Chapitre 13 - Juste un noeud
Cela faisait trois mois que Leïje avait volé la bourse de Wëdon et intégré la guilde des voleurs en tant qu'apprenti. Trois mois durant lesquels il avait trimé sous les hurlements et les ordres de Wëdon qui n'était jamais satisfait, ne lâchait jamais un compliment. Leïje ne lui en voulait pas. À présent il avait compris que Wëdon était jaloux et que les talents dont il faisait preuve l'effrayaient.
Durant ces trois mois, Leïje n'avait fait que répéter les deux mêmes exercices, celui des brindilles pour le silence et la falaise pour l'escalade. Le garçon n'avait pas mis beaucoup de temps à se perfectionner et, aujourd'hui, il maîtrisait parfaitement ces exercices. Il ne récoltait plus aucun coup de fouet, connaissait chaque centimètres de la falaise et l'escaladait en moins de trois minutes.
Ayant acquis suffisamment d'habilitée sur l'escalade et le silence, il allait devoir travailler sur d'autres points. Wëdon le lui avait annoncé la veille et Leïje avouait qu'il appréhendait. Après ces deux premiers entraînements violents, il prévoyait le pire de la part de son maître qui ne serait certainement pas plus compatissant pour la suite.
Pour le moment, le garçon patientait, attendant le retour de Wëdon qui le laissait régulièrement seul pour maintenir son nom dans la course au titre de chef des voleurs. Leïje l'attendait en s'entraînant ou en lisant ses romans. Il n'allait d'ailleurs pas tarder à devoir aller en chercher de nouveaux.
Installé sur sa couchette, allongé sur le dos et en bras sous la nuque, il lisait tranquillement, tentant encore et toujours de comprendre comment aimer, mais sans succès.
Il referma vivement le volume qu'il dissimula sous son oreiller en percevant une présence approcher. Il se redressa un voyant Nidia entrer. Il pensait qu'il s'agissait de Wëdon.
Le garçon rabattit sa capuche sur son visage et demanda :
« Vous cherchez Wëdon ?
- Non. Je venais te souhaiter un joyeux anniversaire.
- Hein ? Trois mois est une étape importante pour les apprentis voleurs ?
- Absolument pas. C'est juste que je passais par là en revenant d'une affaire et que je me suis fait la remarque que je n'avais pas pris le temps de te féliciter pour tes progrès alors bravo.
- M...merci.
- Le seul que tu dois remercier c'est toi. Tu seras sans aucun doute un grand élément de la guilde.
- Je ne pense pas que Wëdon pense comme vous mais je n'en ai rien à faire. Ce n'est qu'un prétentieux mais il peut m'apprendre des choses et, de toute manière, je serais chassé de la guilde si je refuse de me plier à ses apprentissages. Et puis, je suis le meilleur.
- Belle philosophie (elle jeta un rapide regard à l'extérieur). Ah, je crois que Wëdon revient. À la prochaine, Leïje, et ne lâche rien. Tu as entièrement raison. »
Elle lui adressa un clin d'œil accompagné d'un sourire complice puis elle sortit alors que Wëdon entrait.
Il lança un regard intrigué et surpris à Nidia puis le posa ensuite sur Leïje qui passait une main dans ses cheveux, quelque peu gêné par cette étrange visite.
Wëdon déposa le sac, qu'il tenait à la main et que Leïje devinait rempli du fruit de son dernier larcin, dans son coffre puis il se tourna vers son apprenti qui se releva.
Le voleur montra la sortie de la tente d'un mouvement de la tête en interrogeant Leïje :
« Que voulait-elle ?
- Me passer le bonjour. Prétendit Leïje.
- Mmm... Bon, il est temps de passer à un nouvel exercice. Lorsque tu es un voleur, il faut considérer toutes les possibilité et se faire arrêter en est une alors il faut savoir t'échapper. Aujourd'hui, tu vas apprendre à défaire les nœuds.
- Vous vous êtes déjà fait arrêter ?
