𝐗𝐕𝐈. 𝐌ac et le déni

XVI

Vendredanche fut réveillé d'un tressautement nerveux, lorsqu'un bruissement non identifié fourmilla sur sa droite.

Le jeune stagiaire fronça les sourcils, tendit l'oreille. Le schlip-schlap pitoyable des pieds pas bien entraînés froufrouta sur le sol, puis s'estompa, peu à peu, dans le chuchotement des tissus.

Le bruit inconnu s'éloignait. Vendredanche tendu de partout comme un sac de nœud attendit que tout cela bruisse plus nettement au loin sur les marches de l'escalier pour soudain bondir sur ses pieds, tel un chat. Ils connaissaient tous la règle. On ne se sépare pas du troupeau de nuit.

Vendredanche se glissait d'une ombre à l'autre, avec à la main trois trombones, qui jetaient des éclats mordants dans l'obscurité. Lui ne faisait aucun bruit.

Doucement il se coula dans les escaliers, — et son ombre semblait tapie comme un fauve sous les briques grisâtres. Les marches couraient sous ses pieds. Les zébrures d'obscurité défilaient sans bruit. Enfin, il se glissa sur le palier sur rez-de-chaussée...au loin, une silhouette fila dans le noir.

Vendredanche fronça le nez et dégaina sèchement son trombone.

Ça venait du hall d'entrée.

Le jeune stagiaire se glissa parmi les ombres du palier, passa la porte sans un pet, puis...

Vendredanche soupira lourdement et rempocha son trombone.

« Mac ? » lança-t-il doucement. « Qu'est-ce que tu fais ? »

La haute silhouette du recenseur sursauta dans le noir, puis le reconnut. Toutes ses ombres frémissaient nerveusement. Le stagiaire vit avec un pincement au cœur qu'il se tenait tout près de la porte de sortie, celle qui était lourdement cadenassée. Il fit quelques pas vers Mac, incertain de ce qu'il fallait dire.

Puis il souffla, avec toute la tristesse du monde :

« Tu veux rentrer chez toi, c'est ça ? »

Le menton de Mac trembla, comme une larme, alors qu'il baissait lamentablement la tête.

« Tu sais que c'est pas possible » ajouta doucement Vendredanche.

« Je...je vais essayer. »

Un silence.

« Toutes les nuits, s'il le faut. »

Vendredanche exhala un souffle, dans la pénombre.

« Mac, ça fait six ans. » Il déglutit. « Tu crois vraiment qu'on a pas tout essayé ?

— Il y a peut-être quelqu'un qui y est parvenu » s'entêta Mac.

« On serait venu nous rechercher, alors. »

Les poings serrés du recenseur tremblèrent comme les froufrous d'obscurité. Vendredanche sentit son cœur se serrer.

« C'est tes enfants, c'est ça ? » fit-il doucement.

« Ils vont bien se rendre compte que j'ai disparu » lança Mac d'une voix sourde.

« Ils ne chercheront pas ici.

— J'ai prévenu que je m'y rendais...

— Mac. On travaillait là. Personne n'est venu nous chercher. »

Vendredanche, une seconde, regretta ses paroles — mais il n'y avait rien d'autre à faire, n'est-ce pas ?

La mâchoire de Mac se crispa, comme un rai bleuté sous le noir alentours.

« C'est tes jumeaux ? Ta femme ? » insista doucement Vendredanche.

« Oh, non, pas Katharina. » Un air amer passa sur les traits de Mac. « Depuis notre divorce, elle fait tout son possible pour me traiter en parfait inconnu.

— Je suis désolé.

— Pas autant que moi » grimaça aigrement Mac. « C'était à son tour de garder les jumeaux, cette semaine. Autant dire qu'à ses yeux, je pourrais être mort que ça ne changerait pas grand-chose.

— Quand ça sera ton tour, en revanche...

— Je ne sais pas. » Mac soupira. « Elle pourrait très bien s'en contenter. »

Un ange passa. Vendredanche, maladroitement, décida de tapoter le bras du recenseur.

« Mais...si tu veux un conseil » souffla-t-il lentement, « ne te bats pas. »

Il eut une grimace contrite et ajouta tristement :

« Ça fait plus mal qu'autre chose. »

Le silence sanglotait doucement. Mac prit une profonde inspiration.

« Mais si j'arrête de me battre » s'étrangla-t-il, « je n'ai plus rien, Vendredanche.

— Je sais.

— Tu veux dire que je serai plus heureux...en oubliant.

— Oui.

— Que je suis coincé dans un foutu bâtiment.

— Oui.

— Où un clou qui dépasse peut me filer le tétanos et impliquer ma mort.

— Oui. »

Mac lui jeta un regard épouvanté.

« Vous êtes tous complètement fous » souffla-t-il d'un voix blanche.

Un air de tristesse profonde passa sur les traits de Vendredanche.

« Mac, est-ce que avoir peur du clou va t'en sauver ? » demanda-t-il doucement.

« Je...non » balbutia le recenseur.

« Nous sommes des naufragés, Mac. Chaque jour qui passe, c'est dur.

« Tout ce qu'on a, c'est le courage de l'inconscience.

« Veux-tu être heureux, Mac ? »


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