Chapitre 31
Dabielle stoppa devant la porte, hésitant à la pousser.
La belle résolution déterminée dont elle avait fait preuve devant Oriol s'était envolé. À présent, elle n'était plus aussi certaine de vouloir confondre les conspirateurs. Peut-être aurait-elle dû laisser la Garde s'en charger finalement.
La jeune fille secoua négativement la tête. Non, elle ne pouvait pas abandonner. Elle représentait l'une des meilleures chances de stopper ce complot et elle était la seule à pouvoir le faire alors pas question de reculer.
Ptarion ne lui ferait rien et si elle se rendait auprès des conspirateurs avec sa protection, elle ne risquerait absolument rien. Il y avait également le fait qu'elle tenait à faire ça pour prouver qu'elle était capable de faire quelque chose de bien.
Elle inspira profondément pour se donner du courage puis elle entra dans la pièce en tentant de rendre son inquiétude aussi visible que possible : elle se tordait les mains et se mordillait la lèvre inférieure, tritura une mèche de cheveux et cligna frénétiquement des paupières.
Ptarion releva les yeux vers elle. Son expression neutre ne changea pas. Il se replongea dans la lecture de son grimoire en commentant :
« Cela fait deux jours. Je ne pensais pas te revoir.
- J'ai...j'ai eu besoin de réfléchir. D'après ce que tu m'as expliqué, il y a de l'argent et du pouvoir à la clé avec ton association.
- En effet mais je n'en fais pas officiellement partie alors la récompense ne sera pas exactement la même pour moi, ni pour toi si tu acceptes de me suivre.
- Alors pourquoi prends-tu tous ces risques ?
- As-tu vu les Conseillers ? As-tu vu tout ce qu'ils ont fait l'année dernière ? Toutes les décisions qu'ils ont prises ont empiré les choses. Le monde ne peut pas bien se porter avec des dirigeants pareils. Je veux que Welkonn puisse fonctionner au mieux avec des dirigeants compétents donc, je fais en sorte de changer les choses.
Dabielle écarquilla les yeux, ne s'attendant pas à cette explication.
Elle retint un sourire. Elle venait déjà d'obtenir une avancée et un élément d'importance à fournir à la Garde. Comme elle était du genre superstitieuse, elle se dit que c'était un bon présage et elle n'en fut que plus à l'aise dans son mensonge.
Elle prit une grande inspiration, feignant l'hésitation puis elle déclara :
- Je veux en être.
- Je ne croyais pas que tu accepterais. Tu as filé en courant comme une enfant effrayée.
- Je t'ai dit que je voulais réfléchir. Alors, tu me montres comment fonctionne le sort ?
- Nous allons commencer par quelque chose de plus simple (il sortit de sa poche l'un des talismans qu'il utilisait pour voler la magie d'autrui). J'ai découvert que je pouvais les créer sans aller totalement au bout du processus. Comme ça, ils ne tuent personne et peuvent être utilisés à tout moment contre n'importe qui, en cas d'urgence.
Dabielle écouta avec énormément d'attention pour être en mesure de répéter ces précieuses informations aux autorités compétentes. Même si elle n'avait aucune compétence en magie, elle comprenait parfaitement ce que Ptarion lui expliquait.
Elle prit le talisman carré entre ses doigts et résuma à sa manière :
- Donc, si je le brandissais dans ta direction en l'activant, il aspirerait ta magie en te supprimant ?
- Exactement.
Confirma Ptarion en reprenant le talisman des mains de Dabielle.
Il le rangea avec les deux autres qu'il conservait toujours dans ses poches puis il précisa à la voleuse :
- J'en ai donné un à chaque membre du complot au cas où et par l'intermédiaire de Gammon, puisqu'il est le seul à être au courant de mon implication. Arick a utilisé le sien pour supprimer un gêneur. Je t'avoue que cela m'intrigue car cet homme ne possédait pas le moindre pouvoir. Je n'ai pas encore trouvé d'explication à ce mystère.
- Je ne crois pas que je pourrai t'aider.
- Non, en effet. Je pense qu'il est inutile d'attendre davantage puisque tu marches avec nous. Es-tu prête à entrer officiellement dans la conspiration ?
Dabielle ne répondit pas immédiatement, surprise que Ptarion ne joue par sur les mots et nomme le complot comme tel, sans chercher à dédramatiser ou à atténuer la gravité des choses. Cet adolescent était vraiment étrange et singulier.
