Chapitre 29
Negg se pressa de quitter les geôles pour éviter de perdre de vue Vargram et les deux gardes l'escortant. Il ressortit dans le couloir et regarda à droite et à gauche et repéra le trio à qui il emboîta le pas en silence et sans signaler sa présence.
Comme il s'en doutait, les gardes conduisaient le mystérieux Welkonnien au petit salon du souverain pour qu'il s'entretienne avec Sire Délèk. Negg connaissait le trajet à présent.
Les gardes firent entrer Vargram puis se postèrent de chaque côté de la porte.
Negg passa devant eux, sachant parfaitement qu'ils ne le stopperaient pas. Lorsqu'il entra, Vargram s'installait juste en face de Sire Délèk qui sirotait encore un verre de liqueur. Le roi adressa un regard réprobateur au mercenaire qui l'ignora soigneusement, le menton levé en une posture altière et supérieure.
Le rouquin alla se placer au fond de la pièce, à côté du fauteuil en s'adossant contre le mur, ses yeux si étranges rivés sur Vargram, qui plissa les siens avec un petit sourire en coin.
Sire Délèk se retourna vers Negg et le pria :
« Pourriez-vous partir ? Je souhaiterais m'entretenir seul avec notre invité.
- Non.
Décréta Negg sans ciller et avec un aplomb qui déplut au souverain qui ne connaissait le refus que de nom et qui avait plutôt coutume qu'on lui obéisse avec une révérence, sans protester. Il grinça des dents en crispant ses doigts autour de son verre de cristal.
Negg se décolla du mur en avançant de quelques pas jusqu'à poser la main sur le dossier du divan où se trouvait Sire Délèk. De cette manière, le rouquin le dominait ce qui, il devait bien l'avouer, le réjouissait contrairement au souverain qu'il était en train d'enrager.
N'abusant pas de sa position plaisante, Negg apporta des précisions à son simple "non" :
- Cet homme est Welkonnien, il s'en est pris à mon frère et c'est après moi qu'il en a alors c'est moi que ça concerne presque exclusivement. Qu'on se le dise. Je resterai donc et je compte bien être présent dès qu'il sera concerné et le suivre à chacun de ses pas et pas la peine de tenter de me dissuader. Vous n'êtes pas mon roi et je me moque bien des ordres.
- Je constate que vous faîtes passer cet homme avant Leïmy.
Rétorqua Sire Délèk en lançant un regard de défis à Negg par-dessus son verre qu'il portait à ses lèvres.
Le mercenaire contracta les mâchoires, sachant qu'il ferait bien mieux de se contenir mais il n'y parvint pas. Sire Délèk le provoquait depuis bien trop longtemps. Negg pouvait prendre sur lui lorsqu'il s'attaquait à lui mais il venait de remettre en cause son amour pour Leïmy et il n'aurait jamais dû.
Avec la rapidité propre aux mercenaires, il bondit sur le souverain, renversant son verre qu'il lui arracha des mains, et il le saisit par son col à jabot, l'étranglant à moitié.
Furieux il siffla :
- N'allez surtout pas prétendre que je ne me soucis pas de Leïmy. Elle est dans chacune de mes pensées mais je sais aussi admettre lorsque je suis de trop ou que je ne peux rien faire, à l'inverse de certains, et si vous osez à nouveau dire le contraire, je vous promet de vous prouver par une petite démonstration qu'un verre brisé est une arme excellente.
- Lâchez-moi immédiatement ou j'appelle la Garde et vous fais mettre au cachot. Là, vous ne pourrez rien prouver.
Negg grinça des dents en resserrant sa prise autour du verre, brûlant d'envie de mettre sa menace à exécution.
Étonnamment, ce fut le rire de Vargram, qui avait assisté impassible à l'altercation, qui rappela à Negg que tuer le souverain de la cité qu'ils cherchaient à s'allier n'était absolument pas la meilleure idée qu'il avait eu et les dieux savaient qu'il en avait eu de mauvaises. Après un dernier regard luisant de rage et de haine mêlée ainsi qu'un grognement découvrant ses dents, tel celui d'un loup, il libéra Sire Délèk qui soupira discrètement de soulagement.
Durant quelques secondes, il avait vraiment cru qu'il avait poussé trop loin la provocation.
Sans un mot, Negg regagna sa place contre le mur, ayant reprit son air neutre.
Un large sourire fendant son visage aux traits francs, Vargram croisa les jambes en déclarant :
- Je sens que je vais m'amuser parmi vous.
