Chapitre 15 - Ne regarde pas en bas
Leïje somnolait contre son oreiller lorsqu'on lui arracha violemment sa couverture, le laissant à la merci du froid de l'aube. Il tâtonna à côté de sa paillasse à la recherche de sa couverture disparue. Ses doigts rencontrèrent une matière légèrement souple et tiède.
Le garçon se redressa vivement lorsqu'il comprit qu'il s'agissait de la botte de Wëdon.
Son maître se tenait à côté de son matelas, la couverture de Leïje à la main. Il était déjà coiffé et habillé, à croire qu'il n'avait pas dormi.
Leïje s'étira et, dans un bâillement, il s'enquit :
« Que se passe t-il ?
- Nous allons regarder un superbe levé de soleil.
- Hein ?
- Habille-toi.
Ordonna Wëdon sans rien préciser de plus, comme à son habitude. Il lança sa veste à Leïje qui la reçut en plein visage.
Sans l'attendre, le voleur sortit de la tente.
Leïje s'étira à nouveau dans un bâillement. Il ébouriffa sa tignasse en remuant sa langue encore lourde. Il prit quelques secondes pour se réveiller tout à fait puis se leva.
Il ramassa sa couverture que Wëdon avait laissé tomber au sol sans vergogne. Leïje secoua le draps puis l'étendit sur sa paillasse et il enfila une chemise propre dont il noua les lacets. Il chercha ses bottes à quatre pattes. Son crâne heurta son coffre auquel il n'avait pas fait attention. Il s'assit en se frottant le sommet du crâne avec un grognement.
Il ignorait pourquoi mais il avait l'impression que ce réveil un peu compliqué ne présageait rien de bon mais, comme il n'était pas superstitieux, il s'en moqua bien et dénicha ses bottes dans un coin de la tente, à moitié dissimulée sous la toile huilée.
Il les chaussa et s'aspergea le visage de l'eau tirée de sa propre gourde. Depuis que Wëdon l'avait soigné avec de l'alcool, il se méfiait de la gourde de son maître.
Sa blessure datait de deux jours et cicatrisait bien.
Durant les deux journées s'étant écoulé, Leïje s'était entraîné durant des heures à forcer toutes les serrures que Wëdon lui avait données.
Il ne prit pas la peine de coiffer ses cheveux, les laissant en désordre.
Il rejoignit Wëdon qui l'attendait à l'extérieur, tapotant son coude du bout des doigts en s'impatientant.
Leïje avisa la besace qu'il portait et qui semblait remplie, certainement de nourriture. Le garçon fronça les sourcils, vraiment fortement intrigué. Son maître avait-il préparé un petit-déjeuner en pleine air devant un levé de soleil ? Cela paraissait bien trop tranquille et gentils pour Wëdon. Il devait prévoir quelque chose de bien moins plaisant.
Leïje lui emboîta le pas, méfiant et, ayant comme chaque fois que son maître lui présentait une nouvelle activité, un mauvais pressentiment, craignant encore pour son intégrité physique et peut-être même mentale.
Évoluer à travers le camp avant l'aube était étrange car il était singulièrement vide et silencieux. Aucun voleur en train de fomenter un vole, de discuter, de compter leur butin. Tous ne dormaient pas. Certains devaient être en train de revenir de leur escapade de la nuit.
Wëdon devait avoir l'habitude de se déplacer dans le campement englué dans ce silence pesant car il ne s'attarda pas dessus ni ne sembla être mis mal-à-l'aise à cause de ça, contrairement à Leïje qui avait l'impression d'avancer dans un lieu fantôme, sans parler de l'absence de soleil qui teintait le paysage d'une myriade de gris.
Leïje accéléra le pas car il avait inconsciemment ralenti et qu'il risquait de perdre Wëdon. Il le rattrapa alors qu'ils quittaient le camp de la guilde.
Sous le couvert des feuillages d'Yolle, le gris se transformait en véritable obscurité encore épaisse.
Wëdon produisit une flamme avec son briquet et guida Leïje à travers les arbres à l'aide de la petite lueur qui éclairait le chemin mais les ténèbres ne dérangeaient guère le garçon.
Depuis qu'il s'était enfui de l'orphelinat, il avait pris l'habitude de se déplacer dans la nuit et, même si il se concentrait un peu plus que de coutume sur sa marche pour ne pas s'étaler au sol à cause des racines qui dépassaient du sol pour s'éviter un regard infligé de son maître, il progressait avec aisance.
Il s'aperçut qu'ils s'engageaient sur une légère pente qui ne tarda pas à s'accentuer et à se faire plus raide. Encore fatigué par ce réveil quelque peu soudain, Leïje dut s'aider des branches les encadrant pour se hisser sur la pente un pas après l'autre.