Dabielle se força à écarter ces pensées pour se concentrer entièrement sur la tache qu'elle s'était assigné et qu'elle comptait bien remplir. Son cœur cognant violemment contre sa poitrine puisqu'elle appréhendait, elle acquiesça et déclara :
- Très bien. Allons-y.
Ptarion glissa son grimoire dans son sac en bandoulière en compagnie des talismans puis, sans un mot, il quitta la pièce et Dabielle lui emboîta le pas.
Elle aurait souhaité l'assommer de questions mais elle craignait de paraître suspecte alors elle se tut et le suivit en silence.
La nuit approchait à grands pas mais la chaleur ne diminuait pas. Ptarion s'éloigna du palais du Conseil, la même expression impassible sur le visage.
Les rues se succédèrent les unes aux autres jusqu'à ce que la sortie de la capitale ne soit qu'à quelques mètres.
Toujours silencieux, Ptarion s'engagea sur le chemin de terre qui serpentait en direction de la forêt d'Yolle. Le jeune apprenti magicien s'arrêta.
Plongée dans ses pensées, Dabielle ne le remarqua pas et le heurta.
- Que se passe t-il ?
Demanda la jeune fille en se massant le nez. Ptarion se retourna vers elle, les sourcils froncés, fortement surpris par l'absence de réaction de Dabielle.
D'habitude, les gens se figeaient de peur, tremblaient de tous leurs membres et suaient à grosses gouttes rien qu'à la vue de la forêt maudite pourtant, Dabielle demeurait stoïque et détendue alors qu'ils s'en approchaient.
Ptarion l'interrogea :
- N'es-tu pas effrayée ?
- Par quoi ? Par les fantômes ? La magie nous protège, non ?
- Mmm.
Marmonna simplement Ptarion avant de rependre sa marche.
Lui qui s'y rendait pourtant régulièrement, était toujours saisi d'une angoisse incontrôlable au moment de pénétrer sous les arbres centenaires alors que Dabielle, qui ne devait jamais s'y être aventuré d'après ses dires, ne semblait absolument pas perturbée, donc, soit elle était encore plus idiote que ce dont elle donnait l'impression, soit elle avait caché une importante partie de la vérité.
Il le découvrirait bien à un moment ou à un autre. Pour l'instant, ce qui importait était qu'il puisse l'utiliser comme il le désirait.
L'obscurité épaisse régnant dans la forêt se referma sur eux comme les mâchoires affamées d'un monstre.
Dabielle ne cilla pas. Elle avait coutume d'évoluer entre ces arbres centenaires puisque sa guilde y avait ses campements, contrairement à Ptarion qui sentit un frisson glacé remonter le long de son échine, comme à chaque fois.
Le jeune magicien connaissait le chemin par cœur à présent et il enjambait chacune des racines qui dépassaient du sol.
Avec son agilité naturelle, Dabielle n'eut aucun mal à les éviter aussi. Cela ne la rendait que davantage suspecte aux yeux de Ptarion mais il ne dit rien, gardant ses doutes pour lui.
Ils ne tardèrent pas à arriver dans une petite clairière éclairée par un feu de camp qui ne dégageait presque aucune fumée ce qui indiquait qu'on avait soigneusement choisi le bois.
Dabielle se mit immédiatement sur ses gardes. Ce qu'elle avait sous les yeux était une technique de mercenaire donc, elle ne pouvait venir rencontrer qu'une seule personne.
- C'est elle que tu veux engager en renfort.
Constata Gammon en sortant de l'ombre. Le chef des mercenaires examina Dabielle qui déglutit, connaissant parfaitement la réputation sanglante de l'homme qu'elle avait en face d'elle.
Gammon se pencha légèrement vers elle et l'observa en s'adressant à Ptarion :
- Elle a l'air un peu candide, trop. À la limite de la stupidité.
Ptarion haussa les épaules. C'était bien ce qui faisait d'elle une candidate idéale.
Gammon se tapota le menton du bout des doigts en se déplaçant autour du feu, il semblait réfléchir.
