Chapitre 19 - Violon

Puisque c'était son septième anniversaire d'entrée dans la guilde, Leïje comptait fêter ça avec un vole en bonne et due forme et éventuellement une ou deux charmantes demoiselles.
Pour cet événement, il n'avait pas prévu n'importe quel cambriolage au hasard mais de quelque chose qu'il avait à l'esprit depuis un moment déjà. Il y avait trois mois, il avait revendu un butin dans une boutique miteuse des bas quartiers et le propriétaire l'avait arnaqué en lui achetant ses larcins pour la moitié de leur valeur véritable mais, comme le voleur ne s'en était aperçu que bien après, il n'avait pu faire de réclamation, alors, il allait voler ses marchandises et ses économies.
Ils apprendrait ainsi qu'il n'était pas un voleur qu'on pouvait tromper et aux dépends de qui on pouvait s'enrichir.
Il allait simplement attendre le bon moment, autrement dit, la nuit. Il se rendit alors à sa taverne favorite du moment. Elle se trouvait dans un quartier pas encore totalement pauvre et mal famée située au nord-ouest d'Orquia.
Évidemment, le campement de la guilde continuait à se déplacer mais elle préférait rester dans les environs de la capitale. Leïje s'était promis que, lorsqu'il serait le dirigeant des voleurs, il ferait le tour de Welkonn avec le camp derrière lui, du mont Kieff au fleuve Est.
Visiblement, il n'était pas le seul à avoir quelques choses à fêter ce soir. La taverne était bondée.
Le voleur se faufila entre les clients plus ou moins enivrés en adressant des sourires charmeurs et des clins d'œil à quelques charmantes demoiselles se trouvant là. Il venait seulement pour patienter mais il pouvait bien attendre en plaisante compagnie.
Il s'assit au comptoir et commanda une bière. Il lâcha quelques pièces supplémentaires sur le bois et annonçant que c'était sa tournée. Des cris joyeux et alcoolisés approuvèrent sa proposition et certains frappèrent leur chope contre leur table.
Leïje grogna doucement. Dommage qu'il ne puisse rester bien longtemps, mais, après tout, il n'avait pas nécessairement besoin d'être ivre pour faire la fête.
Il fit signe à l'une des serveuses de s'approcher. Elle vint vers lui, légèrement rougissante à cause du sourire qu'il lui adressait. Il lui retira son plateau des mains et commença sa valse verbale de séduction, troublant encore davantage la jeune femme qui se mit à jouer avec ses cheveux blonds.
Elle tomba presque seule dans les filets des charmes du beau voleur qui se permit de poser une main sur la sienne en caressant sa peau du bout des doigts sans se défaire de son sourire. Étant sûr qu'elle se laisserait faire et qu'elle était à la merci de ses charmes, Leïje se pencha pour l'embrasser.
Dans son mouvement, il regarda distraitement par la fenêtre. Il s'écarta brutalement de la jeune femme, constatant que la nuit était tombée, en jurant :

« Merde ! Euh...ma belle, excuse-moi mais il faut que je file. Promis, je repasse. »

