Chapitre 5

Vargram écarquilla les yeux, ne s'attendant pas à entendre une troisième voix. Il devait admettre ne pas avoir été particulièrement discret en attaquant Dévlin au milieu d'un couloir mais il avait surpris Molwen.
Il hésitait encore entre conserver sa rapière sur l'abdomen de Dévlin pour le maîtriser ou l'utiliser contre ce nouvel arrivant lorsque ce dernier le frappa violemment derrière le genoux, le faisant à moitié chuter. Il n'eut pas le temps de se relever qu'on le saisit par ses longs cheveux par lesquels on le tira pour le jeter au sol.
Dévlin se dégagea et se retourna pour découvrir son agresseur ainsi que son sauveur. Le premier, un homme d'une vingtaine d'années aux traits marqués par la fatigue encadrés de longs cheveux blonds clair, reprenait déjà ses esprits et le deuxième n'était autre que Leïmy.
Surpris, Dévlin lui confia :

« Je croyais que tu t'étais enfuie avec Negg.
- Et bien nous sommes revenus.

Répliqua Leïmy avant de donner un coup de pied dans la rapière du blond pour la soustraire à la portée de ce dernier. Il tenta de se remettre debout mais le pied de la mercenaire sous son menton le ramena à terre. Il n'abandonna pas pour autant. Il chercha sa rapière de la main que Leïmy écrasa sous son talon, lui faisant pousser un grognement de douleur.
La mercenaire lui bloqua les bras au-dessus de sa tête et l'immobilisa sous son poids en s'asseyant sur son torse. Elle lui releva le visage et l'examina en demandant :

- Alors, qu'avons-nous là ?

Avant qu'elle ne puisse prononcer davantage, une puissante force la repoussa contre le mur opposé. Elle entendit ses os craquer et elle s'écrasa contre le sol.
Dévlin se tourna vers l'origine de ce retournement de situation et rugit :

- Molwen !
- C'est à moi qu'elle obéit à présent.

Sourit l'homme blond en se relevant et en massant sa main pulsant de douleur.
Dévlin fonça sur lui et le percuta d'un violent coup d'épaule, le déséquilibrant, puis le nécromancien s'empara de la rapière. Il effectua quelques mouvements de base pour bien l'avoir  en main puis il fit face à son adversaire qui chuta durement à terre après que Leïmy ait fauché ses jambes de la sienne.
Negg les rejoignit à cet instant. Il demeura interdit durant quelques très courtes secondes puis il se reprit, devinant sans peine qui il devait affronter.
Son poing cueillit l'homme blond à la pommette alors qu'il se relevait encore. Il était obstiné et persévérant mais les deux mercenaires n'auraient pas de problèmes à le neutraliser.
Le gros problème restait Molwen et sa télékinésie qui les empêchait de s'approcher de son nouveau maître.
Negg chercha le regard de Leïmy. Ils se concertèrent en silence comme ils savaient le faire puis le rouquin dégaina un petit poignard léger. Il prit à peine le temps de viser puis lança son arme sur le blond. La lame traça une ligne sanguinolente dans son cou avant d'aller se ficher dans le mur derrière lui. Le mercenaire n'avait pas manqué sa cible, il l'avait parfaitement atteinte. Il souhaitait seulement détourner l'attention de leur adversaire.
Ce qui fonctionna à merveille puisqu'il riva un regard luisant de fureur sur Negg. Le rouquin comprit que c'était personnel.
Pendant que le blond se ruait sur Negg, Leïmy lui bondit sur le dos, enserrant sa gorge de ses bras mais son but n'était pas de l'étrangler. Elle arracha le talisman qui pendait sur sa poitrine puis elle lâcha l'homme et enferma Molwen dans le bijoux. L'esprit poussa un petit cri en disparaissant.
Elle lança le talisman à Dévlin puis se tourna vers l'homme blond à qui elle adressa un sourire de défis. Elle se permit même de lui adresser un petit signe narquois de la main avant de prendre son élan pour poser ses deux paumes à plat sur le sol et elle envoya ses pieds l'un après l'autre au visage de leur adversaire qui, cette fois, s'assomma contre le marbre.
Negg récupéra son poignard et le rengaina alors que Dévlin ramassait la rapière de leur assaillant puis ils se postèrent tous les trois en ligne au-dessus de lui pour l'observer.