Sans cesser de marcher, il reprit tout en jouant avec un talisman pendant sur sa poitrine, un de ceux que fabriquait Ptarion :
- Elle paraît l'être mais elle est tout sauf ça. La preuve, elle est parvenue à te berner sans grande difficulté mais dommage pour elle, je me suis renseigné sur les personnes qui font partie des guildes avec lesquelles je traite. Tu ne t'attendais pas à cela, n'est-ce pas, Dabielle ?
Le cœur de la voleuse rata un battement.
Elle s'était faite découverte ! Elle avait pourtant fait aussi attention que possible mais elle n'avait pas pu prévoir que Gammon serait aussi intuitif.
Tenter de l'affronter aurait été du pur suicide alors il ne lui restait qu'une solution.
Elle voulut faire volte-face et s'enfuir entre les arbres mais Gammon sembla deviner ses mouvements avant même qu'elle ne les effectue.
Avec une rapidité dont elle ne l'aurait pas soupçonné, il la saisit par un bras et la tira contre lui. Il l'immobilisa en la serrant, lui coupant à moitié la respiration.
Avec un sourire cruel, il lui susurra :
- C'est vrai que la guilde des voleurs est la plus grande et connaître tous ses membres est un défis, surtout avec tous les petits réseaux qui existent autour, mais j'ai réussi. Dommage pour toi.
Dabielle tenta de se débattre mais la prise de Gammon l'immobilisait totalement.
Le chef des mercenaires la jeta au sol, la sonnant. Elle s'affaissa mais elle ne sombra pas dans l'inconscience. Elle voyait et comprenait tout ce qu'il se passait.
Ptarion resta sagement en arrière, son regard sombre passant de Gammon à Dabielle. Il hésitait à intervenir et surtout en la faveur de qui.
La voleuse commença à retrouver ses esprits. Elle se redressa pesamment mais, avant qu'elle ne se relève, Gammon arracha le talisman de son cou et le brandit en direction de la jeune fille.
Cette dernière eut l'impression qu'on lui déchirait les entrailles de l'intérieur. La douleur était indescriptible. Elle tomba sur le dos en haletant. Elle plaignait les victimes de la série de meurtres qui avaient connu pareil supplice avant de rendre leur dernier souffle. Non seulement c'était affreusement douloureux mais c'était aussi terriblement long.
Ptarion faillit s'interposer mais il se ravisa au dernier moment. Il avait déjà sacrifié plusieurs personnes pour son plan alors une de plus ou une de moins, ça ne changeait strictement rien.
Il était simplement ennuyé car, désormais, il ne pourrait plus se servir de Dabielle comme il l'avait imaginé.
La jeune fille se tordait au sol en gémissant, déjà trop affaiblie pour hurler. Il n'y en avait plus pour très longtemps.
Juste avant de l'achever, Gammon abaissa le bras, stoppant la magie du talisman.
Aimant autant s'écouter parler que jouer avec ses victimes, il reprit son monologue laissé en suspend quelques minutes plus tôt :
- Je trouve cette mort un peu trop simple et vraiment pas amusante mais, d'un autre côté, il serait dommage de ne pas profiter d'un apporte de magie à notre réserve (il s'agenouilla à côté de Dabielle qui lui lança un regard méprisant). Alors je pense que je vais m'amuser puis terminer avec cette babiole.
Ptarion grinça des dents mais se tut car il craignait pour sa vie mais aussi car il savait que c'était inutile.
Comment résonner un fou assoiffé de sang et de souffrance ?
D'un vif mouvement, Gammon enfonça un poignard dans le bras de Dabielle, le traversant de part en part. Bien trop affaiblie par le maléfice du talisman, elle ne put même pas crier et seul un gémissement franchit ses lèvres mais des larmes coulèrent de ses yeux en s'accrochant à ses cils.
Gammon grogna, mécontent. Il aimait lorsque ses victimes hurlaient et l'imploraient. Ne se décourageant pas pour si peu, il dégaina une nouvelle lame et l'utilisa pour faire plusieurs entailles sur le corps de Dabielle. Si elle ne hurla toujours pas sa douleur, les larmes cascadèrent en abondance.
Comme elle demeurait silencieuse, Gammon se lassa rapidement. Il se releva et reprit le talisman en déclarant :
- Finalement, tu n'es guère distrayante. La prochaine fois, tu y réfléchiras plus longuement avant de t'en prendre à plus puissant que toi. Enfin, il n'y aura pas de prochaine fois.
Gammon posa le talisman contre le front de Dabielle.
