𝐕𝐈𝐈𝐈. 𝐉asmine

VIII

Jasmine prit une profonde inspiration.

La révolution entière, sur les épaules d'une poignée de geeks chevelus. Elle était une taupe, bien sûr. Mais c'était presque un accident. La veste, elle se l'était découpée dans un rideau comme les autres. Elle refusait que ces trois coups de ciseaux deviennent synonymes de tyrannie.

Sur les épaules d'une poignée de geeks chevelus.

...Et le bleu pâle lui allait bien au teint.

C'était risqué. C'était très risqué.

En même temps, à tout prendre elle préférait toujours éviter la schizophrénie et se soulager des hurlements hystériques de son surmoi et ses principes politiques blessés.

Jasmine se coula dans l'ombre, sur la moquette pelucheuse. Plus pelucheuse que moquetteuse, d'ailleurs. Ça faisait des années que celle-là n'avait plus vu un aspirateur.

Les escaliers. Son cœur battait la chamade.

Elle n'était plus descendue depuis...depuis combien de temps, d'ailleurs ? Les taupes régnaient en maîtres, elles n'avaient pas besoin d'aller chasser sur le toit ou quoi que ce soit d'autre. Les Trois-Chiots-Assis-Sur-Leur-Derrière ? Elle l'avait vécue de loin, cette guerre. Peut-être avait-elle fait quelques pas sur les premières marches.

Elle prit de nouveau un souffle profond et dévala en flèche les escaliers.

Quatrième. On ne s'arrête pas. Secteur dangereux.

Troisième. Elle baissa la tête. Pas freiner.

Second. L'élan l'emportait.

Premier. Sale coup en vache derrière le genou.

Jasmine poussa un petit cri et s'effondra en avant, le nez dans la moquette.

« Papa ! J'ai à manger ! » la voix pointue réveilla en elle des instincts primaires insoupçonnés ; pas de pot, le manque sédentaire de pratique ne parvint à traduire la noble pulsion d'adrénaline qu'en un petit gigotement terrifié. Pas très convaincant, elle ressemblait à un asticot mal fichu. Un pied sur son dos l'arrêta en plein glapissement.

Des pas s'approchèrent.

« Lily, on ne mange pas des gens, je te l'ai déjà dit cent fois » fit une voix au-dessus. « C'est mauvais pour la santé et les relations sociales. En plus, c'est une bleue. Plein de saletés, ceux-là. Relâche-la, tu seras gentille. »

La voix pointue grommela et la pression du pied s'affaiblit.

« Excusez-moi, » fit la voix, « elle attrape vraiment n'importe quoi...

— Pas de mal, » lâcha Jasmine en se redressant d'un pas un peu titubant, tout en époussetant de sa longue tunique de bleue toute neuve quelques poussières et petites taches de sanglots oto-rhino-nerveux pas bien contrôlés. « C'est les enfants, il faut bien que jeunesse se passe.

— Tout à fait. Ils ramassent n'importe quoi, on a tous été gamins un jour, n'est-ce pas ?

— Exactement. Exactement. Personnellement, mon petit frère mangeait de la colle.

— Ça ne m'étonne pas. Ah, Ah. »

Il y eut un silence gênant.

« Bon.

— Bon, bon...

— Je vais devoir y aller, passez une bonne journée, vous faites pas manger...

— Ah-ah-ah. En effet, en effet. Vous de même.

— Ah-ah-ah.

Madame la taupe ? »

Le cri surgit du bout du couloir, où quelques silhouettes venaient de débarquer. Jasmine aurait voulu disparaître dans ses chaussettes.

« Hum. »

Le type aux cheveux bouclés devant elle fronça les sourcils.

« Madame la taupe ? » Il raffermit sa prise sur son agrafeuse. « vous avez une explication à ça, j'espère ?

— Ouimaisnon, » s'empressa de lâcher Jasmine d'un trait, avant de se rendre compte que ce n'était pas la meilleure des plaidoiries. « Je suis de votre côté. » Ce petit addendum lui semblait bien plus pertinent.

« Qu'est-ce que vous faites là ? » lança la voix du bout du couloir, et elle la remit enfin, surtout maintenant que le type à qui elle appartenait n'était plus, subséquemment, au bout du couloir.

Ce visage, en vrac, où on lisait avec la plus pure honnêteté un culte voué aux RPG, à The Aveners, à Terry Pratchett et Douglas Adams, aux trombones, à Aretha Franklin, aux Sandwiches aux Restes, à Plastic Bertrand et une profonde frustration de ne jamais avoir pu finir le Seigneur des Anneaux. Le visage du type capable de passer huit heures d'affilée à pleurer sur des fanfictions en pleine nuit et de déporter son désespoir sur un tas de peluches pendant huit heures supplémentaires, tant qu'il restait sûr de toujours disposer d'une marge suffisante pour ensuite tout nier énergiquement. Le visage du type fichu d'inventer sur le coup une centaine de versions différentes d'excuses plus ou moins improbables dans un temps très court pour se justifier d'avoir emprunté Le Roi Lion à la bibliothèque du coin, mais ne voit aucun problème à l'idée de porter un sweat à capuche oreilles de renard pendant un entretien d'embauche.

Oh, ce visage, elle le reconnaissait.

Et elle fut de nouveau immédiatement convaincue que ce type était tout, sauf le sauveur dont ils avaient tous besoin.


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