- J'ignorais que Sire Délèk avait des ennemis, avoua Negg. Arancha me faisait l'effet d'un lieu en paix.

Dévlin secoua négativement la tête en réponse à la remarque de Negg avant de préciser :

- Il est Welkonnien. Il m'a parlé de mon rôle de Conseiller.
- Tu veux dire que nous ne sommes pas les seuls cinglés à avoir tenté le voyage ? S'exclama Negg. Pourquoi cet homme aurait-il pris un risque pareil ?

Leïmy ne prononça pas un mot. Elle s'accroupit à côté de l'inconscient et écarta quelques longues mèches blondes de son visage. Elle avait l'impression de le connaître mais où l'aurait-elle rencontré ? Elle connaissait la réponse mais elle ne lui plaisait pas alors elle se tut. Negg lui adressa un regard interrogateur auquel elle ne répondit pas.
Elle se releva au moment où Sire Délèk arrivait en courant.
Le souverain reprit son souffle puis demanda, haletant :

- Que s'est-il passé ?
- Voici un de nos compatriotes qui a tenté de nous tuer.

Répondit posément Leïmy en s'adossant contre le mur, les bras croisé sur la poitrine.
Sire Délèk jeta un regard à l'homme inconscient dont il se détourna très vite car il venait juste d'intégrer que c'était Leïmy qui lui avait répondu.
Son visage basané s'éclaira et il prit la main de la jeune fille qui leva les yeux au ciel, excédée.

- Vous êtes là ! Je savais que messire Dévlin s'inquiétait inutilement !

Leïmy retira sa main de celle de Sire Délèk puis elle s'avança à nouveau jusqu'à l'homme inconscient à qui elle donna un petit coup de pied au niveau de la botte en sifflant :

- Peut-être que nous pourrions nous occuper de lui.
- En effet. Je vais aller prier le Capitaine Sulfurd de le descendre en cellule et je pense que nous devrions ensuite avoir une petite conversation. Le petit déjeuner n'a pas été débarrassé et comme je suppose qu'au moins deux d'entre vous n'ont pas mangé, je vous propose de nous retrouver dans la salle à manger. Messire Dévlin dois se souvenir du trajet.

Dévlin eut un sourire un peu crispé. Sire Délèk reprit la main de Leïmy pour y déposer un baiser. La jeune fille se mordit l'intérieur des joues pour éviter de cracher au visage du souverain ou de le mordre, lui.
Quelques minutes plus tard, deux gardes arrivèrent. Ils saisirent chacun l'homme blond par un bras et le traînèrent dans le couloir.
Si les prisons étaient au sous-sol comme dans le palais du Conseil, Negg leur souhaitait bien du courage.

- Je crois que nous n'avons plus qu'à gagner la salle à manger, soupira le rouquin. Ça tombe bien, j'ai faim.

Dévlin prit le chemin de la salle à manger, suivi de Negg, qui réfléchissait à qui pouvait bien être cet homme et ce qui avait pu le pousser à traverser les deux lieux les plus dangereux de Welkonn pour les retrouver, et de Leïmy qui semblait encore plus fermée qu'à son habitude.
Rilin était encore assis à table donc, soit il s'était resservi une tasse de thé, soit il buvait très, très lentement.
Un air de surprise passa sur son visage triste lorsqu'il vit Leïmy et Negg entrer. Le magicien avala sa gorgée puis manifesta son étonnement en s'adressant à Leïmy :

- Vous revoilà ? Je croyais que vous n'étiez pas femme à changer d'avis.
- J'y ai été obligée.

