupes partout !
— Chht. C'est fini. C'est fini. » Les mains de Mac grelottaient de toute la peur qu'il avait eue. « On est en sécurité.
— J'ai eu très peur » sanglota-t-elle, la tête enfouie dans le pull du recenseur, et elle pleurait sur sa veste fétiche, la poil de chameau à motifs tartan fauve. Mac s'en fichait. Il aurait voulu pleurer aussi.
« Ça va aller. Tout va bien. »
Lily renifla, puis comme à contrecœur lâcha Mac, se moucha dans son avant-bras.
« J'ai vu Sonja se prendre une agrafe dans le mollet » lâcha la fillette entre ses larmes. « Elle a crié, puis elle est tombée.
— Tout va bien » répéta Mac. « Sonja va s'en remettre.
— Ils trafiquent leurs agrafeuses.
— Sonja va s'en remettre. »
Lily se tut, fixa gravement Mac, droit dans les yeux, puis hocha lentement la tête.
À cet instant Mac n'avait en tête que ce regard. Très bleu, safre et lourd. Celui de Jules et Juliette.
On lui répétait souvent que ses enfants avaient hérité de ses yeux...il ne trouvait pas. Ses enfants étaient magnifiques. Ses enfants étaient vivants. Lui inspirait un respect froid, à la rigueur un bleu glacial, — un regard de frigidaire, derrière les lentilles ou le rectangle sévère des lunettes.
Lily ressemblait beaucoup à Juliette, réalisa-t-il brusquement. Le visage fin, les yeux immensément solennels, les cheveux « de princesse » bien trop longs et bien trop vagues en rivière mal peignée. Il y avait même les roulis de mer dans les torsades emmêlées. Le bleu des yeux. Les airs de brindille.
Lily était blonde, Juliette brune, mais Mac n'était pas à ça près.
« Sonja va s'en remettre » répéta-t-il doucement.
Lily hocha la tête.
« MAC ! »
Les rouges tout serrés, le recenseur et la fillette sursautèrent brusquement de concert comme un petit tas de piment d'espelette sur le haut-parleur d'une enceinte audio lors d'un concert de GloryHammer. Par la porte entrouverte, Vendredanche, en haut de la volée de marches, galérait sérieusement à traîner un corps inerte à couvert. « Ça t'ennuierait de m'aider ? » haleta-t-il.
Mac bondit en avant, s'empressa de saisir l'inconnu sous les aisselles, le tracta à l'intérieur et ferma précipitamment la porte derrière lui.
L'inconnu en question était une femme, et elle s'était visiblement pris une sale agrafe dans le mollet.
« Sonja ! » s'écria Lily. Vendredanche s'aperçut de sa présence et sembla enfin se souvenir de respirer.
« Oh, bon sang, Lily ! » s'exclama-t-il, soulagé, en la prenant dans ses bras. « Où étais-tu passée ? On a cru...on a...pardon » ajouta-t-il en la relâchant, les yeux brillants.
« Mac s'est occupé de moi » fit gentiment Lily.
Vendredanche leva les yeux vers le recenseur, qui se tenait debout un peu mal à l'aise. Puis il sourit lentement et leva un pouce en l'air.
« Là, on te doit une fière chandelle, mon vieux » approuva-t-il.
« Ça va, Sonja ? » fit précautionneusement Lily.
La femme par terre lâcha un borborygme évoquant indubitablement la vidange de moteur d'un petit cargo, la main serrée contre son mollet.
« Elle s'est pris une sale agrafeuse » expliqua Vendredanche. « Tu tiens bon ?
— C'est pas comme si j'avais grand-chose d'autre à faire » grommela Sonja en essuyant sa main saigneuse sur sa tunique rouge. « Ah, la vache. Elle s'est plantée dans le gras.
— Quelqu'un a un mouchoir ? » lança Vendredanche à la cantonade.
« Non mais, pas de souci, je t'ai volé une chaussette » répliqua Sonja en épongeant la plaie avec un vague chiffon à motifs écossais.
Vendredanche se figea et cligna des yeux.
« Je porte pas de chaussettes » fit-il lentement.
La jeune femme jeta un regard dubitatif au tissu plein de sang.
« Oh » lâcha-t-elle simplement.
« Repose ça, s'il te plaît » demanda Vendredanche, gêné. « Où est-ce qu'ils t'ont touchée, précisément ?
— À ton avis ? » Sonja plissa la peau de son mollet entre son index et son majeur et eut un grimace en inspectant les chairs. « Dans le gras, mon grand.
— Vous êtes Sonja ? » percuta soudain Mac, de façon un peu gênante. La jeune femme eut un bruit de douleur et une mimique agacée.
« Nope, Siobhain Fletcher » railla-t-elle.
« Y a comme un air de famille, tu remarqueras » nota Tango depuis son plafond.
« Ta gueule.
— Je te présente Sonja Bjarnason » lança Vendredanche. « Quoique des présentations soient franchement déplacées dans ces circonstances, si tu veux savoir ce que j'en pense.
— Mon mollet est plutôt de ton avis » ricana Sonja, mâchoires crispées, la paume plaquée sur la plaie pour étrangler la douleur.
« Respire » lui conseilla Vendredanche. « Il y a un guérisseur, dans le coin ?
— Encore heureux, que je respire ! » répliqua l'autre dans un gémissement. « Aux dernières nouvelles je veux mettre toutes mes chances de mon côté !
