𝐕𝐈𝐈. 𝐉'AI VU UN CRABE GÉANT S'EXTIRPER DES TOILETTES ! (partie 2)

Il eut à peine le temps de déraper sur le carrelage vieillot pour éviter à son élan de lui valoir une place de choix dans la prochaine rubrique nécrologique, colonne « incrustés dans les murs des toilettes, que leurs âmes reposent en paix » lorsqu'un genre de banshee hurlante le télescopa dans un grand rayon flou. Vendredanche se reçut un coude dans l'épaule et s'écroula par terre, juste avant de reconnaître dans le cri hystérique qui lui avait transpercé l'oreille une figure connue, les cheveux en pagaille, le hurlement d'une sirène de pompier, l'œil du mathématicien qui se mettait les doigts dans une prise pour se réveiller en plein milieu du festival de l'absurde,...et le carrelage qui lui heurta le plat du visage avec un sadisme à peine dissimulé.

Il en était à se demander où était passé son nez en s'écrasant par terre lorsque Mac se releva en lui dérapant pratiquement dessus. Vendredanche soupira, se remit la figure grosso modo en place et se redressa, pour tomber (sans franchement en être scié de joie) sur la tête de Mac qui continua à crier et s'essouffler à côté de lui, l'air d'avoir vu un crabe géant s'extirper des toilettes, ou quelque chose comme ça.

« J'AI VU UN CRABE GÉANT S'EXTIRPER DES TOILETTES ! » hurla Mac, histoire d'être clair et d'achever une bonne fois pour toute l'audition de Vendredanche. « Ou quelque chose comme ça ! »

Le jeune stagiaire grimaça et se releva sur ses deux pieds en tricotant des genoux. Il devait saigner de l'oreille gauche.

« Hurle plus fort, il doit rester quelques lambeaux de mon tympan quelque part » gémit-il.

Mac l'avait saisi par un bras et le secouait à une fréquence d'environ trois gigaHertz, ce qui, objectivement, était assez douloureux pour l'objet de l'expérience.

« IL – Y – A – UN – CRABE – GÉANT – DANS – LES – TOILETTES ! » répéta-t-il d'une voix blanche, quoique toujours aussi fort.

« Oui. Je sais. Je voulais te prévenir. » L'audition lui revenait peut-être, à moins que ce ne soit que des acouphènes.

Mac le lâcha et le sang sembla revenir grosso modo dans son bras gauche.

« Comment ça, je sais ? » balbutia-t-il.

« Il y a en effet un crabe géant dans les canalisations de la CHMOUF. Une bestiole horrible. On ne l'a pratiquement jamais vue entièrement. Et ceux qui l'ont aperçue, ben... »

Mac remarqua l'air embarrassé du stagiaire et plissa les yeux.

« Ben, quoi ?

— Ben, on les a récupérés dans le sanibroyeur » laissa tomber Vendredanche avec un toussotement gêné.

Il y eut un horrible silence. Tango, prudemment, passa la tête par l'entrebâillement de la porte.

« Dans le sanibroyeur » répéta Mac d'une voix blanche. « C'est une blague, hein ? Tu me fais une blague. »

Rafaíl, qui trouvait depuis trois minutes que quelque chose avait changé, mit enfin le doigt sur le tutoiement soudain mais eut le tact de ne pas relever.

« Oh, vous parlez du crabe mayonnaise » acquiesça Tango depuis la porte avec un grave hochement de tête. « Sale bête. Elle a embarqué Tom, je crois.

— Tom...de la maintenance informatique ? » releva Vendredanche.

« Non. Tom Volauvent. Du service des ampoules grillées. Une sale affaire. On l'a jamais retrouvé.

— Oh. Qu'il aille en paix.

— Tout ce qu'il restait de lui, c'était une ampoule grillée au fond de la cuvette. Sale affaire » répéta Tango d'un air sinistre.

Mac déglutit.

« Mais c'est pas si gros que ça, un crabe, si ? » demanda-t-il dans un filet de voix.

« La question, c'est surtout comment il se déplace dans les canalisations sans tout déglinguer » continua Tango du même ton. « Une sale bête.

— Ça remonte à loin, en plus.

— Du dernier crabe mayonnaise à la cantine » précisa Tango d'une voix lugubre.

« Remarque, on l'a jamais mangé.

— Ben, non.

— Puisqu'il s'est enfui en mangeant la mayonnaise.

— Et le cuistot.

— 'Xact. La mayonnaise et le cuistot.

— Pauvre type, remarque.

— Qu'il aille en paix.

— Il s'est mesuré à trop gros pour lui.

— Je propose une minute de silence, camarades. »

Rafaíl hocha gravement la tête et Mac vit avec une stupéfaction grandissante les trois larrons baisser respectueusement la tête d'un air de grand deuil. La situation aurait pu être embarrassante si la définition que Tango donnait d'une minute n'était pas devenue avec le temps et le manque de pratique un concept relativement extensible, aussi toute l'histoire était oubliée au bout de dix secondes.

« Plus de toilettes sans le dire à personne, c'est compris ? » fit gravement Vendredanche, une fois que Tango eut soigneusement pourri l'ambiance endeuillée d'un éternuement sonore aux tonalités intéressantes. « C'est comme...comme partir en montagne sans prévenir quelqu'un. C'est dangereux. »

Mac vit avec surprise les italiques se matérialiser à même la trame spatio-temporelle et déglutit.

« Bien. Si tu fais attention, tu ne risques pas grand-chose. »

Alors que Vendredanche ne regardait plus, Tango lui envoya un coup de coude en vache et lui glissa discrètement une chaussette dans la main. Mouillée, constata Mac avec une grimace. Dedans, au toucher, il devait y avoir en gros une demi-douzaine de trombones. Il lui jeta un regard interrogateur.

« La chaussette mouillée, c'est pour conserver les aliments, étrangler des gens, tendre des pièges, étouffer des bestioles, ragondins, souris, chats un peu trop entreprenants, castors domestiques, faire des signaux de fumée, colmater des fuites de gaz, faire des glissades sur le carrelage, te laver la figure si t'aimes faire ce genre de choses et garder des tas de trucs humides, frais et un rien répugnants⁵ » lâcha-t-elle d'un trait, à voix basse. « Rafail préfère se battre à l'agrafeuse, personnellement je ne suis pas franchement partisane des attaques frontales, quelles qu'elles soient. Mon gars, si tu veux survivre, choisis carrément la fuite dorsale et tu tiendras le coup. Évite les toilettes. Ne relâche jamais ton attention. Cache-toi, tranquillou le ciel te laissera. Et les trombones, ça sert absolument à tout. » Elle lui jeta un coup d'œil. « crois-moi. »

Mac cligna des yeux.

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⁵Tout étudiant digne de ce nom a déjà expérimenté la technique de la chaussette mouillée pour ne pas avoir à utiliser le frigo commun et se faire voler ses yaourts à la fraise. Toute ressemblance avec une certaine serviette est purement fortuite. La chaussette mouillée, ça marche VRAIMENT.


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