Le voleur vida son verre d'une traite puis se dirigea vers la porte à reculons tout en continuant s'excuser auprès de la serveuse. Il n'avait aucune envie de devoir recommencer tout son travail de séduction.
Pensant être arrivé à la porte, il se retourna vivement et s'écrasa contre le mur. Quelques rires secouèrent les clients attablés non loin. Leïje leur adressa un signe obscène en se frottant le nez.
Bien, la soirée débutait mal entre une séduction gâchée et une séance de moqueries. Il espérait que la suite se passerait mieux et que son plan se déroulerait sans imprévu mais il n'y avait aucune raison pour que des problèmes se posent et il pourrait retourner vers la charmante serveuse.
Voilà, ça c'était un plan qui lui convenait et lui plaisait.
Ne se laissant pas ronger par le ridicule dans lequel il s'était tourné il y avait quelques minutes, il se mit en route vers les vrais quartiers mal famé se trouvant un peu plus au nord, assuré et en confiance.
Il avait ses crochets, son poignard, son manteau, ce revendeur ne s'attendait pas à sa visite, il ne voyait vraiment pas ce qui pourrait mal se passer.
Il arriva sans tarder à la boutique. Le panneau de bois abaissé sur la vitrine indiquait clairement que l'endroit était fermé.
Un sourire fendit le visage de Leïje. Parfait.
Le voleur entra dans la ruelle, longeant la boutique. Il grimaça. Aucune fenêtre ne perçait le mur, cependant, ça n'avait absolument rien d'un obstacle infranchissable.
Repérant un tonneau posé non loin, il le fit rouler jusqu'à la paroi du magasin. Il bondit dessus, gagnant quelques centimètres et se hissa sur le toit, heureusement bas.
Il s'assit sur les tuiles et entreprit de les retirer une à une pour les entasser à côté de son genou gauche. Comme il se trouvait sur un bâtiment construit avec des matériaux médiocres dans un quartier pauvre, les différents éléments du toit ne devaient pas être fixés les uns aux autres. Les tuiles étaient simplement posées sur de larges planches de bois elles-mêmes posées contre les poutres. Le voleur se dégagea rapidement un passage.
Qui aurait cru que connaître des bases en architecture pourrait lui permettre de s'infiltrer dans un lieu qu'il souhaitait cambrioler.
Il se glissa par l'ouverture qu'il s'était créé en s'accrochant, des pieds et des mains, à la poutre la plus proche. Il la lâcha dans une pirouette et atterrit souplement sur ses pieds.
Il alluma son morceau de chandelle pour qu'il ait une idée de la pièce où il se trouvait. Il fronça les sourcils en constatant que ça ressemblait énormément à une salle de réunion. Plus longue que large, une table rectangulaire trônait en son centre et sept sièges l'entouraient. Un coffre meublait l'angle sud-est et c'était tout.
Quel usage un revendeur de mauvaise réputation pouvait bien faire d'une pièce pareille ? À moins que son commerce soit plus qu'une affaire de rachat et vente d'objets de valeur et que cette activité ne soit qu'une couverture.
Leïje jura en grommelant. Il n'avait pas de chance sur ce coup-là mais peut-être que c'était juste une salle à manger pour les longues journées et, de toute manière, que le patron ait deux commerces parallèles ou non, Leïje s'en moquait. Ça ne l'empêcherait pas de dérober tout son stock avant le levé du jour.
Sans attendre ou s'interroger davantage sur les activités de cet arnaqueur de bas étages, Leïje s'accroupit face au coffre. Forcer la serrure lui prit à peine une demie-minute et il souleva la couvercle. À l'intérieur, il trouva un registre et un carnet de comptes ainsi qu'un autre coffre, plus petit et au mécanisme d'ouverture un peu plus complexe que le premier.
Le crocheter ne fut pourtant pas bien compliqué pour le voleur habile qu'était Leïje. Son regard s'éclaira d'un éclat de convoitise en découvrant les pièces d'or entassées dedans.