- La leçon du jour ne consiste pas à te raconter ma vie. Viens par là.
Leïje obéit et vint se poster à côté de son maître qui ouvrait à nouveau son coffre pour en tirer plusieurs cordes, certaines fines et d'autres épaisses. Il en tendit certaines à Leïje et garda les autres qu'il enroula autour de ses épaules.
Comme à chacun des exercices, Wëdon guida Leïje à l'extérieur de la tente puis se dirigea vers celui du campement.
Avant de le quitter, ils croisèrent Nidia qui adressa un sourire et un signe amical de la main à Leïje qui y répondit timidement, ne sachant pas vraiment quoi penser de sa jeune et jolie chef de guilde.
Wëdon ne prit pas la direction de la falaise ni de celle du sentier mais une nouvelle. L'appréhension de Leïje augmenta. Ils se rendaient donc dans un lieu inconnu de lui. Connaissant Wëdon, ça présageait tout sauf une partie de plaisir.
Ils marchèrent durant plusieurs kilomètres et l'inquiétude de Leïje croissait. Il avait un fort mauvais pressentiment qui l'angoissait.
De quelle manière Wëdon pourrait bien user pour le motiver à se détacher rapidement ? Il redoutait vraiment un mauvais tour de son maître.
Ils débouchèrent sur un endroit au sol rocheux. Il y avait d'ailleurs un amoncèlement de pierres qui s'écartaient en une ouverture, formant une caverne ou plutôt une tanière.
Leïje s'arrêta, tout sauf rassuré. Il voulut reculer mais il se heurta à Wëdon qui marchait derrière lui. Le voleur râla en le poussant en avant.
- Qu'est-ce que c'est ? S'enquit Leïje.
- De quoi ça a l'air ?
- À quelque chose qui m'inquiète et qui ne ferait que confirmer mon avis sur vous.
Wëdon saisit Leïje par le poignet et le tira jusqu'à un arbre encore jeune poussant face à la caverne à juste quelques mètres.
Le voleur déposa ses rouleaux de cordes à terre et, d'un geste, il ordonna à Leïje de l'imiter. Le garçon obtempéra malgré son appréhension qui augmentait encore.
Il se débarrassa des cordages, les entassant avec ceux transporté par Wëdon et il fit vivement volte-face avec l'intention de s'enfuir entre les arbres en courant.
Cette fois, les doigts de Wëdon le manquèrent et le poing du voleur se refermèrent sur un souffle d'air. Il jura avant de s'élancer à la poursuite de son apprenti qui accéléra.
Décidément, ce gamin ne lui causait que des ennuis.
Plus grand et plus entraîné que Leïje, il le rattrapa rapidement et, lui bondissant dessus, il le plaqua au sol. Leïje se débattit en grognant mais Wëdon ne le lâcha pas.
Il menaça :
- Je pourrais te renvoyer de la guilde pour ça !
- Bah allez-y ! J'en ai assez de vos façons de psychopathe, on se croirait chez les mercenaires ! De toute manière, Nidia refusera qu'on me chasse !
- Attend que ce ne soit plus elle le chef et tu verras !
- Vous ne lui arrivez pas à la cheville !
Leïje se baissa pour esquiver la gifle qui voulu lui décocher Wëdon qui percuta un arbre à la place de la joue de l'enfant. Il grogna de douleur mais ce fut un vrai cri qui franchit ses lèvres lorsque Leïje le frappa au tibia de son pied.
Le garçon se moqua bien de l'injure, il avait déjà entendu pire. Il fila avant que Wëdon ne l'attrape par sa tunique.
Au lieu de se diriger vers le campement à toutes jambes, il courut vers la tanière et se plaqua contre l'arbre, les bras croisés sur la poitrine.
Il lança à Wëdon :
- Alors, qu'attendez-vous pour m'attacher ? Vous allez voir que je vous surpasse quel que soit l'exercice !
