Chapitre 22

Après des jours de voyage à un rythme effréné, Leïje était enfin en vue du mont Kieff. Brume avait été très utile pour gagner du temps. La petite jument était très brave. Même si Leïje l'avait encore oubliée, elle s'était mise en route sans rechigner. Leïje avait ainsi réduit le temps de voyage de moitié.
Il tira sur la bride de Brume, la faisant ralentir avant d'entrer dans le petit bourg au pied du mont. Les sabots de la jument claquèrent sur les pavés usé du village.
Leïje rabattit la capuche de son manteau sur son visage. Il souhaitait qu'on ne puisse pas l'identifier. Arick était originaire de cet endroit et il y avait encore des contacts. Il y avait donc des personnes susceptibles de l'informer de son passage, ce qui briserait immédiatement sa couverture.
Peut-être que pour plus de discrétion il aurait dû délaisser son manteau mais il n'avait pu s'y résoudre. Sans ce manteau, il se sentait vulnérable et exposé. Bien sûr, il ne protégeait pas son propriétaire des lames mais des regards d'autrui puis, à la longue, c'était un peu devenu comme un morceau de son identité. C'était comme ça : on ne voyait jamais Leïje sans son manteau.
Le voleur fit stopper Brume qui décida donc de s'attaquer aux fleurs d'une jardinière pour s'occuper mais Leïje l'en empêcha en tirant à nouveau sur les rênes. Il examina les différentes rues et passages s'ouvrant à lui pour tenter d'identifier le trajet qui le mènerait au mont Kieff. Ne pouvant le deviner, il dut se résoudre à demander son chemin. Il fit un peu plus tomber sa capuche pour dissimuler davantage ses traits puis il se dirigea vers une personne au hasard et qui s'avéra être une jeune fille de quatorze ans.
D'abord surprise de voir un étranger, qui en plus cachait son visage, l'adolescente lui montra ensuite une venelle très ombragée d'un signe de la main. Leïje la remercia d'un hochement de tête, préférant faire entendre sa voix le moins possible.
Il éperonna Brume qui se mit en marche, abandonnant à regret les petits jardinets qu'elle couvait d'un regard gourmand. En lui flattant l'encolure, Leïje lui promit de lui donner une grosse poignée d'avoines dès la prochaine halte. Il ignora si la jument avait comprit ses paroles mais elle sembla continuer avec plus d'entrain.
L'homme et l'animal s'engouffrèrent dans la ruelle qui se révéla être plus large que ce qu'elle laissait croire de l'extérieur et les flancs de Brume ne frottèrent pas contre les murs.
L'ombre projetée par les toits rafraichit Leïje qui poussa un soupir de soulagement. C'était qu'il suait à grosses gouttes avec son manteau. Le désavantage de s'attacher de la sorte à un tel vêtement.
Les bâtiment s'espacèrent peu à peu, laissant à nouveau des taches de lumière pénétrer dans la venelle, puis les pavés cédèrent la place à un simple sentier de poussière et Leïje sortit du village. Il s'engagea sur une pente douce, pour le moment mais qui devenait un peu plus raide à chaque mètre.
La chaleur passait à travers les feuilles des quelques arbres qui parsemaient le chemin et Leïje étouffait sous sa capuche. Il la gardait pour éviter que les rayons impitoyables du milieu de journée ne lui frappent trop durement le crâne. Déjà qu'il lui arrivait assez souvent d'être idiot si en plus le soleil lui grillait la cervelle, ce serait la fin.
Tout en se moquant intérieurement de lui-même, il comptait soigneusement les kilomètres pour pouvoir situer la caverne.
Au bout de cinq, il décida de faire une pause pour que Brume se repose et également pour soulager ses muscles rendus douloureux par la chevauché. Il s'arrêta sous un bosquet de frênes. Il sauta à terre et attacha Brume à l'un des arbres.
Comme promis, il piocha une large poignée dans le sac d'avoine qu'il avait emporté et la donna à la jument qui dévora les flocons avec ravissement. Lorsqu'elle eut terminé, elle donna de petits coups de museau contre sa main pour en réclamer encore.
Leïje lui donna quelques caresse en refusant :

« Non, non, ça suffit. Tu en as eu assez, ma belle. C'est fou. Les femmes en veulent toujours plus de ma part. »