Il sortit le sac de toile grise plié dans l'une de ses poches et y mit le petit coffre après l'avoir refermé. C'était un bon départ.
Leïje n'eut pas le temps de vérifier si le reste se montrerait aussi fructueux. Des bruits de pas lui parvinrent depuis l'autre côté de la porte.
Le voleur fit un tour sur lui-même. Aucun endroit où se dissimuler, sauf les poutres. Sans perdre de temps et en s'aidant de la table, il se hissa sur la même poutre que celle sur laquelle il était descendu. Il s'accroupit dessus alors que la porte s'ouvrait.
Drapé dans l'ombre, il regarda ceux qui entraient. Il reconnut le revendeur accompagné de six autres hommes et, à en juger par leur apparence, ils n'avaient rien d'honnêtes commerçants du quartier qui gagnaient leur vie par leur dur labeur, contrairement à lui. Tous s'assirent autour de la table.
Leur discussion était bien trop agitée et brouillonne pour que Leïje en saisisse les mots mais il crut comprendre qu'il était question de faire passer il ne savait quelle marchandise à l'insu de la Garde.
Le voleur grimaça. Le propriétaire était bien impliqué dans plus qu'une simple affaire de commerce et Leïje venait de tomber au milieu de son trafique. De toute évidence, il était impliqué dans une contrebande quelconque. Peut-être même faisaient-ils partie de la guilde des contrebandiers mais, ça, impossible de le deviner pour Leïje. Tout ce qu'ils savait était qu'il valait mieux qu'il ne s'attarde pas dans les parages. D'après ce qu'il en connaissait, les trafiquants, quel qu'ils soient, n'appréciaient pas qu'on se glisse dans leurs activités, même si c'était involontaire.
Toujours plié en deux et en silence, Leïje se dirigea vers le passage qu'il s'était aménagé entre les tuiles, laissant les malfaiteurs à leur trafique dont il ne souhaitait rien connaître, pour sa propre sûreté.
Un craquement résonna soudainement dans la salle. Les contrebandiers se turent en fronçant les sourcils et Leïje s'immobilisa en écarquillant les yeux, s'apercevant que ce bruit venait de la poutre sur laquelle il se tenait en équilibre.
Il se pencha vers le bois et soupira en découvrant une multitude de trous creusés par des termites. La poutre devait être totalement creuse à l'intérieur et donc complètement fragile. Le poids de Leïje avait dû avoir raison du peu de résistance qu'elle possédait encore.
Pressentant la catastrophe, le voleur se pressa d'atteindre l'ouverture. Il bondit pour se saisir des rebords de sa sortie.
Se propulser contre la poutre acheva de la rompre et le bois se déroba sous ses pieds. Ses doigts se refermèrent sur les tuiles dépassant de l'extérieur mais, n'étant pas fixées, elles se délogèrent et glissèrent.
Leïje suivit l'exemple de la poutre et chuta au milieu de la table brisée en morceaux par la poutre, elle-même pulvérisée.
Le voleur se tordit, le corps endolori par l'impact violent avec le bois et en toussant, tout comme les trafiquants, également aveuglés par la poussière soulevée par la chute.
Durant un instant, Leïje craignit que le plafond ne s'écrase sur lui mais les autres poutres devaient compenser l'absence de celle-ci. Le voleur entreprit donc plutôt de maudire le destin qui semblait le détester. Il fallait qu'il s'installe sur la seule poutre dévorée par les termites.
La poussière retomba alors que Leïje se redressait difficilement pour tomber face aux pointes de sept dagues dirigées sur lui. Ses épaules s'abaissèrent et il soupira de lassitude.
Décidément, lorsque la soirée commençait mal, elle continuait mal jusqu'au lendemain.
Bon, il s'apitoierait sur lui-même plus tard. Pour le moment, il devait se tirer de ce mauvais pas.
Sans hésiter, il prit la parole :