Wëdon grogna en découvrant ses dents tel un prédateur en colère, ceq u'il pouvait devenir sans tarder si Leïje continuait à se montrer aussi insolent, mais il se contint.
Pour ce qui était des prédateurs, il n'aurait pas à les jouer. Des vrais s'en chargeraient.
Il rejoignit Leïje, les poings serrés avec la brûlante envie de les asséner sur son apprenti mais il se retint et ramassa plutôt une corde, la plus fine. Il l'enroula fermement autour de Leïje et l'attacha autour du tronc, vidant l'oxygène de ses poumons. Leïje lui adressa un regard noir, le soupçonnant d'avoir intentionnellement serré autant.
Wëdon se plaça face à lui, les poings sur les hanches, examinant son travail, puis il dégaina le poignard qu'il gardait dans les plis de ses vêtements.
Leïje s'agita. Là, il était vraiment inquiet. Peut-être était-il allé trop loin avec son maître.
Il préféra fermer les yeux mais il les rouvrit bien vite en sentant la brûlure de l'acier contre sa peau juste au-dessus de sa poitrine.
Wëdon secoua sa lame pour projeter des gouttes écarlates autour d'eux.
Le voleur indiqua :
- L'odeur du sang va les attirer. En cette saison, ils doivent être affamés. Le défis est de te libérer avant qu'ils te dévorent et sache que je ne te prêterai pas main forte.
- Je ne m'attendais à rien de votre part.
Rétorqua Leïje avec une expression méprisante.
Ça lui plaisait de dire leurs quatre vérités aux gens.
Wëdon le laissa et grimpa dans un arbre où il se posta dans une fourche, à l'abri.
Leïje n'attendit pas de rencontrer les habitants de la tanière.
Il commença à chercher quelles parties de son corps étaient encore mobiles. Il y avait la tête et les jambes, ce qui lui était d'une parfaite inutilité. Par contre, les doigts de sa main gauche étaient libres.
L'un après l'autre, il les fit passer par-dessus la corde qu'il tenta d'abaisser jusqu'à ses pieds mais il ne put se pencher que de quelques centimètres avant que ses liens ne le ramènent contre le tronc.
Il entendit du mouvement dans la caverne. Il valait mieux ne pas trainer davantage dans les parages.
De sa main libre, il entreprit de faire tourner la corde jusqu'à amener les nœuds situés dans son dos face à lui. Les dénouer ne fut ensuite plus qu'une formalité bien qu'il n'ait recourt qu'à une seule main et qu'ils étaient serrés mais sa dextérité eut rapidement raison de leur résistance.
Il se débarrassa des liens et bondit plus loin de l'arbre.
Wëdon descendit du sien pour l'attacher à nouveau avec une autre corde, un peu plus épaisse que la première.
Leïje savait qu'à tout instant, les carnivores risquaient de surgir pour s'intéresser à lui.
Cette fois, Wëdon prit soin de bien coincer ses deux mains avant de remonter.
Leïje réfléchit, ne paniquant pas et conservant son sang-froid malgré l'agitation qu'il percevait dans la caverne. Si il s'affolait, il serait perdu. Il se concentrait donc sur sa respiration et la corde dont il devait se libérer.
Si il ne pouvait se servir de ses membres, peut-être pouvait-il utiliser son environnement. Il repensa à sa tentative de s'échapper lorsque Wëdon l'avait attaché en plein cœur de la forêt d'Yolle à son arrivée, exactement comme à présent, sauf que, ici, l'écorce du tronc était épaisse et rugueuse. La corde devrait certainement être suffisamment fine pour être sciée.
Cette idée en tête et le regard rivé sur l'ombre de la tanière, Leïje bougea les épaules de gauche à droite.
Quelques fibres s'envolèrent et tombèrent au sol.
Lorsque le lien lui sembla bien fragilisé, Leïje força et tira. La corde se rompit avec un craquement.
Le garçon lança un sourire victorieux supérieur et insolent à Wëdon en évaluant le temps de son évasion à moins de trois minutes. Il était certain que c'était un record.