Leïje ne s'amusa pas de sa plaisanterie bien longtemps puisqu'il était seul et que c'était nettement moins distrayant de se vanter sans public pour réagir. Leïmy l'aurait certainement frappé pour une remarque aussi lourde, Negg aurait levé les yeux au ciel avec un sourire désolé.
Leïje soupira. Ses amis lui manquaient. Il se sentait vraiment très seul soudainement. C'était tristement ironique. Lui qui ne comptait plus ses conquêtes, avait souvent une cape de solitude sur ses épaules.
Chassant ces pensées, il entreprit de brosser les poiles de Brume pour en retirer toute la poussière accumulée durant la mâtinée puis il cura ses sabots et vérifia que les fers étaient encore bien fixés, ce qui était le cas.
Ayant terminé de s'occuper de la jument, il s'assit au pied d'un frêne et apaisa sa gorge sèche de plusieurs gorgées d'eau. Il s'essuya la bouche de sa manche.
Il se reposa encore quelques minutes puis il détacha Brume et se remit en selle. Le chemin se fit encore plus pentu. La poussière séchée par la forte chaleur volait autour de la jument faisant tousser Leïje et lui piquant les yeux. Ce nuage obstruait également son champ de vision. Le reste du chemin n'allait pas être si évident.
L'après-midi passa enveloppée par la poussière et la chaleur.
Profitant de la baisse de température, il progressa une partie de la nuit mais il préféra stopper lorsqu'il manqua de tomber au sol après s'être à moitié endormi en selle.
Comme plus tôt dans la journée, il nettoya puis nourrit Brume après l'avoir attaché. Il fit un petit feu de camp qui prit très rapidement. Le bois très sec avait des avantages.
Le voleur s'installa en face. Il grignota quelques biscuits et but beaucoup. Ne trouvant aucun intérêt à veiller, il s'allongea et ferma les yeux.
Il s'endormit sans tarder, contrairement à Brume qui releva la tête en sentant une présence. La jument voulut hennir pour avertir son maître provisoire mais une main apaisante se posa sur son flanc et elle se calma. Elle baissa à nouveau le museau et souffla par les naseaux.
L'intruse contourna le feu, le bas de sa robe légère ramassant la poussière et les quelques cendres qui s'étaient envolé, puis s'agenouilla à côté de Leïje qui dormait déjà profondément. Elle l'observa un instant, la tête penchée sur le côté, surprise de l'air enfantin que lui conférait le sommeil mais, en sachant ce qu'elle connaissait sur lui, elle ne resta pas étonnée longtemps.
Elle changea de position, remontant les genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras puis elle se prépara à attendre que Leïje se réveille. Elle savait que ça ne tarderait pas. Le cheval avait sentit sa présence et le voleur en ferait de même.
En effet, Leïje commença à bouger et ses paupières se crispèrent. Il se retourna, remua les jambes puis se frotta l'œil gauche en baillant, encore une fois comme un enfant. Il se redressa en étirant ses épaules vers l'arrière puis il ouvrit enfin les yeux.
Il eut un vif mouvement de recul, fort surpris de découvrir une jeune femme penchée sur lui. Il devait bien avouer que ce n'était pas la première fois qu'il se réveillait sans reconnaître le visage de la conquête avec qui il avait passé la nuit mais, là, il se trouvait sur une pente du mont Kieff et il était certain qu'il était le seul être humain à des kilomètres à la ronde lorsqu'il s'était endormi alors que faisait cette femme ici ?
Leïje prit le temps de la détailler avant de se laisser submerger par ses interrogations. Elle ne semblait pas avoir plus de vingt ans. Sa peau était claire mais pas autant que celle de Leïmy. Elle avait un très beau visage aux traits fins et harmonieux : un petit nez rond, des pommettes bien dessinées, de jolies lèvres pleines, un menton légèrement arrondi et les joues rosées. Ses grands yeux étaient d'un incroyable violet. Ses cheveux cascadant jusqu'à sa taille avaient le même éclat que le feu de camp. Quelques mèches tombaient sur son visage. Son corps svelte était habillé d'une robe pourpre légère aux voiles vaporeux.
Son étonnement passé, Leïje lui demanda :

« Euh... Je peux vous aider et, s'il vous plaît, ne me dîtes pas que c'est moi qui vous ais proposé de passer la nuit avec moi parce que je vais vraiment m'inquiéter pour ma mémoire et ma santé mentale.