Grogna Leïmy en s'asseyant.
Elle promena son regard sur les denrées étalées devant elle. La première impression qu'elle eut fut qu'il y en avait trop. Trop de pâtisseries, de viennoiserie de trop de sortes différentes. Elle ignorait si ce n'était qu'en leur honneur ou si c'était tout les jours comme cela et si c'était le cas, la question récurrente qu'elle se posait était : le reste de la ville était-il à l'image luxueuse que renvoyait le palais ?
Negg se servit une portion d'œufs brouillés et une tranche d'un gâteau dont il ne connaissait ni le nom ni la composition mais qu'il trouvait appétissant.
Soulagé du retour des deux mercenaires, Dévlin avait retrouvé un peu d'appétit et il se prit de la brioche lui rappelant celle que faisait souvent Myrthe à Welkonn.
Leïmy ne se servit rien. Elle avait l'estomac noué par la rencontre ou plutôt la présence de l'homme blond. Elle n'avait vraiment pas besoin d'une affaire de rancune la suivant de l'autre côté de la Mer Désertique en plus de cette histoire de dieux. Le soleil n'était levé que depuis quatre heures et la journée était déjà trop longue et lassante.
Avec un sourire fatigué, la jeune fille posa les pieds négligemment sur la table entre un panier de fruits et autre de croissants en croisant les jambes. Dévlin lui jeta un regard réprobateur.
Leïmy écarta les bras en lui lançant :

- Quoi ?
- Je suis soulagé que vous soyez revenus mais ce que j'ai dit sur les bonnes impressions que nous devons donner est toujours d'actualité alors je te prierais de te tenir comme une personne ayant appris à se comporter en société.
- Ça ne me dérange pas, ne vous inquiétez pas.

Déclara Sire Délèk en entrant. Juste pour ne pas conserver la position que le souverain lui autorisait à garder, Leïmy s'installa correctement.
Sire Délèk s'assit au bout de la table, la place du maître. Il prit le temps de se servir une infusion d'épices et d'en boire une gorgée avant dedemander :

- Savez-vous qui est cet homme ?
- Non. En-dehors du fait qu'il est Welkonnien et qu'il nous a certainement suivis, nous ignorons tout de lui, répondit Dévlin, mais peut-être faisait-il partie de l'équipage.
- Non, le contredit Negg. Je me souviens des visages de chaque marins et le sien n'en fait pas partie.
- Nous l'interrogerons lorsqu'il reprendra connaissance (il prit une grande inspiration en se servant deux fines tranches de viande grillée puis il reprit :) Ah, étrange mâtinée ! J'espère que le reste de la journée sera plus calme. Dîtes-moi, Leïmy, pourquoi nous avoir quitté au milieu de la nuit ?
- Nous sommes partis en pleine nuit pour éviter de nous retrouver au milieu de cette affaire de divinité qui nous déplaisait.

Répondit Negg d'un ton cinglant en insistant fortement sur le "nous" et en fixant Sire Délèk d'un regard colérique. Le souverain répliqua d'un air supérieur agrémenté d'un sourire en coin condescendant puis il se concentra à nouveau sur Leïmy pour l'interroger :

- Pourquoi être revenue alors ?

Leïmy se leva brutalement, faisant crisser les pieds de son siège sur le sol, et elle donna un coup dans un plateau garni de petites pâtisseries à la crème qui tombèrent sur le marbre en le tachant.
Elle s'écria :

- Parce que vos dieux ont cru bon d'intervenir ! Impossible de s'éloigner de la ville de plus de trois kilomètres sans avoir l'impression que nos crânes explosent !
- Les dieux ne veulent donc pas que vous partiez, c'est logique.
- Logique, peut-être mais surtout exaspérant ! Ils nous laissent dans les malheurs mais quand ça les arrangent, ils régissent nos vies !

Sire Délèk écarquilla les yeux, en proie à l'effarement et à l'effroi. De toute évidence,la religion était aussi présente que sérieuse à Arancha mais avec des dieux en chair et en os vivant dans le désert alentour, c'était plutôt normal.
Rilin fit signe à Leïmy de ne pas continuer sur ce sujet et surtout pas de cette manière.
La mercenaire rétorqua :

- Je blasphème si il me plaît ! Il me semble que j'ai le droit d'être énervée ! C'est ma ma vie qu'ils sont en train de réduire en morceaux ! Ils veulent que je passe des épreuves !
- Des épreuves ? Répéta Dévlin.
- Pour déterminer si elle peut succéder à leur frère, devina Sire Délèk. Iléany en saura certainement plus.