- Pour cela, il faudra déjà que je décide si je vous autorise à être libre sur mon territoire ou non, répliqua Sire Délèk. Cela dépendra bien entendu des raisons qui vous motivent ainsi que votre capacité à me prouver que ne représentez un danger pour personne.
Vargram acquiesça, son grand sourire troqué contre un air grave et sérieux. Il s'enfonça un peu plus entre les cousins de brocarts, attendant que le souverain reprenne ou l'invite à prendre la parole, manifestant ainsi son respect avec politesse.
Comme il le pensait, Sire Délèk continua :
- Commençons par les présentations, soyons civilisés.
- Très bien. Je me nomme Vargram Simmbel, descendant d'une famille noble. Je suppose que vous êtes l'homme régnant sur la cité où nous nous trouvons.
Sire Délèk acquiesça sans donner davantage de précisions.
De son côté, Negg fronça les sourcils. Il connaissait le nom de Simmbel car il s'agissait d'une riche et ancienne famille aristocrate de Welkonn mais surtout car il avait commis un cambriolage dans leur demeure d'Orquia juste avant leur départ pour cette expédition.
Une pensée naquit dans son esprit qui cherchait toujours une explication à la présence de Vargram à Arancha. Si la vengeance qu'il venait réclamer n'était pas dû au meurtre d'un proche mais d'un vol ? D'ailleurs, il avait indirectement mentionné sa nouvelle activité à Negg. Si c'était le cas, ce noble était encore plus stupide et cupide que les autres membres de son espèce. Risquer sa vie en utilisant la magie pour se rendre dans un lieu dont on ignorait tout mais qu'on savait dangereux et qui était réputé vide, dépourvu d'eau et de nourriture pour une affaire d'égo ou d'argent.
Qui était capable d'une telle idiotie ? Visiblement, Vargram Simmbel.
À moins que le butin que les deux mercenaires aient emporté contenait quelque chose de très important à ses yeux ou peut-être un artéfact magique mais il aurait certainement reconnu pareil objet. Ils ne possédaient aucune connaissance en magie mais les artéfacts de pouvoirs étaient plutôt faciles à identifier.
Finalement, il ne tenait pas l'explication, du moins, pas entièrement.
Quittant ses réflexions qui ne détenaient, de toute manière, pas la réponse à ses interrogations, Negg reporta son attention sur la conversation se déroulant non loin de lui.
Sire Délèk terminait juste d'expliquer ce qu'était la ville d'Arancha à Vargram qui l'écouta attentivement avant de commenter :
- Et tout Welkonn qui croit que cet endroit n'est peuplé que par des monstres. Je pense tout de même que le Conseil aurait dû mieux choisir les personnes qu'il envoyait se charger de cette mission.
Vargram adressa un regard soutenu à Negg qui conserva sa posture neutre, ne se sentant nullement concerné par cette remarque, ce qui ne l'empêcha pas de rétorquer :
- Dans cette ville, je n'ai aucune raison d'être accusé d'autre chose que d'agression sur le souverain alors que, vous, vous avez essayé de tuer un important invité d'honneur de la royauté devant plusieurs témoins. Ici, vous être plus criminel que moi ou Leïmy.
- Vous me laisserez libre d'en décider, ordonna Sire Délèk avant de revenir poser son regard perçant sur Vargram, mais il n'a pas totalement tord. Peut-être pouvez-vous vous expliquer.
- En effet. Ce n'était absolument pas après le Conseiller Dévlin que j'en avais mais après ces deux maudits mercenaires. Je reconnais avoir quelque peu perdu la tête à cause de la soif, la faim, la fatigue et la chaleur. D'ailleurs, je souhaiterais vous présenter mes excuses, Sire Délèk, si vous le permettez.
Sire Délèk réfléchit à la suite des paroles de Vargram.
Negg, lui, n'eut pas besoin de ça pour deviner que le souverain allait se contenter de ces mots et qu'il allait accepter de libérer officiellement Vargram. Ce dernier parlait bien et son apparence de jeune noble digne et propre sur lui inspirait confiance mais le mercenaire sentait qu'il leur causerait des problèmes, ce dont ils n'avaient vraiment pas besoin en ce moment. Les dieux leur suffisaient amplement.
Exactement comme Negg s'en doutait, Sire Délèk déclara :
- Je pense que cela ne se reproduira pas mais je préférerais tout de même ne pas vous restituez votre rapière et que vous soyez toujours accompagné par...