- Ne t'inquiète pas, Leïje, ce n'est pas le cas.

- Comment connaissez-vous mon nom ?

- C'est toi qui me cherchais.

- Vous êtes Iphamme. Devina le voleur.

- En effet. C'est moi.

La voix de la jeune femme devint très triste lorsqu'elle confirma son identité. Leïje se sentit un peu rassuré de connaître la personne lui faisant face même si il ne comprenait pas comment elle l'avait rejoint et d'autres choses.
Retrouvant les réflexes qu'il avait toujours devant une belle jeune fille, il eut un sourire charmeur et se rapprocha un peu d'Iphamme à qui il dit :

- Leïmy ne m'avait pas prévenu que vous étiez aussi magnifique et...

- Ne te fatigue pas. Je sais très bien ce que tu essayes de faire avec moi et ça ne fonctionnera pas. Je te connais Leïje. Je sais qui tu es. Je sais pourquoi tu es incapable d'aimer. Je sais pourquoi tu enchaînes ainsi les conquêtes.

Leïje se leva pour s'éloigner d'Iphamme, perturbé par ce qu'elle venait de déclarer.
Comment pourrait-elle savoir tout cela ? Il se prit la tête dans la main gauche, très remué par ces propos, et la droite tendue vers Iphamme dans l'espoir de la faire taire mais elle continua :

- Et je sais pour Chymé.

- Ça suffit !

S'écria Leïje, affolant Brume qui poussa un hennissement inquiet.
Il s'agenouilla brusquement à la hauteur d'Iphamme qui ne réagit pas, comme si elle s'attendait parfaitement à ce mouvement, et il la saisit violemment par les épaules.
Il continua sans baisser le ton :

- Comment êtes-vous au courant ? Comment est-ce possible ?

- C'est ma malédiction.

- Ne me baratinez pas sinon...

- Tu ne me feras rien. Je t'ai dit que je savais qui tu étais et tu ne frapperais jamais une femme.

- D'accord... Nous allons tenter de nous calmer un peu.

- Bonne idée.

- Qui êtes-vous ? Comment...

- Ne gaspille pas ta salive à poser des questions. Je les connais déjà. Je suppose que Leïmy ne t'a donné aucune précision sur ce qu'il se passait dans le désert de Soow ou les raisons pour lesquelles tu devais me retrouver.

- Leïmy ne dit que ce qu'elle veut bien et je préfère ne pas trop l'interroger.

- Je vais donc te raconter tout ce tu ignores.

Leïje acquiesça, devinant que c'était l'unique moyen de comprendre ce qu'il se passait.
Il s'installa face à Iphamme et l'écouta faire le récit des péripéties vécues par Leïmy, Negg et Dévlin de l'autre côté de l'océan Désertique.
Le voleur écarquilla les yeux et émit des exclamations de surprise à de nombreuses reprises. Leïmy, une déesse ? C'était totalement dément et pourtant la vérité.
Lorsque Iphamme referma la bouche, Leïje reprit la parole :

- Et vous dans tout ça ? Quel est votre rôle ? Comment pourriez-vous trouver Makarus si même les dieux en sont incapables ?

- Car je suis aussi une déesse.

- Quoi ? Mais je croyais qu'il n'y avait que neuf dieux, un par magie ! Je ne comprends plus rien...

- Ils sont dix en réalité mais la dixième n'est pas moi et le problème est bien là. Je ne suis pas liée à une magie donc, je suis comme la brebis noire du troupeau, celle dont personne ne veut, l'élément gênant dont on veut se débarrasser. Je ne suis associée à aucune magie. Je suis la déesse de la Destinée.

- C'est pour cela que vous savez tout sur tout le monde.

- Tu n'imagines par quelle torture c'est !

Iphamme éclata en sanglots en se prenant le visage dans les mains. Leïje leva les sourcils, surpris de la voir craquer ainsi alors qu'elle paraissait si calme et posée à peine quelques secondes auparavant.
Le voleur se rapprocha de la déesse et lui passa un bras réconfortant autour des épaules sans hésiter. Puisqu'elle savait tout, elle n'interpréterait pas mal ce geste.
Il chercha à la consoler à sa manière :

- Je compatis et je comprends parfaitement quel supplice ce doit être. Connaître tous les détails de chaque existence malheureuse de ce monde, savoir toutes les motivations sordides des personnes mal intentionnées. Assister à toutes les atrocités inimaginables comme si on y était, quel horreur.