« Messieurs, s'il vous plaît, restons civilisés et parlons calmement. La diplomatie et la communication sont, pour moi, une preuve d'intelligence et vous me semblez être des hommes intelligents. Je ne me trompe jamais là-dessus. Je sais que ma présence ici alors que vous-même y êtes peut paraître étrange, voir suspecte, mais il ne s'agit que d'un cocasse hasard. Laissez-moi vous...

- La ferme ! L'interrompit abruptement l'un des hommes.

- Que fait-on de lui ? Demanda un autre.

- Il nous a certainement entendus. Nous ne pouvons pas le laisser repartir.

- Nous pouvons tout de même négocier.

Insista Leïje, n'aimant guère ce que "ne pouvoir le laisser repartir" impliquait pour sa santé, en se redressant mais l'une des lames s'approchant un peu trop près le dissuada d'aller au bout de son mouvement et il se remit en arrière.
Ses talents d'orateurs ne lui étant d'aucun secours et que ces malfaiteurs ne semblant pas disposés à convenir d'un accord, il allait devoir forcer la sortie. Il n'était pas particulièrement fort ou doué en combat mais il était endurant et il aurait l'effet de surprise, sauf que, face à sept adversaires, il n'aurait qu'une seule chance et devrait donc se presser de filer avant qu'ils retrouvent leurs esprits.
Sans attendre ou réfléchir davantage, sinon, il serait arrivé à la conclusion que c'était une mauvaise idée, il saisit le poignard de l'homme le plus proche et envoya vivement son pied dans son estomac. Il bondit sur ses pieds et courut vers l'unique fenêtre de la pièce.
Malheureusement pour lui, la chance ne paraissait pas être avec lui ce soir, les pans de son manteau trainèrent derrière lui et l'un de ses contrebandiers les attrapa pour le tirer vers lui et son poing que le voleur reçut au coin de la mâchoire.
Leïje tomba à terre, sonné. Il ne parvint pas à s'opposer lorsqu'on le saisit par sa capuche pour le relever. Un son étouffé sortit de sa gorge à chaque fois qu'un coup martela son abdomen.
Ils le firent asseoir sur l'une des chaises, ayant échappé à la poutre, d'un coup violent au visage. Leïje tituba en arrière jusqu'à tomber sur le siège en se tenant le nez qui saignait des deux mains.
Le revendeur lui releva le visage en le tirant par les cheveux puis il lui rejeta la tête en arrière en déclarant à l'adresse de ses complices :

- Je le reconnais. Il est venu me vendre des objets il y a quelques temps déjà.

- Et pour un prix misérable.

Ajouta Leïje à travers ses doigts ensanglantés, ce qui lui valut un coup supplémentaire sous le plexus solaire. Il se plia en deux en cherchant son souffle.
Finalement, cette tendance à toujours dire ce qui lui passait par l'esprit n'était pas très bénéfique pour sa personne.
Celui qui semblait être le chef de ce groupe reprit :

- Alors, monsieur voulait se venger. Dommage pour toi, tu es tombé au mauvais moment. Débarrassez-vous en.

- On n'arnaque pas un voleur.

Déclara Leïje en haletant alors que les six autres trafiquants s'approchaient de lui, armes brandies.
Le chef, qui s'était détourné, revint vers lui en ordonnant à ses hommes d'attendre d'un geste. Il s'accroupit pour avoir son visage à la hauteur de Leïje. Il lui redressa à nouveau la tête en lui tirant les cheveux. Il examina ses traits avec attention en paraissant réfléchir.
Refusant d'être un animal docile en cage, Leïje cracha sur l'homme qui jura en se relevant et il s'essuya de sa manche. Leïje sourit avec moquerie, dévoilant ses dents quelque peu rougies par son sang.
Alors qu'il s'attendait à recevoir un nouveau coup, le chef se contenta de questionner le revendeur :

- Un voleur ?

- Je crois, oui.

- Mais alors ça change tout. Nous n'allons pas te tuer sur le champ finalement. Nous te laissons une chance de t'épargner, une seule. Il y a un objet qu'un de nos clients souhaite posséder sauf qu'il appartient déjà à quelqu'un.

- Donc, vous voulez que je le dérobe à ce quelqu'un. Devina Leïje.

- Exactement et ne crois pas que nous ne te trouverons pas si jamais tu tentes de nous échapper. Obéis sagement si tu ne veux pas qu'on repêche ton corps dans le canal.

- Mouais, vous écouter semble être la chose la plus intelligente à faire. Vous voyez que nous pouvions négocier.

- Ne nous piège pas, c'est un conseil.