Le bijoux maléfique ne mit que quelques secondes à absorber le reste de magie et de vie que possédait encore la jeune fille.
Le chef des mercenaires lança le talisman à Ptarion pour qu'il le range avec les autres. Le jeune magicien était absorbé par la vue du corps de Dabielle. Il n'avait jamais vu les cadavres qu'il avait laissé derrière et, pour la première fois, il avait son œuvre sous les yeux.
Le visage portait une telle expression de souffrance que c'en était presque insoutenable.
La culpabilité commença à lui serrer le ventre et il eut la nausée. Il crispa inconsciemment les doigts autour du talisman. Ce toucher lui rappela qu'il avait ses raisons et que sa cause valait bien quelques, voir même de nombreux, sacrifices.
Il glissa le collier dans son sac et déglutit pour tenter de desserrer le nœud s'étant formé dans sa gorge.
Gammon, qui fixait également la dépouille de Dabielle mais avec satisfaction et cruauté, expliqua :
- Je vais ordonner à l'un de mes hommes de la déposer en ville. Je veux qu'on la trouve pour qu'on comprenne que s'en prendre à nous est du pur suicide. D'ailleurs, je trouve que ce capitaine de la Garde fouine d'un peu trop près dans nos affaires mais je pense que s'en prendre directement à lui est trop risqué pour notre petite association. Il faudrait plutôt lui envoyer un message d'intimidation qui lui fera comprendre ce qu'il encourt si jamais il persévère dans sa décision de nous poursuivre.
Ptarion demeura silencieux, sachant parfaitement que Gammon ne lui demandait pas son avis et n'attendait pas de réponse de sa part. Il voulait seulement exposer son intelligence en parlant de son plan qu'il jugeait certainement brillant.
Le chef des mercenaires ne put continuer car une voix furieuse s'éleva d'entre les arbres :
- Gammon !
L'interpellé se retourna vers Lidian avec un sourire en coin condescendant.
Le noble semblait totalement hors de lui. Il portait une épée au côté.
- Au moins, les problèmes ont la décence de se présenter les uns après les autres.
Railla Gammon.
Ptarion pinça les lèvres et il recula, s'enfonçant davantage dans l'obscurité. Il préférait ne pas se mêler de cela. Il n'avait pas eu de difficulté à deviner que Lidian venait demander des comptes pour la mort de sa tante.
En effet, il saisit Gammon par le col de son vêtement de cuir. Plein de rage, il le secoua d'avant en arrière en hurlant :
- Ma tante est morte par ta faute !
- Dis-moi quelque chose que j'ignore et lâche-moi !
Alors qu'il avait commencé sa phrase avec un calme incroyable pour quelqu'un se faisant agiter comme un arbre dont on chercherait à faire tomber les fruits, Gammon la termina dans un rugissement.
Il écarta les bras de Lidian, se libérant de sa poigne. D'un coup de pied, il le fit chuter. Sans attendre qu'il reprenne ses esprits, il le saisit par le devant de sa belle chemise et le remit violemment sur ses pieds puis il le plaqua durement contre un tronc. L'écorce rugueuse blessa Lidian à travers ses vêtements.
Il porta la main à son épée pour se défendre mais le mercenaire fut plus rapide. Il le frappa, rejetant brusquement sa tête sur le côté et il s'empara de l'épée, la dégainant à sa place.
Il la garda à la main et déclara sur un ton donnant l'impression que chaque mot était une menace :
- Tu veux des explications ? Alors les voilà. Oui, ta chère tante est morte à cause de moi, indirectement mais j'ai effectivement donné l'ordre de son assassinat. Tu veux savoir pourquoi ? Pour lui voler sa magie. Pourquoi cela ? Car la magie c'est le pouvoir et le pouvoir, la puissance. Je veux être puissant et personne ne m'empêchera d'atteindre mon but. Tu croyais vraiment que j'allais partager le pouvoir avec vous ? Vous n'êtes qu'une bande d'idiots ! Sans moi, vous n'aurez même pas eu l'idée de nous associer pour renverser le Conseil et vous vous serez déjà fait prendre. Que des incapables qui se pensent intelligents mais je dois être le seul à l'être ! (il se tourna vers Ptarion toujours dissimulé dans l'obscurité). Je te présente celui qui a pris la vie et la magie de ta tante.