- Je me chargerai de ce rôle, assura Negg en interrompant le souverain. C'est une affaire de Welkonniens alors je gèrerai ça. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir, il restera entier.
- Bon, bien que je n'apprécie que moyennement l'idée, il faut avouer que vous serez apte à la maîtriser si il tentait à nouveau d'attaquer quelqu'un. »
Negg eut un sourire sans joie et peu rassurant. Il avait obtenu ce qu'il désirait : garder un œil sur ce cher Vargram Simmbel pour découvrir ce qui comptait tant pour qu'il brave tous ces dangers et le tout avec la bénédiction de la royauté d'Arancha.
Vargram fut également satisfait de cette décision. Lui espérait apprendre des choses sur la localisation de son anneau et, si besoin, d'attendre la réapparition de Leïmy en étudiant Negg et possiblement déceler ses points faibles.
Sire Délèk se servit un nouveau verre puis, d'un signe de la main, il invita fermement les deux autres à quitter le salon. Pour une fois, Negg ne s'opposa ou ne protesta pas. Il laissa Vargram devant lui pour le surveiller et lui emboîta le pas sans un mot.
Ils firent plusieurs pas dans le couloir puis Negg sentit le sol se dérober sous ses pieds.
Pensant que ce n'était qu'une soudaine faiblesse dû à sa fatigue et à son angoisse pour Leïmy, il voulut se rattraper à un mur à sa gauche mais il ne le trouva pas. Il avait disparu. Avant que le rouquin n'ait pu comprendre quoi que ce soit, il eut l'impression de sombrer, que son corps chutait.
Une intense lueur verte l'entoura, le forçant à se protéger les yeux de son bras en plus de les fermer. Peu à peu, il vit la lumière diminuer à travers ses paupières.
Il abaissa son bras et attendit que les larges taches sombres dansant devant son regard s'estompent pour distinguer son environnement. Il se trouvait dans un lieu ombragé par de hauts arbres centenaires qui créaient un épais tapis de feuilles et d'épines sur le sol. Il s'agissait de la forêt d'Yolle. Negg la connaissait suffisamment pour en être certain mais comment avait-il atterrit ici ?
Il ne pouvait pas se trouver dans le palais d'Arancha un instant puis dans la forêt maudite de Welkonn la seconde suivante. À moins que ce qu'il avait sous les yeux ne soit qu'une illusion.
« Tu as deviné juste. Cet endroit n'existe pas vraiment. Ce n'est qu'une projection de nos deux esprits.
Negg tourna sur lui-même pour voir son interlocutrice à la voix juvénile mais elle demeura invisible.
Par réflexe, il porta la main sur l'un de ses dagues et ordonna :
- Avant de m'expliquer, montrez-vous et sortez de ma tête !
- Très bien.
Les racines des arbres sortirent de terre sur un périmètre de quelques centimètres et s'élevèrent en se nouant les unes aux autres pour former une petite silhouette humain qui prit peu à peu chair devant Negg.
Il découvrit une enfant qui ne semblait pas avoir plus de sept ans à la peau ambrée et aux longs cheveux vert tendre lui cascadant jusqu'aux pieds, parsemés de minuscules fleurs sauvages de toutes les couleurs. Ses grands yeux étaient d'un vert incroyablement brillant. Sa robe paraissait être faites de feuilles cousues ensembles et un diadème ceignait son front de fillette.
Negg leva les yeux au ciel en devinant :
- Vous êtes une déesse.
- En effet et j'ai l'habitude qu'on me témoigne davantage de respect. Surtout à moi. Je suis Yolle, la reine des dieux.
- Leïmy m'a parlé de vous. Si vous venez aux nouvelles, vous vous êtes dérangée pour rien. Nous n'avons aucune piste pour Leïmy.
- Je suis au courant. J'étais venue m'excuser pour mes frères et sœurs. Notre ultimatum était un peu trop radical, pour l'instant.
- Si c'était seulement pour ça, vous aurez pu contacter Iléany au lieu de m'attirer dans votre illusion.
- J'avais aussi envie de te rencontrer. Je me sens toujours très proche de mes enfants.
- Vos enfants ?
- Tu as vécu plus de la moitié de ta vie dans ma forêt. Ma plus belle création.
- Donc, tous les mercenaires sont vos enfants. Félicitation.
- Non, je les choisis moi-même.
- Ravi d'avoir eu cette conversation avec vous.