- Ce n'était nullement mon intention, messieurs. Expliquez-moi ce que je dois récupérer que je règle cette affaire au plus vite.

- Tu connais certainement le manoir du Général Van Arris. Dans sa salle de musique, il a un ancien violon confectionné par un artisan de renom.

- Un violon ? Vous êtes sérieux ?

- Certains instruments peuvent avoir plus de valeur que certains bijoux. Je veux que tu nous rapportes cette pièce dans les trois jours sinon, ta guilde comptera un voleur en moins.

- Bien, je vais vous quitter. Messieurs, à bientôt. Vous aurez de mes nouvelles sans tarder. »

Leïje s'empressa de sortir de la salle puis du bâtiment. Il s'éloigna sur quelques mètres puis s'arrêta en s'appuyant contre un mur avec une grimace. Il aurait des hématomes avant le levé du soleil. Il cracha au sol, à la fois pour chasser le goût de sang qu'il avait sur la langue et également de dépit.
Il n'appréciait pas de se mettre au service de quelqu'un d'autre, surtout que c'était forcé.
Adossé contre la paroi de pierres, il réfléchit à la possibilité de fausser compagnie à ses commanditaires. Il devrait être capable de s'enfuir et de disparaître dans la nature mais cela impliquait de quitter la guilde et de se cacher au fond de la forêt d'Yolle à vivre comme un animal. Pour se faire oublier, il allait également abandonner ses habitudes et tout ce qui était distinctif de sa personne, autrement dit son manteau. Ces idées ne lui plaisaient pas.
Relativisant, il se dit qu'il ne s'agissait que d'un petit vole routinier dans une demeure comme dans celle dans lesquelles il s'infiltrait quotidiennement. L'affaire devrait être réglée dans quelques heures.
Il n'y avait rien à faire, la solution était d'apporter à ces trafiquants ce qu'ils exigeaient. Leïje savait que ce genre de types avaient le bras bien plus long qu'il n'y semblait.
Non, s'enfuir n'était vraiment pas la chose à faire. Dérober ce violon était bien plus simple.
Arrivé à cette conclusion, Leïje se décolla du mur et se dirigea vers les hauts quartiers, mettant volontairement fin à ses hésitations et à son débat intérieur sinon, il pressentait qu'il allait refuser l'offre des contrebandiers, ce qui le conduirait à une mort aussi douloureuse qu'inesthétique.
Il rabattit sa capuche sur son visage en arrivant dans les quartiers riches qui étaient éclairés de lanternes, contrairement aux pauvres qui lui offraient un manteau d'ombres protectrices.
Il déambula entre les imposantes demeures ornementées et aux jardins parfaitement entretenus, peinant à peu à retrouver celle du Général Van Arris.
C'était un homme très important et influent de l'aristocratie welkonnienne et tous les habitants de la capitale connaissaient son nom. Leïje encore plus car il s'intéressait à toutes les familles fortunées de la ville.
Il finit par retrouver la demeure. Il s'agissait d'une bâtisse à quatre étages, massive, aux formes carrées et au toit totalement plat en briques couleur sable. Quelque chose de sérieux et qui évoquait un peu une prison à Leïje. Si l'homme y vivant était à l'image de sa maison, il ne devait absolument pas être sympathique et Leïje préférait ne pas le croiser durant sa petite visite.
Le voleur avisa les gardes postés sur la propriété : quatre dans le jardin, un sur le toit et certainement plusieurs à l'intérieur.
Bon, il ne lui restait plus qu'une seule chose à faire.
La première étape était de franchir le mur d'enceinte surmonté de pointes et de trouver un chemin pour entrer.
L'accès le plus facile paraissait être le toit sur lequel on n'avait aucune difficulté à se déplacer et n'y avait qu'un seul garde. Le problème était de franchir le jardin sans se faire repérer. Les arbres n'était pas suffisamment abondants et tendre une corde entre le mur et la façade était trop risqué.