Encore une fois, les arbres s'espacèrent, ce qui permit à Leïje de déduire qu'ils approchaient d'une nouvelle falaise ou d'une clairière. Ils débouchèrent dans un espace dégagé et Leïje constata que la bonne possibilité était la deuxième. Pour être exacte, il s'agissait plus précisément d'un ravin, une profonde plaie dans le sol.
Wëdon alla s'installer juste au bord et fit signe à Leïje de le rejoindre. Toujours un peu méfiant, le garçon obéit et vint s'asseoir à côté de son maître sans un mot.
De là, ils avaient une vue parfaitement dégagée sur le ciel qui commençait doucement à se nimber d'or et de sang. Les nuages se coloraient de rose et de bleu marine. Leïje avait l'impression qu'on avait allumé un incendie dans les cieux et que l'air lui-même en était consumé. C'était incroyable. Peu à peu, les nuages devinrent également poussière d'or, chassant le bleu mais quelques traces de rose demeurèrent comme des coups de pinceaux ajoutés au hasard.
Si ce levé grandiose avait été tangible, Leïje aurait adoré le dérober. Ainsi, il serait devenu le plus grand voleur que Welkonn ait jamais porté. Personne n'avait jamais réussi à voler le soleil.
Wëdon posa sa besace entre eux et l'ouvrit. Il tendit une pomme à Leïje. Ce dernier examina le fruit avec méfiance, ne comprenant toujours pas pourquoi son maître lui offrait ce charmant repas devant ce superbe spectacle.
Il ne pensait pas qu'il cherchai à se faire pardonner pour ses méthodes d'apprentissage un peu trop brutales après une petite mise au point avec Nidia donc, il avait forcément une idée derrière la tête et quelque chose de prévu, ce qui inquiétait Leïje.
Wëdon insista avec un regard pesant et en approchant la pomme du visage de Leïje. Finalement, il la prit et y mordit en reportant son attention sur les flammes du ciel qui gagnaient de l'ampleur.
Ils restèrent immobiles et silencieux, bougeant uniquement pour prendre de la nourriture dans la besace et la mâcher, durant de longues minutes à contempler dans un silence presque religieux l'apparition de l'astre diurne.
Lorsqu'il fut là, éclairant la forêt d'une lumière claire et chaude, Wëdon se releva en époussetant les miettes sur son pantalon.
Il se tourna vers Leïje et s'assura :
- C'est bon ? Ton estomac et bien rempli ?
- Il me semble que oui. Répondit Leïje dans un hochement de tête.
- Parfait car tu vas avoir besoin de toutes tes forces pour la suite.
- Quelle suite ?
S'inquiéta Leïje, voyant la confirmation de ses doutes sur les raisons de leur présence en ces lieux.
Sans un mot et avec un sourire carnassier, Wëdon se contenta d'indiquer le ravin. Leïje s'approcha avec prudence du bord du gouffre et s'y pencha.
À deux mètres du sommet, un tronc était coincé entre les deux parois, reliant un côté à l'autre comme une passerelle dangereuse.
Un sifflement de mépris fit vibrer les lèvres de Leïje et non celles de Wëdon, pour une fois. Exactement ce qu'il soupçonnait. Wëdon l'avait conduit avec l'intention de lui faire faire passer un nouvel exercice et, encore une fois, des plus risqués.
Il se redressa, les bras croisés sur sa poitrine et il secoua négativement la tête à l'adresse de son maître qui paraissait fort satisfait de sa trouvaille.
Leïje s'opposa en faisant remarquer :
- Je croyais que Nidia vous avez catégoriquement interdit de me donner des entraînements dangereux à faire.
- Effectivement et c'est pour ça que j'ai ajouté une sécurité.
Suivant le doigt tendu de Wëdon qui indiquait encore le gouffre, Leïje s'y pencha à nouveau et, en effet, il aperçut des cordes nouées aux branches brisées du tronc
Leïje se redressa, encore moins enthousiasmé qu'au départ.
Il ironisa :
- Oh, fantastique ! Comme ça, je pourrais me balancer encore quelques minutes avant de chuter pour me briser les os des centaines de mètres plus bas.
- Si tu es aussi talentueux que tu le penses, tu remonteras sans peine, n'est-ce pas ?
Leïje résista à la très forte envie de pousser Wëdon dans le ravin pour voir si, lui, parvenait à remonter sans difficulté.
À la place, il retira sa veste qui risquait d'entraver ses mouvements et d'offrir trop de prises au vent qui soufflait avec violence entre ces parois rocheuses. Il colla son vêtement dans les mains de son maître, se débarrassant de sa capuche mais, depuis les journées qu'il passait avec Wëdon, il ne craignait plus le regard de ce prétentieux.