- Et tu es encore loin de la réalité.

Leïje ne put que donner raison à la déesse.
Cette dernière posa la tête contre l'épaule du voleur. Cela faisait si longtemps qu'elle était seule et que personne ne s'était préoccupé d'elle alors elle comptait bien profiter du petit réconfort que Leïje lui offrait en silence.
Ses lames finirent par sa tarir et elle se dégagea de l'étreinte de Leïje. Elle essuya ses joues encore humides puis elle conclut avec une triste ironie :

- Maintenant, c'est toi qui sais.

- Il y a encore des éléments d'importance que j'ignore. Par exemple : où se trouve Makarus ?

- Je ne te le dirai pas.

- Quoi ? Mais c'est pour cela que je suis venu à votre rencontre.

- Je le sais, aurais-tu déjà oublié ? J'ai décidé il y a longtemps de ne plus intervenir dans les affaires des hommes car c'est inutile. Ils ne m'écoutent jamais. Maintenant, je préfère me tenir loin de tout cela. C'est mieux pour moi. Je devine la question que tu t'apprêtes à me poser et si je t'ai rejoint ce soir, c'est seulement pour t'avertir que je ne ferai rien pour toi et que je désire qu'on me laisse tranquille. Je ne veux pas qu'on me mêle à la vie et aux choix des hommes.

- Pourtant, vous avez essayé de venir en aide à Leïmy il y a un an. Vous avez voulu lui faire comprendre que Welkonn allait vers sa destruction, comme il y a huit siècles.

- De toute manière, c'est trop tard. Leïmy ne pourra jamais rendre ses pouvoirs à Makarus puisqu'il a déjà été investi par une autre puissance.

- Que voulez-vous dire ?

- Je te répète que je veux pas interférer avec le cours du Destin.

- Je vois. Vous êtes comme tous ceux qui sont puissants et qui peuvent se permettre de regarder les autres de haut. Vous donnez un petit fragment, juste assez pour intriguer mais pas suffisamment pour faire comprendre le sens. Après tout, l'histoire ne serait pas aussi distrayante sans une certaine dose de mystère. Allez-vous en, retournez à votre existence d'auto-apitoiement, mes amis humains qui ne vous écoutent jamais et moi allons nous débrouiller ! Ne vous inquiétez pas mais si ça fini mal, vous en serez la seule responsable !

- Tu ne comprends pas...

- Vous avez raison, je ne comprend pas mais ça, vous le saviez déjà !

Iphamme soupira, sachant qu'elle ne pourrait faire adopter son point de vue à Leïje qui se détourna d'elle avec une expression vraiment contrariée.
La déesse se releva et commença à s'éloigner sur la pente en direction du sommet. Leïje ne chercha pas à la retenir ou à la rappeler, fortement énervé par son comportement.
Iphamme progressa sur plusieurs mètres puis elle s'arrêta et se tourna à nouveau vers le voleur :

- Ta colère est possiblement justifiée mais pour te prouver que je ne suis pas comme tu le prétends et également pour te remercier de m'avoir réconforté, je vais te donner un conseil que tu ferais bien de suivre. Rend-toi à Igga et plus particulièrement sur le port. Tu me remercieras. »