Lidian dévisagea Ptarion de haut en bas. Il lui semblait tellement jeune. Tellement jeune et la conscience déjà entachée de la mort.
Son visage éclairé par les lueurs orangées du feu était impassible. Ses mains croisées dans le dos, il regardait la scène se déroulant sous ses yeux sans ciller ni rien dire.
Stupéfait, Lidian souffla :
- Ce n'est qu'un enfant.
- Un enfant fort proche de l'âge adulte.
Lidian s'agita, se débattant. Il parvint à déséquilibrer Gammon d'un coup d'épaule et il remonta son genoux avec l'intention de l'enfoncer dans l'estomac du mercenaire mais, encore une fois, ce dernier fut plus vif.
Il bloqua le genoux du noble et, en pressant sur trois points bien précis, il lui brisa la rotule. Lidian s'écroula en hurlant de douleur, les doigts crispés sur son genoux blessé.
Un frisson parcourut Ptarion. Il s'agissait de l'envie d'intervenir mais il demeura immobile, pas suffisamment fou pour défier Gammon. Il n'était pas encore prêt pour cela.
Gammon pointa la lame de l'épée de Lidian contre sa gorge, un sourire malsain sur ses lèvres fines.
Le mercenaire fanfaronna :
- Tuer un homme avec sa propre épée est un plaisir immense mais j'hésite encore.
Il lâcha Lidian, sachant très bien qu'il ne pouvait s'échapper avec son genoux brisé. Il pourrait toujours ramper mais, dans ce cas, Gammon le rattraperait sans peine.
Le mercenaire s'écarta, dégageant le champs de vision de Lidian qui n'avait rien pu voir d'autre que lui mais, l'espace était à présent libre, il découvrit le corps de Dabielle étendu parmi les feuilles mortes.
Gammon s'agenouilla à la hauteur de Lidian qui gémissait toujours en serrant son genoux contre sa poitrine puis il lui montra le cadavre de la jeune fille en présentant :
- Cette petite écervelée a cru qu'elle pouvait me berner et regarde ce qu'il lui est arrivé. Un sort identique t'attend, toi qui pensais que j'ignorais tout de ta petite alliance avec Ayolle. Je sais que tu prévoyais de nous éliminer tous avec le concours de cet imbécile pour t'imposer en tant que roi avant de te débarrasser de ce pauvre cafard. Pour ça, mon ami, tu vas te faire consumer par le pouvoir qui t'attire tant. Ptarion !
Le nom du magicien claqua comme un ordre.
L'apprenti se raidit, devinant parfaitement ce que le chef des mercenaires attendait de lui. La dernière phrase de Gammon lui avait également donné une indication. Il n'avait pas le choix et, comme il se l'était dit un peu plus tôt : un sacrifice de plus ou de moins, cela ne changeait plus rien de là où il était.
Il tendit la main et se concentra pour invoquer sa magie. Son talent lui permit de faire naître une flamme de belle taille en à peine cinq secondes dans le creux de sa paume et il la fit encore grossir en remuant doucement les doigts comme si il tissait un ouvrage. Il ajouta bientôt sa seconde main, encadrant la boule de feu des deux mains sans cesser de la faire croître.
Lidian grinça des dents, comprenant sans difficulté le sort que lui réservait Gammon et son magicien mais que pouvait-il faire pour l'éviter ?
Il avait besoin d'un rituel pour invoquer des esprits susceptibles de le protéger donc, impossible à réaliser sans sa position. Avec sa rotule en morceaux, inutile de penser à fuir. Il ne pourrait que se trainer comme un insecte et il refusait de s'abaisser à ce niveau.
Si il devait mourir cette nuit, il aurait le courage de regarder sa mort en face, les yeux dans les yeux car il n'était pas un lâche.
Le feu dans les mains de Ptarion grossissait toujours.
Il détacha discrètement sa main gauche pour la glisser dans son sac et saisir l'un des talismans qu'il transportait. Les doigts serrés autour du pendentif, il lança la boule de feu devenue énorme sur Lidian.
Ce dernier eut le réflexe de brandir ses bras devant lui en un vain mouvement de protection et un hurlement terrible résonna dans la forêt. La fureur des flammes dissimula tout, même la silhouette du pauvre noble. Le feu brûla durant plusieurs secondes encore puis il disparut, comme aspiré par le sol, ne laissant que des cendres derrière lui.