Le garçon étira ses muscles qui étaient encore quelque peu engourdis par le sommeil puis il s'agenouilla au bord du gouffre pour étudier la manière dont il pouvait s'agripper à la roche pour atteindre le tronc. Il ne lui fallut qu'une ou deux minutes pour trouver le meilleur chemin.
Sans hésiter, il se suspendit au rebord du ravin, enfonçant ses ongles dans la terre. Il cala ses pieds dans des aspérités et les fit doucement glisser vers le bas, lâchant peu à peu le bord du gouffre. Avec agilité et assurance, il rejoignit le tronc sur lequel il se retrouva assis à califourchon.
Les mains posées poignet contre poignet, il se mit debout d'un bond vif.
Il n'écarta pas les bras, craignant que le vent ne le déséquilibre. À la place, il les garda fermement plaqués contre son corps, persuadé que c'était la meilleure méthode à appliquer.
Il inspira profondément pour s'apaiser et s'encourager en se répétant mentalement qu'il était le plus doué puis il fit un pas.
Son pied glissa un peu sur le côté et Leïje eut le réflexe de tendre les bras vivement. Il remit doucement son pied correctement et replaça ses bras le long de son corps et il avança encore.
Il parvint à faire prudemment et assez facilement un mètre, ce qui lui fit gagne de l'assurance mais l'avancée se fit plus difficile à partir de là.
Des moignons de branches parsemaient et gênaient sa progression. Leïje n'avait pas d'autre choix que de les franchir en slalomant entre, ce qui risquait de poser un gros problème à cause de la forme arrondie du chemin mais il surmonterait cette épreuve, tout comme les autres.
Il posa son pied contre l'un des bouts de branches se trouvant un peu sur le côté, s'empêchant ainsi de glisser. L'autre, il le plaça en biais entre deux autres excroissances de bois.
Cette fois, il écarta les bras pour se maintenir en équilibre. Le vent souffla au même instant avec force, le faisant basculer dans le vide.
Ses doigts se refermèrent sur le chanvre de la corde, stoppant nette sa chute et tirant douloureusement sur ses épaules qu'il entendit craquer.
La morsure, qui avait tout juste commencé à cicatriser, se rouvrit et Leïje sentit un peu de sang chaud couler dans son dos. Il grogna en calmant les battements affolés de son cœur.
- Eh, Leïje, l'appela Wëdon, est-ce que ça va ?
- Ouais et la prochaine fois que vous avez une idée pour m'entraîner, vous vous la carrez où je pense !
Leïje continua à marmonner tout bas des injures contre son idiot de maître puis il se concentra sur son ascension pour regagner le tronc.
Il enroula ses chevilles autour de la corde et, ignorant la douleur pulsant dans son épaule, il se hissa, une main après l'autre, grimpant rapidement. Il eut quelques difficultés pour se repositionner sur le tronc. Finalement, il fit comme il avait fait en descendant de la falaise. Il s'installa à califourchon et se mit debout d'un bond souple.
Cela lui donnait la nausée de l'avouer mais Wëdon avait vu juste. Il était parvenu à remonter sans grande difficulté.
Chassant ces pensées et vidant son esprit, Leïje reprit sa progression tant bien que mal.
Il arriva devant un assortiment de moignons de branches. Pas moyen de placer ses pieds entre. Une unique solution.
Il s'assura que des cordes pendaient de chaque côté, prêtes à le sauver au besoin, puis, ne prenant pas d'élan, il sauta par-dessus l'obstacle. Il se réceptionna un peu gauchement mais ne glissa pas.
Après sa mésaventure, parcourir ce qu'il restait du tronc ne lui parut pas compliqué et peut-être même aisé.
Il frappa la seconde falaise du plat de la main comme pour marquer son arrivée puis il fit demi-tour et décida d'impressionner encore davantage cet idiot de Wëdon.
Il s'aplatit contre l'arbre et grimaça en sentant un morceau de branche appuyer contre son ventre. Il en fit abstraction et, laissant pendre son bras, il se saisit de la corde et fit basculer le reste de son corps pour s'y suspendre.
Il commença à se balancer pour s'accrocher à la corde suivante. En étant suffisamment proche, il lâcha la première et se rattrapa à la deuxième avec agilité. Passant ainsi de corde en corde, il rejoignit son point de départ.
Là, il se hissa à nouveau sur le tronc puis il escalada la paroi rocheuse aussi facilement qu'il l'avait descendue, peut-être même encore davantage.
Il se piqua face à Wëdon et effectua une révérence théâtrale avec un large sourire. Le voleur leva les yeux au ciel.
- Arrête de te croire dans un cirque. Va te reposer. Je crois que tu es prêt pour ton premier vole. »
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