Leïmy acquiesça. C'était exactement ce que lui avait expliqué Yolle.
Comme les paroles de Sire Délèk semblaient clore cette discussion, chacun retourna à son assiette mais sans grande conviction, exceptée Leïmy.
Elle regarda la tablée occupée à se sustenter et son regard se posa plus particulièrement sur Negg qui, se sentant observé, releva les yeux de ses œufs. En silence, il lui demanda ce qu'elle avait, en plus de cette histoire car, malgré son impassibilité, il voyait parfaitement qu'elle était étrange. La jeune fille haussa les épaules et annonça :

- Je n'ai pas faim. »

Leïmy sortit sous les regards inquiet de Negg, celui déçu de Sire Délèk et ceux préoccupés de Dévlin et Rilin. Tous pensèrent qu'elle regagnait ses appartements pour se reposer un peu et réfléchir posément à toute cette affaire mais ils se trompaient.
La jeune fille s'éloigna rapidement de la salle à manger pour éviter de se faire rattraper par l'un de ceux qu'elle laissait puis elle marcha au hasard en espérant tomber sur un domestique mais c'était à croire que le palais était vide d'être vivants. Où étaient tous les serviteurs qui s'agitaient dans la mâtinée ? Leïmy s'agaçait de ce vide qui, en temps normal, lui aurait plut mais qui, présentement, lui posait problème.
Tout en ruminant son agacement et son impatience, elle arriva devant une pièce dont la porte était vitrée de moitié. Elle glissa un œil à travers la fenêtre et se dit avec satisfaction qu'elle n'aurait finalement pas besoin de retourner tout le palais.
À l'intérieur de ce que devait de toute évidence être un poste de gardes, les deux hommes qui avaient emmené le mystérieux Welkonnien se démenaient pour maîtriser ce dernier qui se débattait avec une énergie farouche surprenante compte tenu de la fatigue qu'affichait son visage.
Se doutant que les gardes ne s'en sortiraient pas sans aide, elle décida de la leur fournir mais pas par altruisme. Elle restait Leïmy.
D'un violent coup de pied, elle ouvrit la porte, l'envoyant claquer contre le mur. Sans laisser les gardes se remettre de leur surprise, au lieu de rester interdits, ces deux idiots auraient dû profiter de celle du Welkonnien pour le maîtriser, la mercenaire saisit le blond par son col cartonné par la sueur et le plaqua contre le bureau meublant la pièce, l'assommant à moitié.
Les gardes se reprirent à cet instant. Ils attachèrent le prisonnier que Leïmy lâcha pour croiser les bras sur sa poitrine en leur lançant :

« Je suis impressionnée par l'efficacité de la Garde d'Arancha. Ça choque lorsqu'on n'est pas habitué.
- Ce n'est pas de notre faute si il est plus vaillant que ce dont il donne l'impression.

Répliqua le plus grand des gardes.
Vargram, le visage toujours écrasé contre le meuble, se tourna vers la voix féminine qui s'était élevée avec moquerie. Il se doutait très bien de qui il s'agissait mais il désirait l'observer en détails, ce qu'il n'avait pas pu faire durant l'affrontement puisqu'il avait été plus sonné qu'autre chose.
Comme tout le reste des habitants de Welkonn, il avait entendu des descriptions sur la plus célèbre et redoutée mercenaire après qu'elle ait participé à la survie du continent, mettant ainsi un terme au mysticisme l'entourant; mais le jeune noble n'aurait jamais imaginé qu'elle était aussi belle.
Elle était plus grande que la moyenne et son corps finement musclé était moulé dans un ensemble de velours noir et une longue mitaine de cuir recouvrait l'intégralité de son bras gauche. Sa peau laiteuse était marquée par des taches de rousseur ainsi que par quelques coups de soleil. Ses yeux en amande étaient comme deux billes d'acier placées dans son visage ovale aux lèvres charnues et aux traits fins, le tout encadrés par une longue chevelure de nuit.
Vargram ne resta pas subjugué bien longtemps. Il s'arracha à ce qui s'était mué en une véritable contemplation pour cracher aux gardes bien que ses paroles s'adressaient à Leïmy :