Un sourire cruel fendit le visage de Gammon, il se pencha et prit une poignée de cendres grises en déclarant :
- L'un de nos associés est malheureusement porté disparu. Beau travail Ptarion. Rentre chez toi. Je n'ai plus besoin de toi. »
Ptarion acquiesça puis, sans un mot, il quitta le cercle de lumière dessiné par le feu de camp.
Il marcha en silence sur le chemin qu'il connaissait à la perfection, le visage fermé et le bruit des talismans s'entrechoquant les uns contre les autres dans son sac en seul compagnon.
Les bijoux ne lui avaient jamais paru aussi lourds.
Toujours aussi impassible, il regagna la ville et il se dirigea vers ses quartiers pauvres, pas encore mal famés mais tout sauf agréables. Les familles y vivant ne mangeaient jamais à leur faim, les habitations étaient insalubres et délabrées, à la limite des ruines. Les petites rues avaient de nombreux pavés manquant et de mauvaises herbes poussaient entre les interstices sans parler des déchets les salissant. D'ailleurs, c'était également ce qu'étaient les personnes qui vivaient là : des déchet et il était donc normal qu'on les entasse avec les autres.
Ptarion enjamba une flaque d'eau croupie où flottaient tout un tas d'immondices avec une grimace dégoûtée. Il aurait pourtant dû avoir l'habitude mais il ne s'y faisait toujours pas.
Le jeune homme poussa la porte d'une des maisons. Le crépi se détachait des murs alors qu'une moisissure verdâtre le dévorait. Des planches vermoulues bouchaient les fenêtres auxquelles elles étaient fixées par des clous rouillés et les murs mal construits laissaient passer des courants d'air très désagréables.
Ptarion posa son sac sur une table branlante et tâtonna à la recherche de la seule chandelle de suif qu'il lui restait. Il l'alluma en claquant simplement des doigts.
Il prit la bougie, dépourvue de chandelier, et promena la maigre lueur dans la pièce au sol de terre battue qui se transformait en boue à cause des fuites dans le toit.
Dans un coin, Lidian était recroquevillé, ses mains serrées autour de son genoux.
Ptarion sourit. À présent, il savait qu'il pouvait combiner sa propre magie avec celle contenue dans les talismans. Il sortit celui qu'il avait utilisé, orné d'une pierre bleu pâle. Ptarion n'était pas du genre vantard mais il avait réussi le tour de force de faire croire à Gammon que Lidian était en train de brûler vif alors qu'il se servait de la magie du vent pour le transporter chez lui.
Lidian releva la tête pour examiner le lieu où il se trouvait et il demanda :
« Où suis-je ?
- Chez moi. J'ai décidé de te sauver la vie.
- Pourquoi cela ?
- Je ne veux pas Gammon gagne. Je suis d'accord avec le fait que Welkonn se porterait bien mieux avec un roi : vous.
- Sans les autres ça risque d'être difficile.
- Peut-être mais vous m'avez moi. Je suis doué pour jouer sur plusieurs plans à la fois. Gammon n'a pas découvert mes véritables intentions et il ne le fera pas.
- Alors d'accord.
Accepta Lidian avant de pousser un gémissement de souffrance. La douleur était telle qu'elle commençait à l'aveugler.
Ptarion s'agenouilla à sa hauteur. Il tira vers lui des baguettes de bois destinées au feu ainsi qu'une cordelette dont il ne se rappelait plus l'utilité. Sans lui donner d'explications ou lui indiquer ce qu'il faisait, il remonta le pantalon de Lidian, exposant son genoux qui avait une étrange forme affaissée. Il fabriqua rapidement une attelle, la seule chose qu'il pouvait faire.
- Merci.
Gémit Lidian bien qu'il ne soit guère soulagé par les soins de Ptarion.
Ce dernier resta surpris un instant. Il n'avait pas coutume qu'on le remercie. Il se reprit rapidement, affichant à nouveau une expression impassible.
Il répondit :
- Ne me remerciez pas. Je ne peux pas vous soigner. Je ne crois pas que quelqu'un le puisse d'ailleurs. Vous serez infirme tout le reste de votre vie, que vous n'avez plus, pour le moment. Vous allez devoir vous faire passer pour mort si vous voulez piéger Gammon. »
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