Finalement, il opta pour une méthode simple et efficace.
Il sortit des bandes de cuir d'une de ses poches intérieures et s'en enveloppa les mains. Il recula pour prendre de l'élan puis il s'élança et bondit, saisissant les pointes acérées du mur. Elles n'entaillèrent que le cuir et pas les paumes de Leïje. Il savait qu'il faisait bien de les garder sur lui au cas où.
Les pieds à plat contre le mur, il plia les genoux puis les détendit subitement, donnant une forte impulsion qui lui permit de propulser ses jambes au-dessus de sa tête. Alors qu'elles retombaient, il lâcha les piques et atterrit souplement dans le jardin.
Sans un bruit, il se dépêcha de se glisser dans un large buisson de fleurs, juste avant qu'un des gardes ne passe. L'odeur agressive des fleurs et surtout leur pollen lui piquèrent les narines. Le voleur se plaqua un doigt sous le nez pour retenir un éternuement.
Pas question qu'il se fasse repérer aussi stupidement.
Le garde tourna à l'angle de la demeure. Leïje attendit quelques secondes par sécurité puis sortit de sa cachette en agitant son manteau pour en retirer le pollen qui se souleva en un nuage jaune citron. Leïje secoua la main pour chasser les petits grains de son visage et il s'approcha de la fenêtre qui ne se trouvait qu'à quelques mètres du buisson.
Il eut quelques difficulté à la forcer. Le Général Van Arris ne lésinait pas sur la sécurité mais aucune fenêtre ne résistait à Leïje, ni aucune femme d'ailleurs, et elle s'ouvrit.
Le voleur entra en silence et la referma soigneusement derrière lui. La moindre petite différence pourrait signaler sa présence.
Ne sachant rien du nombre ou de la localisation des gardes à l'intérieur, il n'alluma pas sa chandelle. Il attendit seulement que ses yeux s'habituent à l'obscurité ambiante pour qu'il puisse distinguer les formes de deux divans, d'une crédence et d'une table basse, certainement un petit salon privé.
Leïje résista à l'envie d'examiner les bibelots et autres objets de décoration et sortit de la pièce.
Il arpenta un couloir qui le fit déboucher sur un petit hall uniquement meublé d'un large escalier dans le fond et plaqué contre le côté gauche pour permettre d'accéder à la porte s'ouvrant sur le toit. Leïje entendit des pas discrets descendre les marches.
Pensant qu'il s'agissait d'un garde, le voleur se plaqua contre la structure des escaliers, se fondant dans l'ombre et espérant que la personne n'avait pas l'intention de prendre la porte de droite. Heureusement pour lui, elle tourna à gauche.
Leïje se dirigea donc vers l'opposé des escaliers. Il ouvrit la première porte qui se présenta et découvrit une pièce aux larges dimensions équipée de râteliers chargés d'armes, de mannequins et de sacs de sable. Leïje émit un sifflement admiratif. Sacrée salle d'entraînement. Même les mercenaires ne devaient pas être aussi aussi équipée. C'était très impressionnant et cela confirmait l'envie de Leïje de ne pas rencontrer le propriétaire des lieux.
Il sortit de la pièce et eut juste le temps de s'accroupir derrière un buffet avant que quelqu'un n'y entre à son tour en passant devant lui sans le voir.
Le voleur remarqua que la personne ne s'éclairait d'aucune lumière et qu'elle était la même que celle l'ayant croisé à côté des escaliers.
Sans attendre, il continua son exploration.
Pour la première fois de la soirée, la chance fut de son côté et la prochaine porte qu'il ouvrit donnait sur la salle qu'il cherchait.
Assez modeste, un large clavecin prenait le plus de place. Il y avait également une élégante harpe avec le tabouret posé devant assorti au divan, installé pour pouvoir écouter s'exercer d'éventuels musiciens, et, dans un renfoncement du mur, le violon et son archet.