Les deux cordes suivantes, respectivement de plus en plus épaisses et résistantes, ne lui posèrent pas davantage de problème et il s'en libéra aisément.
Les choses se compliquèrent avec la cinquième corde de cette session.
Une meute de loups maigres et aux yeux luisants de l'éclat de la faim sortit de la caverne. Leurs museaux frémissaient, humant l'odeur de sang. Certains se battirent à coups de grognements pour lécher l'une des gouttes tachant le sol.
Leïje jura. Son sang semblait leur plaire et ils allaient certainement en réclamer plus.
Ils relevèrent leurs pupilles jaunes brillantes sur lui. Le garçon s'agita.
Il n'avait pas le temps de réfléchir à un moyen ou à une stratégie et il se voyait mal en trouver alors que les loups avançaient vers lui en se léchant les babines d'un air gourmand.
Il essaya à nouveau de scier la corde contre l'écorce mais elle était trop solide.
Il cessa de bouger en se forçant au calme malgré la panique qui montait. Il croyait savoir que les loups percevaient la peur et ils ne seraient que plus excités si il montrait la sienne. Les prédateurs se déployèrent, l'encerclant, comme si il était en mesure de représenter un danger pour eux.
Le garçon ne prit pas la peine de lever le regard vers Wëdon, confortablement installé dans son arbre. Il n'attendait et ne voulait rien de sa part de plus que son enseignement. De toute manière, il doutait de l'envie de son maître à intervenir en sa faveur après leurs mots.
Il n'avait pas totalement tort et Wëdon hésitait. Il ne souhaitait pas revenir sur sa parole en l'aidant mais il se refusait à laisser un enfant mourir sans rien faire.
Avant qu'il ne se décide, un loup bondit sur Leïje.
Ce dernier eut le réflexe salvateur de lever la jambe. La bête se prit la semelle au coin de la gueule et retomba dans les feuilles mortes. Il se releva en secouant la tête avant de reprendre sa place entre ses congénères.
Leïje le regarda faire, la respiration haletante et le cœur cherchant à s'évader de sa poitrine. Il soupira d'un soulagement qui fut de courte durée car, si il avait évité une blessure, il avait surtout énervé les loups qui retroussèrent leurs babines sur leurs crocs beaucoup trop longs et acérés pour l'intégrité physique de Leïje.
Celui qui devait être le chef de meute recula pour prendre de l'élan puis il s'élança.
Leïje ne l'esquiva encore une fois que par réflexe. Il se jeta sur le côté du tronc, s'écartant de quelques centimètres qui lui sauvèrent la vie.
Au lieu de sa gorge, ce fut dans le bord de son épaule que les crocs s'enfoncèrent. Il hurla de douleur en se secouant.
Le loup lâcha sa prise et Leïje découvrit que les crocs avaient entamé la corde.
Il se débattit, rua, jusqu'à ce qu'elle craque.
Quittant sa torpeur, Wëdon sauta au milieu du cercle de prédateurs, lame au clair.
Il attrapa Leïje qu'il jeta sur son épaule. Il visa rapidement le crâne d'un loup sur lequel il lança son poignard puis il s'élança à travers les arbres, la meute à sa suite.
Il força sur ses jambes mais il perdait du terrain. Heureusement, les loups cessèrent leur poursuite à l'approche du campement des voleurs.
Wëdon stoppa et reposa Leïje au sol. Une main sur son épaule valide, il s'assura :
- Tu vas bien ?
- Ouais, marmonna Leïje en se dégageant. De toute manière, c'était le but, non ? À moins que vous n'ayez pas suffisamment réfléchi pour vous rendre compte que c'était une mauvaise idée.
- Si tu as un problème avec mes méthodes d'apprentissage, tu es libre de partir.
- Ça vous ferez trop plaisir.
- Cesse de te croire si supérieur, petit.
- C'est bon ? Vous avez fini ? Je voudrais rentrer pour me soigner maintenant. »
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