𝐈𝐕. 𝐋os barbudos del primer piso (partie 2)
Après deux minutes de course en rase-motte par multiple de huit marches à se trimballer un geek repenti en drapeau, Vendredanche se redressa enfin sur le palier du cinquième, le souffle court, et Rafaíl derrière lui reprit ses esprits, l'air pas franchement sûr de savoir ce qu'il faisait là.
Un trombone alla se ficher avec un bruit net à trois millimètres de son oreille gauche et se chargea de le faire émerger.
Ils plongèrent derrière une table renversée, juste avant qu'une salve d'agrafes ne transforment le mur du fond en dictionnaire de braille. Vendredanche se tourna vers le rouge, la respiration haletante :
« Ça a déjà commencé » balbutia-t-il, épouvanté.
« Bien sûr que ça a déjà commencé ! » répliqua Rafaíl, agacé. « Tu ne m'as pas laissé terminer ! »
Vendredanche ne l'écoutait plus et jeta un coup d'œil discret par-dessus l'ovale de la table de réunion — l'œil en question manqua de se faire éborgner par un criterium en plastique, aussi se rétracta-t-il vers son compagnon :
« Tu as ton agrafeuse ? » demanda-t-il.
« Je vois que tu m'écoutes parfaitement » grinça Rafaíl, acide.
C'était l'enfer au-dehors. Des rouges mitraillaient dans tous les sens à coups de trombones, agrafes gros calibre et chaises de réunion, tandis que les taupes du cinquième, méthodiquement, laissaient les meubles relativement tranquilles et tiraient en formation rangée.
« Pas le temps » répliqua Vendredanche, le souffle court. « Tu l'as, ou pas ? »
Le rouge lui tendit une agrafeuse de bureau à répétition, calibre 3, un ancien modèle mais toujours efficace. Vendredanche hocha la tête.
« On va tenter une sortie en force » haleta-t-il au milieu du vacarme, et Rafaíl acquiesça nerveusement.
Vendredanche arma l'agrafeuse et allait porter le viseur à son œil par-dessus la table lorsque parmi le vacarme ambiant il perçut clairement que quelqu'un lui tapotait l'épaule du bout de l'index.
Ça paraissait plutôt improbable aussi réarma-t-il et s'apprêtait-il de nouveau à tirer lorsqu'on re-tapota, avec plus d'insistance.
Il fronça les sourcils et se retourna lentement.
Ce qu'il vit lui arracha un ricanement nerveux.
C'était un type avec un bloc-note.
Enfin, le plus étrange n'était pas tant le bloc-note ni la présence du type — une centaine d'autres étaient présentement occupés à se jeter des meubles dans une ambiance de franche camaraderie, ce détail ne choquait donc pas franchement Vendredanche qui se trouvait ouvert à toutes les possibilités — mais surtout le fait qu'il se tenait très droit, dans un costume noir et col roulé de chef d'entreprise de la silicon valley, lentilles ophtalmiques impeccables, la figure si pleine de zèle que ç'en était crispant, cheveux invulnérablement peignés au peigne capilliculteur, à les fixer d'un regard à faire culpabiliser le plus innocent des cadavres de rossignols.
Vendredanche cligna des yeux, puis par réflexe l'attrapa par les épaules et le ficha par terre, juste avant qu'une agrafe ne vienne bousiller le mur là où se trouvaient ses deux yeux une demi-seconde plus tôt.
« Mais vous êtes QUI ? » Hurla-t-il, furibond, alors que l'inconnu pas décoiffé pour un sou reprenait son bloc-note comme si rien ne s'était passé, — ou plutôt si ; avec un regard qui fit comprendre à Vendredanche qu'il allait lui faire payer au centuple cette familiarité, mais ça le stagiaire préférait ne pas y penser pour le moment.
« Maciej Andrzejewski » répondit-il d'une voix digne, « de la cour des comptes. J'aimerais connaître votre salaire brut, net, ainsi que votre nom, prénom, âge, qualité, genre et fonction, jeune homme. »
Vendredanche en oublia une seconde l'Armageddon qui explosait derrière leur table de repli.
« Kwa ? » croassa-t-il textuellement.
« Comment êtes-vous entré ? » tenta Rafaíl, qui n'en menait pas large non plus.
« La plupart de mes collègues ont laissé tomber le recensement de votre entreprise à cause de son isolement » répondit-il du même ton uni. « Mais ce n'étaient pas quelques murs, un portail éminemment cadenassé, une muraille de ronces à la belle au bois dormant et des portes verrouillées qui allaient m'arrêter. J'ai mes techniques, savez-vous. Ça a mis le temps mais je ne reviendrai pas les mains vides.
— Mais j'ai passé huit mois à essayer de passer la haie de ronces ! » gémit Vendredanche.
« Oh ? » le recenseur haussa un sourcil. « Enfin, je dois admettre que cela doit être plus difficile lorsqu'on ne dispose pas de pelle.