— Quand vous criez parce que vous avez mal, on dirait Bonnie Tyler » nota bêtement Mac.
« Une puissance spirituelle en son genre, ton copain » lança Sonja. « Tu as pensé à l'inscrire à on n'demande qu'à en rire ? Y a Ruquier.
— Sonja, calme-toi » ordonna Vendredanche.
« Je serai calme quand cette bon sang d'agrafe sera sortie de mon mollet ! » s'écria la jeune femme, en essuyant le sang sur sa main sur la tunique de Vendredanche.
« Qu'est-ce que tu — bon, laisse tomber » grimaça le stagiaire. « Elle est intransportable. Ça va, derrière ? » ajouta-t-il, en direction des rouges frileusement agglutinés. Les rouges en question opinèrent énergiquement. « Bon. Jusqu'ici, on s'en est pas tellement mal sortis...le risque, c'est que les taupes débarquent...et nous piègent comme des rats.
— À ce sujet, on devrait peut-être parler moins fort » suggéra timidement Mac.
« Il faut y retourner » décida Sonja, en tentant de se relever — sans succès, elle avait autant de stabilité qu'un culbuto schlass. « Les copains sont dehors ! Il peut s'être passé n'importe quoi !
— Pas dans ton état » la tempéra Vendredanche en la forçant à se rasseoir. « Tu ne pourrais pas marcher. Tu es, au fond, une cible facile.
— Toi-même » répliqua méchamment Sonja. « J'ai déjà combattu avec une seule patte. J'ai fait la guerre des Trois-Chiots-Assis-Sur-Leur-Derrière, je te ferai dire.
— Parce que tu as foncé dans le tas pendant la guerre du Bébé Orang-Outan en criant « cornemuse », » soupira Vendredanche. « T'as failli la perdre, ta patte.
— Ouais, ben je l'ai pas perdue.
— Tu as failli, Sonja.
— Et alors ? Toi aussi, tu serais pas né, si un DIPLODOCUS avait éternué au moment PRÉCIS où la MÉTÉORITE allait s'ÉCRASER sur le pif du monde et l'avait DÉVIÉE de plusieurs KILOMÈTRES ! » rétorqua Sonja avec un enthousiasme bizarre. « T'aurais été un petit bambiraptor sans chaussettes.
— Je...suis pas certain que ça se soit vraiment passé comme ça.
— T'es stagiaire de la photocopieuse. Pas docteur ès dinos.
— Quand même. C'est franchement absurde. »
Sonja balaya l'objection d'un revers de la main. « J'y retourne, et tu ne m'en empêcheras pas. Tu m'aides à me relever ?
— Non.
— Crotte de bique.
— Il n'y a plus de bruit, au-dehors » nota Lily, inquiète. « Et il y a encore papa...et Jasmine » frissonna-t-elle. « Vendredanche, tu crois que...
— Je ne crois rien du tout » la coupa précipitamment le stagiaire, qui voyait venir les angoisses d'une fillette de six ans. « Ton père en a vu d'autres. Quant à Jasmine...ils la connaissent, elle ne risque rien, hein ?
— Techniquement, c'est une traîtresse, donc— » commença Sonja, mais Vendredanche lui décocha un coup de coude en vache dans les côtes. « Tout va bien se passer, ma puce » reprit-il, en tapotant doucement Lily sur l'épaule. « On va les retrouver...c'est une entreprise, ici, tu sais, pas la jungl— » soudain Mac lui plaqua d'autorité une main sur la bouche. Vendredanche pila, pris de court.
« Chut » lui glissa le recenseur, brusquement nerveux. Tango depuis ses faux-plafonds s'était figée, aux aguets. Même Sonja ne râlait plus.
Plus personne ne respirait.
Des bruits de pas.
« C'est des taupes... ? » murmura Lily d'une petite voix gémissante. Vendredanche lui saisit le poignet, pour lui faire comprendre de se taire. Derrière eux les rouges faisaient comme un bruissement nerveux de tissus et de souffles étranglés.
Les bruits de pas se figèrent derrière la porte de leur cage d'escalier.
Vendredanche sentit alors qu'on lui agrippait fébrilement l'avant-bras — c'était Mac.
« Il faut se tirer de là » chuchota-t-il d'une voix blanche, les mains tremblantes.
Vendredanche secoua la tête, fiévreux, et ses yeux le brûlaient. « On ne peut pas. On est coincés. »
Il jeta un coup d'œil attristé à Lily, qui n'avait rien entendu, puis son regard revint à Mac.
« Désolé pour tout ça » souffla-t-il du bout des lèvres, avec un pauvre sourire.
« Non, non, non ! » psalmodia Mac, fébrile. « Il reste...je ne sais pas, le vide-ordure. Les...les canalisations... » il avait l'impression de débiter des idioties en automatique, mais plus rien ne l'impressionnait, maintenant. « il reste tout les...je ne sais pas...le vide-ordures...
— Le crabe » fit simplement Vendredanche, et il eut comme un sourire d'excuse.
Mac se figea, frappé de stupeur. « Le...le crabe ? » répéta-t-il lentement.
Vendredanche hocha tristement la tête. Puis, avec un soupir, il tourna les yeux vers la porte, vers les silhouettes sombres qui semblaient onduler derrière le verre brossé du panneau. Un peu de courage passa dans ses yeux rougis.
Mac n'arrivait plus à bouger. Le crabe, bien sûr.
Il devait bien y avoir un moyen de...
La poignée de la porte cliqueta méchamment.
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