Leïje redressa la tête et regarda l'endroit où se tenait Iphamme mais cette dernière avait disparu.
Le voleur ne sut que penser de cette étrange conversation. L'histoire était devenue beaucoup plus inextricable et compliquée depuis quelques temps. Entre la conspiration et l'affaire des dieux, ou trouver le temps de dormir ?
Leïje soupira. C'était à lui de gérer tout cela mais il avait tout de même obtenu une piste d'Iphamme. La ville d'Igga. Que pouvait-il bien y avoir d'intéressant là-bas ? Leïje l'ignorait mais puisque c'était la déesse du Destin qui lui avait donné cette information, il n'allait pas la remettre en question. Il avait tout de même de la chance car Igga était la cité la plus proche du mont Kieff : deux jours à cheval. Il se mettrait en route dès demain.
Pour le moment, il avait besoin de se reposer un peu.
Tout en cherchant le sommeil, il réfléchit. Igga... Il ne savait presque rien de cette ville, en-dehors du fait qu'elle comptait l'unique port maritime de Welkonn et qu'il s'agissait de la ville natale de Leïmy. Peut-être que le conseil d'Iphamme avait un rapport avec la mercenaire. Leïje ne pourrait le savoir qu'en gagnant la cité.
Leïje se réveilla aux aurores, juste avant que la chaleur ne monte.
Les traces des pieds nus d'Iphamme dans la poussière lui indiquèrent qu'il n'avait pas rêvé la conversation de la veille. Sa destination était bien Igga.
Le voleur s'étira en se levant. Il mangea de quoi se donner des forces durant la mâtinée, nourrit Brume puis se mit en route sans attendre.
Il redescendit rapidement de la montagne mais ne repassa pas par le village, se dirigeant directement vers l'est. Il voulait terminer cette affaire au plus vite et ne comptait pas s'attarder à Igga.
Maige et Dabielle devaient certainement avoir besoin de lui. Il ne pouvait les laisser seules avec le complot trop longtemps.
Pressé d'en finir avec ce voyage, Leïje mangea en selle et prit beaucoup sur son temps de sommeil si bien que lorsqu'il arriva à Igga, il était exténué, tout comme Brume qui peinait à soulever ses sabots ferrés.
Cette fois, le voleur n'avait pas besoin de demander son chemin. L'odeur d'iode et les cris des mouettes le guidèrent aussi sûrement qu'une boussole ou les indications d'un citadins. Il fit tourner Brume dans une rue amenant vers le nord.
Les passants se retournaient sur son passage, surpris de voir un jeune homme vêtu d'un long manteau bleu en pleine saison chaude et couvert de poussière. Leïje ne s'en préoccupa pas.
Le soleil, dont les rayons n'étaient plus filtrés par les bâtiments serrés, l'éblouit lorsqu'il déboucha sur le port. Le quai était interminable et les navires s'alignaient sans interruption. Les capitaines vociféraient leurs ordres depuis les ponts des bateaux et des marins ainsi que des débardeurs couraient en tous sens, renforçant encore la chaleur ambiante. L'odeur de sueur était étouffante.
Leïje préféra donc rester en selle plutôt que de se mêler à la cohue malodorante mais diriger la jument au milieu de la foule ne s'avéra pas évident, il y avait beaucoup trop de monde. Le voleur dut donc se résoudre à se laisser glisser au sol avec un certain manque de souplesse dû à sa fatigue puis, tenant Brume par la bride, il se faufila entre les passants à la recherche d'une auberge, pas nécessairement bien fréquentée.
Il en trouva une lui convenant au bout du port, là où les navires s'espaçaient et l'activité était moins dense. Il s'agissait d'un bâtiment au crépis blanc passé et aux colombages apparents sur le premier étage. Une petite écurie lui était attenante.
Leïje s'y dirigea et confia Brume à la petite palefrenière occupée à changer le foin des stalles. Avec un grand sourire, elle promit à Leïje de prendre bien soin de la jument grise. Le voleur se contenta de hocher la tête, trop épuisé pour répondre.
Il entra ensuite dans l'auberge et prit une chambre. Il monta lourdement les escaliers et s'écroula sur le matelas, le nez dans l'oreiller. Le voleur soupira en se retournant sur le dos.
Il s'endormit sans tarder, prenant les plusieurs et bienfaisantes heures de sommeils dont il avait besoin.
Leïje se réveilla dans la mâtinée du lendemain. Il s'étira, frais et reposé. C'était fou ce que ça faisait du bien de dormir. Il n'avait pas pris le temps de retirer ses bottes avant de se coucher. Il n'aurait donc pas à perdre du temps à les chercher.
Maintenant qu'il était réveillé, il devait faire en sorte de retrouver figure humaine. Il commença par épousseter ses cheveux ainsi que ses vêtements puis il s'aspergea le visage avec l'eau de sa gourde.
Il descendit dans la salle qu'il découvrit bondée. De nombreux marins prenaient leur premier repas de la journée.
Leïje s'installa à une table vide et demanda de quoi manger à la serveuse en lui adressant un sourire charmeur ainsi qu'un clin d'œil la faisant rougir. Elle revint sans tarder avec plusieurs tranches de pains. Leïje mordit dans la première en écoutant distraitement les conversation se menant autour de lui.
Soudain, il redressa la tête, alerté par un mot qui revenait beaucoup dans les discussions.
Des pirates ?
Leïje se retourna et tapota l'épaule de son voisin pour attirer son attention.