Même si il savait très bien qu'il ne pourrait aller nulle part, Negg fit volte-face et s'éloigna pour partir.
Il avait autre chose à faire que de converser avec une déesse, surtout si cette dernière n'avait rien de concret à lui dire.
- Attend un peu, Negg. Il faut que tu saches quelque chose. Leïmy est... Tu l'as perdue. Qu'elle ait disparu dans la tornade de ses pouvoirs ou qu'elle rejoigne les dieux. Tu ferais mieux de lui dire adieu dès à présent, ce sera moins douloureux pour tous les deux.
- Impossible. Je l'aime.
- Tu l'as déjà abandonnée une fois. Tu ne feras que recommencer.
- J'ai promi que ça ne se reproduirait jamais.
- J'ai vu les dégâts provoqués par un amour interdit qui est tout de même vécu.
- Interdit ? Les seuls interdits sont ceux qui nous nous imposons.
- Negg ! Ce serait la meilleure chose à faire pour tout le monde !
- J'ai déjà fait le meilleur pour tout le monde il y a un an. À présent, je préfère faire ce qui est le mieux pour moi. Si vous voulez m'aider, dîtes-moi où je peux trouver Makarus.
- À quoi cela servira t-il ?
- À faire le meilleur pour tout le monde.
Répondit Negg d'une voix assurée, les bras croisés sur la poitrine. Yolle le détailla avec une petite moue en coin. Bien campé sur ses jambes légèrement écartées, il semblait bien décidé à ne pas changer d'avis.
Elle se résigna dans un soupir et expliqua à Negg :
- Les dieux déchus vont mourir dans le désert à quelques kilomètres de la ville vers le sud-est.
- Je ne peux même pas m'éloigner de trois kilomètres.
- Je sais. »
Conclut Yolle et Negg eut à nouveau la sensation de chuter et la nausée monter dans sa gorge.
Le couloir du palais d'Arancha se matérialisa autour de lui : les murs de marbre, les moulures d'or et la commode incrustée de pierreries.
Il se tenait au mur de gauche, exactement ce qu'il avait tenté de faire lorsque la lumière était apparu.
Vargram se tourna vers lui et grogna :
« Hé ! Déjà que c'est pénible d'avoir quelqu'un collé à chacun de mes pas mais si en plus ce quelqu'un traine, ça va être une torture.
Negg releva la tête.
Pour Vargram, il ne s'était arrêté que quelques secondes alors que sa conversation avec Yolle avait duré plusieurs minutes. La magie permettait bien des choses.
Le rouquin se redressa, tout malaise à présent envolé. Il repensa rapidement à l'échange avec la déesse.
Il fit volte-face et prit la direction de la bibliothèque en déclarant :
- Il faut que je parle à Dévlin.
Vargram le regarda s'éloigner, un sourcil arqué en un air circonspect et dubitatif. Il n'avait pu suivre le chemin qu'avaient pris les réflexions de Negg et ignorait tout de l'intervention d'Yolle donc, il pensa que, non seulement, le rouquin était un dangereux mercenaire sanguinaire mais qu'en, plus, il était soit stupide, soit légèrement fou. Le jeune noble ne savait pas ce qui était le pire.
Voyant que Vargram ne le suivait pas, Negg revint sur ses pas et le saisit par le poignet avec brutalité pour le tirer derrière lui en ajoutant :
- Et tu viens avec moi.
- Pas question ! J'avais prévu d'aller me chercher une chambre.
Vargram se libéra de la poigne de Negg et se posta face à lui, les poings sur les hanches.
Negg grommela. Non mais que croyait cet imbécile ? Qu'il passait un séjour d'agrément à Arancha et que Negg était là pour lui servir de domestique ?
Le mercenaire devait retrouver Leïmy ou le moyen de la débarrasser de ses pouvoirs de déesse alors il n'avait certainement pas de temps à perdre avec des exigences capricieuses d'aristocrate. Malgré ce qu'avait dit Sire Délèk, Vargram était le prisonnier de Negg et il allait le lui faire comprendre.
Énervé et lassé, les nerfs mis à vif par les derniers événements, il décocha un violent coup de poing au noble qui le reçut au coin de menton, le faisant chuter. Sans le laisser se relever seul, Negg le saisit par le col et le remit brutalement sur ses pieds et, le tenant fermement par le bras, il l'entraîna derrière lui en marmonnant :
- Direction la bibliothèque. »
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