- Alors c'est comme ça que ça fonctionne ici ? On enferme les personnes honnêtes et on permet aux criminels de se déplacer en toute liberté ! À Welkonn, au moins, les meurtriers sont châtiés ! Moi, je n'ai pas de sang sur les mains ni de dizaines de morts sur la conscience ! Demandez-vous qui mérite vraiment la prison ! »

Leïmy n'en écouta pas davantage. Elle sortit de la pièce, laissant les gardes se débrouiller seuls. Elle était venue pour interroger cet homme mais elle n'était plus d'humeur à le faire.
Elle revint sur ses pas et retrouva le chemin de ses appartements. Elle avait besoin de calme après cette petite altercation.
Avant même qu'elle n'ouvre la porte, la mercenaire sentit que quelque chose n'allait pas. Une main sur pommeau de sa plus longue dague, elle entra.
Comme elle l'avait pressenti, il y avait quelqu'un dans sa chambre. Un homme aux courts cheveux blonds de dos était assis sur le lit. Lui, n'avait pas entendu la jeune fille entrer et il resta immobile.
Pour signaler sa présence, Leïmy envoya un couteau se ficher dans la colonne du baldaquin la plus proche de la tête de l'homme qui sursauta et la mercenaire demanda :

« Qui êtes-vous ?

L'homme se retourna et Leïmy reconnut le dieu au charme frôlant l'indécence.
La jeune fille ne sut si elle était rassurée ou l'inverse de le découvrir elle ne lâcha donc pas son arme.
Le dieu se leva et vint vers Leïmy. Cette dernière le stoppa en l'interrogeant :

- Que faîtes-vous ici ? Répondez !

Le dieu cessa d'avancer et s'adossa négligemment contre le lit dans une posture le rendant encore plus séduisant puis il répondit :

- J'avais besoin de vous parler.
- Je préfère lorsqu'on s'annonce.

Rétorqua Leïmy dans un grognement sans lâcher sa dague. Le dieu eut un sourire tendre comme aurait un grand frère avec sa jeune sœur. Cela donna un sentiment d'infériorité à Leïmy qu'elle détesta.
Le dieu alla se poster face à la fenêtre, une main sur la vitre et prit la parole :

- Pour commencer, je me nomme Jibatt.
- Si vous me dîtes que vous êtes le dieu de l'amour, je ne garantie pas de garder mon calme actuel !

Le dieu rit avec amusement avec toujours autant de tendresse dans le regard. Il se permit même de tenter une petite caresse affective sur la joue pâle de Leïmy qui l'esquiva.
Elle répéta en détachant soigneusement les syllabes, la voix vibrante de colère :

- Que faîtes-vous ici ?

Jibatt perdit son air attendri et son visage s'assombrit. Il retourna s'installer près de la fenêtre.
D'une voix grave, il déclara :

- Je vous comprends. Je comprends ce que vous pouvez ressentir. Ce rôle, ces responsabilités dont vous héritez alors que vous ne demandiez rien. En un sens, ce n'est pas juste et je comprends ça. Il fallait bien que quelqu'un vienne vous le dire.
- Et vous vous êtes généreusement dévoué.
- Les autres ne savent pas que je suis ici. Ils n'approuveraient certainement pas ma démarche. Nous avons perdu un frère et nous avons besoin d'une sœur. Vous devez passer les épreuves sauf si vous retrouvez Makarus et que vous lui rendez sa magie.
- C'est possible ?
- Je l'ignore. Malgré mes efforts, mes visions ne me l'ont pas révélé.
- Je le trouverai !

Décréta Leïmy en frappant le buffet à côté d'elle pour donner encore plus de force à sa déclaration. Une nouvelle énergie l'envahit. Elle se sentait prête à retourner Arancha entière si besoin. Ce n'était pas ces quelques dieux aux airs supérieurs qui lui dicteraient sa conduite.
Jibatt sourit en la voyant ainsi combative mais, encore, il redevint grave sans passer par une transition.
Il ajouta, en espérant freiner les ardeurs de Leïmy :

- Mais peut-être n'est-ce pas la meilleure chose à faire.
- Pardon ? Siffla Leïmy.
- L'homme qui est actuellement en cellule, il a raison. Lui n'est pas un assassin, contrairement à vous. Cette tâche qui vous incombe à présent, c'est la chance de laisser ça derrière vous et d'oublier.