« Excusez-moi mais quelques paroles de votre conversation se sont glissé jusqu'à mes oreilles. Vous parlez de pirates ?

- Il y a des rumeurs qui circulent sur un navire arrivé depuis peu. Il appartiendrait à des pirates.

Leïje écarquilla les yeux. Les pirates, l'une des guildes les plus insaisissables car sans quartier générale et toujours en mer. C'était sans aucun doute pour cela que Iphamme lui avait conseillé de se rendre à Igga. Les pirates ne devaient pas faire partie du complot. Exactement ce que Leïje recherchait.
Il remercia silencieusement Iphamme puis il questionna à nouveau l'homme qui venait de le renseigner :

- Ce navire, c'est lequel ?

- Sortez d'ici, marchez douze mètres et il est devant vous.

- Merci. »

Leïje quitta l'auberge en emportant ses tartines. Il suivit les indications de l'homme et compta soigneusement les douze mètres puis ils stoppa.
Là, il leva le regard vers la coque du navire se trouvant en face. Les voiles étaient ramenées et il était parfaitement entretenu. La figure de proie représentait une jeune femme plutôt séduisante mais il n'y avait aucun signe de vie.
Leïje siffla entre ses dents et appela :

« Eh oh ! Il y a quelqu'un ?

Une tête blonde se pencha par-dessus le bastingage et examina Leïje.
Le mousse hésita un instant puis disparut de la vue du voleur qui pensa qu'il allait devoir insister mais, avant qu'il n'ouvre la bouche, une corde se déroula le long de la coque jusqu'au quai. Le jeune homme se laissa glisser le long de cette corde jusque devant Leïje qui le détailla.
Il s'agissait d'un adolescent de seize ans aux yeux bruns rieurs et légèrement plissés et aux cheveux blonds frisés. Une longue cicatrice blanchâtre barrait sa joue gauche.
De son côté, il examina également Leïje puis il lui demanda :

- Je peux vous aider ?

- J'aimerais m'entretenir avec votre chef ou plutôt votre capitaine comme vous dîtes.

- Pourquoi accepterais-je ? Rétorqua l'adolescent en croisant les bras sur sa poitrine.

- Pour la simple raison que je sais que vous êtes des pirates et que le sort de Welkonn en dépend.

- Encore ? C'est une manie chez vous de mettre le monde en danger ou quoi ?

- Les gens sont fous, c'est un fait. Alors puis-je monter à bord ou pas ?

- Je crois que quelqu'un m'en voudrait si je refusais. Pouvez-vous grimper à la corde ?

- Vous vous moquez de moi !

S'exclama Leïje puis il écarta le jeune homme sans rudesse pour se saisir de la corde. Il s'y hissa sans difficulté et l'escalada avec autant de souplesse que d'agilité. L'adolescent le regarda faire, impressionné puis il le suivit.
Ils grimpèrent sur le pont. Les différents hommes y travaillant se retournèrent et dévisagèrent Leïje, surpris de voir un inconnu sur leur navire. Le jeune homme blond leur adressa un signe d'apaisement et tous retournèrent à leur tâches respectives.
Leïje leva un sourcil, étonné de constater qu'un adolescent ait autant de pouvoir sur les membres de l'équipage.
Devinant sa remarque intérieure, le jeune pirate lui apprit :

- Je suis le second. Je m'appelle Riad.

- Moi, je suis Leïje. Navré mais je préférerais communiquer le reste des informations me concernant à votre capitaine.

- Comme vous voulez, de toute manière, j'assisterai à l'échange. Par contre, je dois vous prévenir : ce n'est pas une bonne journée pour le capitaine. D'ailleurs, le voilà.

Riad montra le gaillard arrière, là où se trouvait le gouvernail. Leïje suivit la direction indiquée du regard et leva les sourcils. La seule personne se trouvant là était un homme d'environ vingt-cinq ans aux cheveux roux légèrement frisés noués sur sa nuque et torse nu.
Il frappait contre la porte de la cabine du capitaine.
Leïje se tourna vers Riad, se demandant si il était réellement sérieux.
Riad haussa les épaules avant de répéter :

- Une mauvaise journée. »

Leïje ne fit aucun commentaire. Après tout, il se moquait bien de savoir ce qu'avait mangé le capitaine de ce navire.
Ce qui importait était qu'il puisse l'aider à combattre la conspiration ou au moins lui donner quelques informations dessus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top