— Vous l'avez amenée avec vous ? » S'illumina le rouge d'espoir insensé.
« Oh, non » répondit Andrzejewski. « J'aime les défis et je reviendrai par mes propres moyens. »
Vendredanche eut un ricanement nerveux, le genre qui fait enfermer des gens entre quatre murs capitonnés pour bien moins.
« Oh, c'est super » lâcha-t-il avec tout le cynisme humainement exprimable en quatre mots, « j'espère que les rideaux vous vont bien au teint...
— Que voulez-vous dire ? » releva le recenseur.
« Laissez tomber » soupira Rafaíl en jetant un coup d'œil à Vendredanche, qui s'était avachi adossé à la table et rigolait comme un homme ivre. « C'est juste que ça fait très, très, très longtemps qu'il est coincé ici et que ça commence à faire long. »
« Repli ! » entendit hurler Vendredanche dans son dos, même s'il ne parvint pas à déterminer s'il s'agissait de la voix d'un rouge ou d'un taupe du cinquième. « Repli ! ». Acide, il se tourna vers Rafaíl :
« C'était qui ?
— Un rouge » grimaça l'autre, en jetant un regard rapide par-dessus la table renversée. « Pas de pertes de notre côté, je crois bien. Ça s'éparpille dans les escaliers. Il va falloir se dépêcher, je crois qu'ils ne nous ont pas vus. »
Vendredanche hocha la tête, puis jeta un coup d'œil entendu à son compagnon, avant de faire un geste du pouce par-dessus son épaule ; Rafaíl acquiesça fermement puis croisa les deux mains en agitant tous les doigts ; ce à quoi Vendredanche lui répondit par une vrille du bras gauche, suivit d'un enchaînement complexe de battements des doigts et de figures d'ombres chinoises. Lapin arthritique. Double-salto de l'auriculaire. Protestation des deux mains, et ils se mirent d'accord sur un monumental vibrato du poignet. Un coup d'œil catégorique conclut le processus.
Avec une synchronisation à vous arracher des larmes d'émotion, ils se jetèrent d'un seul geste hors de la cuirasse de la table dans le vacarme des dernières salves, des agrafes mordantes sifflant à leurs oreilles, et se ruèrent vers l'escalier. Ils avaient fait la manœuvre des centaines de fois ; Vendredanche roula à bas des marches, hors de portée de la moindre ligne de tir, et le souffle court vit avec soulagement Rafaíl le rejoindre quelques secondes plus tard d'une roulade avant plutôt enrhumée.
« Tout va bien ? » s'enquit-il.
« Oui, plutôt » répondit l'autre, le souffle court. « Ils ont eu le temps de rien. Un minutage parfait. Bravo. »
Vendredanche sourit, mais ce sourire s'effaça immédiatement lorsqu'un cri résonna dans tout l'étage :
« Attendez-moi ! Je suis un agent officiel de la fonction public ! Vous ne pouvez pas... »
Il pâlit brusquement. Un coup d'œil fébrile à Rafaíl confirma ses craintes.
« Machin » souffla le rouge dans un filet de voix, blême comme un linge.
L'autre s'était fichu debout et agitait désespérément les bras dans leur direction, ce qui les fit subséquemment repérer, alors qu'il criait des menaces épisodiquement en rapport avec : les impôts, la renommée de l'entreprise, leurs emplois respectifs, ce-qu'il-irait-raconter-à-son-patron-ah-çà-je-ne-laisserai-rien-passer, ainsi que la fermeture définitive (ou partielle pour les apitoyer) du bâtiment, ce qui était plutôt stupide au sens de Vendredanche puisque ça faisait six ans que la CHMOUF avait fermé avec eux dedans.
Un taupe plus malin que les autres arma son agrafeuse vers eux et les mit en joue.
Rafaíl déglutit.
« On se rend ? » proposa-t-il d'une voix pâle, les bras préalablement remontés, mine de rien. « Ils ont pas l'air de rigoler.
— Ça m'a l'air raisonnable » répondit Vendredanche avant de lever les bras lui aussi. Rafaíl s'empressa de mettre les mains bien en évidence, ce qui était franchement facile puisqu'il avait amorcé le mouvement depuis trois bonnes minutes. « Et vous » cracha le stagiaire à l'adresse d'Andrzejewski, « arrêtez de faire le clown, merci, on est déjà suffisamment repérés comme ça ! »
Le recenseur se figea, avisa la situation, jeta un regard en allez-retour aux deux hommes embusqués puis à l'escadron de taupes qui sortaient lentement de derrière leurs barricades de chaises en plastique, et se décida enfin à déglutir.
Un type armé d'une agrafeuse à répétition s'approcha de Vendredanche et le ceintura dans les règles.
Le stagiaire soupira. La journée allait être longue.
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