Leïmy pinça les lèvres, cette dernière phrase l'ayant quelque peu faite douter de la détermination dont elle venait juste de faire preuve.
L'oublie... il était vrai qu'elle l'avait cherché et avec acharnement ou même avec désespoir lorsqu'elle s'était effacé la mémoire ou lors de ses très nombreuses tentatives de suicide. Le pardon lui étant impossible et inaccessible, il ne lui restait que cela du moins, c'était comme cela il y avait un an. Aujourd'hui, elle avait l'occasion de se construire autre chose que la culpabilité et la colère, grâce et avec Negg. Pas question qu'elle abandonne à nouveau. La première fois qu'elle avait essayé avait été une horrible catastrophe pour tout le monde.
D'un geste de la main, elle balaya la suggestion de Jibatt qui, saisissant parfaitement la signification de ce mouvement, en parut peiné. Il ne chercha pourtant pas à argumenter davantage, s'évitant les foudres de Leïmy.
Le dieu prit place sur l'un des deux divans crème avec toujours autant de charme et de séduction dans chacun de ses mouvements.
Leïmy, ne se laissant pas subjuguer, se pencha vers lui en s'appuyant sur le dossier du divan. Elle demanda d'une voix déterminée :

- Comment trouver Makarus ?
- En trouvant une autre personne. Seule Iphamme peut détenir les informations dont vous avez besoin cependant, il ne vous sera pas aisé de lui mettre la main dessus. Cela fait bien longtemps qu'elle a disparu et que nous n'avons plus de nouvelles d'elle.

Leïmy ignora les questionnements qu'elle avait au sujet de la mystérieuse jeune femme et qui se bousculaient dans sa tête. Pour l'instant, l'important était d'échapper à ce rôle qui n'était pas fait pour elle.
Cette réflexion à l'esprit, elle chercha à se souvenir avec le plus de précisions possibles sa rencontre au mont Kieff avec la femme aux yeux améthystes.

- A quoi pensez-vous ?

Demanda Jibatt avec un air désintéressé qui était le parfait inverse de ce qu'il ressentait en cet instant. Il releva son regard vers Leïmy en attendant sa réponse.
La jeune fille cessa de réfléchir puis elle décréta :

- Iphamme est à Welkonn. Je l'ai croisée l'année passée.
- Cela ne me surprend pas. Cela réduit déjà le champ des recherches mais sachez que le plus ardu ne sera pas de la retrouver mais de la convaincre de vous aider. Sa raison est défaillante et j'ignore donc si vous pourrez en tirer grand chose.

Leïmy leva un sourcil, dubitative. L'étrange femme qu'elle avait brièvement rencontrée ne lui avait pas fait l'effet d'une folle ou d'une déséquilibrée. Certes, ses propos avaient été plutôt obscures et sibyllins mais ils avaient tout de même un lien logique et sensé.
Leïmy haussa les épaules.

- Cela ne me stoppera pas.
- Le contraire m'aurait surpris mais vous allez devoir déléguer cette tâche à quelqu'un d'autre. N'oubliez pas que vous ne pouvez pas vous éloigner d'Arancha.

Leïmy serra les poings avec la très forte envie de les abattre sur Jibatt pour le punir pour lui avoir rappelé ce problème mais elle se retint au dernier moment, se disant que frapper un dieu n'était pas forcément la chose la plus intelligente à faire, surtout dans sa situation.
Elle relativisa, ce qui lui arrivait rarement, et se fit remarquer que savoir qu'avoir un échappatoire était déjà une grande avancée. Pour les recherches, elle trouverait bien un moyen comme elle en trouvait toujours et elle avait déjà une idée.
Jibatt se leva et se dirigea vers la porte donnant sur le couloir tout en lissant les plis de ses vêtements pourpres.
Juste avant de la franchir, il se tourna une dernière fois vers Leïmy et lui conseilla :

- Vous devriez tout de même réfléchir à ce que je vous ai dit. Nous rejoindre vous permettrait de laisser la meurtrière sans cœur que vous êtes derrière vous. »

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