Un large sourire fendit le visage de Leïje. Il savait bien qu'il serait tranquille avant le lever du jour.
Il s'approcha de l'instrument mais il s'immobilisa en entendant un bruit émanant du mur lambrissé sur sa moitié inférieure. Le voleur se retourna pour voir pivoter l'un des panneaux de bois.
Des passages secrets ! Il devait y en avoir dans toute la demeure !
Grâce à la lumière de la lune entrant par la large fenêtre encadrée de lourds rideaux, Leïje vit distinctement une silhouette féminine sortir du passage.
La femme se figea en découvrant Leïje qui jura. Il était maudit, il ne voyait pas d'autre explication au fait que, le soir où il s'infiltrait chez le général pour sauver sa peau, un autre voleur choisissait la même cible. C'était tout de même incroyable !
Il fit mine de s'approcher du violon mais la femme lui fit vivement signe de ne pas bouger.
Également par gestes, Leïje lui demanda si c'était le violon qui l'intéressait. Elle répondit d'un hochement affirmatif du menton puis elle pointa Leïje du doigt et la porte du pouce de l'autre main, lui ordonnant de dégager. Le voleur secoua négativement la tête. Il montra la femme puis la porte à son tour et ajouta qu'il était là le premier et qu'il avait donc la priorité.
Un grognement d'énervement sortit de la gorge de la femme. Elle menaça Leïje en lui faisant comprendre que si il touchait au violon, elle le tuerait. Ce fut très explicite lorsqu'elle passa son pouce sur sa jugulaire en imitant un égorgement. Leïje se justifia en répliquant que c'était son travail, toujours en silence.
Il ponctua sa phrase d'un haussement d'épaules puis se détourna de la femme pour s'emparer du violon sans plus se soucier d'elle mais, avant que ses doigts ne frôlent l'instrument, elle bondit sur le dos en enserrant son cou de ses bras.
Leïje produisit un son étranglé en titubant en arrière, entraîné par le poids de la femme qui semblait vraiment tenir à avoir ce violon. Le voleur se rattrapa à la première chose qui passait à sa portée et qui s'avéra être les touches du clavecin.
Un fort bruit discordant résonna dans une bonne partie de la demeure.
Les deux voleurs écarquillèrent les yeux en pinçant les lèvres. Là, ils étaient mal.
La femme se pressa de lâcher Leïje et tous deux se précipitèrent derrière les rideaux pour se dissimuler.
Toujours par signes, la femme traita Leïje de pauvre idiot. "La faute à qui ?", répliqua le voleur, trouvant que c'était les mercenaires qui se moquaient des chasseurs de primes.
Ils s'immobilisèrent lorsque les gardes se ruèrent dans la salle. Ils firent quelques pas, s'assurant que tout était normal.
Soudainement, le pollen qu'il avait encore dans le nez donna à nouveau envie d'éternuer à Leïje qui tenta de se contenir. La femme secoua la tête, lui interdisant de les faire repérer mais ça ne suffit pas et le voleur éternua bruyamment.
Tous les gardes se retournèrent vers la fenêtre. Leïje ne parvenait pas à voir les yeux de la femme mais il était certain qu'elle l'assassinait du regard.
Leur discrétion étant grandement compromise, plus la peine de rester silencieux et ils devaient surtout sortir d'ici. Sans hésiter, Leïje bondit par la fenêtre en se protégeant le visage de ses manches. Les éclats de verre volèrent et il chuta durement sur le dos dans le jardin.
Il eut à peine le temps de se redresser que la femme lui tomba dessus, expulsant tout l'oxygène de ses poumons, cependant, il n'eut guère le loisir de se remettre tranquillement.
Il bondit sur ses pieds et suivit la femme en courant vers le mur d'enceinte qu'ils franchirent tant bien que mal alors que les gardes se lançaient à leur poursuite.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top